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Patrick Modiano


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1999-2018

 

Au Temps
Dictionnaire Patrick Modiano

Bernard Obadia

Dernières entrées dans le Dictionnaire

 

B  D  E  F  G  H  I  J  K  L  M  N  O  P  Q  R  S  T  U  V  W  X  Y  Z 

B  D  E  F  G  H  I  J  K  L  M  N  O  P  Q  R  S  T  U  V  W  X  Y  Z

I

Illusion
"A chaque fois que je finissais un livre, j'avais l'impression que je pourrais repartir sur quelque chose de nouveau. J'ai d'ailleurs la même impression avec ce nouveau livre, L'horizon. L'impression d'avoir déblayé. D'avoir suffisamment déblayé pour pouvoir repartir. Mais tout cela n'est qu'une fuite en avant... Après chaque livre, j'ai donc cette impression d'avoir suffisamment déblayé ce qui est devant moi - ou derrière moi - pour pouvoir enfin aborder quelque chose de nouveau. Mais cette impression est illusoire. C'est donc une sensation assez désagréable. C'est comme si vous vouliez dégager quelque chose pour pouvoir enfin traiter une autre chose, comme si vous vouliez vous débarrasser de certaines choses de votre passé, de votre vie, pour pouvoir enfin partir d'un nouveau pied et avoir le champ libre, mais, finalement, cela ne marche jamais comme ça. Ce sentiment est une illusion." Entretien avec François Busnel, Lire, 04-03-10.

Imaginaire / réel*
<< - Cette reconnaissance par les historiens du caractère précurseur de vos livres pourrait cependant avoir quelque chose de paradoxal : vous avez fréquemment affirmé, revendiqué la dimension imaginaire des périodes que vous reconstituiez dans vos récits, qu'il s'agisse des années 1940 ou de l'époque de la guerre d'Algérie...
Je pense que ce qui est onirique peut parfois plus se rapprocher de la réalité. L'imaginaire peut dire quelque chose du réel. Aussi parce qu'on peut arriver, par l'écriture, à une sorte d'intuition de ce que pouvait être le réel. Malgré toute l'horreur, cette époque de l'Occupation avait d'ailleurs quelque chose d'irréel.
Entretien avec Maryline Heck, Magazine Littéraire, n° 490, octobre 2009

Immersion
" Écrire est une activité un peu pénible parce que c’est une sorte de mise en veilleuse qui dure pendant plusieurs mois... Fitzgerald avait trouvé une image... Il disait que ça consistait à rester longtemps sous l’eau, il y a un côté un peu asphyxiant, on est obligé de se déconnecter et d’être son propre critique. Le plus difficile, c’est de se dédoubler. Et puis il faut garder l’impulsion de la rêverie initiale, alors qu’une phrase va mettre trois semaines à se retrouver sur le papier... Au bout d’une semaine, on n’a plus aucune motivation et pourtant, il faut continuer sur sa lancée, même si l’impulsion de départ faiblit."
Les Inrockuptibles, Festival de Cannes 1997

Impression d'étouffement
<< D’autres nuits, la neige tombait et j’étais gagné par une impression d’étouffement. Nous ne pourrions jamais nous en sortir, Denise et moi. Nous étions prisonniers, au fond de cette vallée, et la neige nous ensevelirait peu à peu. Rien de plus décourageant que ces montagnes qui barraient l’horizon. La panique m’envahissait.>> R.B.O. page 190

Incertitudes
<< Il crut trouver la réponse : tout ce que l’on vit au jour le jour est les incertitudes du présent. [...] Mais de loin, avec la distance des années, les incertitudes et les appréhensions que vous viviez au présent se sont effacées, comme les brouillages qui empêchaient d’entendre à la radio une musique cristalline. >>
L’Horizon, p.52.

Incipit
«Tard dans la nuit, à une date lointaine où j’étais sur le point d’atteindre l’âge de la majorité, je traversais la place des Pyramides vers la Concorde quand une voiture a surgi de l’ombre.» 
La Première phrase ? "C'est elle qui donne la tonalité du roman, comme les premières mesures au piano. Hemingway disait que, lorsqu'on n'arrive pas à trouver la première phrase, il faut tailler dans le vif en supprimant les dix premières lignes. Moi, d'habitude, je préfère la trouver tout de suite. Mais quelquefois, on commence de manière un peu pâteuse... on peut prendre le train en marche. Malheureusement, pour donner l'impression du naturel... Il ne vient jamais naturellement, le naturel... 
Entretien avec Laurence Liban, Lire, octobre 2003 à propos de la publication de Accident nocturne, roman, 2003

 

DES INCONNUES (1999)

Inconnues (des)  (1999)
4ème de couverture : «J'avais peur de m'endormir et de lui confier dans mon sommeil ce que je gardais pour moi depuis si longtemps : René, le chien, la photo perdue, les abattoirs, le bruit des sabots qui vous réveille très tôt le matin.»

