Vagabondages et notations*
<< (...) je me livre à de longs vagabondages où je
note, muni d’un carnet, presque maniaquement tout ce qui
m’a frappé : pas de choses précises – je
ne fais pas de réalisme – mais des indications d’atmosphère.
Tantôt il s’agit de l’ancienne adresse de telle
star du muet, découverte en feuilletant un vieil annuaire
de cinéma, et que j’ai été vérifier
sur place. Tantôt une entrée d’immeuble ou une
cage d’ascenseur, qui m’a frappé à cause
d’une certaine luminosité. Chaque fois, je note :
Avenue Kléber – Style de l’édifice – caractéristiques
de la lumière… Je possède des cahiers entiers
remplis de numéros d’immeubles. Inutile de savoir
s’il s’est réellement passé, il y a 30
ou 40 ans, un drame à cet endroit. Il suffit que je puisse
l’imaginer. Alors, rentré chez moi, si par chance
je tombe, en vérifiant dans le bottin l’identité des
habitants de l’immeuble, sur quelque nom un peu extravagant,
mon imagination se met tout de suite à broder.>> Propos
recueillis par Jean-Louis Rambures, dans un entretien paru dans
Le Monde le 24 mai 1973.
Vague...
"- On vous définit
souvent comme un artiste du vague, mais votre phrase, dans ce « café »,
n'a jamais été aussi précise, lumineuse.
Vous voulez faire mentir vos exégètes ?
- Quand ils disent que je suis vague, c'est évidemment
bizarre pour moi parce j'ai l'impression que ma phrase* est tellement
pauvre que j'ai besoin de m'agripper à la réalité...
Elle en devient... sur-réelle." Entretien
avec Christophe Ono-dit-Biot , 27/09/2007, à l'occasion
de la parution de Dans le café de la jeunesse perdue,- © Le
Point N°1828-
Valise,
boîtes, etc.,
Dans la plupart des romans de PM, il y a souvent des réceptables
qui recueillent des objets du passé, des écrits, des notes
qui témoignent
du
passé du
propriétaire ou qui qui servent perdre un peu plus le lecteur
alors que le narrateur n'a pas cessé d'empiler, dans une sorte
d'immense feuilleté, des indices nombreux sur l'origine, les
voyages, les déambulations, les rencontres du propriétaire
du "réceptacle". PM va si loin dans "la perte de connaissance
du personnage" que la découverte des objets et traces d'un
personnage contredisent toutes les hypothèses qu'il a élaborées
dans les pages précédentes, quelquefois sans conviction mais
avec assez de précisions pour que
le lecteur croie à la réalité de ce qui est décrit.
Xavier VALLAT
<< Né dans le Vaucluse en 1891, Xavier Vallat grandit dans une famille profondément catholique. Enfant des luttes anticléricales du début du XXe siècle, il milite à l'Association catholique de la jeunesse française, lisant assidûment Le Pèlerin avant de découvrir L'Action française. Son éducation nourrit un antisémitisme que ses lectures confortent. Licencié ès lettres, professeur au collège catholique d'Aix-en-Provence, il s'illustre par une guerre courageuse. Blessé en mars 1918, il doit être amputé de la jambe gauche. Elu député en 1919, battu en 1924, réélu en 1928, il siège sans discontinuer jusqu'en 1940. Républicain national, catholique et social, c'est un parlementaire zélé. Ferraillant pour la défense de l'enseignement catholique, puis pour l'interdiction de la franc-maçonnerie, il s'impose comme un orateur respecté et craint à la
Chambre. Un parcours sans faute, en somme.
Sa trajectoire bifurque le 6 juin 1936 quand, dans une saillie
mûrement préparée, il interpelle haineusement le nouveau président du Conseil, Léon Blum : « Pour la première fois, ce vieux pays gallo-romain sera gouverné par un juif. » Dans l'atmosphère électrique de ce début d'exercice du pouvoir par le Front populaire, son antisémitisme qui puise loin dans le passé est avivé par la peur viscérale
du danger communiste.
