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Au Temps
Dictionnaire Patrick Modiano

Bernard Obadia

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B  D  E  F  G  H  I  J  K  L  M  N  O  P  Q  R  S  T  U  V  W  X  Y  Z 

B  D  E  F  G  H  I  J  K  L  M  N  O  P  Q  R  S  T  U  V  W  X  Y  Z

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Abandon
<<  En pension, j'ai connu beaucoup de garçons comme ça, abandonnés. Comme s'ils avaient été oubliés à la consigne. Je me souviens d'un garçon brésilien. Il était là depuis un an et jamais personne ne venait le voir. Il n'avait aucune nouvelle de qui que ce soit, le collège était obligé de le garder. Comme si ses parents avaient perdu le ticket de la consigne.>> Libération du 24/06/01

Attendre
<< -Elle est là, ce soir ?
-Non, monsieur.
-Vous ne savez pas quand elle reviendra ?
-Non. Elle va... Elle vient... Elle va...
-Et vous pensez qu’elle restera longtemps absente?
- Sait-on jamais monsieur [...]
Il avait croisé les bras sur le bureau et me considérait d’un oeil doux et pensif.
- Le mieux [...] c’est d’attendre... Il n’y a rien d’autre à faire que d’attendre... >> Vestiaire de l’enfance, p.143

Otto ABETZ

Otto ABETZ (1903-1958)
<< (...) Otto Abetz milite tôt dans les mouvements de jeunesse allemands. En 1930, il contacte à Paris Jean Luchaire, briandiste convaincu, animateur de Notre temps, où écrivent Pierre Brossolette et Jean Prévost. Des rencontres entre jeunes des deux pays s'ensuivent. En 1934, Abetz quitte son emploi de professeur de dessin à Karlsruhe pour un poste d'expert en questions françaises au bureau Ribbentrop. Tout en s'alignant sur la doctrine nazie, il cultive ses relations dans les cercles intellectuels parisiens. Fin 1935, le Comité France-Allemagne voit le jour. La séduction dont use Abetz touche ses limites en juin 1939 quand, perçu comme l'agent d'influence qu'il est, on le déclare persona non grata en France.
Nommé ambassadeur d'Allemagne en août 1940, il revient à Paris par la grande porte. Il veut rallier l'opinion française à la collaboration et manipuler en souplesse le gouvernement de Vichy, où Laval joue la carte allemande. L'ambassadeur tisse patiemment sa toile, y prenant syndicalistes, patrons, acteurs politiques et culturels. Le renvoi de Laval, le 13 décembre 1940, porte un coup à cette stratégie collaboratrice au plus haut niveau sans qu'Abetz relâche son jeu politico-culturel. Il touche à tout, apportant son concours à la Légion des volontaires français, demandant, de son propre chef, que les juifs des camps de la zone nord soient déportés vers l'Est.
Fin janvier 1942, ses bons et loyaux services lui valent d'être promu au rang SS de Brigadeführer, général de division. Ecouté des plus hautes instances nazies, il passe le plus clair de son temps à Berlin entre janvier et avril 1942. Ces longues escapades au coeur du dispositif de décision du IIIe Reich attestent le rang et l'influence du personnage. Elles sont aussi le signe d'une position qui se fragilise. Abetz voit, en effet, son étoile pâlir à Berlin. Cette éclipse tient au fait qu'il a manoeuvré pour le retour de Laval sans en avoir informé Ribbentrop. Ce dernier ne l'oubliera pas. Il a beau resserrer la collaboration avec Laval et aggraver la persécution antisémite en poussant à l'introduction de l'étoile jaune en zone occupée, son discrédit s'accentue.
Convoqué et retenu à Berlin à la fin de 1942, il ne regagne Paris qu'un an plus tard pour négocier dans une phase de tension extrême avec Vichy. Cette ultime tractation, par laquelle il obtient que Pétain et Laval restent en place, est son chant du cygne. Confiné après août 1944 dans la surveillance du gouvernement fantoche de Sigmaringen, il n'est plus qu'un ambassadeur in partibus pratiquant une caricature de collaboration. En décembre 1944, il est destitué non sans que Hitler lui décerne peu après une haute distinction. Arrêté en octobre 1945, il est jugé en juillet 1949 à Paris. Il a voulu, plaide-t-il, « limiter les dégâts dans la mesure du possible ». Son avocat ne convainc pas en arguant « qu'il n'était qu'un petit personnage dans la dépendance étroite de chefs puissants et féroces ». Condamné à vingt ans de prison, il rédige des Mémoires où perce une nostalgie irrépressible pour le régime nazi. D'actifs réseaux font campagne pour sa libération. En avril 1954, c'est chose faite. Jusqu'à sa mort accidentelle, en 1958, il tentera de réhabiliter son image. Laurent Douzou, Le Monde du 02-11-04.

 

La collaboration dans tous ses états (Otto Abetz et Robert Brasillach*), par Laurent Douzou
<< Deux ouvrages à caractère biographique reviennent sur la France de l'Occupation par le biais d'acteurs importants du versant le plus noir de son histoire, le diplomate allemand Otto Abetz et l'écrivain français Robert Brasillach. Le premier, oeuvre d'une historienne autrichienne, prend pour centre de gravité les années sombres, quand Abetz était à son zénith. Le second, qu'on doit à une universitaire américaine, place le curseur sur le début de l'année 1945, quand sonne l'heure des comptes pour Brasillach. Ces regards, à la fois savants et extérieurs, utiles pour dépasser nos débats franco-français, attestent aussi qu'a vécu la biographie classique, qui déroulait sans accroc le fil d'une vie dont tous les moments étaient équivalents.
Né en 1903, Otto Abetz milite tôt dans les mouvements de jeunesse allemands. En 1930, il contacte à Paris Jean Luchaire, briandiste convaincu, animateur de Notre temps, où écrivent Pierre Brossolette et Jean Prévost. Des rencontres entre jeunes des deux pays s'ensuivent. En 1934, Abetz quitte son emploi de professeur de dessin à Karlsruhe pour un poste d'expert en questions françaises au bureau Ribbentrop. Tout en s'alignant sur la doctrine nazie, il cultive ses relations dans les cercles intellectuels parisiens. Fin 1935, le Comité France-Allemagne voit le jour. La séduction dont use Abetz touche ses limites en juin 1939 quand, perçu comme l'agent d'influence qu'il est, on le déclare persona non grata en France.
Nommé ambassadeur d'Allemagne en août 1940, il revient à Paris par la grande porte. Il veut rallier l'opinion française à la collaboration et manipuler en souplesse le gouvernement de Vichy, où Laval joue la carte allemande. L'ambassadeur tisse patiemment sa toile, y prenant syndicalistes, patrons, acteurs politiques et culturels. Le renvoi de Laval, le 13 décembre 1940, porte un coup à cette stratégie collaboratrice au plus haut niveau sans qu'Abetz relâche son jeu politico-culturel. Il touche à tout, apportant son concours à la Légion des volontaires français, demandant, de son propre chef, que les juifs des camps de la zone nord soient déportés vers l'Est.

Fin janvier 1942, ses bons et loyaux services lui valent d'être promu au rang SS de Brigadeführer, général de division. Ecouté des plus hautes instances nazies, il passe le plus clair de son temps à Berlin entre janvier et avril 1942. Ces longues escapades au coeur du dispositif de décision du IIIe Reich attestent le rang et l'influence du personnage. Elles sont aussi le signe d'une position qui se fragilise. Abetz voit, en effet, son étoile pâlir à Berlin. Cette éclipse tient au fait qu'il a manoeuvré pour le retour de Laval sans en avoir informé Ribbentrop. Ce dernier ne l'oubliera pas. Il a beau resserrer la collaboration avec Laval et aggraver la persécution antisémite en poussant à l'introduction de l'étoile jaune en zone occupée, son discrédit s'accentue.
Convoqué et retenu à Berlin à la fin de 1942, il ne regagne Paris qu'un an plus tard pour négocier dans une phase de tension extrême avec Vichy. Cette ultime tractation, par laquelle il obtient que Pétain et Laval restent en place, est son chant du cygne. Confiné après août 1944 dans la surveillance du gouvernement fantoche de Sigmaringen, il n'est plus qu'un ambassadeur in partibus pratiquant une caricature de collaboration. En décembre 1944, il est destitué non sans que Hitler lui décerne peu après une haute distinction. Arrêté en octobre 1945, il est jugé en juillet 1949 à Paris. Il a voulu, plaide-t-il, « limiter les dégâts dans la mesure du possible ». Son avocat ne convainc pas en arguant « qu'il n'était qu'un petit personnage dans la dépendance étroite de chefs puissants et féroces ». Condamné à vingt ans de prison, il rédige des Mémoires où perce une nostalgie irrépressible pour le régime nazi. D'actifs réseaux font campagne pour sa libération. En avril 1954, c'est chose faite. Jusqu'à sa mort accidentelle, en 1958, il tentera de réhabiliter son image.

De fait, ce dignitaire du IIIe Reich, qui excella à porter les couleurs nazies en affectant de s'en distancier, conserve dans la mémoire collective les traits d'un diplomate distingué, marié à une Française, qui se serait efforcé d'atténuer les violences hitlériennes. L'ouvrage de Barbara Lambauer tord le cou à cette bluette en livrant toutes les pièces d'un dossier fort lourd. Elle prend ainsi le contre-pied d'Eberhard Jäckel, qui, dans La France dans l'Europe de Hitler, paru en 1968, avait campé Abetz en francophile et exécutant de second ordre. Elle y a eu d'autant plus de mérite qu'Abetz ayant été, par sa fonction, mêlé à toutes les facettes de la collaboration, le chantier était immense. Avec une fougue contenue et une expertise indiscutable, Barbara Lambauer ruine des représentations qui passaient du baume sur les plaies des mémoires allemande et française.

Avec pour toile de fond la même période et un même souci d'éclairer un destin individuel, l'ouvrage qu'Alice Kaplan, professeur de littérature à Duke University, consacre à Brasillach emprunte à une veine composite et plus intuitive. L'auteur rappelle, à grands traits et avec talent, le parcours de ce normalien devenu critique littéraire de L'Action française, puis rédacteur en chef de Je suis partout. Prisonnier de guerre en 1940, il est libéré en avril 1941 sur l'intervention d'Abetz. Le pamphlétaire devient un des hommes les plus en vue de la collaboration. Il s'en prend violemment aux juifs, aux caciques du Front populaire (avec une haine recuite contre Georges Mandel et Jean Zay, qui seront assassinés). Il vomit la République, «vieille putain agonisante, garce vérolée, fleurant le patchouli et la perte blanche». Mais le noeud du projet d'Alice Kaplan est de reconstituer le procès de Brasillach clos par une condamnation à mort exécutée le 6 février 1945. Elle s'intéresse donc à ses protagonistes, disséquant positions et itinéraires individuels du procureur général et de l'avocat de Brasillach, sondant les jurés. Pour évoquer ces seconds rôles négligés, l'auteur use de techniques à mi-chemin des approches historique et romanesque. Partie sur leurs traces avec de maigres indices, elle furète dans les archives privées et publiques, sollicite les souvenirs de leurs proches et sillonne leurs quartiers éventrés un peu à la façon du Modiano de Dora Bruder, du Rouaud des Champs d'honneur. De l'imprimeur d'Aubervilliers, de l'ingénieur de Saint-Maur, de l'employé de Villetaneuse, du technicien militant communiste, on saura finalement peu de choses. Reste le procès lui-même. Brasillach y tient la dragée haute à l'accusation : « Je ne puis rien regretter de ce qui a été moi-même. » Son avocat se trompe de plaidoirie, brillant quand il eût fallu convaincre. Quant à la pétition rédigée pour réclamer la grâce de Brasillach, à l'initiative de Jean Anouilh, Marcel Aymé et François Mauriac, on sait que le général de Gaulle décida de ne pas y céder. Il s'en justifia, de façon elliptique quoique transparente, dans ses Mémoires de guerre, à propos des écrivains condamnés à mort : « S'ils n'avaient pas servi directement et passionnément l'ennemi, je commuais leur peine, par principe. Dans un cas contraire - le seul -, je ne me sentis pas le droit de gracier. Car, dans les lettres, comme en tout, le talent est un titre de responsabilité. »
Alice Kaplan, qui ne cèle rien des monstrueuses pages noircies sous l'Occupation par le polémiste, le juge coupable. Elle déplore cependant qu'en le fusillant on l'ait érigé en mythique martyr innocent. Un mythe ? Précisément non. Une figure exclusivement célébrée par sa famille d'extrême droite, ce qui est bien le moins. Il est des mots qui tuent toute potentialité de mythe, aussi sûrement que les balles d'un peloton d'exécution, tels ceux que Brasillach écrivit au lendemain des grandes rafles de l'été 1942 quand il proclama la nécessité de « se séparer des juifs en bloc et de ne pas garder de petits ».
Laurent Douzou © Le Monde du 2 Novembre 2001