Des Inconnues, Résumé
<< Elles sont trois, qui à tour de rôle prennent ici la parole, pour se rappeler chacune le moment précis d’une bascule, entre la fin de l’adolescence et l’entrée dans la vie adulte. Non pas à la façon d’une reprise de " Bonjour tristesse " et du spleen esthétisé cher à Françoise Sagan. Mais sur le mode d’une irréversible dérive, pas si éloignée que cela de la noyade pure et simple, alors que devant leurs yeux le monde n’en finit pas de dérouler la sarabande de ses atrocités et de ses perversités. La collaboration et la Shoah, la guerre d’Algérie, ou encore la misère morale et les faux prophètes qui prospèrent sur elle. On ne dira jamais assez combien la prétendue " petite musique ", avec ce qui peut s’y entendre de légèreté, se trouve en fait arrimée dans le temps historique. Ni combien elle interroge et dérange. A l’exacte image des trois " inconnues " de ce livre, qui font entendre leurs voix dans des récits sans autre dénominateur commun que les catastrophes intimes, toujours liées à l’époque, qui s’y lisent.
La première, quelque part tout à la fin des années cinquante, s’en était venue de Lyon à Paris. Parce qu’elle n’avait pas été embauchée comme modèle. Parce que l’ambiance familiale lui apparaissait du même gris que le mur du couvent des Cordeliers, de l’autre côté de la rue. Parce que enfin elle avait dix-huit ans. Dans la capitale elle avait fait la connaissance de Guy Vincent, pseudonyme porté par un homme réchappé de l’Holocauste, que ses parents avaient mis à l’abri en Suisse, avant d’eux-mêmes tomber dans les mains des nazis et disparaître à tout jamais. Ce Guy Vincent travaille pour le compte d’une mystérieuse " agence " et voyage beaucoup entre Paris et Genève. Parfois, il y rencontre des Algériens. Ou d’autres, comme dans cet hôtel des bords du Léman, où, devant sa jeune amie, il se fait dédicacer " Vivre à Madère " par... Chardonne en personne. Comme si l’Histoire n’en finissait pas de repasser les plats, sous les yeux de cette femme qui paraît n’y rien comprendre, sauf qu’elle avance en équilibre sur le bord d’un vide qui s’apprête à l’aspirer. Quelque temps plus tard, à Paris, elle assistera à l’arrestation de Guy Vincent. Mais elle n’aura pas d’ennui : elle n’avait été, à son côté, " qu’une jeune fille blonde NON IDENTIFIÉE ". Tout cela remonte à trente années, mais l’identité n’a entre-temps pas été conquise. Comme si une certaine mémoire, pas seulement celle de la narratrice, ne parvenait toujours pas à s’assumer.
La deuxième " inconnue " de Patrick Modiano traîne l’ennui de ses quinze ans sur les bords du lac d’Annecy, alors même qu’à Alger joue au matamore un " quarteron de généraux félons ". Le père, résistant des Glières, est mort depuis longtemps. Il s’était trop habitué à l’usage des armes et avait mal tourné à la fin de la guerre. La mère s’est mise avec un boucher du coin. Chaque dimanche soir, un car transporte la narratrice vers le dortoir lugubre d’un pensionnat où l’on doit encore se débarbouiller à l’eau froide ; tout habillée : le corps est ici nié et interdit d’existence, comme se trouve niée et interdite d’existence l’identité de chacune. Un jour, la pensionnaire ne monte pas dans le car. Elle vivote en faisant à l’occasion la bonne, la baby-sitter, ou la dame de compagnie dans les villas huppées du rivage. Jusqu’à ce que des patrons la fassent venir en Suisse, pour garder un enfant. Mais ce sont le père de famille et l’un de ses amis qui l’attendent dans la maison vide, bien décidés à ne pas lâcher la proie qu’ils ont attirée. Dans son sac de voyage, elle tient serré un revolver hérité du père. L’identité refoulée soudain se décharge.
La troisième " inconnue " a dix-neuf ans. Revenue de Londres, où un ami l’a soudain quittée, elle s’est installée dans une petite maison du quartier de Vaugirard et ne cesse d’entendre, jusqu’à la folie, des sabots de chevaux. C’est encore l’époque des abattoirs. Pour leur échapper, elle parcourt d’abord la ville, puis elle ne va plus que de sa maison à un petit café proche : " Je craignais de dériver, loin de mes derniers points de repère. " Une secte passe par-là, qui récupère cette proie facile, fin prête pour la dépossession de soi-même... >>
Jean-Claude Lebrun, l'Hummanité, 5 mars 1999.

