Abandon
<< En
pension, j'ai connu beaucoup de garçons comme ça, abandonnés.
Comme s'ils avaient été oubliés à la consigne. Je me souviens
d'un garçon brésilien. Il était là depuis un an et jamais personne
ne venait le voir. Il n'avait aucune nouvelle de qui que ce soit,
le collège était obligé de le garder. Comme si ses parents avaient
perdu le ticket de la consigne.>> Libération
du 24/06/01
Attendre
<< -Elle est là, ce soir ?
-Non, monsieur.
-Vous ne savez pas quand elle reviendra ?
-Non. Elle va... Elle vient... Elle va...
-Et vous pensez qu’elle restera longtemps absente?
- Sait-on jamais monsieur [...]
Il avait croisé les bras sur le bureau et me considérait
d’un oeil doux et pensif.
- Le mieux [...] c’est d’attendre... Il n’y
a rien d’autre à faire que d’attendre... >>
Vestiaire de l’enfance, p.143
Otto
ABETZ
Otto
ABETZ (1903-1958)
<< (...) Otto Abetz milite tôt dans les mouvements
de jeunesse allemands. En 1930, il contacte à Paris Jean
Luchaire, briandiste convaincu, animateur de Notre temps, où
écrivent Pierre Brossolette et Jean Prévost. Des
rencontres entre jeunes des deux pays s'ensuivent. En 1934, Abetz
quitte son emploi de professeur de dessin à Karlsruhe pour
un poste d'expert en questions françaises au bureau Ribbentrop.
Tout en s'alignant sur la doctrine nazie, il cultive ses relations
dans les cercles intellectuels parisiens. Fin 1935, le Comité
France-Allemagne voit le jour. La séduction dont use Abetz
touche ses limites en juin 1939 quand, perçu comme l'agent
d'influence qu'il est, on le déclare persona non grata
en France.
Nommé ambassadeur d'Allemagne en août 1940, il revient
à Paris par la grande porte. Il veut rallier l'opinion
française à la collaboration et manipuler en souplesse
le gouvernement de Vichy, où Laval joue la carte allemande.
L'ambassadeur tisse patiemment sa toile, y prenant syndicalistes,
patrons, acteurs politiques et culturels. Le renvoi de Laval,
le 13 décembre 1940, porte un coup à cette stratégie
collaboratrice au plus haut niveau sans qu'Abetz relâche
son jeu politico-culturel. Il touche à tout, apportant
son concours à la Légion des volontaires français,
demandant, de son propre chef, que les juifs des camps de la zone
nord soient déportés vers l'Est.
Fin janvier 1942, ses bons et loyaux services lui valent d'être
promu au rang SS de Brigadeführer, général
de division. Ecouté des plus hautes instances nazies, il
passe le plus clair de son temps à Berlin entre janvier
et avril 1942. Ces longues escapades au coeur du dispositif de
décision du IIIe Reich attestent le rang et l'influence
du personnage. Elles sont aussi le signe d'une position qui se
fragilise. Abetz voit, en effet, son étoile pâlir
à Berlin. Cette éclipse tient au fait qu'il a manoeuvré
pour le retour de Laval sans en avoir informé Ribbentrop.
Ce dernier ne l'oubliera pas. Il a beau resserrer la collaboration
avec Laval et aggraver la persécution antisémite
en poussant à l'introduction de l'étoile jaune en
zone occupée, son discrédit s'accentue.
Convoqué et retenu à Berlin à la fin de 1942,
il ne regagne Paris qu'un an plus tard pour négocier dans
une phase de tension extrême avec Vichy. Cette ultime tractation,
par laquelle il obtient que Pétain et Laval restent en
place, est son chant du cygne. Confiné après août
1944 dans la surveillance du gouvernement fantoche de Sigmaringen,
il n'est plus qu'un ambassadeur in partibus pratiquant une caricature
de collaboration. En décembre 1944, il est destitué
non sans que Hitler lui décerne peu après une haute
distinction. Arrêté en octobre 1945, il est jugé
en juillet 1949 à Paris. Il a voulu, plaide-t-il, «
limiter les dégâts dans la mesure du possible ».
Son avocat ne convainc pas en arguant « qu'il n'était
qu'un petit personnage dans la dépendance étroite
de chefs puissants et féroces ». Condamné
à vingt ans de prison, il rédige des Mémoires
où perce une nostalgie irrépressible pour le régime
nazi. D'actifs réseaux font campagne pour sa libération.
En avril 1954, c'est chose faite. Jusqu'à sa mort accidentelle,
en 1958, il tentera de réhabiliter son image. Laurent
Douzou, Le Monde du 02-11-04.
La
collaboration dans tous ses états (Otto Abetz et Robert
Brasillach*), par Laurent Douzou
<<
Deux ouvrages à caractère biographique reviennent
sur la France de l'Occupation par le biais d'acteurs importants
du versant le plus noir de son histoire, le diplomate allemand
Otto Abetz et l'écrivain français Robert Brasillach.
Le premier, oeuvre d'une historienne autrichienne, prend pour
centre de gravité les années sombres, quand Abetz
était à son zénith. Le second, qu'on doit
à une universitaire américaine, place le curseur
sur le début de l'année 1945, quand sonne l'heure
des comptes pour Brasillach. Ces regards, à la fois savants
et extérieurs, utiles pour dépasser nos débats
franco-français, attestent aussi qu'a vécu la biographie
classique, qui déroulait sans accroc le fil d'une vie dont
tous les moments étaient équivalents.
Né en 1903, Otto Abetz milite tôt dans les mouvements
de jeunesse allemands. En 1930, il contacte à Paris Jean
Luchaire, briandiste convaincu, animateur de Notre temps, où
écrivent Pierre Brossolette et Jean Prévost. Des
rencontres entre jeunes des deux pays s'ensuivent. En 1934, Abetz
quitte son emploi de professeur de dessin à Karlsruhe pour
un poste d'expert en questions françaises au bureau Ribbentrop.
Tout en s'alignant sur la doctrine nazie, il cultive ses relations
dans les cercles intellectuels parisiens. Fin 1935, le Comité
France-Allemagne voit le jour. La séduction dont use Abetz
touche ses limites en juin 1939 quand, perçu comme l'agent
d'influence qu'il est, on le déclare persona non grata
en France.
Nommé ambassadeur d'Allemagne en août 1940, il revient
à Paris par la grande porte. Il veut rallier l'opinion
française à la collaboration et manipuler en souplesse
le gouvernement de Vichy, où Laval joue la carte allemande.
L'ambassadeur tisse patiemment sa toile, y prenant syndicalistes,
patrons, acteurs politiques et culturels. Le renvoi de Laval,
le 13 décembre 1940, porte un coup à cette stratégie
collaboratrice au plus haut niveau sans qu'Abetz relâche
son jeu politico-culturel. Il touche à tout, apportant
son concours à la Légion des volontaires français,
demandant, de son propre chef, que les juifs des camps de la zone
nord soient déportés vers l'Est.
Fin janvier 1942, ses bons et loyaux services lui valent d'être
promu au rang SS de Brigadeführer, général
de division. Ecouté des plus hautes instances nazies, il
passe le plus clair de son temps à Berlin entre janvier
et avril 1942. Ces longues escapades au coeur du dispositif de
décision du IIIe Reich attestent le rang et l'influence
du personnage. Elles sont aussi le signe d'une position qui se
fragilise. Abetz voit, en effet, son étoile pâlir
à Berlin. Cette éclipse tient au fait qu'il a manoeuvré
pour le retour de Laval sans en avoir informé Ribbentrop.
Ce dernier ne l'oubliera pas. Il a beau resserrer la collaboration
avec Laval et aggraver la persécution antisémite
en poussant à l'introduction de l'étoile jaune en
zone occupée, son discrédit s'accentue.
Convoqué et retenu à Berlin à la fin de 1942,
il ne regagne Paris qu'un an plus tard pour négocier dans
une phase de tension extrême avec Vichy. Cette ultime tractation,
par laquelle il obtient que Pétain et Laval restent en
place, est son chant du cygne. Confiné après août
1944 dans la surveillance du gouvernement fantoche de Sigmaringen,
il n'est plus qu'un ambassadeur in partibus pratiquant une caricature
de collaboration. En décembre 1944, il est destitué
non sans que Hitler lui décerne peu après une haute
distinction. Arrêté en octobre 1945, il est jugé
en juillet 1949 à Paris. Il a voulu, plaide-t-il, «
limiter les dégâts dans la mesure du possible ».
Son avocat ne convainc pas en arguant « qu'il n'était
qu'un petit personnage dans la dépendance étroite
de chefs puissants et féroces ». Condamné
à vingt ans de prison, il rédige des Mémoires
où perce une nostalgie irrépressible pour le régime
nazi. D'actifs réseaux font campagne pour sa libération.
En avril 1954, c'est chose faite. Jusqu'à sa mort accidentelle,
en 1958, il tentera de réhabiliter son image.
De fait, ce dignitaire du IIIe Reich, qui excella à porter
les couleurs nazies en affectant de s'en distancier, conserve
dans la mémoire collective les traits d'un diplomate distingué,
marié à une Française, qui se serait efforcé
d'atténuer les violences hitlériennes. L'ouvrage
de Barbara Lambauer tord le cou à cette bluette en livrant
toutes les pièces d'un dossier fort lourd. Elle prend ainsi
le contre-pied d'Eberhard Jäckel, qui, dans La France dans
l'Europe de Hitler, paru en 1968, avait campé Abetz en
francophile et exécutant de second ordre. Elle y a eu d'autant
plus de mérite qu'Abetz ayant été, par sa
fonction, mêlé à toutes les facettes de la
collaboration, le chantier était immense. Avec une fougue
contenue et une expertise indiscutable, Barbara Lambauer ruine
des représentations qui passaient du baume sur les plaies
des mémoires allemande et française.
Avec pour toile de fond la même période et un même
souci d'éclairer un destin individuel, l'ouvrage qu'Alice
Kaplan, professeur de littérature à Duke University,
consacre à Brasillach emprunte à une veine composite
et plus intuitive. L'auteur rappelle, à grands traits et
avec talent, le parcours de ce normalien devenu critique littéraire
de L'Action française, puis rédacteur en chef de
Je suis partout. Prisonnier de guerre en 1940, il est libéré
en avril 1941 sur l'intervention d'Abetz. Le pamphlétaire
devient un des hommes les plus en vue de la collaboration. Il
s'en prend violemment aux juifs, aux caciques du Front populaire
(avec une haine recuite contre Georges Mandel et Jean Zay, qui
seront assassinés). Il vomit la République, «vieille
putain agonisante, garce vérolée, fleurant le patchouli
et la perte blanche». Mais le noeud du projet d'Alice Kaplan
est de reconstituer le procès de Brasillach clos par une
condamnation à mort exécutée le 6 février
1945. Elle s'intéresse donc à ses protagonistes,
disséquant positions et itinéraires individuels
du procureur général et de l'avocat de Brasillach,
sondant les jurés. Pour évoquer ces seconds rôles
négligés, l'auteur use de techniques à mi-chemin
des approches historique et romanesque. Partie sur leurs traces
avec de maigres indices, elle furète dans les archives
privées et publiques, sollicite les souvenirs de leurs
proches et sillonne leurs quartiers éventrés un
peu à la façon du Modiano de Dora Bruder, du Rouaud
des Champs d'honneur. De l'imprimeur d'Aubervilliers, de l'ingénieur
de Saint-Maur, de l'employé de Villetaneuse, du technicien
militant communiste, on saura finalement peu de choses. Reste
le procès lui-même. Brasillach y tient la dragée
haute à l'accusation : « Je ne puis rien regretter
de ce qui a été moi-même. » Son avocat
se trompe de plaidoirie, brillant quand il eût fallu convaincre.
Quant à la pétition rédigée pour réclamer
la grâce de Brasillach, à l'initiative de Jean Anouilh,
Marcel Aymé et François Mauriac, on sait que le
général de Gaulle décida de ne pas y céder.
Il s'en justifia, de façon elliptique quoique transparente,
dans ses Mémoires de guerre, à propos des écrivains
condamnés à mort : « S'ils n'avaient pas servi
directement et passionnément l'ennemi, je commuais leur
peine, par principe. Dans un cas contraire - le seul -, je ne
me sentis pas le droit de gracier. Car, dans les lettres, comme
en tout, le talent est un titre de responsabilité. »
Alice Kaplan, qui ne cèle rien des monstrueuses pages noircies
sous l'Occupation par le polémiste, le juge coupable. Elle
déplore cependant qu'en le fusillant on l'ait érigé
en mythique martyr innocent. Un mythe ? Précisément
non. Une figure exclusivement célébrée par
sa famille d'extrême droite, ce qui est bien le moins. Il
est des mots qui tuent toute potentialité de mythe, aussi
sûrement que les balles d'un peloton d'exécution,
tels ceux que Brasillach écrivit au lendemain des grandes
rafles de l'été 1942 quand il proclama la nécessité
de « se séparer des juifs en bloc et de ne pas garder
de petits ».