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l'absence, la rendre présente (dire)
<<
On a trop écrit sur le charme des livres de Modiano, sur sa trop fameuse « petite musique », sur son art du flou et du trompe-l'œil et sur les fausses perspectives savamment tracées par ses errances et ses déambulations. Non que ces qualités ornementales et rêveuses, ces délicieux et troublants entrelacs de la fiction soient négligeables, mais parce qu'ils sont l'expression manifeste, l'effet de surface d'un projet beaucoup plus ambitieux : dire l'absence, la rendre présente. Il est nécessaire d'inverser les termes du « cas Modiano ». Il n'a pas choisi pour époque privilégiée de nombre de ses livres la période de l'occupation allemande qu'il n'a pas connue en raison du caractère trouble, ambigu, romanesque de ces temps mêlés. C'est au contraire à cause du trou noir creusé par ce morceau d'histoire que tout, ensuite, devient mystérieux, incomplet, irréel, inexplicable, absurde, insaisissable, fictif. Comme si une pièce de la machine avait disparu et que le monde continuait à tourner, de travers, en s'efforçant de l'oublier. >>
Pierre Lepape, le Monde, 4 avril 1997.

 

ACCIDENT NOCTURNE (2003)

Accident nocturne (2003)
4ème de couverture
«Quelle structure familiale avez-vous connue ? J'avais répondu : aucune. Gardez-vous une image forte de votre père et de votre mère ? J'avais répondu : nébuleuse. Vous jugez-vous comme un bon fils (ou fille) ? Je n'ai jamais été un fils. Dans les études que vous avez entreprises, cherchez-vous à conserver l'estime de vos parents et à vous conformer à votre milieu social ? Pas d'études. Pas de parents. Pas de milieu social. Préférez-vous faire la révolution ou contempler un beau paysage ? Contempler un beau paysage. Que préférez-vous ? La profondeur du tourment ou la légèreté du bonheur ? La légèreté du bonheur. Voulez-vous changer la vie ou bien retrouver une harmonie perdue ? Retrouver une harmonie perdue.»

Accident nocturne : l'histoire ?
Est-ce vraiment l'histoire de ce roman ? Nous pourrions de la sorte multiplier les récits de l'histoire d'un roman pour approcher une vérité, mais laquelle au juste ?
"Un soir, alors qu’il arpente les rues de Paris, un jeune homme est renversé par une Fiat couleur vert d’eau. Cet accident qui le conduit dans une clinique inconnue en compagnie de la conductrice, une dénommée Jacqueline Beausergent, et d’un homme à l’allure trouble, l’amène peu à peu à faire face aux obscurités de son enfance. "L’accident de l’autre nuit était venu au bon moment. J’avais besoin d’un choc qui me réveille de ma léthargie. Je ne pouvais plus continuer à marcher dans le brouillard."
Trente ans plus tard, le narrateur se remémore les conséquences de ce choc et cette quête de vérité qui le conduisit jadis tant sur les traces de la conductrice inconnue que celles d’un fantôme oublié, celui d’une mère inconnue.
Il raconte alors ces errances nocturnes dans un Paris énigmatique où les signes, les noms des rues et des personnes se télescopent dans une danse étrange et surprenante qui bouscule les instants du passé comme du présent. Les fragments de vie s’entrechoquent au gré des souvenirs qui remontent sans cohérence à la surface, les lieux, du square de l’Alboni dans le seizième arrondissement parisien à la Sologne, ne font ainsi plus qu’un.
Alors que tout se brouille, seule une phosphorescence merveilleusement colorée illumine ces marches crépusculaires. Les couleurs ricochent ainsi de l’hôtel de la rue de la voie verte aux effluves des bouteilles d’éther bleu nuit durant de vertigineuses nuits blanches."
par Nicole Maïon, Avoir à lire, 17-12-03.

Accident nocturne : lieux, personnages
lieux :
place des Pyramides, place de la Concorde, quai des Tuileries, rue du Docteur-Kurzenne, Saint-Germain-l'Auxerrois, l'Hôtel-dieu, clinique Mirabeau, rue Narcisse-Diaz, square de l'Alboni, le pont de Grenelle, rue de la Voie-verte, Cité universitaire, avenue Foch, café de La Rotonde, Montparnasse, Paris, rue Pigalle, rue de Douai, café le Sans Souci, rue Victor-Massé, le Tabarin (cabaret), Denfert-Rochereau, faubourg Saint-Honoré, avenue des Champs-Élysées, porte d'Orléans, l'Étoile, Boulogne, place de la Madeleine, les Grands-boulevards, l'Opéra, le Palais-Royal, café Corona, café Ruc-Univers, quai du Louvre, Montrouge, Châtillon, rue l'Alésia, brasserie le Terminus, avenue Carnot, gare de Lyon, place d'Italie, avenue de Ségur, (Liste : rue de la Rochefoucauld, rue Laugier, Calle Jorge Juan, Madrid, casa Montalvo, Biarritz, Berlin, Steglitz, Orleanstrasse 2, rue Berlioz, Nice Vijzelstraat, Amsterdam.) Orly Sud,  Maroc, Londres, gare du Nord, hôtel Palym, le quai de la Tournelle, boulevard Jourdan, porte de Gentilly, station Petits-Champs - Danielle-Casanova, square de la tour Saint-Jacques, rue de la Coutellerie, Hôtel de Ville, restaurant les Calanques,  Jouy-en-Josas, métro Passy, rue du Pont-de-Lodi, Saint-Lô, Haute-Savoie, Bordeaux, Metz, mairie de Boulogne-Billancourt, paroisse Saint-Martin de Biarritz, Fossombronne-la-Forêt, Loir-et-Cher, rue de Rivoli,  café Babel, jardins du Trocadéro, bois de Vincennes, bois de Boulogne, Palais e Chaillot, pont de Bir Hakeim, porte d'Orléans, hôtel Frémiet,  la closerie de Passy, boulevard Delessert, rue Raynouard, Montrouge, Quartier latin, l'Alma, jardins Galliera, avenue Paul-Doumer, rue Scheffer,     venue Albert*de-Mun, hôtel Régina, la Versanne, Chambord Bracieux, le Plessis, Milançay, Fontaigne-en-Sologne, Montgiron, Marcheval, Boizardiaire, la Viorne, square Léon Guillot, Porte de Vanves, Genève, Madrid, 

personnages : Jacqueline Beausergent, docteur Besson, docteur Fred Bouvière, Katz-Kreutzer, Evelyne, brasserie Zeyer, Geneviève Dalame, Hélène Navachine, (Liste 1 : Georges Accad, Yvette Dintillac, André Gabisson, Jean-Maurice Jedlinski, Marie-Josée Vasse, Jacqueline Piche, Patrick de Terouane, Suzy Kraay), Guy Roussotte, Léni Riefenstahl, docteur Divoire, Solière, (liste 2 : Borsher J, Destombe J, Dupont A, Goodwin C , Grumberg A, Mc Lachlam GV) , (Liste 3 : Yvan Schapos chnikoff, Guy de Voisins, Nick de Morgoli, Toddie Werner, Mary Tchnernycheff, Alexis Moutafolo), docteur Divoire, Morawski

«C'est que j'arrive à l'âge où la vie se referme peu à peu sur elle-même.» Accident nocturne.

"L'état d'esprit du garçon, l'éther, et aussi, le nom des femmes: Jacqueline Beausergent. Hélène Lavachine. J'ai pris des noms qui avaient vraiment existé. Tous les noms propres, la figure de mon père, cette vision de cauchemar... Ce sont des choses que j'ai vécues." Lire, octobre 2003 à l'occasion de la publication de Accident nocturne, roman, 2003

Accident nocturne, premières pages

Interwiew publiée dans le Bulletin de Gallimard, septembre 2003

Accident nocturne, Un temps particulier par Jean-Claude Lebrun, (l'Humanité, 16-10-2003)
<< Là où certains s'acharnent à vouloir discerner une " petite musique ", ce poncif creux qui resurgit à chaque nouvelle parution d'un livre de Patrick Modiano, il serait certainement plus avisé de s'intéresser à cette création romanesque proprement modianienne : un temps singulier, sorte d'immobile présent, qui rassemble et embrasse les différentes époques d'une existence. Qu'il s'agisse de l'enfance aux souvenirs maigres et flous, de l'adolescence chahutée, ou des phases successives de l'âge adulte, jusqu'à ce que la plus grande partie de la vie se trouve derrière soi, tout cela, qui revient de livre en livre, se trouve brassé et posé sur un plan unique, qui donne à l'univers littéraire de Patrick Modiano cette apparence d'éternel étale. Commence-t-on la lecture d'un nouveau roman, que l'on retrouve tout de suite pied, là même où l'on s'était auparavant arrêté. Accident nocturne se présente comme une manière d'illustration modèle, presque paradigmatique, de ce temps modianien, dans lequel la phrase d'attaque d'emblée vous projette : " Tard dans la nuit, à une date lointaine où j'étais sur le point d'atteindre l'âge de la majorité, je traversais la place des Pyramides vers la Concorde quand une voiture a surgi de l'ombre. " Un mélange de précision dans le détail et de grand vague général, une nouvelle fois comme principe moteur de l'ouvre.
Celui qui raconte a donc été renversé par cette voiture, qu'une jeune femme, ou peut-être d'ailleurs quelqu'un d'autre, conduisait. En tout cas, il s'est retrouvé à côté d'elle, qui portait une blessure au visage, dans le car de police-secours puis à l'Hôtel-Dieu. Il a été endormi. À son réveil, la conductrice avait disparu. Lui-même se trouvait maintenant dans une clinique inconnue et un homme lui faisait signer une décharge, contre une forte somme d'argent. Jamais il ne s'était trouvé à la tête d'une telle fortune. Il lui fallait maintenant savoir. Ne pas se contenter de subir encore une fois les événements. En fait saisir cette opportunité pour sortir des approximations et du flou, dans lesquels il avait jusqu'alors vécu. Y compris auprès des quelques femmes rencontrées. Il enquêterait en différents lieux de Paris, avec pour seuls indices l'identité de la conductrice, Jacqueline Beausergent, deux caractéristiques de la voiture, une Fiat couleur vert d'eau, et un nom qu'il avait entendu prononcer, square de l'Alboni. En ce sens, l'accident pour lui " marquait une cassure ". Même si la ville restait pleine des signes de la vie antérieure. Tel ce café, aperçu depuis le car de police, à l'angle du quai du Louvre, vers Saint-Germain-l'Auxerrois, où son père vêtu de son éternel pardessus bleu avait accoutumé de le rencontrer. Le présent reste toujours chargé de ce passé. Au besoin, quand des stimulations extérieures n'y suffisent pas, la mémoire, omniprésente, en permanent éveil, se charge du travail. Ou l'imagination. Car l'une et l'autre en permanence se chevauchent et s'épaulent, pour créer ce tissu serré, propre aux récits de Patrick Modiano.
Bientôt il croit se rappeler, puis se convainc, qu'il avait déjà rencontré cette Jacqueline Beausergent, quand, enfant, il avait passé quelque temps à la campagne. L'accident dont il a été la victime ne relèverait peut-être pas tout à fait du hasard. Et que dire de l'homme de la clinique, qu'il avait retrouvé un jour dans un café, et qui par son aspect et ses manières louches lui avait rappelé son père ? L'histoire personnelle qu'il s'est bricolée, faute d'en connaître une plus tangible, a en effet ceci de particulier qu'elle semble sourdre de toutes parts. Où qu'il se rende, il bute contre elle et se heurte à ses infinies réminiscences. Rien de bien surprenant à cela, puisque c'est lui-même qui se cherche et continûment se projette sur l'environnement du moment. Fidèle à sa manière, Patrick Modiano trame un univers où, de partout, s'ouvrent des pistes conduisant vers les obscures contrées sur lesquelles il n'a jamais cessé de vouloir faire la lumière. Du côté de la guerre, de ses parents, de sa naissance. " J'avais le sentiment qu'un homme sans paysage est bien démuni ", note-t-il avec son habituel sens de la litote, en guise de confirmation, vers la fin du livre. Un soir, il retrouve la Fiat couleur vert d'eau et sa conductrice. Une personne rangée, sans le mystère qu'il lui avait prêté. Pour la première fois, c'est alors le temps de la guerre d'Algérie, il accède au principe de réalité, s'éloigne de ses chimères, de la " marge ", des " banlieues de la vie " où il s'était posté en attente de " quelque chose ". Jusqu'à cette ultime image, tellement tentante pour l'interprétation, de Jacqueline Beausergent et de lui-même, dans un ascenseur à la lumière éteinte, avec seulement au-dessus d'eux le lumignon d'une veilleuse. Le temps tel que Patrick Modiano le conçoit : la faible lueur d'un passé dans un présent opaque.>> © Journal l'Humanité