Cette double hantise n'est pas sans lien avec la deuxième inflexion de sa carrière. D'abord associé au gouvernement de Vichy comme secrétaire général aux anciens combattants, Vallat prend, fin mars 1941, la tête du Commissariat général aux questions juives nouvellement créé. A ce poste, il est celui qui développe la politique antisémite de Vichy. Le second statut des juifs et leur recensement (2 juin 1941), la loi du 22 juillet 1941 qui organise « l'aryanisation » des biens « juifs », c'est-à-dire leur spoliation, tout cela est son oeuvre. Tenant d'une ligne « française », qui ne le cède en rien à celle des Allemands dans la stricte application de mesures draconiennes, il n'est dans ses fonctions « qu'un pion dans la stratégie allemande de la «solution finale» ». Remplacé en mai 1942 par Darquier de Pellepoix, il travaille auprès de Laval au problème du ravitaillement non sans continuer à traquer les juifs. Le 29 juin 1944, il remplace Philippe Henriot, abattu la veille par la Résistance, au micro du Radio-Journal de Vichy et tiendra l'antenne jusqu'au 19 août.
Jugé par la Haute Cour de justice en décembre 1947, Vallat s'y montre offensif, prétendant récuser Maurice Kriegel-Valrimont, disqualifié à ses yeux comme juge parce que juif naturalisé et communiste, d'une formule qui peut être transposée aux juifs en général : « Pour moi, il est absent. » Condamné à dix ans d'emprisonnement et à l'indignité nationale à vie, Vallat est libéré en décembre 1949, amnistié en 1954. Dans ses chroniques à Aspects de la France, il donne à nouveau libre cours à sa veine antisémite dès l'année suivante. Son dernier article paru dans Aspects de la France, en 1969, est consacré à la réédition de l'ouvrage de Bernard Lazare, dreyfusard de la première heure, L'Antisémitisme,
son histoire et ses causes.
Le 8 janvier 1972, Beate et Serge Klarsfeld, le photographe Elie
Kagan sont présents à sa levée de corps à Annonay. Ils portent une grande étoile jaune et arborent chacun un tome de l'étude de Joseph Billig, Le Commissariat général aux questions juives, publiée entre 1955 et 1960. Ils assistent également à l'inhumation. Des proches de Vallat crurent voir dans ce geste un hommage rendu à l'ancien commissaire général aux questions juives ! Jusque dans la dernière apparition publique de Vallat se sera ainsi donné à voir le vertigineux gouffre entre la vision de ses amis et le souvenir qu'il laisse à tous ceux que la négation des droits de l'homme révulse.>> Laurent Douzou, Le monde, 1 juin 2001
<< Ancien député de l'Ardèche, décédé le 6 janvier 1972 âgé de quatre-vingt-un ans, avait joué un rôle de premier plan entre les deux guerres dans les mouvements d'extrême droite et s'était fait le champion au Parlement d'un antisémitisme nationaliste et " chrétien ", dans la tradition de l'affaire Dreyfus. Il entendait " défendre l'organisme français du microbe (juif) qui le conduisait à une anémie mortelle ". Ces convictions lui valurent d'être placé par le maréchal Pétain, en mars 1941, à la tête du commissariat général
aux questions juives.
Sous son impulsion, cet organisme applique une législation limitant l'accès des israélites aux professions libérales, industrielles ou commerciales et leur interdisant toute activité au sein des sociétés anonymes. Le juif se voyait défini comme celui qui appartenait à la
religion juive au 25 juin 1940 et avait deux grands-parents de race juive.
Xavier Vallat créa par ailleurs l'Union générale des israélites de France (UGIF), destinée à représenter leurs intérêts, étant admis que les juifs n'étaient tolérables dans la société, selon une interview à Paris-Soir, " qu'à dose homéopathique ". Cet organisme devait en fait faciliter les déportations. Xavier Vallat soutint par la suite que la législation adoptée sous son impulsion avait constitué un maquis grâce auquel un grand nombre de juifs avaient pu être sauvés. Inutile de dire que la plupart des organisations juives contestent cette interprétation. Toujours est-il que, après le retour de Laval au pouvoir, au printemps de 1942, Xavier Vallat était révoqué et remplacé par
Darquier de Pellepoix.