Laurent Douzou © Le Monde du 2 Novembre 2001
~~~~~~~~
l'absence,
la rendre présente (dire)
<< On a trop écrit sur le charme des livres de Modiano,
sur sa trop fameuse « petite musique », sur son art du flou et
du trompe-l'œil et sur les fausses perspectives savamment tracées
par ses errances et ses déambulations. Non que ces qualités ornementales
et rêveuses, ces délicieux et troublants entrelacs de la fiction
soient négligeables, mais parce qu'ils sont l'expression manifeste,
l'effet de surface d'un projet beaucoup plus ambitieux : dire
l'absence, la rendre présente. Il est nécessaire d'inverser les
termes du « cas Modiano ». Il n'a pas choisi pour époque privilégiée
de nombre de ses livres la période de l'occupation allemande qu'il
n'a pas connue en raison du caractère trouble, ambigu, romanesque
de ces temps mêlés. C'est au contraire à cause du trou noir creusé
par ce morceau d'histoire que tout, ensuite, devient mystérieux,
incomplet, irréel, inexplicable, absurde, insaisissable, fictif.
Comme si une pièce de la machine avait disparu et que le monde
continuait à tourner, de travers, en s'efforçant de l'oublier.
>> Pierre Lepape,
le Monde, 4 avril 1997.
ACCIDENT
NOCTURNE (2003)
Accident
nocturne (2003)
4ème
de couverture
«Quelle
structure familiale avez-vous connue ? J'avais répondu : aucune.
Gardez-vous une image forte de votre père et de votre mère ? J'avais
répondu : nébuleuse.
Vous jugez-vous comme un bon fils (ou fille) ? Je n'ai jamais
été un fils. Dans les études que vous avez entreprises, cherchez-vous
à conserver l'estime de vos parents et à vous conformer à votre
milieu social ? Pas d'études. Pas de parents. Pas de milieu social.
Préférez-vous faire la révolution ou contempler un beau paysage
? Contempler un beau paysage. Que préférez-vous ? La profondeur
du tourment ou la légèreté du bonheur ? La légèreté du bonheur.
Voulez-vous changer la vie ou bien retrouver une harmonie perdue
? Retrouver une harmonie perdue.»
Accident
nocturne : l'histoire ?
Est-ce vraiment l'histoire de ce roman ? Nous pourrions
de la sorte multiplier les récits de l'histoire d'un roman pour
approcher une vérité, mais laquelle au juste ?
"Un soir,
alors qu’il arpente les rues de Paris, un jeune homme est
renversé par une Fiat couleur vert d’eau. Cet accident
qui le conduit dans une clinique inconnue en compagnie de la conductrice,
une dénommée Jacqueline Beausergent, et d’un
homme à l’allure trouble, l’amène peu à peu à faire
face aux obscurités de son enfance. "L’accident
de l’autre nuit était venu au bon moment. J’avais
besoin d’un choc qui me réveille de ma léthargie.
Je ne pouvais plus continuer à marcher dans le brouillard."
Trente
ans plus tard, le narrateur se remémore les conséquences
de ce choc et cette quête de vérité qui le
conduisit jadis tant sur les traces de la conductrice inconnue
que celles d’un fantôme oublié, celui d’une
mère inconnue.
Il raconte alors ces errances nocturnes dans
un Paris énigmatique
où les signes, les noms des rues et des personnes se télescopent
dans une danse étrange et surprenante qui bouscule les
instants du passé comme du présent. Les fragments
de vie s’entrechoquent au gré des souvenirs qui
remontent sans cohérence à la surface, les lieux,
du square de l’Alboni dans le seizième arrondissement
parisien à la Sologne, ne font ainsi plus qu’un.
Alors
que tout se brouille, seule une phosphorescence merveilleusement
colorée illumine ces marches crépusculaires. Les
couleurs ricochent ainsi de l’hôtel de la rue de
la voie verte aux effluves des bouteilles d’éther
bleu nuit durant de vertigineuses nuits blanches." par Nicole Maïon,
Avoir à lire, 17-12-03.
Accident
nocturne : lieux, personnages
lieux : place des Pyramides, place de la Concorde,
quai des Tuileries, rue du Docteur-Kurzenne, Saint-Germain-l'Auxerrois,
l'Hôtel-dieu, clinique Mirabeau, rue Narcisse-Diaz, square de
l'Alboni, le pont de Grenelle, rue de la Voie-verte, Cité universitaire,
avenue Foch, café de La Rotonde, Montparnasse, Paris, rue Pigalle,
rue de Douai, café le Sans Souci, rue Victor-Massé, le Tabarin
(cabaret), Denfert-Rochereau, faubourg Saint-Honoré, avenue des
Champs-Élysées, porte d'Orléans, l'Étoile, Boulogne, place de
la Madeleine, les Grands-boulevards, l'Opéra, le Palais-Royal,
café Corona, café Ruc-Univers, quai du Louvre, Montrouge, Châtillon,
rue l'Alésia, brasserie le Terminus, avenue Carnot, gare de Lyon,
place d'Italie, avenue de Ségur, (Liste : rue de la Rochefoucauld,
rue Laugier, Calle Jorge Juan, Madrid, casa Montalvo, Biarritz,
Berlin, Steglitz, Orleanstrasse 2, rue Berlioz, Nice Vijzelstraat,
Amsterdam.) Orly Sud, Maroc, Londres, gare du Nord, hôtel
Palym, le quai de la Tournelle, boulevard Jourdan, porte de Gentilly,
station Petits-Champs - Danielle-Casanova, square de la tour Saint-Jacques,
rue de la Coutellerie, Hôtel de Ville, restaurant les Calanques,
Jouy-en-Josas, métro Passy, rue du Pont-de-Lodi, Saint-Lô, Haute-Savoie,
Bordeaux, Metz, mairie de Boulogne-Billancourt, paroisse Saint-Martin
de Biarritz, Fossombronne-la-Forêt, Loir-et-Cher, rue de Rivoli,
café Babel, jardins du Trocadéro, bois de Vincennes, bois
de Boulogne, Palais e Chaillot, pont de Bir Hakeim, porte d'Orléans,
hôtel Frémiet, la closerie de Passy, boulevard Delessert,
rue Raynouard, Montrouge, Quartier latin, l'Alma, jardins Galliera,
avenue Paul-Doumer, rue Scheffer, venue
Albert*de-Mun, hôtel Régina, la Versanne, Chambord Bracieux, le
Plessis, Milançay, Fontaigne-en-Sologne, Montgiron, Marcheval,
Boizardiaire, la Viorne, square Léon Guillot, Porte de Vanves,
Genève, Madrid,
personnages
: Jacqueline
Beausergent, docteur Besson, docteur Fred Bouvière, Katz-Kreutzer,
Evelyne, brasserie Zeyer, Geneviève Dalame, Hélène Navachine,
(Liste 1 : Georges Accad, Yvette Dintillac, André Gabisson, Jean-Maurice
Jedlinski, Marie-Josée Vasse, Jacqueline Piche, Patrick de Terouane,
Suzy Kraay), Guy Roussotte, Léni Riefenstahl, docteur Divoire, Solière,
(liste 2 : Borsher J, Destombe J, Dupont A, Goodwin C , Grumberg
A, Mc Lachlam GV) , (Liste 3 : Yvan Schapos chnikoff, Guy de Voisins,
Nick de Morgoli, Toddie Werner, Mary Tchnernycheff, Alexis Moutafolo),
docteur Divoire, Morawski
«C'est
que j'arrive à l'âge où la vie se referme peu à peu sur elle-même.»
Accident nocturne.
"L'état
d'esprit du garçon, l'éther, et aussi, le nom des femmes: Jacqueline
Beausergent. Hélène Lavachine. J'ai pris des noms qui avaient
vraiment existé. Tous les noms propres, la figure de mon père,
cette vision de cauchemar... Ce sont des choses que j'ai vécues."
Lire, octobre 2003 à l'occasion
de la publication de Accident nocturne, roman, 2003
Accident
nocturne,
premières pages
Interwiew
publiée dans le Bulletin de Gallimard, septembre 2003
Accident
nocturne, Un temps particulier par Jean-Claude
Lebrun, (l'Humanité, 16-10-2003)
<< Là où certains s'acharnent à vouloir
discerner une " petite musique ", ce poncif creux qui
resurgit à chaque
nouvelle parution d'un livre de Patrick Modiano, il serait certainement
plus avisé de s'intéresser à cette création
romanesque proprement modianienne : un temps singulier, sorte
d'immobile présent, qui rassemble et embrasse les différentes époques
d'une existence. Qu'il s'agisse de l'enfance aux souvenirs maigres
et flous, de l'adolescence chahutée, ou des phases successives
de l'âge adulte, jusqu'à ce que la plus grande partie
de la vie se trouve derrière soi, tout cela, qui revient
de livre en livre, se trouve brassé et posé sur
un plan unique, qui donne à l'univers littéraire
de Patrick Modiano cette apparence d'éternel étale.
Commence-t-on la lecture d'un nouveau roman, que l'on retrouve
tout de suite pied, là même où l'on s'était
auparavant arrêté. Accident nocturne se présente
comme une manière d'illustration modèle, presque
paradigmatique, de ce temps modianien, dans lequel la phrase
d'attaque d'emblée vous projette : " Tard dans la
nuit, à une date lointaine où j'étais sur
le point d'atteindre l'âge de la majorité, je traversais
la place des Pyramides vers la Concorde quand une voiture a surgi
de l'ombre. " Un mélange de précision dans
le détail et de grand vague général, une
nouvelle fois comme principe moteur de l'ouvre.
Celui
qui raconte a donc été renversé par
cette voiture, qu'une jeune femme, ou peut-être d'ailleurs
quelqu'un d'autre, conduisait. En tout cas, il s'est retrouvé à côté d'elle,
qui portait une blessure au visage, dans le car de police-secours
puis à l'Hôtel-Dieu. Il a été endormi. À son
réveil, la conductrice avait disparu. Lui-même se
trouvait maintenant dans une clinique inconnue et un homme lui
faisait signer une décharge, contre une forte somme d'argent.
Jamais il ne s'était trouvé à la tête
d'une telle fortune. Il lui fallait maintenant savoir. Ne pas
se contenter de subir encore une fois les événements.
En fait saisir cette opportunité pour sortir des approximations
et du flou, dans lesquels il avait jusqu'alors vécu. Y
compris auprès des quelques femmes rencontrées.
Il enquêterait en différents lieux de Paris, avec
pour seuls indices l'identité de la conductrice, Jacqueline
Beausergent, deux caractéristiques de la voiture, une
Fiat couleur vert d'eau, et un nom qu'il avait entendu prononcer,
square de l'Alboni. En ce sens, l'accident pour lui " marquait
une cassure ". Même si la ville restait pleine des
signes de la vie antérieure. Tel ce café, aperçu
depuis le car de police, à l'angle du quai du Louvre,
vers Saint-Germain-l'Auxerrois, où son père vêtu
de son éternel pardessus bleu avait accoutumé de
le rencontrer. Le présent reste toujours chargé de
ce passé. Au besoin, quand des stimulations extérieures
n'y suffisent pas, la mémoire, omniprésente, en
permanent éveil, se charge du travail. Ou l'imagination.
Car l'une et l'autre en permanence se chevauchent et s'épaulent,
pour créer ce tissu serré, propre aux récits
de Patrick Modiano.
Bientôt
il croit se rappeler, puis se convainc, qu'il avait déjà rencontré cette
Jacqueline Beausergent, quand, enfant, il avait passé quelque
temps à la
campagne. L'accident dont il a été la victime ne
relèverait peut-être pas tout à fait du hasard.
Et que dire de l'homme de la clinique, qu'il avait retrouvé un
jour dans un café, et qui par son aspect et ses manières
louches lui avait rappelé son père ? L'histoire
personnelle qu'il s'est bricolée, faute d'en connaître
une plus tangible, a en effet ceci de particulier qu'elle semble
sourdre de toutes parts. Où qu'il se rende, il bute contre
elle et se heurte à ses infinies réminiscences.
Rien de bien surprenant à cela, puisque c'est lui-même
qui se cherche et continûment se projette sur l'environnement
du moment. Fidèle à sa manière, Patrick
Modiano trame un univers où, de partout, s'ouvrent des
pistes conduisant vers les obscures contrées sur lesquelles
il n'a jamais cessé de vouloir faire la lumière.