 

Accident Nocturne, "Sans famille" par Jérôme Garcin.
(...) "Une première phrase de Modiano ne trompe jamais. Même s'il ne la signait pas, elle serait de lui. «Tard dans la nuit, à une date lointaine où j'étais sur le point d'atteindre l'âge de la majorité, je traversais la place des Pyramides vers la Concorde quand une voiture a surgi de l'ombre.» Blessé à la jambe, il est conduit dans une clinique avec la conductrice, touchée au visage. Quand il se réveille, elle a disparu. En guise de dédommagement, une liasse de billets.
Ce roman retrace l'enquête menée, dans Paris, par un garçon solitaire et angoissé pour retrouver la femme, Jacqueline Beausergent, qui l'a renversé. Il n'éprouve à son égard aucune rancune. Au contraire, il juge que cet accident nocturne lui a été bénéfique. Il était perdu, errait dans la ville, ne savait pas quoi faire de sa jeunesse inemployée, était séparé de son père, aspirait à «l'harmonie perdue», espérait «une trouée, des lignes de fuite», et voici que ce choc le réveillait, lui permettait «de prendre un nouveau départ dans la vie». En somme, il la recherche pour exprimer sa reconnaissance à celle qui incarne une figure maternelle de compensation.
Une fois encore, le père est là, dans toute sa mystérieuse autorité et sa hautaine indifférence. Apparu de manière explicite en 1988 (dix ans après sa mort) dans «Remise de peine», à la page 116, Albert Modiano, qui dirigeait une «société africaine d'entreprise» dont les bureaux étaient sis aux Champs-Elysées, n'a cessé de rejeter son fils. Ici, dans une scène si forte qu'il la raconte deux fois et qui demeure «l'un des épisodes les plus tristes de sa vie», le fils aux abois demande un peu d'argent à son père, qui s'énerve et, pour se débarrasser de l'importun, le livre aux flics. La nuit suivante, dans ses cauchemars, le jeune homme imagine qu'il a été dénoncé et qu'on l'a «raflé». Un écho obsédant de l'Occupation et de cette question restée sans réponse: pourquoi son père, d'origine juive, interné en 1943 dans une annexe de Drancy, a-t-il été aussitôt libéré par un membre de la bande de la rue Lauriston?
« Accident nocturne» se situe au début des années 1960. Les affiches des gares vantent les pistes de ski de l'Engadine. Dans les bars, on sert des Margarita. Les hôtels transmettent les fiches de leurs clients à la brigade mondaine. Les téléphones ont des préfixes de quartiers, Odéon, Passy, Trocadéro, Auteuil... Un gourou au visage «recouvert d'une sorte de graisse grise», l'étrange docteur Bouvière, auteur de «Drogues et thérapeutiques», rassemble ses disciples dans les cafés et leur fait perdre l'insouciance, la joie de vivre. De la porte d'Orléans à Pigalle, de Denfert-Rochereau à Montparnasse, Modiano traverse Paris et saisit ses mystères avec cette légèreté et cette précision topographique qui font notre bonheur. «La nuit, dans les rues, j'avais l'impression de vivre une seconde vie plus captivante que l'autre, ou, tout simplement, de la rêver.»
A la fin de ce roman, pur comme un diamant noir, et après des nuits de marche somnambulique, le jeune homme, sa vieille canadienne tachée de sang sur le dos, retrouve enfin Jacqueline Beausergent. Elle lui sourit. Le rassure. Lui murmure qu'il s'est donné beaucoup de mal pour rien, que les seuls mystères sont ceux qu'il s'invente, qu'on se fait beaucoup de mal à confondre les cauchemars et la réalité."
Le Nouvel Observateur, du 02/10/2003.

Modiano cantabile, par Jean-Paul Enthoven
Un « Accident nocturne », un père insaisissable, des agendas d'autrefois, des bars louches et un perroquet fidèle au passé : c'est la signature de Patrick Modiano - et la magie de son nouveau roman
Depuis trente-cinq ans, Patrick Modiano revisite inlassablement la même histoire floue : celle d'un individu sans qualité, sans racine, pourvu d'obsessions qui l'aimantent vers la circonstance qui a décidé de sa vie - et qui lui échappe comme une flaque de mercure. Cet individu, le plus souvent, ne sait pas trop qui il est. D'où l'attention qu'il témoigne aux vieux agendas, aux lieux, aux cartes de visite, aux patronymes, aux plaques d'immatriculation, à la géographie, à l'état civil, aux squares de quartiers qui, peut-être, se souviennent mieux que lui de son propre passé. Dans chacun de ses romans, Modiano reprend ce canevas originel à la manière d'un photographe qui s'obstine sur le même objet mais à partir d'angles différents. Ce sont des romans-fragments, des épisodes d'une même quête de « l'harmonie perdue », des séquences initiatiques d'un même récit écrit par à-coups. Modiano, ce jeune homme égaré, a besoin de repères. Il n'a rien trouvé de mieux que la littérature, cette machine à déjouer l'absence, pour lui en fournir quelques-uns.
Dans repère, bien sûr, il y a la sonorité redoublée, ou redoutée, du père. Et, depuis ses débuts, Modiano tourne à sa façon autour de cet insaisissable point fixe, de cette « Place de l'Etoile » dont les avenues filiales l'éloignent ou le rapprochent. Ses héros ont eu un père, comme tout le monde, mais celui-ci s'est dérobé, il a été absorbé par une grande quantité de passé, il a disparu dans le brouillard des rues et des activités louches. Le but du jeu, du roman, consiste alors, chaque fois, à retrouver sa trace - puisque les traces, par leur phosphorescence, suggèrent mieux que les choses elles-mêmes. Patrick Modiano est devenu un romancier géographe, presque géomètre, parce que son père mercurien, à l'origine, lui glissait entre les doigts. Le freudisme a recensé toutes les variantes de ce programme. Mais Modiano se fiche pas mal du freudisme. C'est un artiste. Il jouit de sa névrose comme un derviche de son vertige. Quel intérêt y aurait-il, pour lui, à en guérir ?

La surréalité des choses banales
Dans « Accident nocturne », le dernier en date des fragments modianesques, il y a donc, et encore, la trace d'un père pressé et évanescent. Le narrateur le rencontrait, autrefois, dans des cafés du Trocadéro ou de la rue de Rivoli. Puis les rendez-vous se sont déplacés vers la porte d'Orléans, vers Montrouge, à mesure que le père en question semblait plus furtif et à mesure que ses mystérieuses affaires, sans doute, l'obligeaient à fuir quelque chose. Bientôt, il n'y eut plus de rendez-vous, et le narrateur se mit à errer, sans but précis, dans les quartiers où, peut-être, il apercevrait le « pardessus » ou le chapeau de cet homme qui aurait pu le renseigner sur son propre destin. C'est au cours de ces errances qu'il sera, une nuit, renversé par une « Fiat vert d'eau », place des Pyramides. Il est blessé à la jambe, la conductrice et son compagnon - un homme vêtu, lui aussi, d'un « pardessus », ce masque d'adulte - le déposent dans une clinique avant de s'évaporer comme toutes les réalités qui entrent en contact avec les héros de ce romancier de la disparition. Pendant cent cinquante pages, le narrateur va tenter de retrouver la conductrice. Mais ce qu'il cherche, on le devine, scrute l'en deçà de cet « Accident nocturne ». Il guette la trace d'un passé incontestable, la cause d'une blessure, la preuve de quelque chose qui a eu lieu et qui le concerne. Modiano et son double accidenté boitent tout au long du livre. Comme Jacob après son combat avec l'Ange. Leurs corps portent la cicatrice d'une épreuve qui, comme dans la Bible, signale qu'ils ont désormais le droit et le devoir de se souvenir. On a l'impression que Modiano veut nous signifier qu'il achève un cycle. Qu'il solde ses obsessions d'amnésique. Qu'il accepte la disparition définitive de son père. Il était temps : ce romancier adolescent sera bientôt sexagénaire.

Ce roman, symétrique de « La petite Bijou », est bouleversant, puissant, généreux. C'est de l'autofiction haut de gamme, c'est-à-dire ouvragée, fuyant l'état brut et pauvre où des romanciers(cières) tape-à-l'oeil l'ont abaissée. Modiano y suit, avec son art économe, tout un flux de sensations qui ne parlent que de lui, donc de la condition humaine ; il n'écrit pas pour se connaître, comme Leiris, mais pour retrouver le fil qui le rattache au réel ; il ne raconte pas des aventures, comme son cher Balzac, mais il cerne des climats, des secrets, des détails magnétiques. Il croit à la surréalité des choses banales - un numéro de téléphone, un perroquet « fidèle au passé », l'enseigne d'un bar, le nom d'un hôtel, le passeport d'un inconnu. Et tout cela, orchestré par le fameux Modiano cantabile - des notes rares, beaucoup de silences, des récitatifs interrompus par une rame de métro ou le Klaxon d'un taxi -, compose une oeuvre qui, longtemps en suspens, semble enfin se boucler.

Au fil de ses rares déclarations, Modiano a souvent dit sa nostalgie des « cathédrales » littéraires, façon Proust ou Lawrence Durrell, dont il se croit incapable. Ou des romans uniques - comme « A l'Ouest rien de nouveau » d'Erich Maria Remarque - dans lesquels l'auteur, d'un seul coup, se saigne de tout ce qui le hante ; ou des écrivains, comme Salinger ou Dashiell Hammett, qui, après avoir révélé ce qu'ils avaient sur le coeur, se taisent soudain, désintoxiqués, et ne publient plus rien. Dans son cas, on s'avise pourtant qu'il a su, à la longue, bâtir sa cathédrale d'ombres. Et qu'il est l'auteur d'un roman unique qui le situe, à côté de Simenon, parmi les plus grands. Se taira-t-il un jour ? Parviendra-t-il à se désintoxiquer ? A ne plus voir, dans ses romans, que « le bonsaï du roman » qu'il voudrait écrire ? Nul ne sait, pour l'heure, ce qu'il convient de lui souhaiter. © le point 03/10/03 - N°1620 - Page 106.

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Acteur / ARTAUD
Raoul Ruiz lui demande de faire l'acteur dans le film "Généalogie d'un crime", à l'hôpital psychiatrique de Ville-Evrard, là-même où Artaud fut interné. Antonin Artaud, l'acteur de "La Passion de Jeanne D'Arc" de Carl Théodore Dreyer, du Napoléon d'Abel Gance, et plus de 60 ans plus tard, Patrick Modiano qui se retrouve dans ce lieu où des cris se font encore entendre. Modiano voit là comme une coïncidence entre les deux expériences : écrire/jouer.

 

Adaptation cinématographique
(...) les seuls films qui sont bien et qui ont été faits soi-disant d'après un roman, ce sont ceux où le metteur en scène lui-même est obsédé par quelque chose de précis. Ce qui fait que le film parvient à se dégager du roman. 
(...) Non seulement il ne faut pas être fidèle, mais il faut déjà avoir une obsession personnelle, sinon on fait ça comme un travail de routine, ça fait une adaptation littérale.
Synopsis 10, entretien avec Judith Louis à propos de l'adaptation de Dimanches d'Août.