Des Inconnues " Je " est une inconnue par Josyane Savigneau
<< Trois récits composent ce curieux livre, ni roman ni recueil de nouvelles. Trois personnes - dont on ignore où elles sont et ce qu'elles font - se remémorent la fin de leur adolescence - entre seize et vingt ans -, quand elles ne savaient pas vraiment d'où elles venaient et encore moins où elles allaient. Ce sont trois personnages emblématiques de l'univers singulier de Modiano, anonymes et inoubliables, entre deux dérives, entre révolte et consentement, lointains et attentifs à la fois, étonnés et pourtant presque résignés, imprévisibles ou trop prévisibles, porteurs de sourdes angoisses nées des atrocités de l'Histoire du XXe siècle, de lourds secrets de famille, d'événements indicibles, d'un passé inexpliqué et qui " ne passe pas ".
Mais cette fois, le " je ", la narration à la première personne chère à Patrick Modiano, est au féminin. " Je " est une inconnue, à tous les sens du mot. Et tout ce qui ferait l'histoire, l'anecdote, l'intrigue, dans un autre roman, est ici en creux : la Shoah, la guerre d'Algérie, l'exil, le meurtre, le sexe, le viol, les sectes. Le bizarre, l'incertain, la perdition, le renoncement : voilà ce que traque Modiano depuis trente ans et près de trente livres, solitaire, étrange promeneur dans un Paris perdu, secret et bavard à la fois, beaucoup plus complexe que ne l'imaginent ceux qui célèbrent indéfiniment la " petite musique " de son style en croyant qu'il compose de jolies sonates décoratives. Subversif, Modiano ? Certainement, si on accepte de poser les questions qu'il laisse en suspens. Pourquoi les Français de cette seconde moitié du siècle, qui sont nés, comme lui, vers 1945, ne peuvent-ils pas se regarder ? Qui sont leurs pères et qu'ont-ils fait ? De quoi est-on comptable pour toujours ? Peut-on comprendre et revivre ? Peut-on oublier et survivre ? Peut-on s'enfuir et " vivre en fraude " ? Qu'est-ce que " se souvenir " ?
La trace, les identités floues, la mémoire trouée... Des inconnues portent à un point de perfection le jeu de Modiano avec ses obsessions. Comme dans Du plus loin que l'oubli (1996), il s'agit d'emmener le lecteur à la recherche d'un moment de jeunesse. Comme dans Dora Bruder (1997), Modiano pourrait affirmer ici : " Si je n'étais pas là pour l'écrire, il n'y aurait plus aucune trace de cette inconnue. " Ce n'est pas la première fois qu'il s'en va du côté des jeunes filles perdues. Mais qu'il le fasse avec des narratrices change tout. Quand un homme prend le risque d'écrire au féminin, à la première personne, il en dit beaucoup plus long sur la manière dont il voit les femmes que lorsqu'il les fait décrire par un narrateur. Et il en dit plus encore sur ce qu'il pense des hommes.
La première inconnue, venue de Lyon à Paris, à dix-huit ans, après avoir raté un entretien d'embauche, alors qu'il lui faut absolument trouver du travail pour gagner son autonomie, rencontre un homme mystérieux, qui se fait appeler Guy Vincent. On est à la fin des années 50 ou au tout début des années 60, pendant la guerre d'Algérie. " Guy ", enfant de la Shoah qui a changé d'identité, est probablement " porteur de valises " pour le FLN. Il a des rendez-vous clandestins, parfois en Suisse. L'inconnue l'accompagne, mais n'est tenue au courant de rien. Un jour seulement elle entend son véritable patronyme, quand Modiano fait surgir dans le récit un Chardonne improbable qui dédicacerait, dans un hall d'hôtel, Vivre à Madère. Elle se laisse aller à cette drôle de vie avec Guy : " La nuit, dans la chambre de l'hôtel, il me posait des questions sur mon enfance et ma famille. Mais, comme lui, je brouillais les pistes. Je me disais qu'une fille aussi simple que moi, qui n'avait qu'un seul nom et qu'un seul prénom, et qui venait de Lyon, ne pouvait pas vraiment l'intéresser. "