Du côté de la guerre, de ses parents, de sa naissance. " J'avais
le sentiment qu'un homme sans paysage est bien démuni ",
note-t-il avec son habituel sens de la litote, en guise de confirmation,
vers la fin du livre. Un soir, il retrouve la Fiat couleur vert
d'eau et sa conductrice. Une personne rangée, sans le
mystère qu'il lui avait prêté. Pour la première
fois, c'est alors le temps de la guerre d'Algérie, il
accède au principe de réalité, s'éloigne
de ses chimères, de la " marge ", des " banlieues
de la vie " où il s'était posté en
attente de " quelque chose ". Jusqu'à cette
ultime image, tellement tentante pour l'interprétation,
de Jacqueline Beausergent et de lui-même, dans un ascenseur à la
lumière éteinte, avec seulement au-dessus d'eux
le lumignon d'une veilleuse. Le temps tel que Patrick Modiano
le conçoit : la faible lueur d'un passé dans un
présent opaque.>> © Journal
l'Humanité
Accident
Nocturne, "Sans famille"
par Jérôme Garcin.
(...) "Une première phrase de Modiano ne trompe jamais.
Même s'il ne la signait pas, elle serait de lui. «Tard
dans la nuit, à une date lointaine où j'étais
sur le point d'atteindre l'âge de la majorité, je
traversais la place des Pyramides vers la Concorde quand une voiture
a surgi de l'ombre.» Blessé à la jambe, il
est conduit dans une clinique avec la conductrice, touchée
au visage. Quand il se réveille, elle a disparu. En guise
de dédommagement, une liasse de billets.
Ce roman retrace l'enquête menée, dans Paris, par
un garçon solitaire et angoissé pour retrouver la
femme, Jacqueline Beausergent, qui l'a renversé. Il n'éprouve
à son égard aucune rancune. Au contraire, il juge
que cet accident nocturne lui a été bénéfique.
Il était perdu, errait dans la ville, ne savait pas quoi
faire de sa jeunesse inemployée, était séparé
de son père, aspirait à «l'harmonie perdue»,
espérait «une trouée, des lignes de fuite»,
et voici que ce choc le réveillait, lui permettait «de
prendre un nouveau départ dans la vie». En somme,
il la recherche pour exprimer sa reconnaissance à celle
qui incarne une figure maternelle de compensation.
Une fois encore, le père est là, dans toute sa mystérieuse
autorité et sa hautaine indifférence. Apparu de
manière explicite en 1988 (dix ans après sa mort)
dans «Remise de peine», à la page 116, Albert
Modiano, qui dirigeait une «société africaine
d'entreprise» dont les bureaux étaient sis aux Champs-Elysées,
n'a cessé de rejeter son fils. Ici, dans une scène
si forte qu'il la raconte deux fois et qui demeure «l'un
des épisodes les plus tristes de sa vie», le fils
aux abois demande un peu d'argent à son père, qui
s'énerve et, pour se débarrasser de l'importun,
le livre aux flics. La nuit suivante, dans ses cauchemars, le
jeune homme imagine qu'il a été dénoncé
et qu'on l'a «raflé». Un écho obsédant
de l'Occupation et de cette question restée sans réponse:
pourquoi son père, d'origine juive, interné en 1943
dans une annexe de Drancy, a-t-il été aussitôt
libéré par un membre de la bande de la rue Lauriston?
« Accident nocturne» se situe au début des
années 1960. Les affiches des gares vantent les pistes
de ski de l'Engadine. Dans les bars, on sert des Margarita. Les
hôtels transmettent les fiches de leurs clients à
la brigade mondaine. Les téléphones ont des préfixes
de quartiers, Odéon, Passy, Trocadéro, Auteuil...
Un gourou au visage «recouvert d'une sorte de graisse grise»,
l'étrange docteur Bouvière, auteur de «Drogues
et thérapeutiques», rassemble ses disciples dans
les cafés et leur fait perdre l'insouciance, la joie de
vivre. De la porte d'Orléans à Pigalle, de Denfert-Rochereau
à Montparnasse, Modiano traverse Paris et saisit ses mystères
avec cette légèreté et cette précision
topographique qui font notre bonheur. «La nuit, dans les
rues, j'avais l'impression de vivre une seconde vie plus captivante
que l'autre, ou, tout simplement, de la rêver.»
A la fin de ce roman, pur comme un diamant noir, et après
des nuits de marche somnambulique, le jeune homme, sa vieille
canadienne tachée de sang sur le dos, retrouve enfin Jacqueline
Beausergent. Elle lui sourit. Le rassure. Lui murmure qu'il s'est
donné beaucoup de mal pour rien, que les seuls mystères
sont ceux qu'il s'invente, qu'on se fait beaucoup de mal à
confondre les cauchemars et la réalité."
Le Nouvel Observateur, du 02/10/2003.
Modiano cantabile, par Jean-Paul Enthoven
Un « Accident nocturne », un père insaisissable,
des agendas d'autrefois, des bars louches et un perroquet fidèle
au passé : c'est la signature de Patrick Modiano - et la
magie de son nouveau roman
Depuis trente-cinq ans, Patrick Modiano revisite inlassablement
la même histoire floue : celle d'un individu sans qualité,
sans racine, pourvu d'obsessions qui l'aimantent vers la circonstance
qui a décidé de sa vie - et qui lui échappe
comme une flaque de mercure. Cet individu, le plus souvent, ne
sait pas trop qui il est. D'où l'attention qu'il témoigne
aux vieux agendas, aux lieux, aux cartes de visite, aux patronymes,
aux plaques d'immatriculation, à la géographie,
à l'état civil, aux squares de quartiers qui, peut-être,
se souviennent mieux que lui de son propre passé. Dans
chacun de ses romans, Modiano reprend ce canevas originel à
la manière d'un photographe qui s'obstine sur le même
objet mais à partir d'angles différents. Ce sont
des romans-fragments, des épisodes d'une même quête
de « l'harmonie perdue », des séquences initiatiques
d'un même récit écrit par à-coups.
Modiano, ce jeune homme égaré, a besoin de repères.
Il n'a rien trouvé de mieux que la littérature,
cette machine à déjouer l'absence, pour lui en fournir
quelques-uns.
Dans repère, bien sûr, il y a la sonorité
redoublée, ou redoutée, du père. Et, depuis
ses débuts, Modiano tourne à sa façon autour
de cet insaisissable point fixe, de cette « Place de l'Etoile
» dont les avenues filiales l'éloignent ou le rapprochent.
Ses héros ont eu un père, comme tout le monde, mais
celui-ci s'est dérobé, il a été absorbé
par une grande quantité de passé, il a disparu dans
le brouillard des rues et des activités louches. Le but
du jeu, du roman, consiste alors, chaque fois, à retrouver
sa trace - puisque les traces, par leur phosphorescence, suggèrent
mieux que les choses elles-mêmes. Patrick Modiano est devenu
un romancier géographe, presque géomètre,
parce que son père mercurien, à l'origine, lui glissait
entre les doigts. Le freudisme a recensé toutes les variantes
de ce programme. Mais Modiano se fiche pas mal du freudisme. C'est
un artiste. Il jouit de sa névrose comme un derviche de
son vertige. Quel intérêt y aurait-il, pour lui,
à en guérir ?
La surréalité
des choses banales
Dans « Accident nocturne », le dernier en date des
fragments modianesques, il y a donc, et encore, la trace d'un
père pressé et évanescent. Le narrateur le
rencontrait, autrefois, dans des cafés du Trocadéro
ou de la rue de Rivoli. Puis les rendez-vous se sont déplacés
vers la porte d'Orléans, vers Montrouge, à mesure
que le père en question semblait plus furtif et à
mesure que ses mystérieuses affaires, sans doute, l'obligeaient
à fuir quelque chose. Bientôt, il n'y eut plus de
rendez-vous, et le narrateur se mit à errer, sans but précis,
dans les quartiers où, peut-être, il apercevrait
le « pardessus » ou le chapeau de cet homme qui aurait
pu le renseigner sur son propre destin. C'est au cours de ces
errances qu'il sera, une nuit, renversé par une «
Fiat vert d'eau », place des Pyramides. Il est blessé
à la jambe, la conductrice et son compagnon - un homme
vêtu, lui aussi, d'un « pardessus », ce masque
d'adulte - le déposent dans une clinique avant de s'évaporer
comme toutes les réalités qui entrent en contact
avec les héros de ce romancier de la disparition. Pendant
cent cinquante pages, le narrateur va tenter de retrouver la conductrice.
Mais ce qu'il cherche, on le devine, scrute l'en deçà
de cet « Accident nocturne ». Il guette la trace d'un
passé incontestable, la cause d'une blessure, la preuve
de quelque chose qui a eu lieu et qui le concerne. Modiano et
son double accidenté boitent tout au long du livre. Comme
Jacob après son combat avec l'Ange. Leurs corps portent
la cicatrice d'une épreuve qui, comme dans la Bible, signale
qu'ils ont désormais le droit et le devoir de se souvenir.
On a l'impression que Modiano veut nous signifier qu'il achève
un cycle. Qu'il solde ses obsessions d'amnésique. Qu'il
accepte la disparition définitive de son père. Il
était temps : ce romancier adolescent sera bientôt
sexagénaire.
Ce roman,
symétrique de « La petite Bijou », est bouleversant,
puissant, généreux. C'est de l'autofiction haut
de gamme, c'est-à-dire ouvragée, fuyant l'état
brut et pauvre où des romanciers(cières) tape-à-l'oeil
l'ont abaissée. Modiano y suit, avec son art économe,
tout un flux de sensations qui ne parlent que de lui, donc de
la condition humaine ; il n'écrit pas pour se connaître,
comme Leiris, mais pour retrouver le fil qui le rattache au réel
; il ne raconte pas des aventures, comme son cher Balzac, mais
il cerne des climats, des secrets, des détails magnétiques.
Il croit à la surréalité des choses banales
- un numéro de téléphone, un perroquet «
fidèle au passé », l'enseigne d'un bar, le
nom d'un hôtel, le passeport d'un inconnu. Et tout cela,
orchestré par le fameux Modiano cantabile - des notes rares,
beaucoup de silences, des récitatifs interrompus par une
rame de métro ou le Klaxon d'un taxi -, compose une oeuvre
qui, longtemps en suspens, semble enfin se boucler.
Au
fil de ses rares déclarations, Modiano a souvent dit sa
nostalgie des « cathédrales » littéraires,
façon Proust ou Lawrence Durrell, dont il se croit incapable.
Ou des romans uniques - comme « A l'Ouest rien de nouveau
» d'Erich Maria Remarque - dans lesquels l'auteur, d'un
seul coup, se saigne de tout ce qui le hante ; ou des écrivains,
comme Salinger ou Dashiell Hammett, qui, après avoir révélé
ce qu'ils avaient sur le coeur, se taisent soudain, désintoxiqués,
et ne publient plus rien. Dans son cas, on s'avise pourtant qu'il
a su, à la longue, bâtir sa cathédrale d'ombres.
Et qu'il est l'auteur d'un roman unique qui le situe, à
côté de Simenon, parmi les plus grands. Se taira-t-il
un jour ? Parviendra-t-il à se désintoxiquer ? A
ne plus voir, dans ses romans, que « le bonsaï du roman
» qu'il voudrait écrire ? Nul ne sait, pour l'heure,
ce qu'il convient de lui souhaiter. © le point
03/10/03 - N°1620 - Page 106.
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Acteur
/ ARTAUD
Raoul Ruiz lui demande de faire l'acteur dans le film "Généalogie
d'un crime", à l'hôpital psychiatrique de Ville-Evrard, là-même
où Artaud fut interné. Antonin Artaud, l'acteur de "La Passion
de Jeanne D'Arc" de Carl Théodore Dreyer, du Napoléon d'Abel
Gance, et plus de 60 ans plus tard, Patrick Modiano qui se retrouve
dans ce lieu où des cris se font encore entendre. Modiano voit
là comme une coïncidence entre les deux expériences : écrire/jouer.
Adaptation
cinématographique
(...) les seuls films qui sont bien et qui ont été faits soi-disant
d'après un roman, ce sont ceux où le metteur en scène lui-même
est obsédé par quelque chose de précis. Ce qui fait que le film
parvient à se dégager du roman.
(...) Non seulement il ne faut pas être fidèle, mais il faut déjà
avoir une obsession personnelle, sinon on fait ça comme un travail
de routine, ça fait une adaptation littérale. Synopsis
10, entretien avec Judith Louis à propos de l'adaptation de Dimanches
d'Août.