Adresses / Roman / Histoire*
[dans Fleurs de ruines] << Pour un lecteur attentif aux signes de Modiano, une inquiétante connotation est confirmé par l’examen des adresses mentionnées : le restaurant d’Ansart est au 48 bis rue des Belles Feuilles, qui fut aussi le domicile d’Eddy Pagnon, l’un des membres de la rue Lauriston*, celui-là même qui libéra le père de l’écrivain d’une rafle au cours de laquelle il fut transporté quai d’Austerlitz en 1943, pour ensuite l’enliser dans son monde de « marquis, chevaliers d’industrie, gentilshommes de fortune, gibiers de correctionnelle ». Jacques de Bavière, quant à lui, habite avec Ellen James au 22 rue de Washington : cette adresse est aussi celle de Lebobe André, la première d’une liste exposée dans Fleurs de ruines, tirée d’un journal de 1948, qui énumère les noms et adresses des personnes recherchées pour « intelligence avec l’ennemi ». On y trouve également le 1 rue Lord-Byron, qui est la véritable adresse du bureau du père de l’auteur, transféré dans le roman au 73 boulevard Haussmann.>>
Carine Duvillé Errance et Mémoire : Paris et sa topographie chez Patrick Modiano Mémoire de maitrise, juillet 2000. Paris IV, Sorbone.

 

ALEXANDRIE, LA MÉDITERRANÉE* DE PATRICK MODIANO (NICE* TUNIS*)
par Annie Demeyere

Amnésique
« Je n’avais que vingt ans, mais ma mémoire précédait ma naissance. J’étais sûr, par exemple, d’avoir vécu dans le Paris de l’Occupation puisque je me souvenais de certains personnages de cette époque et de détails infimes et troublants, de ceux qu’aucun livre d’histoire ne mentionne. Pourtant, j’essayais de lutter contre la pesanteur qui me tirait en arrière, et rêvais de me délivrer d’une mémoire empoisonnée. J’aurais donné tout au monde pour devenir amnésique.» Livret de famille, 1977, p. 116-117.

Années 60
"Dans ces époques un peu bizarres des années 1960 - la fin de la guerre d'Algérie m'a marqué profondément - l'atmosphère était inquiétante. A Paris, il y avait une sorte de menace dans l'air, notamment pour les jeunes qui vivaient forcément dans la clandestinité. Jusqu'à l'âge de 21 ans, nous n'avions pas d'existence." Entretien avec Marianne Payot, Delphine Peras, "Je suis devenu comme un bruit de fond", l’Express, 04/03/2010

Apatride (figures de l')
Les personnages sont le plus souvent des apatrides ou des exclus, prostitués, homosexuels, marginaux en tout genre, qui naviguent dans un monde qui ne leur est pas favorable, dans un Paris en apparence accueillant avec ses néons multicolores et ses fastes apparats, mais dont l’ombre colossale regorge de lourdes menaces. La plupart des protagonistes ont une identité trouble, et il plane toujours un doute quant à leurs origines, leur nationalité, leurs activités, leur nom, voire leur existence même. Dans La ronde de nuit, le narrateur voudrait affirmer : « Mon lieutenant, JE N’EXISTE PAS, je n’ai jamais eu de carte d’identité. »

Arrêter d'écrire
"- Avez-vous parfois envie d'arrêter d'écrire ? Ou de publier, puisqu'il paraît que Salinger* écrit toujours...
- Je suis sûr qu'il écrit toujours, parce que ce n'est pas possible de s'arrêter. Parfois, je me dis que ça doit être formidable quand on n'a plus envie d'écrire, quand on est rassasié. Mais ce ne doit être valable que pour des poètes à l'état pur, qui connaissent la fulgurance. Mais parfois, quand même, j'aimerais rester silencieux. Parce que écrire, après les repérages, c'est comme plonger dans un truc froid. Je suis toujours épaté par les types qui disent qu'ils peuvent écrire six heures par jour. La seule chose agréable, ce sont les repérages, les rêves de départ. Je rêverais d'ailleurs de me contenter de ça. D'arrêter de communiquer, de recopier des choses qui ne seraient pas publiées. J'ai d'ailleurs une activité parallèle en dehors des livres que je publie..."
Entretien avec Christophe Ono-dit-Biot , à l'occasion de la parution de Dans le café de la jeunesse perdue, 27/09/2007, - © Le Point N°1828-

Art du flou
<< (...) si l’Occupation, période trouble comme on le dit d’une eau impure, est dans l’œuvre une époque privilégiée où s’inscrivent des trames romanesques entières ou de simples épisodes narratifs, ce n’est pas en tant que moment historique mais en tant que « lieu » propice à la création de cet art du flou, de la dualité qui caractérise Modiano et rend unique cet auteur qui a poussé le roman, art de l’illusion, à ses limites extrêmes, multipliant les perspectives fuyantes en une sorte de trompe-imagination qui emporte le lecteur dans un dédale où métamorphoses et songes estompent les rares certitudes qui lui sont données. >> Antoine de Gaudemar et Paule Zajdermann. Texte de l'émission un siècle d'écrivains.

Aller loin
"Avant, je ne croyais pas au besoin d'aller... loin, mais je pense que j'ai tort. J'avais connu Georges Arnaud, l'auteur du « Salaire de la peur ». Un type très bizarre, on disait qu'il avait tué son père. Il disait des choses péremptoires comme « Le Panama n'existe pas, je le sais, j'y ai vécu ». C'est idiot. Maintenant, je me dis, il faut aller voir les choses." Entretien avec Christophe Ono-dit-Biot , à l'occasion de la parution Dans le café de la jeunesse perdue, 27/09/2007, - © Le Point N°1828-

 

A l'aveuglette (Phrases*, paragraphes)
"
Quelle est votre unité première : la phrase, le paragraphe ?
P.M. La phrase. La première phrase, la plupart du temps. Mais quand on écrit, on part à l'aveuglette. Pendant le premier mois, je me sens très souvent découragé, je me demande si je dois continuer. C'est comme si je conduisais en plein brouillard, sans rien voir devant moi mais je poursuis ma route, sans savoir où aller, avec parfois la sensation ou la crainte de m'être engagé dans une voie sans issue. Mais ce qui est très bizarre, c'est que, quand j'ai cette intuition de m'être engagé sur une fausse route, j'essaie de rattraper la route principale plutôt que de faire marche arrière. Au lieu d'abandonner, de me dire : "C'est une fausse piste, il faut que j'arrête, tant pis", je continue et j'essaie de rattraper la route principale.
Avez-vous connu ce sentiment avec tous vos romans ?
P.M. Oui, tous. Pour certains, il y a peut-être eu une petite ligne droite... Mais je ne suis pas comme ces écrivains qui tracent le sillon avec constance et confiance. Il y a toujours ou presque ce détour et cette sensation, au dernier moment, d'être comme un trapéziste qui parvient, in extremis, à rattraper le trapèze qu'on lui a lancé.
Par quel moyen (ou quel miracle) retrouvez-vous le chemin ? Comment rattrapez-vous le trapèze ?
P.M. Par la phrase, justement. Un paragraphe ou une page qui me semblent catastrophiques le soir peuvent être rétablis le lendemain matin par une phrase. Ou en supprimant quelque chose. Mais j'ai, chaque matin, une impression de rattrapage de ce que j'ai fait la veille. Je n'ai jamais connu cette impression d'écrire en ligne droite. C'est comme si vous naviguiez en essayant d'éviter les écueils et que, au dernier moment, vous les contourniez. Utiliser des blocs de réalité, notamment des noms propres de gens que j'ai pu croiser, m'aide à effectuer ce rattrapage. Quelquefois, je cannibalise certains trucs, c'est-à-dire que je me sers de plusieurs segments qui pourraient chacun être un roman différent." "Mon Paris n'est pas un Paris de nostalgie mais un Paris rêvé" entretien avec François Busnel (Lire), 04/03/2010

Ruth Amar Le ton de Patrick Modiano : du roman ironique au roman affectif

Ambiance  
" J'ai essayé de traduire l'ambiance dans laquelle il vivait, à un certain âge. Une ambiance étrange, sans structure. Avec des parents vus comme des espèces de fantômes, de baudruches. L'explication clinique de ce jeune homme, c'est qu'il aurait usé de stupéfiants. Mais là, il n'en a même pas besoin. A blanc, il est dans cet état-là. C'est difficile à expliquer. C'est quelque chose que j'ai voulu traduire parce que je l'avais éprouvé à cette époque-là. "
Lire, octobre 2003 à l'occasion de la publication de Accident nocturne, roman, 2003

 

Annecy et la Fiction*
<< Je suis incapable d'écrire un livre de pure fiction. Alors, j'ai mélangé mes propres souvenirs et ceux des filles que j'ai croisées dans les années 60. Comme l'héroïne du deuxième récit, j'ai souffert de vivre dans un pensionnat près d'Annecy, le collège Saint-Joseph de Thônes, et, comme elle, je m'en suis évadé pour rentrer à Paris en train. Comme celle du premier récit, j'ai vécu dans cette atmosphère trouble de la fin de la guerre d'Algérie. Les très rares fois où j'ai vu mon père, c'était à Genève. J'avais 16 ans, on venait me chercher dans mon pensionnat, je traversais la frontière, et j'arrivais dans le hall de l'Hôtel du Rhône où j'assistais à un mystérieux ballet de diplomates, de dirigeants du FLN, d'hommes cravatés à l'air sombre, c'était une ambiance très étrange, très secrète. Enfin, comme la jeune femme du troisième récit, j'ai connu, toujours près d'Annecy, des disciples de Gurdjieff, et j'étais frappé de constater qu'ils étaient toujours recrutés chez des intellectuels se trouvant dans un état physique désespéré.>>
Titre de l'article, Une Jeunesse, à propos du livre "Des inconnues", Nouvel Observateur, 28-01-1999.

 

