Echouer
(où vous deviez)
<< J’ai toujours cru que certains endroits sont des
aimants et que vous êtes attiré vers eux si marchez
dans leurs parages. Et cela de manière imperceptible, sans
même vous en douter. Il suffit d’une rue en pente,
d’un trottoir ensoleillé ou bien d’un trottoir
à l’ombre. Ou bien d’une averse. Et cela vous
amène là, au point précis où vous
deviez échouer.>> Dans le café
de la jeunesse perdue, p. 18
Économie
textuelle
(...)
je n'ai aucune facilité de plume, et écrire est donc pour moi
un travail un peu pénible, bien que le résultat donne une impression
de simplicité. J'essaie de dire les choses avec le moins de mots
possible." Article paru dans Paris-Match du 13 mars
1981, pp. 56 et 57.
Écrire
1. Écrire
/ Attendre
Il relève les attentes interminables liées à l'écrire ; il peut
écrire une heure et attendre toute la journée dans une sorte d'état
de rêve (ou de torpeur…). Il s'étonne aussi de la force de certains
écrivains à écrire 5 heures par jour alors que pour lui l'écriture
est une suite de fragments mis pour à bout. << Quand j’ai
commencé à écrire, je reculais sans arrêt l’heure de travailler,
comme dans la nouvelle de Fitzgerald qui s’appelle "L’Après-midi
d’un écrivain", où il recule sans arrêt l’heure de travailler
et finit par se soûler.>>
Défaillance de la concentration, vacance du sujet nécessaire
à l'élaboration de la fiction, disponibilité entre la sensation
du présent et les traces du passé via des noms et des objets.
Où se situe Patrick Modiano lorsqu'il écrit ?
2.
Écrire
<< Écrire est une activité un peu pénible parce que c’est
une sorte de mise en veilleuse qui dure pendant plusieurs mois...
Fitzgerald avait trouvé une image... Il disait que ça consistait
à rester longtemps sous l’eau, il y a un côté un peu asphyxiant,
on est obligé de se déconnecter et d’être son propre critique.
Le plus difficile, c’est de se dédoubler. Et puis il faut garder
l’impulsion de la rêverie initiale, alors qu’une phrase va mettre
trois semaines à se retrouver sur le papier... Au bout d’une semaine,
on n’a plus aucune motivation et pourtant, il faut continuer sur
sa lancée, même si l’impulsion de départ faiblit.>> Les
Inrockuptibles, Festival de Cannes 1997
3. Écrire le même livre
<< Je n'ai jamais
eu l'impression, chaque fois que j'ai écrit un livre, d'avoir
écrit quelque chose de fini, de clos sur lui-même, comme un roman
de Simenon, par exemple. J'ai toujours eu l'impression que j'essayais
au fur et à mesure de mes livres de déblayer quelque chose pour
enfin arriver à écrire un vrai livre. Mais ce n'est jamais fini,
c'est comme une fuite en avant, très désordonnée, comme quelqu'un
qui n'a pas assez de souffle, qui est obligé de faire des pauses.
Dans mon enfance, il y avait une course de vélo qui s'appelait
les Six jours. Pendant six jours, les coureurs tournaient sur
une piste. Parfois, ils s'arrêtaient, ils faisaient du surplace.
C'est pareil quand j'écris. Dans cette succession de livres, il
y a plein de moments inutiles, il ne faudrait garder que les bons
et les rassembler, comme des morceaux choisis. Je me dis toujours:
je vais me débarrasser de ça, et après j'aurai le champ libre.
Mais c'est impossible, c'est une illusion. Le vrai livre n'arrive
jamais. Et je n'arrive jamais à écrire un livre complètement autonome
des autres. J'ai toujours l'impression que je pourrais prendre
tel truc dans tel livre et le raccrocher à tel morceau d'un autre,
que ça ne ferait pas vraiment de différence. Tout ces déblayages
vers un livre principal donnent une direction mais pas une architecture,
ce qui fait qu'on continue d'écrire. On reprend sous un autre
angle, c'est comme un contrechamp.>> Libération
du 24/06/01
4...
Écrire le même livre
"Patrick Modiano n'écrit pas toujours le même livre,
il le continue." Jean-Baptiste
Harang (Libération, 02-10-03)
Et si cette évidence en forme de sentence prononcée seulement
en octobre 2003 (après 30 romans) pouvait désigner justement,
intimement le travail de Modiano depuis 1968. A chaque publication,
l'idée que chaque livre répète le précédent perdure en une sorte
de "rien dire de plus" qui habille certains discours
journalistiques...
Oui, PM "continue le même livre" depuis toujours dans
une sorte de vaste "Comédie du Temps" dont
le personnage principal serait un narrateur à la fois précis
et indécis, un furet qui se porte là où ne le devine pas toujours.
Pourtant...
5."J'ai
toujours l'impression que j'écris le même livre,
tout en oubliant ce que j'ai écrit avant..." Entretien
avec Myriam CHAPLAIN-RIOU, AFP, à l'occasion d la publication
de l'Horizon, février 2010
6.Diriez-vous,
à l'instar de votre héros, Jean Bosmans, romancier
comme vous : "C'était toujours les mêmes mots,
les mêmes livres, les mêmes stations de métro"
?
Oui, j'ai toujours l'impression d'écrire le même
livre. Chaque fois que j'en commence un, j'oublie, comme frappé
d'amnésie, les précédents et les mêmes
scènes reviennent. C'est comme un ressac, des vagues qui
sans arrêt... Un photographe qui prendrait toujours le même
sujet mais sous des angles différents. Avec mes livres,
sans m'en apercevoir, je pourrais composer, tout comme ces plans
de métro dont les lignes s'illuminent, une sorte de réseau
avec des enchevêtrements. Entretien avec
Marianne Payot, Delphine Peras, "Je suis devenu comme un
bruit de fond", l’Express, 04/03/2010
7.