Dans une lettre adressée le 7 février 1942 au ministre Henri Moysset, il écrivait : " Je n'ai pas l'intention d'aller plus loin dans les concessions au point de vue allemand en cette matière, car, si l'harmonisation finalement réalisée devait se traduire par un simple alignement sur la position allemande, je ne pourrais pas personnellement en assumer la responsabilité politique et morale. " Il s'était opposé notamment à l'institution en zone libre de l'étoile jaune et du couvre-feu spécial qui étaient imposés
aux juifs de la zone nord.
Comparaissant au mois de décembre 1947 devant la Haute Cour de justice, celle-ci le condamnait à dix ans de prison pour " acte de nature à nuire à la défense nationale ". Le 30 décembre 1949, Xavier Vallat était libéré. Il devait collaborer ensuite à l'hebdomadaire royaliste Aspects de la France et en assumer de 1962 à 1966 la direction. Le passé militaire de Xavier Vallat, grand mutilé de la guerre 1914-1918, expliquait la clémence du haut tribunal. Ce jugement ne fut pas moins ressenti comme un affront par les rescapés de Drancy ou d'Auschwitz. >> (Le Monde, 8 janvier 1972.)
Vaporiser
N.O.- Etrangement, vous n'évoquez pas Pigalle et ses lieux
dévolus au sexe, ces vitrines qui auraient du pourtant
vous frapper. Est-ce, de votre part, de la pudeur?
P. Modiano.- Je ne me l'explique pas vraiment. Peut-être,
plus encore que par les vitrines et les néons, étais-je
frappé par ces bars louches où des filles fumaient
des cigarettes au bar comme dans les films policiers en noir et
blanc et où je n'avais pas le droit de pénétrer.
J'aurais voulu raconter tout ça dans «Un pedigree»,
et je n'y suis pas arrivé, alors je rassemble les morceaux
d'un puzzle, le Moulin Rouge, où j'allais parce que mon
père connaissait la directrice, la librairie du boulevard
Clichy que je fréquentais et qui ne vendait que des livres
d'astronomie, le mystérieux et bien réel Château
des Brouillards, à Montmartre, qu'a habité Gérard
de Nerval... C'est le miracle de la fiction, je m'en sers pour
vaporiser certains moments, certains lieux de
ma jeunesse, oui, c'est le mot, vaporiser. Entretien
avec Jérôme Garcin, Le Nouvel Observateur",
27 septembre 2007
Nitya Varnes
(fille de Petite Bijou)
Astrologue fille de "Petite Bijou", information révélée
par la presse en mai 2011. "Il n’avait pas connu ma
mère, précise Nitya Varnes. Mais il a dû s’inspirer
de coupures de presse de l’époque. On est allées
le voir. Il avait l’air embêté par cette sorte
de violation de la vie privée. Ce n’était
pas grave, c’était un très joli livre. Comme
il est gentil, il a proposé de faire passer mes manuscrits
chez Gallimard".
Vel'd'hiv'
la rafle du de Jean-Marie Colombani, © Le Monde
du 17 mai 1987.
La vie quotidienne sous l'Occupation.
Françoise
VERNY par
Jacques Assouline, La République des livres, Blog. A
propos de « Serons-nous vivantes le 2 janvier 1950
? », par Françoise Verny, préface de
Patrick Modiano, Grasset,2004.
<< Souvent, une seule et même phrase suffit à faire
tenir tout un livre. Elle s’en va, revient, repart selon
un rythme et une cadence étudiés par l’auteur.
Le leitmotiv en devient obsédant. S’il nous hante
longtemps après, la partie est gagnée et nous rendons
les armes. Pour mieux triompher de l’oubli et s’imposer
au lecteur, cette phrase figure en titre sur la couverture. Tant
de choses sont dites là en quelques mots, secrètement
soutenues par la vingtaine de regards de lycéennes sur
la photo de classe reproduite juste en dessous. Patrick Modiano
n’est pas ce que l’on pourrait appeler un préfacier
envahissant. Il cède rarement à ce genre d’exercice
malgré les sollicitations. Il ne pouvait cette fois décliner
la proposition, et pas seulement en raison de la place qu’occupait
l’auteur dans le monde de l’édition. Car ce
livre est né de la lecture de Dora Bruder.
Il résonne en écho au récit de Modiano.