La chasse aux éléments "antinationaux", par Jean-Pierre, Azéma,
<< Sans avoir besoin d'encouragements de la part de l'occupant, le régime de Vichy, spontanément répressif, se lance rapidement dans l'épuration. Les juifs, les francs-maçons, les communistes, les " métèques ", tous les éléments " antinationaux " accusés d'être à l'origine de la défaite, sont pourchassés. Ils seront plus tard remis aux Allemands.
"PARTOUT, et spécialement dans les services publics, si réelles que soient d'honorables exceptions dont chacun pourrait fournir un exemple, l'influence des juifs s'est fait sentir, insinuante et finalement décomposante." C'était le commentaire officieux du statut des juifs publié en bonne place dans la presse vichyssoise.
Ce statut symbolise à lui seul le nationalisme défensif, d'exclusion, d'un régime qui se voulait ancré dans son pré hexagonal et qui adopta immédiatement le vieux slogan "La France aux Français". On exclut de "la vraie France" tous ceux en qui on voyait les "ennemis intérieurs", et qui firent d'excellents boucs émissaires pour expliquer la défaite, eux qui auraient appartenu aux forces occultes tramant d'innombrables complots, dont celui qui aurait provoqué la guerre.
Le régime de Vichy fut dès le début répressif, et cela spontanément, sans qu'il y ait eu de pressions de l'occupant. Car les nouveaux maitres du pouvoir, souvent des vaincus du suffrage universel (Bernanos parlera férocement d'une "révolution des ratés"), étaient bien décidés à régler des comptes partisans.
On commença par épurer, de façon arbitraire, l'administration, mais Vichy fit, dans un premier temps, un usage relativement modéré de ce système dit "des dépouilles". Ce qui est plus caractéristique, c'est l'acharnement mis à poursuivre des ennemis politiques, qui se trouvaient être de surcroit les bêtes noires du Reich. L'Acte constitutionnel no 5 du 30 juillet 1940 créait une "Cour suprême de justice" chargée de juger "les ministres, les anciens ministres ou leurs subordonnés immédiats civils ou militaires, accusés d'avoir commis des crimes ou délits dans l'exercice ou à l'occasion de leurs fonctions ou d'avoir trahi les devoirs de leur charge". On ne traina pas : convoquée à Riom le 2 août, installée le 8, la nouvelle Cour rassemblait la fine fleur de la magistrature, un corps qui, en majorité, ne brilla guère _ c'est le moins qu'on en puisse dire _ par son courage politique. Elle devait s'occuper des "actes qui ont concouru au passage de l'état de paix à l'état de guerre avant le 4 septembre 1939". Cela revenait à rendre la France responsable du déclenchement de la guerre. Pour éviter de mettre en difficulté les "grands chefs", y compris qui vous savez, les magistrats firent partir les investigations de juin 1936. Avec diligence, en novembre, la Cour faisait écrouer Léon Blum (pour "avoir trahi les devoirs de sa charge"), Daladier et Gamelin. Entre-temps, le gouvernement avait déjà fait mettre en résidence surveillée Reynaud, Mandel, Auriol, Marx Dormoy, Jules Moch...
PLUS silencieusement, mais méthodiquement, était poursuivie la lutte anticommuniste, qui n'étonnera guère. Le régime aggrava l'arsenal juridique forgé sous Daladier, et nombre d'hommes et de femmes soupçonnés d'appartenir encore au PCF interdit furent placés, sur arrêté discrétionnaire du préfet, dans des "centres de séjour surveillé". A Paris, dans le seul mois d'octobre, un coup de filet (rendu plus aisé par la tactique semi-légale préconisée dans l'été par le parti) faisait "tomber" _ avec la bénédiction des autorités d'occupation _ 210 responsables syndicalistes et anciens élus.
Rétrospectivement, l'ardeur mise à pourchasser les francs-maçons surprend. Dans l'imaginaire de leurs adversaires, les loges fomentaient un complot permanent, aux ramifications internationales. On leur attribuait une solidarité, un pouvoir et une extension démesurée, parlant de 100 000 à 150 000 frères initiés (on établira 170 000 fiches de " suspects "), ce qui est fort exagéré, puisque, selon des sources fiables, les deux principales obédiences regroupaient en 1939 45 000 frères : 29 000 pour le Grand Orient de France, 16 000 pour sa rivale, la Grande Loge de France (ajoutons le Droit humain, avec 3 000 membres, et 1 500 maçons de la Grande Loge nationale française). Les francs-maçons avaient beaucoup d'ennemis : bien des catholiques voyaient encore en eux les instigateurs de la Révolution française ; une partie de la classe politique un Etat dans l'Etat, surtout la droite conservatrice, qui faisait du Grand Orient le vivier de la gauche non communiste. Le pouvoir économique et social qu'on leur attribuait avait suscité le mythe étonnant de la Synarchie d'Empire, organisation maçonne souterraine qu'on disait acoquinée à de grandes banques.
LA loi du 13 août interdisait les " associations secrètes " et obligeait " les fonctionnaires et agents de l'Etat à souscrire une déclaration à leur sujet ". Et si, dans le texte, la franc-maçonnerie, curieusement, n'était jamais nommée, six jours plus tard un décret constatait " la nullité du Grand Orient de France et de la Grande Loge de France ". L'exposé des motifs arguait que les sociétés secrètes, où étaient entrés nombre de fonctionnaires, menaçaient le redressement national. Un service des " sociétés secrètes " fut confié à Bernard Fay, spécialiste de la Révolution, professeur au Collège de France.
C'est une des mesures où l'influence de Maurras a été la plus sensible. Dans la Seule France, publiée en 1941, il dénonce la franc-maçonnerie comme le complot " [...] le plus dangereux de tous, puisque c'est dans la Loge que se syndiquent tout ce que la synagogye et le monde métèque comptent de moins français ". Et Raphaël Alibert, un maurrassien inconditionnel, fut l'un des rédacteurs de la loi. Mais ne négligeons pas le poids de Philippe Pétain, notoirement anti-maçon, auquel on prête ce propos significatif : " Un juif n'est jamais responsable de ses origines, un franc-maçon l'est toujours de son choix. "
Il est difficile de savoir comment l'ensemble des francs-maçons réagirent. Notons seulement que, le 7 janvier 1941, six francs-maçons fondent un " Grand Conseil provisoire de la maçonnerie française ", pour aider à la libération du territoire, restaurer les institutions républicaines, reconstruire sans distinction d'obédience la franc-maçonnerie française. Cette survivance fut une des raisons invoquées par Vichy pour durcir ses textes en août 1941, assimilant les anciens dignitaires aux juifs et les déclarant interdits dans la fonction publique.
Cette loi, comme la quasi-totalité de celles du premier Vichy, a été prise spontanément. Mais les services d'Otto Abetz s'intéressaient de près aux francs-maçons (les nazis avaient liquidé les loges allemandes).Et l'ambassade d'Allemagne donna tout son appui à Jacques de Lesdain (un journaliste collaborationniste) pour organiser l'exposition " La franc-maçonnerie dévoilée ", précisant que " les otages pris parmi les francs-maçons de haut grade serviront à d'éventuelles représailles pour le cas où le baron de Lesdain [...] serait abattu ". L'exposition, dont l'entrée était gratuite, s'ouvrait au Petit Palais en octobre, avant de circuler dans les villes de la zone du nord. Elle rencontra un grand succès de curiosité : on y exhibait meubles, costumes, instruments rituels confisqués dans les loges, plus un squelette figurant parfois dans le " cabinet de réflexion " où se recueillait le futur apprenti. On y vendit bien un " Petit Bottin des membres de la Confrérie ".
LE thème de " la collusion judéo-maçonnique " faisait tout autant des juifs une armée souterraine, innombrable. En fait, on dénombrait, en 1939, environ 300 000 juifs, dont 200 000 établis à Paris. L'antisémitisme en France n'était pas nouveau : au vieil antisémitisme catholique (celui du " peuple déicide ") s'était ajouté vers 1890 un antisémitisme populaire aux accents anticapitalistes, en même temps qu'une campagne permanente de la droite extrême qui présentait le juif comme intrinsèquement déraciné, germe dissolvant de la communauté française. Après la relative accalmie des années 20, la crise relançait la xénophobie dans nombre de milieux, depuis que 150 000 juifs venus d'Europe centrale avaient choisi la France comme terre d'asile. En 1939, la communauté juive était particulièrement vulnérable, parce que l'opinion était globalement indifférente à la résurgence de l'antisémitisme, et parce qu'elle était, elle-même, extrêmement divisée (les immigrés récents, souvent pauvres, reprochant aux juifs installés d'être déjudaisés et de faire bien peu pour eux).
L'occupant laissa agir Vichy à sa guise, tout en superposant pour la zone nord une législation similaire à celle des pays occupés de l'ouest de l'Europe : expulser le maximum de juifs, ficher les autres, tout en s'emparant de leurs biens (la " solution finale " n'étant pas, à proprement parler, programmée). L'ordonnance allemande du 27 septembre 1940 interdisait aux juifs réfugiés de revenir en zone nord, obligeaient ceux qui étaient restés à se faire inscrire dans une sous-préfecture et imposait aux détenteurs ou aux propriétaires de désigner leurs commerces comme " entreprise juive ". Une deuxième ordonnance, du 18 octobre, plaçait toutes les entreprises classées juives, que leurs propriétaires aient ou non fui en zone sud, entre les mains de commissaires-administrateurs : c'était l'aryanisation.
C'est sur un tout autre terrain que se placent les hommes de Vichy. Une bonne partie d'entre eux étaient banalement et foncièrement antisémites. Reconnaissant incidemment que les Français " israélistes " (installés depuis des générations en France) étaient parfaitement intégrés et assimilés (et de fait beaucoup de ces " israélites " étaient très attachés à l'assimilation française), ils ne pouvaient admettre qu'ils puissent oeuvrer comme les descendants des " Gallo-Romains ". A fortiori, ils voulaient se débarrasser des juifs étrangers, les pires des " métèques ", comme " fauteurs de guerre ". Ils entendaient mettre en oeuvre un antisémitisme d'Etat, dont ils diront _ plus tard _ qu'il n'avait rien à voir avec l'antisémitisme de peau. Cet antisémitisme d'exclusion (et non d'extermination), fondé sur l'Histoire (et non sur la biologie), servirait de pierre de touche au ressourcement national.
Une mesure significative fut prise le 7 octobre 1940, abrogeant le décret Crémieux, qui, en 1870, avait octroyé la nationalité française aux " juifs indigènes de l'Algérie " : on retirait donc leur statut de citoyen français à des gens qui l'étaient depuis soixante-dix ans et à leurs descendants.
La " loi portant statut des juifs ", prise le 3 octobre 1940, était la pièce maitresse du dispositif. Elle commence par une définition de la judaité : " Est regardé comme juif, pour l'application de la présente loi, toute personne issue de trois grands-parents de race juive ou de deux grands-parents de la même race, si son conjoint lui-même est juif ". Le critère choisi est racial (et comment le définir juridiquement ?) alors que pour l'occupant lui-même " sont reconnus comme juifs ceux qui appartiennent ou appartenaient à la religion juive ". Et, en ajoutant le cas de figure du conjoint, d'ailleurs parfaitement illogique, Vichy étendait la qualification.
Etaient interdits aux juifs tous les mandats électifs, les fonctions de ministres et de chef de l'Etat (et ceux qui étaient en poste devaient démissionner dans les deux mois) ; l'accès aux grands corps, au poste de gouverneur des colonies, aux directions des ministères, à la magistrature, l'armée, l'enseignement ; les professions qui avaient à faire avec l'opinion publique : la presse, l'édition (à l'exception des " publications à caractère strictement scientifique "), la radio, le cinéma, le théâtre. Que leur restait-il ? Les anciens combattants de la Grande Guerre ou ceux qui avaient été cités dans la campagne de 40 pouvaient postuler aux postes subalternes de la fonction publique ; aux autres, il restait les " professions libres " (entendons commerciales) et les professions libérales (sauf si s'imposait l'" élimination de juifs en surnombre "). Devenus des citoyens de deuxième, voire de troisième zone, les juifs verront leur sort aggravé par la loi du 2 juin 1941.
Quant aux juifs étrangers, plus encore que les autres étrangers ils étaient en danger. Le 22 juillet, une commission était chargée de réviser les acquisitions de la nationalité française depuis la loi (libérale) du 10 août 1927. Elle devait revenir sur 15 000 nationalisations, dont à peu près 6 000 de juifs. Les menaces qui planaient sur ces derniers se précisaient le 4 octobre avec la " loi sur les ressortissants étrangers de race juive " qui donnait un pouvoir discrétionnaire au préfet pour leur " assigner une résidence forcée " et, pis encore, les " interner dans des camps spéciaux ". Des dizaines de milliers de familles allaient être internées dans les camps de Gurs, d'Argelès, du Vernet, de Rivesaltes, de Rieucros, des Miles..., où les conditions de vie étaient tellement déplorables qu'on y mourut de maladies de carence et d'absence de soins, et où la police de Vichy viendra les reprendre pour les livrer aux nazis lors des rafles de l'été 1942.
A la Libération, les pétainistes plaideront que les mesures prises l'étaient pour prévenir la répression nazie. C'est parfaitement faux. Plus stimulante est la thèse qui entend montrer que la Troisième République avait préparé le terrain. Assurément en 1934-1935, puis en 1938-1939, des mesures réglementaires ou législatives ont été prises contre les étrangers (ainsi, les médecins ou les avocats naturalisés ne pouvaient exercer immédiatement). Mais la plupart d'entre elles, à visée policière, étaient avant tout dirigées contre la " cinquième colonne ". Le projet de Vichy, lui, global, fut tout autre : par rapport à l'avant-guerre, c'est une différence de nature _ et non pas de degré. Certains insistent aussi sur le poids de l'opinion, mais les rapports des préfets la montrent, dans l'automne 1940, plutôt indifférente.
Inversement, des auteurs de plus en plus nombreux (qu'on dénommera, dans le jargon des historiens, des " intentionnalistes ") cherchent à établir un lien de causalité directe entre les mesures prises en 1940 et l'extermination des juifs de France dans les camps de la mort. On se défiera de tout anachronisme. A Vichy, certains faisaient discrètement (les milieux collaborationnistes parisiens ouvertement) état d'un antisémitisme de peau. Reste que la politique officielle, qui est bien dans la logique de la Révolution nationale, est l'antisémitisme d'Etat. Le drame pour les juifs est qu'en cherchant à régler ses comptes partisans Vichy allait mâcher le travail de l'occupant, sans chercher vraiment à lui tenir tête, après que fut enclenché l'engrenage de la solution finale. L'obsession des menées judéo-maçonniques, puis judéo-bolcheviques, doublée d'une indifférence teintée d'hostilité à l'égard de " métèques ", feront de ces parias, en 1942, les objets d'un marchandage abominable.
Tous ces exclus de Vichy, les juifs, bien sûr, mais aussi les prisonniers politiques, les communistes (ils seront progressivement livrés à l'occupant, et ceux qui étaient internés serviront d'otages), les francs-maçons (environ 6 000 furent inquiétés), ont été les victimes, directement ou indirectement, d'hommes qui ont consciemment inversé l'ordre des priorités : ceux qui se prétendaient nationalistes ont lutté contre un prétendu ennemi intérieur plutôt que contre l'occupant. Il leur faudra à leur tour _ logiquement _ rendre des comptes de cette perversion pourvoyeuse de pelotons d'exécution et de chambres à gaz. >> par Jean-Pierre, Azéma, © Le Monde du 26 Août 1989