Adresses
/ Roman / Histoire*
[dans Fleurs de ruines] << Pour un lecteur attentif
aux signes de Modiano, une inquiétante
connotation est confirmé par l’examen des adresses
mentionnées : le restaurant d’Ansart est au 48
bis rue des Belles Feuilles, qui fut aussi le domicile d’Eddy
Pagnon, l’un des membres de la rue Lauriston*, celui-là même
qui libéra le père de l’écrivain
d’une rafle au cours de laquelle il fut transporté quai
d’Austerlitz en 1943, pour ensuite l’enliser dans
son monde de « marquis, chevaliers d’industrie,
gentilshommes de fortune, gibiers de correctionnelle ».
Jacques de Bavière, quant à lui, habite avec
Ellen James au 22 rue de Washington : cette adresse est aussi
celle de Lebobe André, la première d’une
liste exposée dans Fleurs de ruines, tirée
d’un journal de 1948, qui énumère les noms
et adresses des personnes recherchées pour « intelligence
avec l’ennemi ». On y trouve également le
1 rue Lord-Byron, qui est la véritable adresse du bureau
du père de l’auteur, transféré dans
le roman au 73 boulevard Haussmann.>> Carine
Duvillé Errance et Mémoire : Paris et sa topographie
chez Patrick Modiano Mémoire de maitrise, juillet 2000.
Paris IV, Sorbone.
ALEXANDRIE,
LA MÉDITERRANÉE* DE PATRICK
MODIANO (NICE*
TUNIS*)
par Annie Demeyere
Amnésique
«
Je n’avais que vingt ans, mais ma mémoire précédait
ma naissance. J’étais sûr, par exemple, d’avoir
vécu dans le Paris de l’Occupation puisque je me
souvenais de certains personnages de cette époque et de
détails infimes et troublants, de ceux qu’aucun livre
d’histoire ne mentionne. Pourtant, j’essayais de lutter
contre la pesanteur qui me tirait en arrière, et rêvais
de me délivrer d’une mémoire empoisonnée.
J’aurais donné tout au monde pour devenir amnésique.»
Livret de famille, 1977, p. 116-117.
Années
60
"Dans ces époques un peu bizarres des années
1960 - la fin de la guerre d'Algérie m'a marqué
profondément - l'atmosphère était inquiétante.
A Paris, il y avait une sorte de menace dans l'air, notamment
pour les jeunes qui vivaient forcément dans la clandestinité.
Jusqu'à l'âge de 21 ans, nous n'avions pas d'existence."
Entretien avec Marianne Payot, Delphine Peras,
"Je suis devenu comme un bruit de fond", l’Express,
04/03/2010
Apatride
(figures de l')
Les
personnages sont le plus souvent des apatrides ou des exclus,
prostitués, homosexuels, marginaux en tout genre, qui
naviguent dans un monde qui ne leur est pas favorable, dans un
Paris en apparence accueillant avec ses néons multicolores
et ses fastes apparats, mais dont l’ombre colossale regorge
de lourdes menaces. La
plupart des protagonistes ont une identité trouble, et
il plane toujours un doute quant à leurs origines, leur
nationalité, leurs activités, leur nom, voire leur
existence même. Dans La ronde de nuit, le narrateur
voudrait affirmer : « Mon lieutenant, JE N’EXISTE
PAS, je n’ai jamais eu de carte d’identité. »
Arrêter
d'écrire
"-
Avez-vous parfois envie d'arrêter d'écrire
? Ou de publier, puisqu'il paraît que Salinger* écrit
toujours...
- Je suis sûr qu'il écrit toujours, parce que ce n'est
pas possible de s'arrêter. Parfois, je me dis que ça
doit être formidable quand on n'a plus envie d'écrire,
quand on est rassasié. Mais ce ne doit être valable
que pour des poètes à l'état pur, qui connaissent
la fulgurance. Mais parfois, quand même, j'aimerais rester
silencieux. Parce que écrire, après les repérages,
c'est comme plonger dans un truc froid. Je suis toujours épaté par
les types qui disent qu'ils peuvent écrire six heures par
jour. La seule chose agréable, ce sont les repérages,
les rêves de départ. Je rêverais d'ailleurs
de me contenter de ça. D'arrêter de communiquer, de
recopier des choses qui ne seraient pas publiées. J'ai d'ailleurs
une activité parallèle en dehors des livres que je
publie..." Entretien
avec Christophe Ono-dit-Biot , à l'occasion de la parution de
Dans le café de la jeunesse perdue, 27/09/2007, - © Le
Point N°1828-
Art
du flou
<< (...)
si l’Occupation, période trouble comme on le
dit d’une eau impure, est dans l’œuvre
une époque privilégiée où s’inscrivent
des trames romanesques entières ou de simples épisodes
narratifs, ce n’est pas en tant que moment historique
mais en tant que « lieu » propice à la
création de cet art du flou, de la dualité qui
caractérise Modiano et rend unique cet auteur qui
a poussé le roman, art de l’illusion, à ses
limites extrêmes, multipliant les perspectives fuyantes
en une sorte de trompe-imagination qui emporte le lecteur
dans un dédale où métamorphoses et songes
estompent les rares certitudes qui lui sont données. >> Antoine
de Gaudemar et Paule Zajdermann. Texte
de l'émission un siècle d'écrivains.
Aller
loin
"Avant, je ne croyais pas au besoin d'aller... loin, mais
je pense que j'ai tort. J'avais connu Georges Arnaud, l'auteur
du « Salaire de la peur ». Un type très bizarre,
on disait qu'il avait tué son père. Il disait des
choses péremptoires comme « Le Panama n'existe pas,
je le sais, j'y ai vécu ». C'est idiot. Maintenant,
je me dis, il faut aller voir les choses." Entretien
avec Christophe Ono-dit-Biot , à l'occasion de la parution
Dans le café de la jeunesse perdue, 27/09/2007,
- © Le Point N°1828-
A
l'aveuglette (Phrases*, paragraphes)
"Quelle est votre unité première
: la phrase, le paragraphe ?
P.M. La phrase. La première phrase, la plupart du temps.
Mais quand on écrit, on part à l'aveuglette. Pendant
le premier mois, je me sens très souvent découragé,
je me demande si je dois continuer. C'est comme si je conduisais
en plein brouillard, sans rien voir devant moi mais je poursuis
ma route, sans savoir où aller, avec parfois la sensation
ou la crainte de m'être engagé dans une voie sans
issue. Mais ce qui est très bizarre, c'est que, quand j'ai
cette intuition de m'être engagé sur une fausse route,
j'essaie de rattraper la route principale plutôt que de
faire marche arrière. Au lieu d'abandonner, de me dire
: "C'est une fausse piste, il faut que j'arrête, tant
pis", je continue et j'essaie de rattraper la route principale.
Avez-vous connu ce sentiment avec tous vos romans ?
P.M. Oui, tous. Pour certains, il y a peut-être eu une petite
ligne droite... Mais je ne suis pas comme ces écrivains
qui tracent le sillon avec constance et confiance. Il y a toujours
ou presque ce détour et cette sensation, au dernier moment,
d'être comme un trapéziste qui parvient, in extremis,
à rattraper le trapèze qu'on lui a lancé.
Par quel moyen (ou quel miracle) retrouvez-vous le chemin
? Comment rattrapez-vous le trapèze ?
P.M. Par la phrase, justement. Un paragraphe ou une page qui me
semblent catastrophiques le soir peuvent être rétablis
le lendemain matin par une phrase. Ou en supprimant quelque chose.
Mais j'ai, chaque matin, une impression de rattrapage de ce que
j'ai fait la veille. Je n'ai jamais connu cette impression d'écrire
en ligne droite. C'est comme si vous naviguiez en essayant d'éviter
les écueils et que, au dernier moment, vous les contourniez.
Utiliser des blocs de réalité, notamment des noms
propres de gens que j'ai pu croiser, m'aide à effectuer
ce rattrapage. Quelquefois, je cannibalise certains trucs, c'est-à-dire
que je me sers de plusieurs segments qui pourraient chacun être
un roman différent." "Mon Paris
n'est pas un Paris de nostalgie mais un Paris rêvé"
entretien avec François Busnel (Lire), 04/03/2010
Ruth
Amar Le ton de Patrick Modiano : du roman ironique au roman affectif
Ambiance
" J'ai essayé de traduire l'ambiance dans laquelle
il vivait, à un certain âge. Une ambiance étrange, sans structure.
Avec des parents vus comme des espèces de fantômes, de baudruches.
L'explication clinique de ce jeune homme, c'est qu'il aurait usé
de stupéfiants. Mais là, il n'en a même pas besoin. A blanc, il
est dans cet état-là. C'est difficile à expliquer. C'est quelque
chose que j'ai voulu traduire parce que je l'avais éprouvé à cette
époque-là. " Lire,
octobre 2003 à l'occasion de la publication de Accident nocturne,
roman, 2003
Annecy
et la Fiction*
<< Je suis incapable d'écrire un livre de pure fiction.
Alors, j'ai mélangé mes propres souvenirs et ceux
des filles que j'ai croisées dans les années 60.
Comme l'héroïne du deuxième récit, j'ai
souffert de vivre dans un pensionnat près d'Annecy, le
collège Saint-Joseph de Thônes, et, comme elle, je
m'en suis évadé pour rentrer à Paris en train.
Comme celle du premier récit, j'ai vécu dans cette
atmosphère trouble de la fin de la guerre d'Algérie.
Les très rares fois où j'ai vu mon père,
c'était à Genève. J'avais 16 ans, on venait
me chercher dans mon pensionnat, je traversais la frontière,
et j'arrivais dans le hall de l'Hôtel du Rhône où
j'assistais à un mystérieux ballet de diplomates,
de dirigeants du FLN, d'hommes cravatés à l'air
sombre, c'était une ambiance très étrange,
très secrète. Enfin, comme la jeune femme du troisième
récit, j'ai connu, toujours près d'Annecy, des disciples
de Gurdjieff, et j'étais frappé de constater qu'ils
étaient toujours recrutés chez des intellectuels
se trouvant dans un état physique désespéré.>>
Titre
de l'article, Une Jeunesse, à propos du livre "Des
inconnues", Nouvel Observateur, 28-01-1999.
La
chasse aux éléments "antinationaux", par
Jean-Pierre, Azéma,
<< Sans avoir besoin d'encouragements de la part de l'occupant,
le régime de Vichy, spontanément répressif,
se lance rapidement dans l'épuration. Les juifs, les francs-maçons,
les communistes, les " métèques ", tous
les éléments " antinationaux " accusés
d'être à l'origine de la défaite, sont pourchassés.
Ils seront plus tard remis aux Allemands.
"PARTOUT,
et spécialement dans les services publics, si réelles
que soient d'honorables exceptions dont chacun pourrait fournir
un exemple, l'influence des juifs s'est fait sentir, insinuante
et finalement décomposante." C'était le commentaire
officieux du statut des juifs publié en bonne place dans
la presse vichyssoise.
Ce
statut symbolise à lui seul le nationalisme défensif,
d'exclusion, d'un régime qui se voulait ancré dans
son pré hexagonal et qui adopta immédiatement le
vieux slogan "La France aux Français". On exclut
de "la vraie France" tous ceux en qui on voyait les
"ennemis intérieurs", et qui firent d'excellents
boucs émissaires pour expliquer la défaite, eux
qui auraient appartenu aux forces occultes tramant d'innombrables
complots, dont celui qui aurait provoqué la guerre.
Le
régime de Vichy fut dès le début répressif,
et cela spontanément, sans qu'il y ait eu de pressions
de l'occupant. Car les nouveaux maitres du pouvoir, souvent des
vaincus du suffrage universel (Bernanos parlera férocement
d'une "révolution des ratés"), étaient
bien décidés à régler des comptes
partisans.
On
commença par épurer, de façon arbitraire,
l'administration, mais Vichy fit, dans un premier temps, un usage
relativement modéré de ce système dit "des
dépouilles". Ce qui est plus caractéristique,
c'est l'acharnement mis à poursuivre des ennemis politiques,
qui se trouvaient être de surcroit les bêtes noires
du Reich. L'Acte constitutionnel no 5 du 30 juillet 1940 créait
une "Cour suprême de justice" chargée de
juger "les ministres, les anciens ministres ou leurs subordonnés
immédiats civils ou militaires, accusés d'avoir
commis des crimes ou délits dans l'exercice ou à
l'occasion de leurs fonctions ou d'avoir trahi les devoirs de
leur charge". On ne traina pas : convoquée à
Riom le 2 août, installée le 8, la nouvelle Cour
rassemblait la fine fleur de la magistrature, un corps qui, en
majorité, ne brilla guère _ c'est le moins qu'on
en puisse dire _ par son courage politique. Elle devait s'occuper
des "actes qui ont concouru au passage de l'état de
paix à l'état de guerre avant le 4 septembre 1939".