Un lundi de novembre, lorsqu'elle arrive au rendez-vous, rue Frédéric-Bastiat, Guy n'est plus là. " Il n'y a plus personne ", seulement plusieurs voitures noires devant l'hôtel et un groupe d'hommes sur le trottoir d'en face. Un Algérien qu'elle a déjà vu à Genève lui enjoint de partir : " Pour le moment, vous n'êtes qu'une jeune fille blonde NON IDENTIFIÉE. " Cette inconnue donne en conclusion de son aventure une des clefs du livre, la cohérence des trois histoires : " Des filles que l'on a repêchées dans les eaux de la Saône ou de la Seine, on dit souvent qu'elles étaient inconnues ou non identifiées. Moi j'espère bien le rester pour toujours. " C'est bien un roman de la noyade que Modiano construit, en trois chapitres sans autre lien entre eux que la sensation de l'inconnu. Que faire quand on a le sentiment de se noyer ? Chercher à se sauver ? Trouver quelque chose faisant office de bouée ? Ou bien laisser s'accomplir la disparition ?
La deuxième inconnue n'est pas blonde, mais tout aussi " non identifiée ". Elle est née à Annecy. Son père est mort quand elle avait trois ans et sa mère est " partie vivre avec un boucher des environs ". Elle n'est pas restée " en bons termes " avec elle. Sa vie se passe dans un pensionnat à la discipline particulièrement rigoureuse. Pendant les vacances, elle va chez sa tante, à Veyrier-du-Lac, et l'aide à faire le ménage dans les villas des environs. Un avocat parisien en villégiature lui trouve " la beauté du diable " : " Je ne savais pas ce que cela voulait dire et ça m'a fait peur. La même peur que lorsque j'avais entendu dire que mon père était une "tête brûlée". " Un jour, un fils de famille, militaire en permission (il faisait son service en Algérie), bourgeois dédaigneux vouant un amour excessif à sa mère, entraîne la jeune fille dans sa chambre, l'étreint avec maladresse, puis lui lit un passage du livre qu'elle avait déjà remarqué sur sa table de nuit, Comme le temps passe : la pompeuse description, par Brasillach, d'une nuit d'amour, " fraternelle bataille ". Elle éclate de rire. Le garçon l'insulte et la chasse.
Après l'été, un dimanche, elle décide de ne pas rentrer au pensionnat. Commence le temps des petits boulots, les retrouvailles avec un ami du père, qui confie à l'inconnue quelques objets ayant appartenu à celui-ci. Parmi ces souvenirs de rien du tout, un revolver. Un soir où elle croyait aller faire du baby-sitting dans une famille pour laquelle elle avait déjà travaillé, elle se retrouve aux prises avec deux hommes bien décidés à s'amuser avec elle, à l'humilier, à la violer. Alors, elle saura s'en servir, du revolver.
L'abandon, la violence... il fallait bien que la troisième inconnue s'invente, elle, un refuge. Pour échapper à l'angoisse des chevaux qu'on mène aux abattoirs de Vaugirard, près desquels on lui a prêté un appartement. Pour oublier l'image de René, avec lequel elle vivait à Londres, qui lui a " parlé de ce genre d'hommes pour qui les femmes n'existent pas ". Elle est celle des trois jeunes filles qui exprime le plus constamment son angoisse. Dans l'appartement, dans le métro vide. La peur devient panique dans le métro bondé, dans la foule des couloirs. Elle se sent en sécurité, fugitivement, dans un café du 15e arrondissement qui a ses habitués. Proie idéale pour ceux qui offrent du réconfort à coups de " travail sur soi ", elle va se laisser attirer dans une secte, car " pour rompre sa solitude ", pour apaiser sa terreur de vivre, " on est prête à accepter n'importe quoi "...
Il n'y a évidemment pas de morale de l'histoire. Dans aucun des récits. Ce n'est pas dans la manière de Modiano, qui s'est toujours gardé de la démagogie. En revanche, les propos dérangeants, provocants, non conformes, ne lui sont pas étrangers, même s'ils ne sont jamais assénés. Il faut les lire, non pas entre les lignes, mais dans les détails. Ici, le " je " de ses inconnues lui permet d'exprimer une radicale hostilité aux attitudes de certains hommes, à cette complicité, cette grande " fraternité ", cette homosexualité inaboutie qui dictent les comportements de quantité de soi-disant hétérosexuels. Dans ce livre, Modiano va le plus loin possible dans l'observation des relations humaines biaisées, dans la suggestion des dépossessions, des mensonges, des dévastations. Avec, plus que jamais, la délicate alliance de la violence et de l'élégance.>> © Le Monde du 12-02-99