Annuaire
"En pensant à ce personnage [Louki], je pensais un peu à moi. Jeune, je songeais à tous ces gens qu’on croise dans des lieux de passage, des gares ou des cafés, et je trouvais dommage de ne pas pouvoir les répertorier, pour garder une trace de leur passage*. C’est pour ça aussi que j’ai toujours été fasciné par les annuaires, par exemple : les gens y figurent et puis, l’année d’après, ils disparaissent. La seule trace qui reste d’eux, finalement, c’est cet annuaire."
[Rencontre] Patrick Modiano à l'occasion de la sortie de Dans le café de la jeunesse perdue, MK2 diffusion, 24/01/2008

Annuaires (Internet* et les )
"Cela fait un an et demi que j’ai effectivement découvert Internet. Pour moi, cela ressemble à une fleur élevée de manière artificielle, à un fruit mûri en serre. J’ai besoin d’obstacles, de mystère, il faut que les renseignements que je cherche soient difficiles à trouver pour favoriser mon imagination. Alors, même si la tentation est grande, j’essaie de résister à Internet et de continuer à me plonger dans mes annuaires."
La Tribune de Genève, entretien avec Pascale Frey, 27-02-10

Appel (lancer un)
<< Le 15-28, c'est le numéro d'amis que j'avais. Mais ces éléments récurrents ne sont pas forcément autobiographiques. Ils sont réels, mais ne renvoient pas toujours à quelque chose de personnel. Parfois aussi je glisse des noms de gens dans l'espoir enfantin qu'ils vont se manifester, des gens dont je voudrais savoir ce qu'ils sont devenus. Comme une manière de lancer un appel.>> Entretien avec Maryline Heck, Magazine Littéraire, n° 490, octobre 2009

Après-guerre 
"Quand on naît juste après la guerre, c'est assez bizarre. Cela provoque des rencontres étranges qui ne se seraient pas faites en temps normal. Ce sont des naissances un peu hasardeuses."
(Interview au Club du Livre, Mai 2001)

arrière (regard en)
<< Vous arrive-t-il de jeter un regard en arrière et de vous interroger sur l'évolution de votre oeuvre ?
Patrick Modiano. Me tourner en arrière, c'est quelque chose que j'essaie d'éviter. J'ai peur de m'apercevoir que j'ai toujours écrit* la même chose. Cela m'est arrivé, en corrigeant un texte, de m'apercevoir que j'avais écrit quasi exactement la même scène dans un livre précédent. Certaines choses reviennent sans qu'on s'en rende compte. Je ne voulais d'ailleurs pas trop m'en apercevoir, je ne voulais pas trop approfondir cela, car ça risquait de me paralyser : si je me disais que j'écrivais tout le temps la même chose, alors je risquais d'arrêter d'écrire ! C'est assez décourageant, quelque part. Mes textes me donnent l'impression d'un kaléidoscope, avec toujours les mêmes figures qui réapparaissent... J'avais l'impression, avec chaque livre, de me débarrasser de quelque chose, de déblayer quelque chose pour avoir le champ libre, pour écrire enfin ce que je voudrais vraiment. Mais ça n'arrive pas. C'est un peu comme le tonneau des Danaïdes. C'est une sorte de fuite en avant qui n'en finit jamais. Une chose a changé, c'est qu'au début c'était plus asphyxiant d'écrire. Je n'arrivais pas à faire des blancs. Il n'y avait pas d'espace, de respiration. J'étais dans une tension continue, assez pénible, comme un voltage trop élevé. Cela donne des livres assez courts, car c'était difficile de tenir ça très longtemps. C'était lié à l'âge. On est tributaire de l'âge auquel on écrit.
>> Entretien avec Maryline Heck, Magazine Littéraire, n° 490, octobre 2009

Attentes
(...) quand on écrit. Il y a des attentes interminables... On écrit pendant une heure et on ne fait rien le reste de la journée, on rêve, on reste dans un état d’attente. Quand j’entends des écrivains dire qu’ils écrivent cinq heures par jour, ça m’a toujours paru bizarre... On ne peut pas se concentrer très longtemps. L’activité romanesque, c’est des fragments mis bout à bout, comme le cinéma. Quand j’ai commencé à écrire, je reculais sans arrêt l’heure de travailler, comme dans la nouvelle de Fitzgerald qui s’appelle l’Après-midi d’un écrivain, où il recule sans arrêt l’heure de travailler et finit par se soûler.
(entretien avec Catherine Deneuve, Les Inrockuptibles  Festival de Cannes 1997)

Michel Audiard
"Beaucoup ignorent aussi votre amitié avec Michel Audiard...
Il y a longtemps, pour des raisons matérielles, on s'est retrouvés à travailler sur un projet de scénario, qui ne l'intéressait pas plus que moi, un film sur Mesrine, avec Jean-Paul Belmondo dans le rôle-titre. Mesrine, incarcéré alors à la Santé, a appris l'existence de ce projet et a envoyé une lettre à la production en disant qu'il ne fallait pas mettre le mot "fin" car il risquait d'y avoir des rebondissements (rires)... Ce film n'a jamais vu le jour, mais nous sommes restés amis, Audiard et moi. J'aimais bien son côté "enfant de Paris"..."
Entretien avec Marianne Payot, Delphine Peras, "Je suis devenu comme un bruit de fond", l’Express, 04/03/2010

L'Autobiographie par Natacha Allet & Laurent Jenny (2005).
Cours en ligne,Université de Genève.

L'autoportrait, Natacha Allet (2005).
Cours en ligne,Université de Genève.

 

 

Autobiographie

1. Autobiographie, une définition
« récit rétrospectif en prose qu’une personne réelle fait de sa propre existence, lorsqu’elle met l’accent sur sa vie individuelle, en particulier sur l’histoire de sa personnalité» Philippe Lejeune dans Le Pacte autobiographique (1975)

2.
Perpétuelle question : la part autobiographique dans l'œuvre ? PM a souvent affirmé qu'il se sentait mal à l'aise avec ce qui est purement autobiographique, trouvant même le ton autobiographique comme figé, lui préférant alors la fiction pour la liberté qu'elle favorise. 

« J'ai bien essayé d'abandonner la fiction, dit-il, mais ça ne résout rien. J'ai l'impression d'être prisonnier du "je" vague et répétitif que j'utilise depuis mes premiers romans, qui ne sont d'ailleurs pas vraiment des romans. Je suis incapable d'écrire directement une autobiographie, alors c'est comme si je rédigeais la novellisation du film de ma propre vie. J'éparpille mes souvenirs ici et là, je recolle sans cesse des lambeaux de réalité, rien que des lambeaux, je cherche l'angle pour attaquer la vérité de front, pour affronter le passé en face, mais je n'y arrive pas, je tourne en rond. »
Titre de l'article, Une Jeunesse, à propos du livre "Des inconnues", Nouvel Observateur, 28-01-1999.

3.
<< [il n'est] pas aisé de démêler l’écheveau complexe des « écritures de soi », selon la formule qui tend, au risque d’une moindre précision dans la terminologie, à s’imposer. Cette dilution du terme n’est pas indifférente ; si la chose prolifère, le mot, lui, est devenu suspect : on ne parle plus guère d’autobiographie. Les écrivains qui la pratiquent préfèrent en inventer d’autres : autofiction (Serge Doubrovsky), automythobiographie (Claude Louis-Combet), autobiogre (Hubert Lucot), otobiographie et circonfession (Jacques Derrida), curriculum vitae (Michel Butor), prose de mémoire (Jacques Roubaud), nouvelle autobiographie (Alain Robbe-Grillet), égographie, etc., quand il ne s’agit pas de la paradoxale autobiographie d’un autre (Pierre Pachet, Autobiographie de mon père)… Sans compter les Antimémoires (Malraux) ou les Antibiotiques (autour de Perec).>> Par Dominique VIART in, "Un genre impossible", Université de Lille CEREN-CNDP http://www.cndp.fr/revueTDC/884-73409.htm

4.
" L'entreprise autobiographique m'a toujours paru une sorte de leurre, sauf si elle a une dimension poétique comme Nabokov l'a fait dans Autres rivages. Le ton autobiographique a quelque chose d'artificiel car il implique toujours une mise en scène. Pour moi, c'est plutôt une entreprise artistique, une mise en forme d'éléments dérisoires. " Laurence Liban, Lire, octobre 2003 à l'occasion de la publication de Accident nocturne, roman, 2003

5.
(...) l’autobiographe trie, élimine, imagine, réinvente, spécule sur son propre passé. Il introduit de la logique là où règne le hasard ; il enjolive – esthétise son propos –, dramatise, force le trait. Son texte est troublé d’autres enjeux (un plaidoyer pro domo comme chez Rousseau) ; il ne cesse d’être contaminé par la fiction : si les exigences propres à l’écriture ne l’y contraignaient pas, ce seraient les vicissitudes de la mémoire auxquelles il faut suppléer. Ou les réserves morales, les troubles de l’inconscient, enfin l’incapacité même dans laquelle se trouve tout un chacun de se connaître vraiment. L’autobiographie ne présente jamais un homme dans sa vérité objective, mais simplement tel qu’il s’imagine. Nathalie Sarraute, qui se méfie du genre, explique : « Ce qui m’intéresse quand je lis les vraies autobiographies, c’est de me dire “ah bon, c’est comme ça qu’il voulait qu’on le voie”. » Dominique VIART in, "Un genre impossible", Université de Lille CEREN-CNDP, http://www.cndp.fr/revueTDC/884-73409.htm

6.
Nouvel Observateur. - De «Un pedigree», paru en 2004, vous dites que vous l'avez écrit «comme on rédige un constat ou un curriculum vitae, à titre documentaire et sans doute pour en finir avec une vie qui n'était pas la (vôtre.)» Vous y réglez vos comptes, tardivement, avec votre père. Vous y évoquez, en deux lignes, la mort de votre frère Rudy. Est-ce que ce livre vous a changé, vous a libéré d'un poids trop lourd ?
Patrick Modiano. - Je suis très partagé. Car, si je me suis en effet débarrassé de choses qui m'encombraient, je n'ai pas écrit, avec «Un pedigree», le livre que j'aurais voulu écrire, je n'ai pas été capable de faire ce qu'on appelle une autobiographie. Comment vous dire? A l'exception des deux lignes sur mon frère, je me sens presque étranger à celui qui raconte sa jeunesse.
J'envie les écrivains qui sont en symbiose avec eux-mêmes, qui ont la chance d'avoir de la sympathie pour eux-mêmes. Ce c'est pas mon cas, malheureusement. Sans doute parce que j'ai le sentiment trouble que je ne suis pas responsable de ma vie, comme un chien n'est pas responsable de son pedigree. Elle m'a été imposée, voilà tout, j'y suis en partie étranger. D'où le ton du livre. J'aurais tellement aimé raconter une enfance heureuse avec des parents harmonieux...
Entretien avec Jérôme Garcin, Le Nouvel Observateur", 27 septembre 2007

7.
"Le genre autobiographique m'a toujours gêné car on ne peut s'empêcher de prendre une sorte de « ton autobiographique ». Comme on divulgue des choses assez intimes, on les réinterprète et on risque de mentir. Sauf quand vous êtes en harmonie avec votre enfance : dans l'élégie, il peut y avoir quelque chose d'assez bouleversant comme l'a fait Nabokov. Pour « Un pedigree », c'était différent : je voulais me débarrasser d'un certain nombre de choses qui m'avaient fait du mal. J'ai voulu dire que je m'en désolidarisais. Ensuite seulement je me suis aperçu que c'était une entreprise littéraire, et que ça se raccordait avec tous mes autres livres." Entretien avec Christophe Ono-dit-Biot , 27/09/2007, à l'occasion de la parution de Dans le café de la jeunesse perdue,- © Le Point N°1828-

8.
"Ma démarche n'est pas d'écrire pour essayer de me connaître moi-même ni de faire de l'introspection. C'est plutôt, avec de pauvres éléments de hasard: les parents que j'ai eus, ma naissance après la guerre..., trouver un peu de magnétisme à ces éléments qui sont sans intérêt en eux-mêmes, les réfracter à travers une sorte d'imaginaire. L'entreprise autobiographique m'a toujours paru une sorte de leurre, sauf si elle a une dimension poétique comme Nabokov l'a fait dans Autres rivages. Le ton autobiographique a quelque chose d'artificiel car il implique toujours une mise en scène. Pour moi, c'est plutôt une entreprise artistique, une mise en forme d'éléments dérisoires." a propos de Livret de famille, source inconnue.