Dans une écriture dépouillée, sensible et
exempte de tout pathos, l’auteur ressuscite l’amitié qui
la liait à sa condisciple Nicole Alexandre. En chemin,
elle se découvre, elle, née Françoise Delthil,
petite-fille catholique d’une juive à l’étoile
jaune. L’autoportrait en creux est saisissant. Elles avaient
toutes les deux 15 ans en 1943. Un jour, elle disparaît
de la classe. De Drancy où elle est internée, elle écrit à Françoise.
Jusqu’à ce qu’elle n’écrive plus.
La rentrée s’annonce sans elle mais avec de nouvelles
amies. La vie reprend son cours. Françoise oublie celle
que Dora Bruder, son double flou et gris, lui ramène en
pleine figure plus d’un demi-siècle après.
Cette fois, impossible de l’oublier. C’est comme
si elle se dressait là devant. En veuve de Nicole et non
en éditrice, Verny contacte Modiano, expert en enquête,
filatures et annuaires sur le Paris de l’Occupation. Il
comprend tout de suite : pendant toutes ces années d’amnésie,
elle a confusément cherché à se protéger
contre un souvenir dont elle pressentait qu’il serait le
plus lourd et plus oppressant de sa vie. La trace resurgit :
square de Tocqueville, l’arrestation, l’internement
et le convoi du 20 novembre 1943 pour Auschwitz. Sans espoir
de retour. Ce « Tombeau pour Nicole » est d’une
grande justesse. Il est écrit comme on paie sa dette lorsqu’on
sent qu’on a trahi. Sa « petite martyre » l’a
renvoyée au silence de Dieu devant l’atroce. Françoise
Verny a quitté ce monde craignant Dieu mais sans amour
pour Lui. A cause de tout ça.>>
Françoise
Verny par Jérôme Garcin, Le Nouvel Observateur le
10/11/2005
(...)
"Il a fallu, en 1997, que Patrick Modiano lui envoie « Dora
Bruder » pour que son amie juive de 15 ans surgisse de
l'effroyable oubli où elle
l'avait laissée. Françoise Verny relit alors
cette ultime lettre, écrite de Drancy, en post-scriptum
de laquelle Nicole demande : « Serons-nous vivantes le
2 janvier 1950 ? » Avec l'aide de son fils et de Modiano,
elle reconstitue le maigre dossier de son « amie assassinée »,
trouve son adresse parisienne, 2, square de Tocqueville, et
puis le numéro 62 du convoi qui, en novembre 1943, l'a
conduite à Auschwitz.
Si elle poursuit un fantôme, c'est surtout sa propre
ombre que Françoise Verny, née Delthil, juive
par sa mère mais de confession catholique, interroge
ici. D'où vient que, pendant soixante ans, elle se soit
préférée ? Contre quoi s'est-elle inconsciemment
protégée ? Comment n'a-t-elle pas tenté plus
tôt, en écrivant sur cette petite soeur de Dora
Bruder, de la ressusciter ? Mon Dieu, dit-elle en substance,
pourquoi l'ai-je abandonnée ?
Ce dialogue posthume entre une septuagénaire ayant abusé de
la vie et une adolescente qui n'a pas eu le temps de vivre
est bouleversant. La grammaire du remords, rehaussée
par la prière, lui confère une douloureuse grandeur
: « Nicole, mon enfance coupable. » Nicole, son
absolution, aussi".
« Serons-nous vivantes le 2 janvier 1950 ? », par
Françoise Verny, préface de Patrick Modiano, Grasset,
124 p.
VESTIAIRE DE L'ENFANCE (1989)
Vestiaire
de l'enfance
[1989] Collection blanche, Gallimard et Collection Folio
(No 2253) (1991)
Quatrième
de couverture
«Quand
je l'ai aperçue, assise près de la grille en fer ouvragé qui sépare
le café de la salle de billard, je n'ai pas tout de suite distingué
les traits de son visage. Dehors, la lumière du soleil est si
forte qu'en pénétrant au Rosal, vous plongez dans le noir.
La tache claire de son sac de paille. Et ses bras nus. Son visage
est sorti de l'ombre. Elle ne devait pas avoir plus de vingt ans.
Elle ne me prêtait aucune attention.»