 

L'Identité
<< (...) la question de l’identité reste un thème central de l’œuvre. Le narrateur est l’acteur témoin d’un monde qui sans cesse le ramène à ses propres origines. Les personnages qu’il rencontre ont le plus souvent une fausse identité, et les questions qui restent sans réponse, liées le plus souvent à son père, sont le moteur premier de sa quête. « A la fois dedans et dehors », « enchanté et repoussé », « avec horreur et compassion », Modiano se heurte à un paradoxe : le monde qu’il rejette le fascine, parce qu’il recèle la clé de son parcours identitaire. Né d’un père juif italo-égyptien et d’une mère flamande belge, son père mystérieux disparaît peu après la guerre. Elevé par sa mère et dans des pensionnats, il mesurera très tôt sa condition d’apatride. Mêlant à son désarroi la culpabilité d’être en quelque sorte un enfant de la collaboration, il déclarera souvent avoir la sensation d’être « le fruit du hasard, d’une rencontre fortuite », « une plante née du fumier de l’Occupation ». Sa culture est déracinée, et ses racines perdues. Pour Lamartine, l’être qui erre ainsi est condamné à être poursuivi par des fantômes, qui sont ici issus d’un monde interlope, kaléidoscopique de l’héritage paternel, et « chaque lieu lui jette un cri ». Paris, en effet, est indissociable de cet univers, et ce sont les lieux qui réveillent les souvenirs et font revivre les personnages. A de nombreuses reprises, les personnages sont pris du fantasme d’appartenir à une autre famille, plus enracinée, plus « respectable », plus « traditionnelle », et vont jusqu’à s’inventer des titres de noblesse. >>
Carine Duvillé Errance et Mémoire : Paris et sa topographie chez Patrick Modiano Mémoirede maitrise, juillet 2000. Paris IV, Sorbone.

 

Imaginaire / Autobiographie*
"Il ne s'agit jamais pour moi de me plonger de façon narcissique dans mon enfance. Je n'écris pas pour parler de moi ou essayer de me faire comprendre. Ni pour reconstituer les faits. Il n'y a aucun désir d'introspection. Non, j'ai juste été marqué durant l'enfance par une atmoshère, un climat, parfois des situations, dont je me suis servi pour écrire des livres. Mais en quittant le plan autobiographique pour me situer sur celui de l'imaginaire, du poétique, avec quelques événements de mon enfance pour matrice. Des choses parfois dérisoires, insignifiantes, sans doute pas si mystérieuses, au fond." Télérama. Entretien avec Nathalie Crom, 1/10/2014

 

Indiffère
" Combien d'hommes et de femmes que l'on imagine morts ou disparus habitent ces blocs d'immeubles qui marquent la lisière de Paris... J'en avais déjà repéré deux ou trois, Porte Dorée, avec sur le visage un reflet de leur passé. Ils pourraient vous en dire long mais ils garderont le silence jusqu'au bout et cela les indiffère complètement que le monde les ait oubliés. "
Voyage de noce.

Indochine en 1954 (début de la guerre)

inlassablement
"Depuis trente-cinq ans, Patrick Modiano revisite inlassablement la même histoire floue : celle d'un individu sans qualité, sans racine, pourvu d'obsessions qui l'aimantent vers la circonstance qui a décidé de sa vie - et qui lui échappe comme une flaque de mercure. Cet individu, le plus souvent, ne sait pas trop qui il est. D'où l'attention qu'il témoigne aux vieux agendas, aux lieux, aux cartes de visite, aux patronymes, aux plaques d'immatriculation, à la géographie, à l'état civil, aux squares de quartiers qui, peut-être, se souviennent mieux que lui de son propre passé. Dans chacun de ses romans, Modiano reprend ce canevas originel à la manière d'un photographe qui s'obstine sur le même objet mais à partir d'angles différents. Ce sont des romans-fragments, des épisodes d'une même quête de « l'harmonie perdue », des séquences initiatiques d'un même récit écrit par à-coups. Modiano, ce jeune homme égaré, a besoin de repères. Il n'a rien trouvé de mieux que la littérature, cette machine à déjouer l'absence, pour lui en fournir quelques-uns."
Jean-Paul Enthoven, Accident Nocturne, Le Point, 3-10-2003.