9. Autobiographie
<< J’ai employé un processus de mythomanie qui permet de mélanger réalité et fiction.>> Magazine littéraire, novembre 1969 ; << C’est moi, mais a travers une autobiographie rêvée.>> Lire, octobre 1975; << Assez d’autobiographie romancée ! >>
Le Point, 3 janvier 1983



Autobiographie / Imaginaire*
"Il ne s'agit jamais pour moi de me plonger de façon narcissique dans mon enfance. Je n'écris pas pour parler de moi ou essayer de me faire comprendre. Ni pour reconstituer les faits. Il n'y a aucun désir d'introspection. Non, j'ai juste été marqué durant l'enfance par une atmoshère, un climat, parfois des situations, dont je me suis servi pour écrire des livres. Mais en quittant le plan autobiographique pour me situer sur celui de l'imaginaire, du poétique, avec quelques événements de mon enfance pour matrice. Des choses parfois dérisoires, insignifiantes, sans doute pas si mystérieuses, au fond." Télérama. Entretien avec Nathalie Crom, 1/10/2014

Autobiographie* et Pedigree 1
"La parution et le succès d'Un pedigree ont-ils changé beaucoup de choses en vous ?
P.M. On pouvait classer ce livre du côté des autobiographies - c'est d'ailleurs ce que l'on a fait - mais j'ai toujours eu l'impression que ce livre se rattachait aux romans. En fait, la perspective de l'autobiographie m'a toujours perturbé. Dans Un pedigree, je ne racontais pas une vie, la mienne. Je parlais de choses qui m'avaient été imposées. Ce n'est pas la même perspective, vous comprenez. Je parlais de choses qui m'avaient fait souffrir mais qui m'étaient étrangères, qui ne m'étaient pas intimes. Bien sûr, il s'agissait de mes parents. Mais ces choses m'avaient été imposées par eux et étaient presque comme des corps étrangers. J'ai écrit ce livre pour me débarrasser de ces éléments étrangers, pas pour raconter ma vie. Le pedigree, comme pour les chiens ou les chevaux, renvoie aux choses dont nous ne sommes pas responsables : nos parents, par exemple. Mais ce livre ne relevait absolument pas d'une démarche pour essayer de me comprendre moi-même. J'ai toujours trouvé qu'il y avait quelque chose d'un peu faux dans l'autobiographie. Un ton qui est toujours faux. On se met toujours en valeur. Ou bien on oublie beaucoup de choses, ou on les cache... L'autobiographie m'a toujours paru bizarre. Suspecte. On pourrait d'ailleurs faire un pastiche des différentes formes d'autobiographie. J'ai aimé en lire mais il y a toujours une forme de mensonge. Il y a là une sorte d'impudeur. On ment parfois par omission, ou en présentant les choses sous un angle qui n'est pas celui de la vérité mais de la trahison. Tout cela est un peu bizarre. Un pedigree n'était pas une autobiographie mais le récit de choses qui m'avaient fait souffrir tout en m'étant étrangères. Ce qui m'émeut, dans les grandes autobiographies, celles des Russes ou des Anglais, c'est qu'ils parlent tous de leur enfance comme d'un Eden perdu ; or, pour moi, l'enfance fut tout à fait autre..." "Mon Paris n'est pas un Paris de nostalgie mais un Paris rêvé" entretien avec François Busnel (Lire), 04/03/2010

Autobiographie* et Pedigree 1
- Dans votre oeuvre, seul Un Pedigree relève strictement de l'autobioraphie ?
PM - "Oui, on peut considérer les choses ainsi. Pourtant, bizarrement, c'est un livre où je ne parle pas de choses ou de gens très intimes. En fait, j'ai écrit livre pour me délester de ce qui m'avait été imposé dans la vie : mes parents, les personnes qu'on a autour de soi lorsqu'on est enfant ou adolescent, qu'on n'a pas choisies mais qui sont là et vous contraignent ou vous pèsent. Je voulais vraiment m'en débarrasser, comme on le fait d'un corps étranger. Je l'avais écrit après avoir lu un ouvrage où il était question de moi, qui comportait beaucoup d'inexactitudes. J'avais décidé à titre documentaire et à mon seul usage, de dresser une sorte de memorandum, très factuel et très précis, de mon enfance et de mon adolescence. Au bout de dix ans, je l'ai retravaillé pour qu'il soit publié. Ca a donné ce livre lapidaire, sommaire, Un pedigree, qu'un temps j'ai regretté d'avoir publié, justement à cause de ce côté factuel et autobiographique. Puis il s'est passé un phénomène bizarre : ce livre a été comme aspiré par mes autres livres, il ne s'en dissociait pas, il était comme un squelette de mes autres livres." Télérama Entretien avec Nathalie Crom, 01-10-2014.

Autobiographie* et Pedigree 1
<< - Pour beaucoup, Un pedigree a marqué un tournant dans votre oeuvre : vous publiiez pour la première fois un livre strictement autobiographique, dans lequel vous révéliez frontalement certains éléments de votre vie qui n'apparaissaient que de façon détournée dans vos romans... On aurait pu penser que ce texte marquerait la fin de ces travaux de déblaiement que vous évoquiez au début de notre entretien, qu'enfin le champ serait libre...
PM - J'aurais pu croire que la boucle était bouclée, que je m'étais débarrassé de certaines choses, mais l'idée qu'on pourrait passer à autre chose est un peu une illusion. On est prisonnier de son imaginaire, comme on est prisonnier de sa voix. C'est ça qui est terrible. J'ai toujours l'impression d'écrire le même livre. Un pedigree lui-même se réfracte sur les autres ; et il n'a d'ailleurs d'intérêt selon moi que par renvoi aux autres livres. Ce que j'évoque dans Un pedigree, ce sont des choses qui m'ont pesé mais qui ne me concernaient pas en profondeur. J'ai regretté de ne pas avoir pu écrire un livre dans lequel j'aurais parlé d'une enfance harmonieuse, comme je l'avais aimé chez certains écrivains russes. Ainsi Autres rivages de Nabokov, où l'enfance est une sorte de paradis perdu. C'est dommage. J'aurais aimé écrire quelque chose d'élégiaque, d'émouvant...
- Est-ce que ce livre marque pour vous la fin de l'écriture autobiographique ?
PM - Oui, parce que l'écriture autobiographique m'a toujours embêté. Si vous voulez vraiment parler de choses intimes qui vous concernent, c'est un peu délicat... Il y a pour moi un ton autobiographique qui n'est jamais tout à fait juste. Pour Un pedigree, c'était facile car je parlais de choses dont je voulais me débarrasser. Mais, si on veut vraiment entrer dans le vif du sujet, on est obligé de parler de choses très intimes, de gens qui ont été mêlés à votre vie... Vous n'êtes pas sûr que vous dites des choses vraiment justes sur eux. C'est très périlleux, il y a toujours des oublis, volontaires ou involontaires. Certaines autobiographies m'ont plu, comme Autres rivages, ou Le Bruit du temps de Mandelstam. Mais ça m'a toujours fait un peu sourire, quelque part. Il y a un côté presque ridicule, chez les hommes surtout... une manière de se donner le beau rôle. Je pense que je n'arriverais pas à trouver le ton juste si j'écrivais une autobiographie. Bizarrement, j'ai eu l'impression de m'approcher plus de ma propre vie dans la fiction.
>>Entretien avec Maryline Heck, Magazine Littéraire, n° 490, octobre 2009

Autobiographie (écrire sa propre)
<< (...) je crois qu’il est difficile d’être son propre biographe. L’entreprise autobiographique entraîne de grandes inexactitudes puisque l’on pèche souvent par omission, volontairement ou non. Et même si l’on cherche à être exact et sincère, on est condamné à une «posture» et un ton «autobiographique» qui risquent de vous entraver. Je crois que pour en faire une œuvre littéraire, il faut tout simplement rêver sa vie – un rêve où la mémoire et l’imagination se confondent. >> Entretien publié sur le site des éditions Gallimard, octobre 2014

 

Autofiction


L’appellation est employée pour la première fois par Serge Doubrovsky, en 1977, pour caractériser son roman, Fils. Il s’agit d’une fiction, d’événements et de faits strictement réels. Deux conditions doivent être remplies pour que le texte satisfasse aux critères de l’autofiction : "le livre doit être clairement désigné comme ‘roman’, c’est-à-dire comme histoire feinte ou fictive, et le même nom, de préférence conforme à l’état-civil, doit désigner l’auteur, le narrateur, le protagoniste." Publié la même année que Fils, Livret de famille répond parfaitement à ces principes de composition selon les commentaires critiques.
Baptitste Roux, Une Occupation revue par les lois de l’autofiction.

L'Autofiction en question
Plusieurs études universitaires permettant de comprendre ce concept. Et en particulier : Une Occupation revue par les lois de l’autofiction

(Autofiction) V. COLONNA"Défense et illustration du roman autobiographique", à propos du livre de Philippe Gasparini, Est-il Je ? Roman autobiographique et autofiction, Paris, Le Seuil, coll. "Poétique ", mars 2004

(Autofiction) Philippe Forest, entretien avec Audey Cluzel à propos de son ouvrage : Le Roman, le Je, Pleins feux éd, 2001
<< L’autofiction, c’est tout simplement l’autobiographie soumise au soupçon. Au soupçon, c’est-à-dire au questionnement lucide de la conscience critique. Quiconque raconte son existence la transforme en roman et pénètre ainsi dans le domaine enchanté de la fable. On croit dire le vrai de sa vie et, dès que l’on y réfléchit, on s’aperçoit que tout récit, même le plus intime, a forme obligée de fiction. Chaque épisode vécu se configure spontanément selon les règles qui régissent le grand domaine imaginaire des contes, des épopées, des tragédies, des romans. “La vérité a structure de fiction” disait Jacques Lacan.
 En conséquence, si la vérité est fiction, tout écrivain digne de ce nom comprend qu’il faut à la fiction se redoubler, devenir fiction d’elle-même pour espérer reconduire auteur et lecteur vers le lieu éventuel de la vérité. Au nom d’une exigence absolue de sincérité, l’autobiographie croit pouvoir répudier toutes les ressources du romanesque auxquelles elle ne cesse pourtant d’avoir recours. Ce sont ces mêmes ressources que l’autofiction mobilise. Car toute vie, en vérité, est un roman. Et en conséquence, seul le roman sait dire la vie.

(...)