Cela revenait à rendre la France responsable du déclenchement
de la guerre. Pour éviter de mettre en difficulté
les "grands chefs", y compris qui vous savez, les magistrats
firent partir les investigations de juin 1936. Avec diligence,
en novembre, la Cour faisait écrouer Léon Blum (pour
"avoir trahi les devoirs de sa charge"), Daladier et
Gamelin. Entre-temps, le gouvernement avait déjà
fait mettre en résidence surveillée Reynaud, Mandel,
Auriol, Marx Dormoy, Jules Moch...
PLUS
silencieusement, mais méthodiquement, était poursuivie
la lutte anticommuniste, qui n'étonnera guère. Le
régime aggrava l'arsenal juridique forgé sous Daladier,
et nombre d'hommes et de femmes soupçonnés d'appartenir
encore au PCF interdit furent placés, sur arrêté
discrétionnaire du préfet, dans des "centres
de séjour surveillé". A Paris, dans le seul
mois d'octobre, un coup de filet (rendu plus aisé par la
tactique semi-légale préconisée dans l'été
par le parti) faisait "tomber" _ avec la bénédiction
des autorités d'occupation _ 210 responsables syndicalistes
et anciens élus.
Rétrospectivement,
l'ardeur mise à pourchasser les francs-maçons surprend.
Dans l'imaginaire de leurs adversaires, les loges fomentaient
un complot permanent, aux ramifications internationales. On leur
attribuait une solidarité, un pouvoir et une extension
démesurée, parlant de 100 000 à 150 000 frères
initiés (on établira 170 000 fiches de " suspects
"), ce qui est fort exagéré, puisque, selon
des sources fiables, les deux principales obédiences regroupaient
en 1939 45 000 frères : 29 000 pour le Grand Orient de
France, 16 000 pour sa rivale, la Grande Loge de France (ajoutons
le Droit humain, avec 3 000 membres, et 1 500 maçons de
la Grande Loge nationale française). Les francs-maçons
avaient beaucoup d'ennemis : bien des catholiques voyaient encore
en eux les instigateurs de la Révolution française
; une partie de la classe politique un Etat dans l'Etat, surtout
la droite conservatrice, qui faisait du Grand Orient le vivier
de la gauche non communiste. Le pouvoir économique et social
qu'on leur attribuait avait suscité le mythe étonnant
de la Synarchie d'Empire, organisation maçonne souterraine
qu'on disait acoquinée à de grandes banques.
LA
loi du 13 août interdisait les " associations secrètes
" et obligeait " les fonctionnaires et agents de l'Etat
à souscrire une déclaration à leur sujet
". Et si, dans le texte, la franc-maçonnerie, curieusement,
n'était jamais nommée, six jours plus tard un décret
constatait " la nullité du Grand Orient de France
et de la Grande Loge de France ". L'exposé des motifs
arguait que les sociétés secrètes, où
étaient entrés nombre de fonctionnaires, menaçaient
le redressement national. Un service des " sociétés
secrètes " fut confié à Bernard Fay,
spécialiste de la Révolution, professeur au Collège
de France.
C'est
une des mesures où l'influence de Maurras a été
la plus sensible. Dans la Seule France, publiée en 1941,
il dénonce la franc-maçonnerie comme le complot
" [...] le plus dangereux de tous, puisque c'est dans la
Loge que se syndiquent tout ce que la synagogye et le monde métèque
comptent de moins français ". Et Raphaël Alibert,
un maurrassien inconditionnel, fut l'un des rédacteurs
de la loi. Mais ne négligeons pas le poids de Philippe
Pétain, notoirement anti-maçon, auquel on prête
ce propos significatif : " Un juif n'est jamais responsable
de ses origines, un franc-maçon l'est toujours de son choix.
"
Il
est difficile de savoir comment l'ensemble des francs-maçons
réagirent. Notons seulement que, le 7 janvier 1941, six
francs-maçons fondent un " Grand Conseil provisoire
de la maçonnerie française ", pour aider à
la libération du territoire, restaurer les institutions
républicaines, reconstruire sans distinction d'obédience
la franc-maçonnerie française. Cette survivance
fut une des raisons invoquées par Vichy pour durcir ses
textes en août 1941, assimilant les anciens dignitaires
aux juifs et les déclarant interdits dans la fonction publique.
Cette
loi, comme la quasi-totalité de celles du premier Vichy,
a été prise spontanément. Mais les services
d'Otto Abetz s'intéressaient de près aux francs-maçons
(les nazis avaient liquidé les loges allemandes).Et l'ambassade
d'Allemagne donna tout son appui à Jacques de Lesdain (un
journaliste collaborationniste) pour organiser l'exposition "
La franc-maçonnerie dévoilée ", précisant
que " les otages pris parmi les francs-maçons de haut
grade serviront à d'éventuelles représailles
pour le cas où le baron de Lesdain [...] serait abattu
". L'exposition, dont l'entrée était gratuite,
s'ouvrait au Petit Palais en octobre, avant de circuler dans les
villes de la zone du nord. Elle rencontra un grand succès
de curiosité : on y exhibait meubles, costumes, instruments
rituels confisqués dans les loges, plus un squelette figurant
parfois dans le " cabinet de réflexion " où
se recueillait le futur apprenti. On y vendit bien un " Petit
Bottin des membres de la Confrérie ".
LE
thème de " la collusion judéo-maçonnique
" faisait tout autant des juifs une armée souterraine,
innombrable. En fait, on dénombrait, en 1939, environ 300
000 juifs, dont 200 000 établis à Paris. L'antisémitisme
en France n'était pas nouveau : au vieil antisémitisme
catholique (celui du " peuple déicide ") s'était
ajouté vers 1890 un antisémitisme populaire aux
accents anticapitalistes, en même temps qu'une campagne
permanente de la droite extrême qui présentait le
juif comme intrinsèquement déraciné, germe
dissolvant de la communauté française. Après
la relative accalmie des années 20, la crise relançait
la xénophobie dans nombre de milieux, depuis que 150 000
juifs venus d'Europe centrale avaient choisi la France comme terre
d'asile. En 1939, la communauté juive était particulièrement
vulnérable, parce que l'opinion était globalement
indifférente à la résurgence de l'antisémitisme,
et parce qu'elle était, elle-même, extrêmement
divisée (les immigrés récents, souvent pauvres,
reprochant aux juifs installés d'être déjudaisés
et de faire bien peu pour eux).
L'occupant
laissa agir Vichy à sa guise, tout en superposant pour
la zone nord une législation similaire à celle des
pays occupés de l'ouest de l'Europe : expulser le maximum
de juifs, ficher les autres, tout en s'emparant de leurs biens
(la " solution finale " n'étant pas, à
proprement parler, programmée). L'ordonnance allemande
du 27 septembre 1940 interdisait aux juifs réfugiés
de revenir en zone nord, obligeaient ceux qui étaient restés
à se faire inscrire dans une sous-préfecture et
imposait aux détenteurs ou aux propriétaires de
désigner leurs commerces comme " entreprise juive
". Une deuxième ordonnance, du 18 octobre, plaçait
toutes les entreprises classées juives, que leurs propriétaires
aient ou non fui en zone sud, entre les mains de commissaires-administrateurs
: c'était l'aryanisation.
C'est
sur un tout autre terrain que se placent les hommes de Vichy.
Une bonne partie d'entre eux étaient banalement et foncièrement
antisémites. Reconnaissant incidemment que les Français
" israélistes " (installés depuis des
générations en France) étaient parfaitement
intégrés et assimilés (et de fait beaucoup
de ces " israélites " étaient très
attachés à l'assimilation française), ils
ne pouvaient admettre qu'ils puissent oeuvrer comme les descendants
des " Gallo-Romains ". A fortiori, ils voulaient se
débarrasser des juifs étrangers, les pires des "
métèques ", comme " fauteurs de guerre
". Ils entendaient mettre en oeuvre un antisémitisme
d'Etat, dont ils diront _ plus tard _ qu'il n'avait rien à
voir avec l'antisémitisme de peau. Cet antisémitisme
d'exclusion (et non d'extermination), fondé sur l'Histoire
(et non sur la biologie), servirait de pierre de touche au ressourcement
national.
Une
mesure significative fut prise le 7 octobre 1940, abrogeant le
décret Crémieux, qui, en 1870, avait octroyé
la nationalité française aux " juifs indigènes
de l'Algérie " : on retirait donc leur statut de citoyen
français à des gens qui l'étaient depuis
soixante-dix ans et à leurs descendants.
La
" loi portant statut des juifs ", prise le 3 octobre
1940, était la pièce maitresse du dispositif. Elle
commence par une définition de la judaité : "
Est regardé comme juif, pour l'application de la présente
loi, toute personne issue de trois grands-parents de race juive
ou de deux grands-parents de la même race, si son conjoint
lui-même est juif ". Le critère choisi est racial
(et comment le définir juridiquement ?) alors que pour
l'occupant lui-même " sont reconnus comme juifs ceux
qui appartiennent ou appartenaient à la religion juive
". Et, en ajoutant le cas de figure du conjoint, d'ailleurs
parfaitement illogique, Vichy étendait la qualification.
Etaient
interdits aux juifs tous les mandats électifs, les fonctions
de ministres et de chef de l'Etat (et ceux qui étaient
en poste devaient démissionner dans les deux mois) ; l'accès
aux grands corps, au poste de gouverneur des colonies, aux directions
des ministères, à la magistrature, l'armée,
l'enseignement ; les professions qui avaient à faire avec
l'opinion publique : la presse, l'édition (à l'exception
des " publications à caractère strictement
scientifique "), la radio, le cinéma, le théâtre.
Que leur restait-il ? Les anciens combattants de la Grande Guerre
ou ceux qui avaient été cités dans la campagne
de 40 pouvaient postuler aux postes subalternes de la fonction
publique ; aux autres, il restait les " professions libres
" (entendons commerciales) et les professions libérales
(sauf si s'imposait l'" élimination de juifs en surnombre
"). Devenus des citoyens de deuxième, voire de troisième
zone, les juifs verront leur sort aggravé par la loi du
2 juin 1941.
Quant
aux juifs étrangers, plus encore que les autres étrangers
ils étaient en danger. Le 22 juillet, une commission était
chargée de réviser les acquisitions de la nationalité
française depuis la loi (libérale) du 10 août
1927. Elle devait revenir sur 15 000 nationalisations, dont à
peu près 6 000 de juifs. Les menaces qui planaient sur
ces derniers se précisaient le 4 octobre avec la "
loi sur les ressortissants étrangers de race juive "
qui donnait un pouvoir discrétionnaire au préfet
pour leur " assigner une résidence forcée "
et, pis encore, les " interner dans des camps spéciaux
". Des dizaines de milliers de familles allaient être
internées dans les camps de Gurs, d'Argelès, du
Vernet, de Rivesaltes, de Rieucros, des Miles..., où les
conditions de vie étaient tellement déplorables
qu'on y mourut de maladies de carence et d'absence de soins, et
où la police de Vichy viendra les reprendre pour les livrer
aux nazis lors des rafles de l'été 1942.
A
la Libération, les pétainistes plaideront que les
mesures prises l'étaient pour prévenir la répression
nazie. C'est parfaitement faux. Plus stimulante est la thèse
qui entend montrer que la Troisième République avait
préparé le terrain. Assurément en 1934-1935,
puis en 1938-1939, des mesures réglementaires ou législatives
ont été prises contre les étrangers (ainsi,
les médecins ou les avocats naturalisés ne pouvaient
exercer immédiatement). Mais la plupart d'entre elles,
à visée policière, étaient avant tout
dirigées contre la " cinquième colonne ".
Le projet de Vichy, lui, global, fut tout autre : par rapport
à l'avant-guerre, c'est une différence de nature
_ et non pas de degré. Certains insistent aussi sur le
poids de l'opinion, mais les rapports des préfets la montrent,
dans l'automne 1940, plutôt indifférente.
Inversement,
des auteurs de plus en plus nombreux (qu'on dénommera,
dans le jargon des historiens, des " intentionnalistes ")
cherchent à établir un lien de causalité
directe entre les mesures prises en 1940 et l'extermination des
juifs de France dans les camps de la mort. On se défiera
de tout anachronisme. A Vichy, certains faisaient discrètement
(les milieux collaborationnistes parisiens ouvertement) état
d'un antisémitisme de peau. Reste que la politique officielle,
qui est bien dans la logique de la Révolution nationale,
est l'antisémitisme d'Etat. Le drame pour les juifs est
qu'en cherchant à régler ses comptes partisans Vichy
allait mâcher le travail de l'occupant, sans chercher vraiment
à lui tenir tête, après que fut enclenché
l'engrenage de la solution finale. L'obsession des menées
judéo-maçonniques, puis judéo-bolcheviques,
doublée d'une indifférence teintée d'hostilité
à l'égard de " métèques ",
feront de ces parias, en 1942, les objets d'un marchandage abominable.