 

Interlope (monde, milieu)
" l'esprit du milieu qui réunissait Gestapo et trafiquants. (...) de façon plus frappante (...) que dans la plupart des documents historiques, ce monde surgit dans toute sa bizarrerie sordide et frivole, avec ses bars, ses boîtes et ses bordels, ses voitures de luxe, ses modes vestimentaires et ses faux papiers, ses chansons languissantes et ses gestes de tortionnaire. Ce monde à base de spéculation et de mégalomanie, ce monde à la dérive où la règle du jeu moral s'est dégradée en un jeu sans règles, et où les pouvoirs les plus monstrueux sont tombés dans les mains de criminels et d'épaves, ce monde qui a été occulté par les manuels, oublié ou refoulé par ceux qui en avaient vécu les péripéties, inconnu, tout simplement, de la jeune génération, Modiano le ramène à la surface de la conscience collective avec une force choquante qui pulvérise les idées reçues de l'Histoire officielle." 

Colin Nettelbeck et Pénélope A. Hueston, Patrick Modiano, Pièces d'identité. Ecrire l'entre-temps, Editions Minard, Collection Archives des lettres modernes, N° 220, Paris 1986, p. 27.


<< (...) peinture des mêmes personnages vaguement crapuleux (rastaquouères marrons, avatares grotesques d'une Histoire dont ils représentent les exilés toujours en rade, en quête d'une improbable identité, et autour de qui gravitent les mêmes silhouettes féminines en ombres portées d'eux-mêmes : demi-mondaines, entremetteuses..., radoteuses d'expériences dont on ne sait guère faire la part du rêve et de la réalité). >> Didier Hénique

Internet et les annuaires*
"Cela fait un an et demi que j’ai effectivement découvert Internet. Pour moi, cela ressemble à une fleur élevée de manière artificielle, à un fruit mûri en serre. J’ai besoin d’obstacles, de mystère, il faut que les renseignements que je cherche soient difficiles à trouver pour favoriser mon imagination. Alors, même si la tentation est grande, j’essaie de résister à Internet et de continuer à me plonger dans mes annuaires."
La Tribune de Genève, entretien avec Pascale Frey, 27-02-10

Itinéraires / Déambulations*
<< (...)le récit s’organise autour du seul point de vue, ambulatoire, du personnage central, le narrateur, qui assume ainsi la totale subjectivité du narré. Sa démarche est instinctive : il s’agit de se laisser imprégner des lieux, la mémoire et l’imagination feront le reste. Aussi le narrateur, au fur et à mesure que le style de l’auteur se définit, devient-il un véritable acteur témoin d’un monde vers lequel l’attire sa propre sensibilité. Le hasard laisse ainsi la place à l’inconscient, car il s’agit de faire confiance à ses pas, et le récit prend tantôt la forme de l’itinéraire d’une quête, tantôt celui d’un pèlerinage sur des lieux de mémoire. Aussi c’est la carte de la ville qui organise le récit qui est conduit par la déambulation de l’instance narrative.>>
Carine Duvillé Errance et Mémoire : Paris et sa topographie chez Patrick Modiano Mémoirede maitrise, juillet 2000. Paris IV, Sorbone.

Intranquillité
Il y a de l'intranquillité dans les personnages, un fort sentiment d'insécurité. Ils ne sont sûrs de rien, ni de leurs origines, ni de leur histoire, ni de leur mémoire, ni de leurs sentiments. Ils survivent comme ils peuvent dans un univers romanesque cosmopolite et flou. Une image de soi lointaine, tremblante et vertigineuse,
Antoine de Gaudemar (Libération 11/1/96)

Introspection (aucun goût pour l')
"« A part mon frère Rudy, sa mort, je crois que rien de tout ce que je rapporterai ici ne me concerne en profondeur. Je n’ai rien à confesser ni à élucider et je n’éprouve aucun goût pour l’introspection et les examens de conscience. Au contraire, plus les choses demeuraient obscures et mystérieuses, plus je leur portais de l’intérêt. Et même, j’essayais de trouver du mystère à ce qui n’en avait aucun. » Un Pedigree, roman, 2006.

   


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