«Toute personne susceptible de nous donner d'autres détails sur
ces sujets est priée de nous écrire.»
Vestiaire
de l'enfance, premières pages~
~~~~~~~~~~
Vichy
La République
dans la tourmente (1939-1945) La période de la guerre,
le régime de Vichy et le Gouvernement
provisoire de la République française.
Bilan législatif - Bilan institutionnel.
VIDEOS
A
l'occasion de la publication du roman l'Horizon, en mars 2010,
entretien pour le site Médiapart par Sylvain Bourmaud
L'origine
des romans (1/8)
Un
roman du futur antérieur (2/8)
Chaos
originel et Guerre d'Algérie (3/8)
Topographie
et noms de personnages (4/8)
Des
groupes et de la solitude littéraire (5/8)
Liberté
et intimité des personnages (6/8)
Du
bon usage d'internet en littérature (7/8)
A
propos du débat sur l'identité nationale (8/8)
-------
La
Grande Librairie de Franiçois Bunel, émission du
11 mars 2010
Recueil
de vidéo sur et autour de Patrick Modiano par le site Babelio
Vie / Fiction*
<< Bizarrement, j'ai eu l'impression de m'approcher plus
de ma propre vie dans la fiction >>. Entretien
avec Maryline Heck, Magazine Littéraire, n° 490, octobre
2009
Vide
et remords*
<< Peu importe les circonstances et le décor. Ce
sentiment de vide et de remords vous submerge, un jour. Puis,
comme une marée il se retire et disparaît. Mais il
finit par revenir en force et elle ne pouvait pas s’en débarrasser.
Moi non plus. >> Voyage de noces, p.157
VILLA
TRISTE (1975)
Villa
triste [1975]
Collection blanche, Gallimard et Collection Folio (No 953) (1977)
Résumé
de l'éditeur
<< Un été des années soixante. Une petite ville française au bord d'un
lac, près de la Suisse. Victor Chmara a dix-huit ans et se cache
parce qu'il a peur. D'étranges personnages hantent cette ville
d'eau, comme ce docteur que l'on surnomme La Reine Astrid...Mais
il y a surtout Yvonne, avec son dogue allemand...Une recherche
du temps perdu.>>
Villa
Triste, Résumé
<< Un été des années soixante, 1958, réfugié dans
une ville d’eaux à la frontière suisse,
afin d’échapper à son hypothétique
conscription pour l’Algérie, Victor Chmara,
dix-huit ans, fait la rencontre d’Yvonne Jacquet, jeune " comédienne " avec
laquelle il va vivre un été inoubliable, suspendu
hors du temps pour mieux s’oublier dans l’instant
présent. D’étranges personnages hantent
cette ville d’eau, comme cet extravagant docteur Meinthe
qui se livrait à d’étranges opérations
sur des blessés arrivés on ne sait d’où alors
qu’a lieu la guerrre d’Algérie et que
bien des combines louches profitent de l’époque
troublée pour fleurir en sourdine. Des années
plus tard, le narrateur retourne dans la ville d’eaux
et y voit de loin Meinthe se conduire en vieil homosexuel
excentrique et provocateur, qui s’autoproclame par
dérision « reine des Belges ».
Victor Chmara évoque, par intermittences, le souvenir,
nostalgique et lucide, de sa relation avec Yvonne et Meinthe
: escapades en voiture, excursions sur le lac, fêtes,
les trois amis passent leurs journées à ne
rien faire ou, tout au plus, à préparer un
concours d’élégance automobile pour « la
Coupe Houligant ».
Meinthe leur demandait de séjourner dans sa maison,
qu’il appelait « la Villa triste », ils
y satisfaisaient leur « aptitude à l’abandon »,
y « traversaient des jours et des nuits de délicieuse
prostration », étant toutefois importunés
par les appels d’un certain Henri Kustiker qui laissait
d’étranges et inquiétants messages destinés à Meinthe
qu’ils virent obligé de soigner des blessés
arrivés ils ne savaient d’où.