Tous
ces exclus de Vichy, les juifs, bien sûr, mais aussi les
prisonniers politiques, les communistes (ils seront progressivement
livrés à l'occupant, et ceux qui étaient
internés serviront d'otages), les francs-maçons
(environ 6 000 furent inquiétés), ont été
les victimes, directement ou indirectement, d'hommes qui ont consciemment
inversé l'ordre des priorités : ceux qui se prétendaient
nationalistes ont lutté contre un prétendu ennemi
intérieur plutôt que contre l'occupant. Il leur faudra
à leur tour _ logiquement _ rendre des comptes de cette
perversion pourvoyeuse de pelotons d'exécution et de chambres
à gaz. >> par
Jean-Pierre, Azéma, © Le Monde du 26 Août 1989
Annuaire
"En pensant à ce personnage [Louki], je pensais un peu à moi.
Jeune, je songeais à tous ces gens qu’on croise
dans des lieux de passage, des gares ou des cafés, et
je trouvais dommage de ne pas pouvoir les répertorier,
pour garder une trace de leur passage*. C’est pour ça
aussi que j’ai toujours été fasciné par
les annuaires, par exemple : les gens y figurent et puis, l’année
d’après, ils disparaissent. La seule trace qui reste
d’eux, finalement, c’est cet annuaire." [Rencontre]
Patrick Modiano à l'occasion de la sortie de Dans le
café de la jeunesse perdue, MK2 diffusion, 24/01/2008
Annuaires
(Internet* et les )
"Cela fait un an et demi que j’ai effectivement découvert
Internet. Pour moi, cela ressemble à une fleur élevée
de manière artificielle, à un fruit mûri en
serre. J’ai besoin d’obstacles, de mystère,
il faut que les renseignements que je cherche soient difficiles
à trouver pour favoriser mon imagination. Alors, même
si la tentation est grande, j’essaie de résister
à Internet et de continuer à me plonger dans mes
annuaires." La
Tribune de Genève, entretien avec Pascale Frey, 27-02-10
Appel
(lancer un)
<< Le 15-28, c'est
le numéro d'amis que j'avais. Mais ces éléments
récurrents ne sont pas forcément autobiographiques.
Ils sont réels, mais ne renvoient pas toujours à
quelque chose de personnel. Parfois aussi je glisse des noms de
gens dans l'espoir enfantin qu'ils vont se manifester, des gens
dont je voudrais savoir ce qu'ils sont devenus. Comme une manière
de lancer un appel.>> Entretien
avec Maryline Heck, Magazine Littéraire, n° 490, octobre
2009
Après-guerre
"Quand on naît juste après la guerre, c'est assez bizarre.
Cela provoque des rencontres étranges qui ne se seraient pas faites
en temps normal. Ce sont des naissances un peu hasardeuses."
(Interview au Club
du Livre, Mai 2001)
arrière
(regard en)
<< Vous arrive-t-il de jeter
un regard en arrière et de vous interroger sur l'évolution
de votre oeuvre ?
Patrick Modiano. Me tourner en arrière, c'est quelque chose
que j'essaie d'éviter. J'ai peur de m'apercevoir que j'ai
toujours écrit* la même chose. Cela m'est arrivé,
en corrigeant un texte, de m'apercevoir que j'avais écrit
quasi exactement la même scène dans un livre précédent.
Certaines choses reviennent sans qu'on s'en rende compte. Je ne
voulais d'ailleurs pas trop m'en apercevoir, je ne voulais pas
trop approfondir cela, car ça risquait de me paralyser
: si je me disais que j'écrivais tout le temps la même
chose, alors je risquais d'arrêter d'écrire ! C'est
assez décourageant, quelque part. Mes textes me donnent
l'impression d'un kaléidoscope, avec toujours les mêmes
figures qui réapparaissent... J'avais l'impression, avec
chaque livre, de me débarrasser de quelque chose, de déblayer
quelque chose pour avoir le champ libre, pour écrire enfin
ce que je voudrais vraiment. Mais ça n'arrive pas. C'est
un peu comme le tonneau des Danaïdes. C'est une sorte de
fuite en avant qui n'en finit jamais. Une chose a changé,
c'est qu'au début c'était plus asphyxiant d'écrire.
Je n'arrivais pas à faire des blancs. Il n'y avait pas
d'espace, de respiration. J'étais dans une tension continue,
assez pénible, comme un voltage trop élevé.
Cela donne des livres assez courts, car c'était difficile
de tenir ça très longtemps. C'était lié
à l'âge. On est tributaire de l'âge auquel
on écrit. >> Entretien
avec Maryline Heck, Magazine Littéraire, n° 490, octobre
2009
Attentes
(...) quand on écrit. Il y a des attentes interminables...
On écrit pendant une heure et on ne fait rien le reste
de la journée, on rêve, on reste dans un état
d’attente. Quand j’entends des écrivains dire
qu’ils écrivent cinq heures par jour, ça m’a
toujours paru bizarre... On ne peut pas se concentrer très
longtemps. L’activité romanesque, c’est des
fragments mis bout à bout, comme le cinéma. Quand
j’ai commencé à écrire, je reculais
sans arrêt l’heure de travailler, comme dans la nouvelle
de Fitzgerald qui s’appelle l’Après-midi d’un
écrivain, où il recule sans arrêt l’heure
de travailler et finit par se soûler. (entretien
avec Catherine Deneuve, Les Inrockuptibles Festival
de Cannes 1997)
Michel
Audiard
"Beaucoup ignorent aussi votre amitié avec Michel
Audiard...
Il y a longtemps, pour des raisons matérielles, on s'est
retrouvés à travailler sur un projet de scénario,
qui ne l'intéressait pas plus que moi, un film sur Mesrine,
avec Jean-Paul Belmondo dans le rôle-titre. Mesrine, incarcéré
alors à la Santé, a appris l'existence de ce projet
et a envoyé une lettre à la production en disant
qu'il ne fallait pas mettre le mot "fin" car il risquait
d'y avoir des rebondissements (rires)... Ce film n'a jamais vu
le jour, mais nous sommes restés amis, Audiard et moi.
J'aimais bien son côté "enfant de Paris"..."
Entretien
avec Marianne Payot, Delphine Peras, "Je suis devenu comme
un bruit de fond", l’Express, 04/03/2010
L'Autobiographie
par Natacha Allet & Laurent Jenny (2005).
Cours en ligne,Université de Genève.
L'autoportrait, Natacha
Allet (2005).
Cours
en ligne,Université de Genève.
Autobiographie
1.
Autobiographie, une
définition
« récit rétrospectif en prose qu’une personne réelle
fait de sa propre existence, lorsqu’elle met l’accent sur sa vie
individuelle, en particulier sur l’histoire de sa personnalité» Philippe
Lejeune dans Le Pacte autobiographique (1975)
2.
Perpétuelle question : la part autobiographique dans l'œuvre
? PM a souvent affirmé qu'il se sentait mal à l'aise avec ce
qui est purement autobiographique, trouvant même le ton autobiographique
comme figé, lui préférant alors la fiction pour la liberté qu'elle
favorise.
« J'ai bien essayé d'abandonner la fiction, dit-il, mais ça
ne résout rien. J'ai l'impression d'être prisonnier du "je" vague
et répétitif que j'utilise depuis mes premiers romans, qui ne sont
d'ailleurs pas vraiment des romans. Je suis incapable d'écrire directement
une autobiographie, alors c'est comme si je rédigeais la novellisation
du film de ma propre vie. J'éparpille mes souvenirs ici et là,
je recolle sans cesse des lambeaux de réalité, rien que des lambeaux,
je cherche l'angle pour attaquer la vérité de front, pour affronter
le passé en face, mais je n'y arrive pas, je tourne en rond. »
Titre de l'article, Une Jeunesse, à propos
du livre "Des inconnues", Nouvel Observateur, 28-01-1999.
3.
<< [il n'est] pas aisé de démêler
l’écheveau complexe des « écritures
de soi », selon la formule qui tend, au risque d’une
moindre précision dans la terminologie, à s’imposer.
Cette dilution du terme n’est pas indifférente ;
si la chose prolifère, le mot, lui, est devenu suspect
: on ne parle plus guère d’autobiographie. Les écrivains
qui la pratiquent préfèrent en inventer d’autres
: autofiction (Serge Doubrovsky), automythobiographie (Claude
Louis-Combet), autobiogre (Hubert Lucot), otobiographie et circonfession
(Jacques Derrida), curriculum vitae (Michel Butor), prose de
mémoire (Jacques Roubaud), nouvelle autobiographie (Alain
Robbe-Grillet), égographie, etc., quand il ne s’agit
pas de la paradoxale autobiographie d’un autre (Pierre
Pachet, Autobiographie de mon père)… Sans compter
les Antimémoires (Malraux) ou les Antibiotiques (autour
de Perec).>> Par Dominique VIART in, "Un
genre impossible", Université de Lille CEREN-CNDP
http://www.cndp.fr/revueTDC/884-73409.htm
4.
" L'entreprise
autobiographique m'a toujours paru une sorte de leurre, sauf
si elle a une dimension poétique comme Nabokov l'a fait dans Autres
rivages. Le ton autobiographique a quelque chose d'artificiel
car il implique toujours une mise en scène. Pour moi, c'est plutôt
une entreprise artistique, une mise en forme d'éléments dérisoires. " Laurence
Liban, Lire, octobre 2003 à l'occasion de la publication de Accident
nocturne, roman, 2003
5.
(...)
l’autobiographe trie, élimine, imagine, réinvente,
spécule sur son propre passé. Il introduit de la
logique là où règne le hasard ; il enjolive
– esthétise son propos –, dramatise, force
le trait. Son texte est troublé d’autres enjeux (un
plaidoyer pro domo comme chez Rousseau) ; il ne cesse d’être
contaminé par la fiction : si les exigences propres à
l’écriture ne l’y contraignaient pas, ce seraient
les vicissitudes de la mémoire auxquelles il faut suppléer.
Ou les réserves morales, les troubles de l’inconscient,
enfin l’incapacité même dans laquelle se trouve
tout un chacun de se connaître vraiment. L’autobiographie
ne présente jamais un homme dans sa vérité
objective, mais simplement tel qu’il s’imagine. Nathalie
Sarraute, qui se méfie du genre, explique : « Ce
qui m’intéresse quand je lis les vraies autobiographies,
c’est de me dire “ah bon, c’est comme ça
qu’il voulait qu’on le voie”. » Dominique
VIART in, "Un genre impossible", Université de
Lille CEREN-CNDP, http://www.cndp.fr/revueTDC/884-73409.htm
6.
Nouvel Observateur. - De «Un pedigree», paru en 2004,
vous dites que vous l'avez écrit «comme on rédige
un constat ou un curriculum vitae, à titre documentaire
et sans doute pour en finir avec une vie qui n'était pas
la (vôtre.)» Vous y réglez vos comptes, tardivement,
avec votre père. Vous y évoquez, en deux lignes,
la mort de votre frère Rudy. Est-ce que ce livre vous a
changé, vous a libéré d'un poids trop lourd
?
Patrick Modiano. - Je suis très partagé. Car, si
je me suis en effet débarrassé de choses qui m'encombraient,
je n'ai pas écrit, avec «Un pedigree», le livre
que j'aurais voulu écrire, je n'ai pas été
capable de faire ce qu'on appelle une autobiographie.
Comment vous dire? A l'exception des deux lignes sur mon frère,
je me sens presque étranger à celui qui raconte
sa jeunesse.
J'envie les écrivains qui sont en symbiose avec eux-mêmes,
qui ont la chance d'avoir de la sympathie pour eux-mêmes.
Ce c'est pas mon cas, malheureusement. Sans doute parce que j'ai
le sentiment trouble que je ne suis pas responsable de ma vie,
comme un chien n'est pas responsable de son pedigree. Elle m'a
été imposée, voilà tout, j'y suis
en partie étranger. D'où le ton du livre. J'aurais
tellement aimé raconter une enfance heureuse avec des parents
harmonieux... Entretien
avec Jérôme Garcin, Le Nouvel Observateur",
27 septembre 2007
7.