Audrey Cluzel - Autofiction ou non, lorsqu’on revient à l’origine étymologique du mot "inventer", on rencontre cette définition : "trouver ce qui existe", peut-on, selon vous, rapporter l’écriture à une telle invention ?
PF- Oui, c’est parce qu’il y a toujours invention de soi, que l’autobiographie conduit nécessairement à l’autofiction. Mais je voudrais ajouter que cette invention est forcément inquiète. Il ne s’agit pas de proposer au lecteur la légende d’un devenir mais, comme je l’explique dans mon nouvel essai (Le Roman, le Je, Pleins Feux, 2001) l’expérience d’un “revenir”. Je veux dire qu’un écrivain est toujours quelqu’un qui s’en revient vers le récit de sa vie. Et que ce retour, comme l’expliquait Breton dans Nadja, il l’accomplit à la façon d’un fantôme attaché par le désir au spectacle du réel. En ce sens, il faut renoncer à toutes les illusions consolantes entretenues par la mythologie littéraire. On peut faire de sa vie un roman mais c’est un roman à l’intérieur duquel sa propre identité n’est jamais appréhendée qu’à la façon d’un mirage, d’une chimère, d’un mensonge.
>>

L'autofiction par Laurent Jenny (2003)
Cours en ligne, Université de Genève

Autofiction, à propos de Un Pedigree (réponse à un jornalsite)
<< -Plus on entre dans la lecture de ces souvenirs, plus la frontière entre réalité et fiction semble s’abolir…
- Presque chaque paragraphe de ce livre peut se retrouver dispersé dans mes autres livres, et "transposé" dans l’imaginaire. Il suffit d’appuyer sur un bouton, comme sur un tableau de commande.

- Plus on entre dans la lecture de ces souvenirs, plus la frontière entre réalité et fiction semble s’abolir…
- Presque chaque paragraphe de ce livre peut se retrouver dispersé dans mes autres livres, et "transposé" dans l’imaginaire. Il suffit d’appuyer sur un bouton, comme sur un tableau de commande.
>>

Autofiction et JE*
- On a pu accoler à vos livres l'étiquette d'« autofiction ». Est-ce une appellation que vous revendiqueriez ?
PM - Savoir si mes livres relèvent de l'autofiction, j'aurais du mal à le dire. Il y a toujours ce manque de lucidité sur ce qu'on écrit... Certes, mon narrateur parfois s'appelle Patrick, Patoche, mais c'est une sorte de facilité. Il y a Remise de peine, qui a une dimension autobiographique. Mais j'utilisais le je avant tout parce qu'il me permettait de trouver un ton, une forme. C'est ça qui est compliqué, quand on écrit : trouver un ton. Je ne pourrais pas en tout cas me servir de choses trop intimes de ma vie. Parce que c'est aussi ça, l'autofiction... Doubrovsky avait sorti un livre dans lequel il n'hésitait pas à se servir d'éléments très intimes de sa vie, je trouvais ça un peu gênant. Mes livres sont moins des autofictions que des rêveries sur des éléments qui peuvent aussi être loin de ma sphère personnelle. Le je que j'utilise, je n'ai en général pas l'impression qu'il s'agit de moi. Même dans Un pedigree, dans la mesure où j'y parlais de choses qui m'étaient étrangères, vis-à-vis desquelles je n'avais aucun sentiment, même quand elles concernaient ma propre mère... Je voulais me débarrasser de ces choses dans lesquelles je n'étais pas impliqué, qui m'avaient fait souffrir mais qui n'étaient pas intimes, personnelles. De choses intimes, je n'aurais pas pu en parler.
Entretien avec Maryline Heck, Magazine Littéraire, n° 490, octobre 2009

Autofiction, Bibliographie

  • Philippe LEJEUNE, Le Pacte autobiographique, Seuil, 1975.

  • Serge DOUBROVSKY, " Autobiographie/vérité/psychanalyse ", L 'Esprit créateur, 1980.

  • Serge DOUBROVSKY, Fils, Galilée, 1977.

  • Serge DOUBROVSKY, " L'initiative aux maux : écrire sa psychanalyse", Confrontation, 1, 1979.

  • Serge DOUBROVSKY, Le Livre brisé, Paris, Grasset, 1989.

  • Serge DOUBROVSKY, " Sartre :autobiographie/autofiction ", Revue des Sciences humaines: Le Biographique, n°22, 1991 -1994.

  • Serge DOUBROVSKY, Autobiographiques. De Corneille à Sartre, PUF, 1988.

  • Serge DOUBROVSKY, Un amour de soi, Hachette, 1982.

  • Vincent COLONNA, L'Autofiction (essai sur la fictionnalisation de soi en littérature), thèse inédite sous la direction de Gérard Genette, 1988.

  • Autofictions et Cie, publié sous la direction de S. DOUBROVSKY, J. LECABE, P. LEJEUNE, Centre de Recherches Interdisciplinaires sur les textes modernes, Université Paris X, 1993.

  • Jean-François CEANTARETTI, "Ecriture de son analyse et autofiction : le 'cas' Serge Doubrovsky", De l'acte autobiographique, Paris, Champ Vallon, 1995.

  • Thierry LAURENT, L 'oeuvre de Patrick Modiano une autofiction, PUF, Lyon, 1997.

  • Marie MIGUET, " Critique/autocritique/autofiction ", Les Lettres romanes, vol. XLIII, n°3, 1989.

  • Roland BARTHES, Barthes par Roland Barthes, Seuil, 1975.

  • Gérard GENETTE, Fiction et Diction, Seuil, 1991.

  • Antoine BLONDIN, Monsieur Jadis ou l'école du soir, La Table ronde, 1970.

  • Revue CULTURES EN MOUVEMENT - Sciences de l'Homme & Sociétés - Mensuel.
    Aperçu du numéro 18 - Juin 1999. [ Format Acrobat pdf ]

  • Jean-François CHIANTARETTO (J.-F.), Ecriture de soi et psychanalyse, L'Harmattan.

 

 Autopacte, site de Philippe Lejeune. Etudes sur l'autobiographie.

 

l'automne
N.O.- De l'automne, vous dites que ce n'est pas une saison triste: «il y a de l'électricité dans l'air...»
P. Modiano.- Je ressens en effet l'été comme une saison brutale, oppressante et métaphysique. Elle m'évoque toujours les romans de Pavese. L'automne, en revanche, est celle où, malgré les feuilles mortes et les jours qui raccourcissent, tout paraît recommencer, tout devient possible, tous les projets sont autorisés. Je ne l'éprouve pas comme un moment de mélancolie, mais au contraire comme un moment à la fois excitant et rassurant. L'automne ne me donne jamais le cafard, il me donne envie d'écrire, de partir à la recherche des points fixes comme d'autres font des mots croisés.
Entretien avec Jérôme Garcin, Le Nouvel Observateur", 27 septembre 2007

 

Avant garde
<< - Vous avez commencé à écrire à une période où la littérature se devait d'être d'avant-garde. Vos livres pouvaient paraître singulièrement décalés par rapport aux courants qui dominaient alors, le Nouveau Roman, des groupes comme Tel quel ou Change...
PM -
C'était une période bizarre, quand j'avais 19-20 ans. Il y avait la grande génération des années 1930 qui continuait encore à publier, une très forte génération littéraire française, les gens qui avaient eu 20 ans juste avant la guerre de 1914, ou un peu plus jeunes : Céline, Malraux, Aragon, Montherlant... Il y avait encore ces grands dinosaures. Sans parler de Michaux et de Queneau... Il y a eu ensuite Genet, Duras, ces gens nés vers 1910. Puis toute la période du Nouveau Roman. Mais les gens de ma génération, ceux qui avaient 20 ans dans les années 1960, s'intéressaient plus aux sciences humaines qu'à la littérature. Donc je me sentais un peu en porte-à-faux. Je me sentais évidemment plus proche de la génération des années 1930. Mais je n'avais pas le souci de me positionner dans le champ littéraire de l'époque. Le concept de revue, de groupe, tel que le pratiquait Tel Quel par exemple, me paraissait désuet : cela avait déjà été fait avant, par les surréalistes, de façon plus éclatante peut-être. Moi, je fonctionnais plus à l'aveuglette. J'avais l'impression que j'étais un produit étrange.>> Entretien avec Maryline Heck, Magazine Littéraire, n° 490, octobre 2009



Une Aventure de Choura (1986)

Aventure de Choura (une) [1986], illustrations de Dominique Zehrfuss  Albums, Gallimard Jeunesse.
Résumé
de l'éditeur
Voici Choura, labrador aux yeux bleus, qui s'ennuie chez ses maîtres et qui est un chien romantique. C'est aussi un chien qui ne doute de rien, et c'est pourquoi, probablement à cause d'un livre et d'un film, sa vie prend une tournure à faire rêver tous les chiens et les enfants, à partir de cinq ans.

 
Une aventure de Choura, Une fiancée* pour Choura
" En 1986 et 1987, Patrick Modiano, épaulé par l’illustratrice qui le connaît le mieux, Dominique Zehrfuss, publiait chez Gallimard deux albums pour enfants : Une aventure de Choura et Une fiancée pour Choura. Ce sont des albums paradoxaux comme l’album de Marguerite Duras évoqué déjà ici. Patrick Modiano n’eût-il été Patrick Modiano, aucun éditeur sensé n’aurait édité ces deux livres. Non qu’ils fussent mauvais ou simplement sans intérêt, mais ils ne s’adressent assurément pas à qui ils semblent être destinés.
Choura est un labrador aux yeux bleus, avec des grains de beauté sur le visage. Il vit chez M. et Mme Vervekken, ses maîtres, à Massy-Palaiseau. Ce sont de bons bourgeois, modernes (à la Jacques Tati). Chez eux, il écoute l’adagio d’Albinoni (sans se demander, comme un récent ministre désarmé, qui en est le compositeur), et lit Le Mouron rouge. Subjugué par ce livre, il écrit à la baronne Orczy pour lui dire son admiration ; en retour elle l’invite à Monte-Carlo, où elle réside, pour en faire son secrétaire particulier. Ses nouvelles fonctions consistent pour l’essentiel à lézarder dans la piscine, à faire du ski nautique et à danser lors de soirées pendant lesquelles la baronne et Porfirio Rubirosa papotent.

Dans le deuxième album, la baronne emmène son secrétaire particulier, Choura, aux sports d’hiver. A la patinoire, Choura fait la connaissance de Flor de Oro, une jeune chienne en vacances avec son maître. Les deux chiens se plaisent et le maître de Flor de Oro propose à la baronne de les fiancer. Il les embarque tous pour Santo-Rosario, l’île dont il est président. Choura se prend à rêver d’un jour lui succéder, pendant que la baronne écrit un nouveau roman d’aventures.
"Je suis un chien qui fait semblant d'avoir un pedigree." écrit Modiano dans Un Pedigree. L’image vient de loin. Choura, le héros des ces deux aventures bien antérieures est un chien anthropomorphe. Il marche sur les pattes arrières, valse et s’initie au ski nautique. Il est allé à l’école, fréquente seul les cinémas, lit la baronne Orczy et apprend à taper à la machine. De là à l’imaginer substitut de l’auteur… Incontestablement la mythologie personnelle de Modiano affleure dans ces petits textes. Rubirosa qu’on a croisé aussi dans La place de l’étoile, Rue des boutiques obscures, et Quartier perdu est la figure centrale des deux récits. Dans le premier, il évoque les souvenirs de leur jeunesse avec la baronne (au mépris de toute vraisemblance, 44 ans les séparaient). Dans le second, la jolie fiancée de Choura se prénomme Flor de Oro, comme la fille du dictateur Trujillo, qu’épousa le séduisant Porfirio. Rubirosa précédé d’une réputation flatteuse (les maîtres d'hotel désigneraient de son nom les moulins à poivre king size) épousa ensuite Danielle Darrieux et on lui attribue des liaisons plus ou moins longues avec Eva Peron, Ava Gardner, Rita Hayworth, Kim Novak, Dolorès del Rio, Veronica Lake et Zsa Zsa Gabor. Une telle conjonction d’actrices de cinéma de l’âge d’or hollywoodien ne pouvait que fasciner Modiano, dont la mère elle-même connut une petite carrière cinématographique.
On voit que rien dans les thèmes ni dans les références ne destine Une aventure de Choura et Une fiancée pour Choura à de jeunes lecteurs. Néanmoins, ils demeurent, à les relire vingt ans plus tard, pleins de charme. Et si Dominique Zehrfuss n’égale pas Pierre Le Tan dans la fusion avec le texte, son travail (qui rappelle un peu celui de Régis Franc) convient tout à fait à l’atmosphère déréalisée des deux récits de Modiano." Blog in girus imun nocte et consomimur igni (http://ingirum.blogspirit.com/modiano_patrick/)

 

 


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