Cette petite ville, qui ressemble beaucoup à Annecy,
contient tous les éléments de son univers :
pensions de famille, salons de thé, palaces, promenades,
lac, kiosques à musique hantés par des oisifs
ou par des personnages énigmatiques qui constituent
une société assez proche de celle de Gatsby
le Magnifique Victor Chmara aspirait à mieux connaître
l’enfance et l’adolescence de cette « petite
Française », mais elle n’en révélait
rien, le menant tout de même chez son oncle, un garagiste
désabusé, qui lui confia que le père
d’Yvonne « a eu des ennuis », qu’« elle
a déjà fait tellement de bêtises » et
qu’« elle est trop paresseuse ». Victor
Chmara voulait devenir écrivain et voulait qu’elle
devienne actrice. Il conçut le projet de leur départ
pour les États-Unis.
«
Elle m’écoutait sans rien dire, allongée
sur le lit. Je lui parlais des débuts difficiles de
Marilyn Monroe, des premières photos pour les calendriers,
des premiers petits rôles, des échelons gravis
les uns après les autres. Elle, Yvonne Jacquet, ne
devait pas s’arrêter en cours de route. "Mannequin
volant." Ensuite un premier rôle dans Liebesbriefe
auf der Berg de Rolf Madeja. Et elle venait de remporter
la coupe Houligant. Chaque étape avait son importance.
Il fallait penser à la prochaine. Monter un peu plus
haut. Un peu plus haut. »
Mais, au rendez-vous donné à la gare, elle
ne vint pas.
Puis il apprend le suicide de Meinthe qui va laisser « pour
toujours certaines choses dans l’ombre. » Et
il se demande où Yvonne « a bien pu échouer ».
>>
Villa
triste, premières pages
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Vingt
et un ans
A l'occasion d'un entretien avec Laurence Liban pour Lire,
il évoque le personnage principal de Accident Nocturne et, finalement
avoue parler aussi de lui, de son époque (...) "avant vingt
et un ans, c'était comme une vie clandestine, on avait le droit
de ne rien faire. Il y avait une sorte de décalage entre...(...)
C'était la fin de la guerre d'Algérie, on avait instauré un couvre-feu
pour les moins de 16 ans. Il fallait l'autorisation de ses parents
pour aller à l'étranger, ne serait-ce qu'en Belgique." Entretien
avec Laurence Liban, Lire, octobre 2003 à propos de la publication
de Accident nocturne, roman, 2003
27
septembre 1940
Le 27 septembre 1940, l'administration militaire
allemande en
France occupée ordonnait : " Toute
personne juive devra se présenter jusqu'au 20 octobre
1940 auprès du sous-préfet de son arrondissement
dans lequel elle a son domicile ou sa résidence habituelle
pour se faire inscrire sur un registre spécial. " L'ordonnance
ajoutait : " La déclaration du chef de famille sera
valable pour toute la famille. " C'est là un point
d'histoire non contesté. Il
n'est pas davantage contesté que l'autorité allemande
fut obéie, que dans le département de la Seine
149 734 personnes vinrent se faire recenser, que les fiches les
concernant furent établies par des fonctionnaires français
de la préfecture de police et, enfin, que ces fiches dûment
classées, répertoriées, servirent ensuite
aux rafles et aux arrestations. Ainsi furent peuplés en
France les camps de Pithiviers et de Beaune-la-Rolande, puis
ceux de Compiègne et de Drancy. Ainsi furent bientôt
formés les convois à destination de Birkenau et
d'Auschwitz.
Violette
Nozière La
figure de Violette Nozière est évoquée
comme personnage de référence dans l'histoire
des criminelles célèbres et comme un personnage
de roman qui, dans la mesure où elle a peut-être
croisé des figures de Fleurs de ruine*,
accède à un autre statut, le temps d'une évocation.
Violette Nozière (1915-1966) fut accusée d'avoir empoisonné ses
parents (seul son père fut tué), elle comparut devant les assises
de la Seine en 1934. Les surréalistes a qui ellel inspira plusieurs poèmes
et peintures exaltant la résistance à l'autorité parentale,
contribuèrent à sa célébrité. Condamnée à mort,
elle fut gracièe puis libérée après 10 ans d'internement
et enfin réhabilitée en 1963.