"Le genre autobiographique m'a toujours gêné car
on ne peut s'empêcher de prendre une sorte de « ton
autobiographique ». Comme on divulgue des choses assez
intimes, on les réinterprète et on risque de
mentir. Sauf quand vous êtes en harmonie avec votre enfance
: dans l'élégie, il peut y avoir quelque chose
d'assez bouleversant comme l'a fait Nabokov. Pour « Un
pedigree »,
c'était différent : je voulais me débarrasser
d'un certain nombre de choses qui m'avaient fait du mal. J'ai
voulu dire que je m'en désolidarisais. Ensuite seulement
je me suis aperçu que c'était une entreprise
littéraire,
et que ça se raccordait avec tous mes autres livres." Entretien
avec Christophe Ono-dit-Biot , 27/09/2007, à l'occasion
de la parution de Dans le café de la jeunesse perdue,- © Le
Point N°1828-
8.
"Ma démarche n'est pas d'écrire pour essayer
de me connaître moi-même ni de faire de l'introspection.
C'est plutôt, avec de pauvres éléments de
hasard: les parents que j'ai eus, ma naissance après la
guerre..., trouver un peu de magnétisme à ces éléments
qui sont sans intérêt en eux-mêmes, les réfracter
à travers une sorte d'imaginaire. L'entreprise autobiographique
m'a toujours paru une sorte de leurre, sauf si elle a une dimension
poétique comme Nabokov l'a fait dans Autres rivages. Le
ton autobiographique a quelque chose d'artificiel car il implique
toujours une mise en scène. Pour moi, c'est plutôt
une entreprise artistique, une mise en forme d'éléments
dérisoires." a propos de Livret de famille, source
inconnue.
9.
Autobiographie
<< J’ai employé un processus de mythomanie
qui permet de mélanger réalité et fiction.>>
Magazine littéraire, novembre 1969
; << C’est moi, mais a travers une autobiographie
rêvée.>> Lire, octobre 1975;
<< Assez d’autobiographie romancée ! >>
Le Point, 3 janvier 1983
Autobiographie
/ Imaginaire*
"Il
ne s'agit jamais pour moi de me plonger de façon narcissique
dans mon enfance. Je n'écris pas pour parler de moi ou
essayer de me faire comprendre. Ni pour reconstituer les faits.
Il n'y a aucun désir d'introspection. Non, j'ai juste été
marqué durant l'enfance par une atmoshère, un climat,
parfois des situations, dont je me suis servi pour écrire
des livres. Mais en quittant le plan autobiographique pour me
situer sur celui de l'imaginaire, du poétique, avec quelques
événements de mon enfance pour matrice. Des choses
parfois dérisoires, insignifiantes, sans doute pas si mystérieuses,
au fond." Télérama. Entretien
avec Nathalie Crom, 1/10/2014
Autobiographie* et Pedigree 1
"La
parution et le succès d'Un pedigree ont-ils changé
beaucoup de choses en vous ?
P.M. On pouvait classer ce livre du côté des autobiographies
- c'est d'ailleurs ce que l'on a fait - mais j'ai toujours eu
l'impression que ce livre se rattachait aux romans. En fait, la
perspective de l'autobiographie m'a toujours perturbé.
Dans Un pedigree, je ne racontais pas une vie, la mienne. Je parlais
de choses qui m'avaient été imposées. Ce
n'est pas la même perspective, vous comprenez. Je parlais
de choses qui m'avaient fait souffrir mais qui m'étaient
étrangères, qui ne m'étaient pas intimes.
Bien sûr, il s'agissait de mes parents. Mais ces choses
m'avaient été imposées par eux et étaient
presque comme des corps étrangers. J'ai écrit ce
livre pour me débarrasser de ces éléments
étrangers, pas pour raconter ma vie. Le pedigree, comme
pour les chiens ou les chevaux, renvoie aux choses dont nous ne
sommes pas responsables : nos parents, par exemple. Mais ce livre
ne relevait absolument pas d'une démarche pour essayer
de me comprendre moi-même. J'ai toujours trouvé qu'il
y avait quelque chose d'un peu faux dans l'autobiographie. Un
ton qui est toujours faux. On se met toujours en valeur. Ou bien
on oublie beaucoup de choses, ou on les cache... L'autobiographie
m'a toujours paru bizarre. Suspecte. On pourrait d'ailleurs faire
un pastiche des différentes formes d'autobiographie. J'ai
aimé en lire mais il y a toujours une forme de mensonge.
Il y a là une sorte d'impudeur. On ment parfois par omission,
ou en présentant les choses sous un angle qui n'est pas
celui de la vérité mais de la trahison. Tout cela
est un peu bizarre. Un pedigree n'était pas une autobiographie
mais le récit de choses qui m'avaient fait souffrir tout
en m'étant étrangères. Ce qui m'émeut,
dans les grandes autobiographies, celles des Russes ou des Anglais,
c'est qu'ils parlent tous de leur enfance comme d'un Eden perdu
; or, pour moi, l'enfance fut tout à fait autre..."
"Mon Paris n'est pas un Paris de nostalgie
mais un Paris rêvé" entretien avec François
Busnel (Lire), 04/03/2010
Autobiographie*
et Pedigree 1
- Dans votre oeuvre, seul Un Pedigree relève strictement
de l'autobioraphie ?
PM
- "Oui, on peut considérer les choses
ainsi. Pourtant, bizarrement, c'est un livre où je ne parle
pas de choses ou de gens très intimes. En fait, j'ai écrit
livre pour me délester de ce qui m'avait été
imposé dans la vie : mes parents, les personnes qu'on a
autour de soi lorsqu'on est enfant ou adolescent, qu'on n'a pas
choisies mais qui sont là et vous contraignent ou vous
pèsent. Je voulais vraiment m'en débarrasser, comme
on le fait d'un corps étranger. Je l'avais écrit
après avoir lu un ouvrage où il était question
de moi, qui comportait beaucoup d'inexactitudes. J'avais décidé
à titre documentaire et à mon seul usage, de dresser
une sorte de memorandum, très factuel et très précis,
de mon enfance et de mon adolescence. Au bout de dix ans, je l'ai
retravaillé pour qu'il soit publié. Ca a donné
ce livre lapidaire, sommaire, Un pedigree, qu'un temps
j'ai regretté d'avoir publié, justement à
cause de ce côté factuel et autobiographique. Puis
il s'est passé un phénomène bizarre : ce
livre a été comme aspiré par mes autres livres,
il ne s'en dissociait pas, il était comme un squelette
de mes autres livres." Télérama
Entretien avec Nathalie Crom, 01-10-2014.
Autobiographie*
et Pedigree 1
<< - Pour beaucoup, Un pedigree a marqué un tournant
dans votre oeuvre : vous publiiez pour la première fois
un livre strictement autobiographique, dans lequel vous révéliez
frontalement certains éléments de votre vie qui
n'apparaissaient que de façon détournée dans
vos romans... On aurait pu penser que ce texte marquerait la fin
de ces travaux de déblaiement que vous évoquiez
au début de notre entretien, qu'enfin le champ serait libre...
PM - J'aurais pu croire que la boucle était bouclée,
que je m'étais débarrassé de certaines choses,
mais l'idée qu'on pourrait passer à autre chose
est un peu une illusion. On est prisonnier de son imaginaire,
comme on est prisonnier de sa voix. C'est ça qui est terrible.
J'ai toujours l'impression d'écrire le même livre.
Un pedigree lui-même se réfracte sur les autres ;
et il n'a d'ailleurs d'intérêt selon moi que par
renvoi aux autres livres. Ce que j'évoque dans Un pedigree,
ce sont des choses qui m'ont pesé mais qui ne me concernaient
pas en profondeur. J'ai regretté de ne pas avoir pu écrire
un livre dans lequel j'aurais parlé d'une enfance harmonieuse,
comme je l'avais aimé chez certains écrivains russes.
Ainsi Autres rivages de Nabokov, où l'enfance est une sorte
de paradis perdu. C'est dommage. J'aurais aimé écrire
quelque chose d'élégiaque, d'émouvant...
- Est-ce que ce livre marque pour vous la fin de l'écriture
autobiographique ?
PM - Oui, parce que l'écriture autobiographique m'a toujours
embêté. Si vous voulez vraiment parler de choses
intimes qui vous concernent, c'est un peu délicat... Il
y a pour moi un ton autobiographique qui n'est jamais tout à
fait juste. Pour Un pedigree, c'était facile car je parlais
de choses dont je voulais me débarrasser. Mais, si on veut
vraiment entrer dans le vif du sujet, on est obligé de
parler de choses très intimes, de gens qui ont été
mêlés à votre vie... Vous n'êtes pas
sûr que vous dites des choses vraiment justes sur eux. C'est
très périlleux, il y a toujours des oublis, volontaires
ou involontaires. Certaines autobiographies m'ont plu, comme Autres
rivages, ou Le Bruit du temps de Mandelstam. Mais ça m'a
toujours fait un peu sourire, quelque part. Il y a un côté
presque ridicule, chez les hommes surtout... une manière
de se donner le beau rôle. Je pense que je n'arriverais
pas à trouver le ton juste si j'écrivais une autobiographie.
Bizarrement, j'ai eu l'impression de m'approcher plus de ma propre
vie dans la fiction.
>>Entretien avec Maryline Heck, Magazine Littéraire,
n° 490, octobre 2009
Autobiographie
(écrire sa propre)
<<
(...) je crois qu’il est difficile d’être son
propre biographe. L’entreprise autobiographique entraîne
de grandes inexactitudes puisque l’on pèche souvent
par omission, volontairement ou non. Et même si l’on
cherche à être exact et sincère, on est condamné
à une «posture» et un ton «autobiographique»
qui risquent de vous entraver. Je crois que pour en faire une
œuvre littéraire, il faut tout simplement rêver
sa vie – un rêve où la mémoire et l’imagination
se confondent. >> Entretien
publié sur le site des éditions Gallimard,
octobre 2014
Autofiction
L’appellation est employée pour la première
fois par Serge Doubrovsky, en 1977, pour caractériser
son roman, Fils. Il s’agit d’une fiction,
d’événements
et de faits strictement réels. Deux conditions doivent être
remplies pour que le texte satisfasse aux critères de
l’autofiction : "le
livre doit être clairement
désigné comme ‘roman’, c’est-à-dire
comme histoire feinte ou fictive, et le même nom, de préférence
conforme à l’état-civil, doit désigner l’auteur,
le narrateur, le protagoniste." Publié la même année
que Fils, Livret de famille répond parfaitement à ces
principes de composition selon les commentaires critiques. Baptitste
Roux, Une Occupation revue par les lois de l’autofiction.
L'Autofiction en question
Plusieurs études universitaires permettant
de comprendre ce concept. Et en particulier
: Une
Occupation revue par les lois de l’autofiction
(Autofiction) V. COLONNA"Défense et illustration du roman autobiographique", à propos du livre de Philippe Gasparini, Est-il Je ? Roman autobiographique et autofiction, Paris, Le Seuil, coll. "Poétique ", mars 2004
(Autofiction) Philippe Forest, entretien avec Audey Cluzel à propos de son ouvrage : Le Roman, le Je, Pleins feux éd, 2001
<< L’autofiction, c’est tout simplement l’autobiographie soumise au soupçon. Au soupçon, c’est-à-dire au questionnement lucide de la conscience critique. Quiconque raconte son existence la transforme en roman et pénètre ainsi dans le domaine enchanté de la fable. On croit dire le vrai de sa vie et, dès que l’on y réfléchit, on s’aperçoit que tout récit, même le plus intime, a forme obligée de fiction. Chaque épisode vécu se configure spontanément selon les règles qui régissent le grand domaine imaginaire des contes, des épopées, des tragédies, des romans. “La vérité a structure de fiction” disait Jacques Lacan.
En conséquence, si la vérité est fiction, tout écrivain digne de ce nom comprend qu’il faut à la fiction se redoubler, devenir fiction d’elle-même pour espérer reconduire auteur et lecteur vers le lieu éventuel de la vérité. Au nom d’une exigence absolue de sincérité, l’autobiographie croit pouvoir répudier toutes les ressources du romanesque auxquelles elle ne cesse pourtant d’avoir recours. Ce sont ces mêmes ressources que l’autofiction mobilise. Car toute vie, en vérité, est un roman. Et en conséquence, seul le roman sait dire la vie.
(...)
Audrey Cluzel - Autofiction ou non, lorsqu’on revient à l’origine étymologique du mot "inventer", on rencontre cette définition : "trouver ce qui existe", peut-on, selon vous, rapporter l’écriture à une telle invention ?