Dans Fleurs de ruine, Patrick Modiano l'évoque à sa
manière : << Elle donnait ses rendez-vous dans un hôtel
de la rue Victor-Cousin, près de la Sorbonne, et au Palais du Café,
boulevard Saint-Michel. Violette était une brune au teint pâle que
les journaux de l'époque comparait à une fleur vénéneuse
et qu'ils appelaient "la fille aux poisons" Elle liait connaissance
au Palais du Café avec de faux étudiants aux vestons trop cintrès
et aux lunettes d'écaille. Elle leur faisait croire qu'elle attendait
un héritage et leur promettait monts et merveilles : des voyages, des
Bugatti... Sans doute avait-elle croisé, sur le boulevard, le couple T.
qui venait de s'installer dans le petit appartement de la rue des Fossés-Saint-Jacques."
Dans de nombreux romans, Patrick Modiano mêle des personnages
inventés et des figures de l'histoire* qui ont attisé l'imagination
de la presse comme du public. Ce frottement du réel et de la fiction lui
permet de donner encore plus consistance à des personnages "inventés" qui
accèdent au statut du "pour de vrai" que les enfants confèrent à leur
invention dans des jeux tantôt improvisés, tantôt savants.
Ce procédé inscrit les personnages dans l'Histoire et brouille
les pistes entre fiction et réalité. C'est un jeu, un jeu infini.
Vivre
Vivre
"Que souhaiteriez-vous laisser à la postérité? Cela
doit-il préoccuper un écrivain?
C'est déjà tellement difficile de vivre au présent..." Patrick
Modiano.
Vivre
:"Je voulais traduire cette impression que beaucoup d´autres
ont ressentie avant moi : tout défilait en transparence
et je ne pouvais pas encore vivre ma vie.'' Pedigree, 2005
«Vivre,
c'est achever un souvenir.» René Char~
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Manet
Van MONTFRANS, Dante chez Modiano : une divine comédie à Paris*.
http://www.revue-relief.org ;
Igitur, Utrecht Publishing & Archiving Services
© The author keeps the copyright of this article
VOYAGE
DE NOCES (1990)
Voyage
de noces [1990]
Collection blanche, Gallimard et Collection Folio (No 2330)
(1991)
Quatrième de couverture
«Je
suis tombé sur la vieille coupure de journal qui datait de l'hiver
où Ingrid avait rencontré Rigaud. C'était Ingrid qui me l'avait
donnée la dernière fois que je l'avais vue. Pendant le dîner,
elle avait commencé à me parler de toute cette époque, et elle
avait sorti de son sac un portefeuille en crocodile, et de ce
portefeuille la coupure de journal soigneusement pliée, qu'elle
avait gardée sur elle pendant toutes ces années. Je me souviens
qu'elle s'était tue à ce moment-là et que son regard prenait une
drôle d'expression, comme si elle voulait me transmettre un fardeau
qui lui avait pesé depuis longtemps ou qu'elle devinait que moi
aussi, plus tard, je partirais à sa recherche.
C'était un tout petit entrefilet parmi les autres annonces, les
demandes et les offres d'emplois, la rubrique des transactions
immobilières et commerciales :
"On recherche une jeune fille, Ingrid Teyrsen, seize ans,
1,60 m, visage ovale, yeux gris, manteau sport brun, pull-over
bleu clair, jupe et chapeau beiges, chaussures sport noires. Adresser
toutes indications à M. Teyrsen, 39 bis boulevard Ornano,
Paris."»
Voyage
de noces, premières
pages
Voyage
de Noce, raconté
" C'est
l'été, un mois d'août à Milan, le narrateur descend dans un de
ces hôtels, près de la gare, frais et luxueux comme des tombeaux,
où le barman lui explique qu'il ne faut jamais venir à Milan en
août, que tout est fermé. Deux jours plus tôt une femme s'est
suicidée dans une chambre. Une Française, c'était dans le journal
: " Ils s'imaginent, dans leurs articles nécrologiques, pouvoir
retracer le cours d'une vie. Mais ils ne savent rien. Il y a dix-huit
ans j'étais allongé sur ma couchette de train quand j'ai lu l'entrefilet
du Corriere della sera. J'ai eu un coup au cœur : cette femme
dont il était question et qui avait mis fin à ses jours _ selon
l'expression du barman, _ je l'avais connue moi. "
Il
reviendra à Milan, bien plus tard, en avion, pour faire croire
qu'il est à Rio, alors qu'il rentre à Paris incognito, membre
du Club des explorateurs et part régulièrement à l'autre bout
de la terre filmer un de ces documentaires comme on en projette
à Pleyel, sur les traces de Fawcett ou le long du Nil, fleuve
des dieux. Il en a assez, s'installe dans le quartier de la Porte-Dorée,
près du Musées des colonies, où il a connu ses amis explorateurs
Cavanaugh et Wetzel.
Il
ne donne pas signe de vie, même à sa femme Annette qui doit le
croire disparu, dans leur appartement de la cité Véron, derrière
le Moulin rouge, le tromper déjà avec Cavanaugh. Il veut penser
à la suicidée de Milan, Ingrid, laisser le souvenir monter en
lui, comme un chagrin, une mélancolie de si longue date que, pour
un artiste, il serait idiot d'en guérir.
NE
pas donner signe de vie, c'est, à des années de distance, répéter
un jeu qu'Ingrid et son mari Rigaud avaient montré au narrateur,
Jean, dont ils venaient de faire la connaissance en le prenant
en stop sur la route de Saint-Tropez. Ils louaient un bungalow
sur la plage de Pampelonne et ne voulaient pas être invités aux
fêtes organisées chaque nuit par les propriétaires voisins. Ils
éteignaient donc la lumière, faisaient mine de dormir dans leurs
transats. Et si on leur tapait sur l'épaule ? " On fera semblant
d'être morts. " Il faudra longtemps à Jean pour comprendre
que des gens comme Ingrid et Rigaud ont passé des périodes entières
de leur vie à faire semblant d'être morts.
Notamment
en 1942. Ingrid et Rigaud avaient fui Paris, franchi la ligne
de démarcation en fraude, s'étaient installés au printemps sur
la Côte d'Azur, à l'Hôtel Provençal de Juan-les-Pins. S'étaient
déclarés " en voyage de noces ". La ville était peuplée
d'étranges fuyards pour qui la vie paraissait continuer sans le
souci de la guerre, qui allaient au restaurant, faisaient des
projets de sports d'hiver, comme dans un rêve. " Tous ces
gens, dont la présence les rassurait autour des tables et qu'ils
voyaient à la plage pendant la journée, leur semblaient maintenant
irréels : des figurants qui faisaient partie d'une tournée théâtrale
que la guerre avait bloquée à Juan-les-Pins, et qui étaient contraints
de jouer leurs rôles de faux estivants sur la plage et dans le
restaurant d'une fausse princesse de Bourbon. "
La
réalité refit surface avec l'apparition d'un sombre individu venu
de Paris compulser les registres d'hôtel afin d'écrire un article
sur la Côte d'Azur, " ghetto parfumé ". Tous s'étaient
dispersés, Ingrid et Rigaud réfugiés dans la villa abandonnée
d'une riche Américaine, une pâtisserie gothique à la Walter Scott
dont ils devinrent les gardiens, le temps de la guerre, toujours
en voyage de noces.
TOUT
cet épisode de Juan-les-Pins est d'une beauté ensoleillée et dangereuse.
Plus que jamais l'élégante attitude de " faire semblant "
_ de ne pas avoir peur, d'être mariés, de ne pas savoir qu'il
y a une guerre, de ne manquer de rien _ paraît liée au désespoir,
à l'angoisse. Ces faux époux _ au printemps 42, _ ne sont pas
là pour des vacances.
Mais
comme les autres, parce qu'ils sont juifs. Cette impression que
donnent les personnages de patiner, insouciants, sur une couche
de glace de plus en plus mince, on la retrouve à Paris, dans le
quartier de la Porte-Dorée où Jean se souvient et recompose la
vie d'Ingrid." Michel
Braudeau, Le Monde, 1990
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Vrai
/ Faux*
<<
Je crois que tout est vrai[...]. Peut-être tout est faux
[...] C’est très difficile. Qu’est-ce qui est
vrai ? A part [...] ma petite fille, ma petite fille, ma femme,
ma mère, ça, j’en suis sûr... C’est
vrai. Le reste...>> Paris-Match, 12 août
1977
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