PF- Oui, c’est parce qu’il y a toujours invention de soi, que l’autobiographie conduit nécessairement à l’autofiction. Mais je voudrais ajouter que cette invention est forcément inquiète. Il ne s’agit pas de proposer au lecteur la légende d’un devenir mais, comme je l’explique dans mon nouvel essai (Le Roman, le Je, Pleins Feux, 2001) l’expérience d’un “revenir”. Je veux dire qu’un écrivain est toujours quelqu’un qui s’en revient vers le récit de sa vie. Et que ce retour, comme l’expliquait Breton dans Nadja, il l’accomplit à la façon d’un fantôme attaché par le désir au spectacle du réel. En ce sens, il faut renoncer à toutes les illusions consolantes entretenues par la mythologie littéraire. On peut faire de sa vie un roman mais c’est un roman à l’intérieur duquel sa propre identité n’est jamais appréhendée qu’à la façon d’un mirage, d’une chimère, d’un mensonge.>>
L'autofiction
par Laurent Jenny (2003)
Cours
en ligne, Université de Genève
Autofiction,
à propos de Un Pedigree (réponse
à un jornalsite)
<<
-Plus on entre dans la lecture de ces souvenirs, plus la frontière
entre réalité et fiction semble s’abolir…
- Presque chaque paragraphe de ce livre peut se retrouver dispersé
dans mes autres livres, et "transposé" dans l’imaginaire.
Il suffit d’appuyer sur un bouton, comme sur un tableau
de commande.
-
Plus on entre dans la lecture de ces souvenirs, plus la frontière
entre réalité et fiction semble s’abolir…
- Presque chaque paragraphe de ce livre peut se retrouver dispersé
dans mes autres livres, et "transposé" dans l’imaginaire.
Il suffit d’appuyer sur un bouton, comme sur un tableau
de commande.>>
Autofiction
et JE*
- On a pu accoler à vos livres l'étiquette d'«
autofiction ». Est-ce une appellation que vous revendiqueriez
?
PM - Savoir si mes livres relèvent de l'autofiction, j'aurais
du mal à le dire. Il y a toujours ce manque de lucidité
sur ce qu'on écrit... Certes, mon narrateur parfois s'appelle
Patrick, Patoche, mais c'est une sorte de facilité. Il
y a Remise de peine, qui a une dimension autobiographique. Mais
j'utilisais le je avant tout parce qu'il me permettait de trouver
un ton, une forme. C'est ça qui est compliqué, quand
on écrit : trouver un ton. Je ne pourrais pas en tout cas
me servir de choses trop intimes de ma vie. Parce que c'est aussi
ça, l'autofiction... Doubrovsky avait sorti un livre dans
lequel il n'hésitait pas à se servir d'éléments
très intimes de sa vie, je trouvais ça un peu gênant.
Mes livres sont moins des autofictions que des rêveries
sur des éléments qui peuvent aussi être loin
de ma sphère personnelle. Le je que j'utilise, je n'ai
en général pas l'impression qu'il s'agit de moi.
Même dans Un pedigree, dans la mesure où j'y parlais
de choses qui m'étaient étrangères, vis-à-vis
desquelles je n'avais aucun sentiment, même quand elles
concernaient ma propre mère... Je voulais me débarrasser
de ces choses dans lesquelles je n'étais pas impliqué,
qui m'avaient fait souffrir mais qui n'étaient pas intimes,
personnelles. De choses intimes, je n'aurais pas pu en parler.
Entretien
avec Maryline Heck, Magazine Littéraire, n° 490, octobre
2009
Autofiction,
Bibliographie
-
Philippe LEJEUNE, Le
Pacte autobiographique, Seuil, 1975.
-
Serge DOUBROVSKY, " Autobiographie/vérité/psychanalyse ", L
'Esprit créateur, 1980.
-
Serge DOUBROVSKY, Fils,
Galilée, 1977.
-
Serge DOUBROVSKY, " L'initiative
aux maux : écrire sa psychanalyse", Confrontation,
1, 1979.
-
Serge DOUBROVSKY, Le
Livre brisé, Paris, Grasset, 1989.
-
Serge DOUBROVSKY, " Sartre
:autobiographie/autofiction ", Revue des Sciences
humaines: Le Biographique, n°22, 1991 -1994.
-
Serge DOUBROVSKY, Autobiographiques.
De Corneille à Sartre, PUF, 1988.
-
Serge DOUBROVSKY, Un
amour de soi, Hachette, 1982.
-
Vincent COLONNA, L'Autofiction
(essai sur la fictionnalisation de soi en littérature), thèse
inédite sous la direction de Gérard Genette, 1988.
-
Autofictions
et Cie, publié sous la direction de S. DOUBROVSKY,
J. LECABE, P. LEJEUNE, Centre de Recherches Interdisciplinaires
sur les textes modernes, Université Paris X, 1993.
-
Jean-François
CEANTARETTI, "Ecriture de son analyse et autofiction
: le 'cas' Serge Doubrovsky", De l'acte autobiographique,
Paris, Champ Vallon, 1995.
-
Thierry LAURENT, L
'oeuvre de Patrick Modiano une autofiction, PUF,
Lyon, 1997.
-
Marie MIGUET, " Critique/autocritique/autofiction ", Les
Lettres romanes, vol. XLIII, n°3, 1989.
-
Roland BARTHES, Barthes
par Roland Barthes, Seuil, 1975.
-
Gérard GENETTE, Fiction
et Diction, Seuil, 1991.
-
Antoine BLONDIN, Monsieur
Jadis ou l'école du soir, La Table ronde, 1970.
-
Revue CULTURES
EN MOUVEMENT - Sciences de l'Homme & Sociétés - Mensuel.
Aperçu du numéro 18 - Juin 1999. [ Format
Acrobat pdf ]
-
Jean-François
CHIANTARETTO (J.-F.), Ecriture de soi et psychanalyse,
L'Harmattan.
Autopacte,
site de Philippe Lejeune. Etudes sur l'autobiographie.
l'automne
N.O.- De l'automne, vous dites que ce n'est pas une saison triste:
«il y a de l'électricité dans l'air...»
P. Modiano.- Je ressens en effet l'été comme une
saison brutale, oppressante et métaphysique. Elle m'évoque
toujours les romans de Pavese. L'automne, en revanche, est celle
où, malgré les feuilles mortes et les jours qui
raccourcissent, tout paraît recommencer, tout devient possible,
tous les projets sont autorisés. Je ne l'éprouve
pas comme un moment de mélancolie, mais au contraire comme
un moment à la fois excitant et rassurant. L'automne ne
me donne jamais le cafard, il me donne envie d'écrire,
de partir à la recherche des points fixes comme d'autres
font des mots croisés. Entretien
avec Jérôme Garcin, Le Nouvel Observateur",
27 septembre 2007
Avant
garde
<<
- Vous avez commencé à écrire à
une période où la littérature se devait d'être
d'avant-garde. Vos livres pouvaient paraître singulièrement
décalés par rapport aux courants qui dominaient
alors, le Nouveau Roman, des groupes comme Tel quel ou Change...
PM - C'était
une période bizarre, quand j'avais 19-20 ans. Il y avait
la grande génération des années 1930 qui
continuait encore à publier, une très forte génération
littéraire française, les gens qui avaient eu 20
ans juste avant la guerre de 1914, ou un peu plus jeunes : Céline,
Malraux, Aragon, Montherlant... Il y avait encore ces grands dinosaures.
Sans parler de Michaux et de Queneau... Il y a eu ensuite Genet,
Duras, ces gens nés vers 1910. Puis toute la période
du Nouveau Roman. Mais les gens de ma génération,
ceux qui avaient 20 ans dans les années 1960, s'intéressaient
plus aux sciences humaines qu'à la littérature.
Donc je me sentais un peu en porte-à-faux. Je me sentais
évidemment plus proche de la génération des
années 1930. Mais je n'avais pas le souci de me positionner
dans le champ littéraire de l'époque. Le concept
de revue, de groupe, tel que le pratiquait Tel Quel par exemple,
me paraissait désuet : cela avait déjà été
fait avant, par les surréalistes, de façon plus
éclatante peut-être. Moi, je fonctionnais plus à
l'aveuglette. J'avais l'impression que j'étais un produit
étrange.>> Entretien
avec Maryline Heck, Magazine Littéraire, n° 490, octobre
2009
Une
Aventure de Choura (1986)
Aventure
de Choura (une) [1986],
illustrations de Dominique Zehrfuss Albums, Gallimard Jeunesse.
Résumé
de l'éditeur
Voici
Choura, labrador aux yeux bleus, qui s'ennuie chez ses maîtres
et qui est un chien romantique. C'est aussi un chien qui ne doute
de rien, et c'est pourquoi, probablement à cause d'un livre et
d'un film, sa vie prend une tournure à faire rêver tous les chiens
et les enfants, à partir de cinq ans.
Une aventure de Choura, Une fiancée* pour Choura
" En 1986 et 1987, Patrick Modiano, épaulé
par l’illustratrice qui le connaît le mieux, Dominique
Zehrfuss, publiait chez Gallimard deux albums pour enfants : Une
aventure de Choura et Une fiancée pour Choura. Ce sont
des albums paradoxaux comme l’album de Marguerite Duras
évoqué déjà ici. Patrick Modiano n’eût-il
été Patrick Modiano, aucun éditeur sensé
n’aurait édité ces deux livres. Non qu’ils
fussent mauvais ou simplement sans intérêt, mais
ils ne s’adressent assurément pas à qui ils
semblent être destinés.
Choura est un labrador aux yeux bleus, avec des grains de beauté
sur le visage. Il vit chez M. et Mme Vervekken, ses maîtres,
à Massy-Palaiseau. Ce sont de bons bourgeois, modernes
(à la Jacques Tati). Chez eux, il écoute l’adagio
d’Albinoni (sans se demander, comme un récent ministre
désarmé, qui en est le compositeur), et lit Le Mouron
rouge. Subjugué par ce livre, il écrit à
la baronne Orczy pour lui dire son admiration ; en retour elle
l’invite à Monte-Carlo, où elle réside,
pour en faire son secrétaire particulier. Ses nouvelles
fonctions consistent pour l’essentiel à lézarder
dans la piscine, à faire du ski nautique et à danser
lors de soirées pendant lesquelles la baronne et Porfirio
Rubirosa papotent.
Dans le deuxième album, la baronne emmène son secrétaire
particulier, Choura, aux sports d’hiver. A la patinoire,
Choura fait la connaissance de Flor de Oro, une jeune chienne
en vacances avec son maître. Les deux chiens se plaisent
et le maître de Flor de Oro propose à la baronne
de les fiancer. Il les embarque tous pour Santo-Rosario, l’île
dont il est président. Choura se prend à rêver
d’un jour lui succéder, pendant que la baronne écrit
un nouveau roman d’aventures.
"Je suis un chien qui fait semblant d'avoir un pedigree."
écrit Modiano dans Un Pedigree. L’image vient de
loin. Choura, le héros des ces deux aventures bien antérieures
est un chien anthropomorphe. Il marche sur les pattes arrières,
valse et s’initie au ski nautique. Il est allé à
l’école, fréquente seul les cinémas,
lit la baronne Orczy et apprend à taper à la machine.
De là à l’imaginer substitut de l’auteur…
Incontestablement la mythologie personnelle de Modiano affleure
dans ces petits textes. Rubirosa qu’on a croisé aussi
dans La place de l’étoile, Rue des boutiques obscures,
et Quartier perdu est la figure centrale des deux récits.
Dans le premier, il évoque les souvenirs de leur jeunesse
avec la baronne (au mépris de toute vraisemblance, 44 ans
les séparaient). Dans le second, la jolie fiancée
de Choura se prénomme Flor de Oro, comme la fille du dictateur
Trujillo, qu’épousa le séduisant Porfirio.
Rubirosa précédé d’une réputation
flatteuse (les maîtres d'hotel désigneraient de son
nom les moulins à poivre king size) épousa ensuite
Danielle Darrieux et on lui attribue des liaisons plus ou moins
longues avec Eva Peron, Ava Gardner, Rita Hayworth, Kim Novak,
Dolorès del Rio, Veronica Lake et Zsa Zsa Gabor. Une telle
conjonction d’actrices de cinéma de l’âge
d’or hollywoodien ne pouvait que fasciner Modiano, dont
la mère elle-même connut une petite carrière
cinématographique.
On voit que rien dans les thèmes ni dans les références
ne destine Une aventure de Choura et Une fiancée pour Choura
à de jeunes lecteurs. Néanmoins, ils demeurent,
à les relire vingt ans plus tard, pleins de charme. Et
si Dominique Zehrfuss n’égale pas Pierre Le Tan dans
la fusion avec le texte, son travail (qui rappelle un peu celui
de Régis Franc) convient tout à fait à l’atmosphère
déréalisée des deux récits de Modiano."
Blog in girus imun nocte et consomimur igni (http://ingirum.blogspirit.com/modiano_patrick/)
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