Ecrire
«J’essaye de glisser des brèches de silence
entre les phrases. De provoquer un écho de vibration à
la fin de chacune d’elle. Comme en acupuncture, je pique
à certains endroits précis pour que la sensation
se propage. En tant que lecteur, j’aime les styles plus
virtuoses et plus oratoires que le mien. Mais le risque alors
est d’étouffer le ¬lecteur, de l’étourdir.
Je préfère suggérer les choses, en laissant
des ombres. Au cinéma, l’œil se pose instinctivement
vers les zones de pénombre pour mieux voir.» [NB
: citation sans doute réécrite par la journaliste.]
Rencontre
« Patrick Modiano, chasseur d’ombres par Lisbeth Koutchoumoff,
Le Temps. 13 mars 2010
8.Ecrire
"D'ailleurs, je n'écris pas des romans
au sens classique du terme, plutôt des choses un peu bancales,
des sortes de rêveries, qui relèvent de l'imaginaire."
Télérama.
Entretien avec Nathalie Crom, 1/10/2014
9.
Ecrire
<< Je n'ai aucune facilité de plume, et écrire
pour moi est un travail un peu pénible, bien que le résultat
donne une impression de facilité. J'essaie de dire les
choses avec le moins de mots possible. >>
Propos recueillis par Judith Louis dans Entretien avec Patrick
Modiano, Synopsis, no 1.
Ecrire
(activité solitaire)
«
Curieuse activité solitaire que celle d’écrire.
Vous passez par des moments de découragement quand vous
rédigez les premières pages d’un roman. Vous
avez, chaque jour, l’impression de faire fausse route. Et
alors, la tentation est grande de revenir en arrière et
de vous engager dans un autre chemin. Il ne faut pas succomber
à cette tentation mais suivre la même route. C’est
un peu comme d’être au volant d’une voiture,
la nuit, en hiver et rouler sur le verglas, sans aucune visibilité.
Vous n’avez pas le choix, vous ne pouvez pas faire marche
arrière, vous devez continuer d’avancer en vous disant
que la route finira bien par être plus stable et que le
brouillard se dissipera. »
7 décembre 2014. Discours de stockholm, prononcé
3 jours avant la remise du prix Nobel de Littérature.
______________
Ecriture*
(dimenssion inconsciene de) / Psychanalyse 2*
<< - Vous parlez beaucoup de la dimension inconsciente*
de l'écriture...
PM - Oui, c'est un peu comme un rêve éveillé
ou un demi-sommeil... Je m'aperçois qu'il y a des choses
qui reviennent, de façon obsessionnelle. Ça m'angoisse
un peu. Un psychanalyste trouverait sans doute là matière
à interprétation... En ce qui me concerne, je ne
veux pas trop creuser. Ce serait un peu comme si on réveillait
un somnambule, je n'en ai pas très envie.
- La psychanalyse ne vous a jamais tenté ?
PM - Pour moi, ce serait comme une intrusion. Une radiographie
de mon inconscient dont j'aurais peur qu'elle mette tout à
plat. Que ça m'assèche, que ça brise l'équilibre
un peu fragile dans lequel se passe l'écriture pour moi.
Donc, non, je n'ai jamais été tenté par la
cure analytique. Je me demande d'ailleurs si je ne me serais pas
senti plus retors que le psychanalyste. Je ne suis pas non plus
familier de la théorie analytique, même si certaines
notions me fascinent, comme celle de souvenir-écran. Ces
notions peuvent être romanesques, on peut presque s'appuyer
sur elles pour écrire.>>
Entretien avec Maryline Heck, Magazine Littéraire, n°
490, octobre 2009
Ecriture
(le travail d')
<< - Comment se passe, concrètement, le travail d'écriture
?
PM - J'écris tous les jours. Comme le fait d'écrire
ne m'est pas du tout agréable, j'essaie de m'en débarrasser
le plus vite possible. Mais j'écris tous les jours, sinon
je perds le fil. Si je sautais un jour ou deux, je risquerais
d'abandonner. Il faut se donner des cadres précis, sinon
tout va à vau-l'eau. En revanche, je n'arrive pas à
écrire très longtemps. Cela me fascine toujours,
d'entendre des écrivains dire qu'ils sont capables d'écrire
six heures d'affilée... J'en suis incapable. J'y pense
toute la journée, mais le moment d'écrire dure en
soi à peine une heure. Cela me fait penser à certains
chirurgiens qui sont obligés de faire les choses rapidement,
sinon leurs mains tremblent. J'écris d'abord un premier
jet, et il y a ensuite cette phase de correction qui est assez
interminable, qui dure plus que le temps de la rédaction
elle-même. Ce sont des corrections de détail, je
supprime, je change des mots, cela n'en finit pas... Là,
je peux y rester huit heures de suite. J'écris à
la main, je ne me sers pas d'un ordinateur. Je le regrette d'ailleurs,
mais maintenant ce n'est plus possible, c'est trop tard pour que
j'apprenne. Ça m'aurait facilité les choses, pour
ce travail de correction très précis notamment.
>>
Entretien avec Maryline Heck, Magazine Littéraire, n°
490, octobre 2009
Ecriture
et travail*
<< Ce que j'aime, dans l'écriture, c'est plutôt
la rêverie qui la précède. L'écriture
en soi, non, ce n'est pas très agréable. Il faut
matérialiser la rêverie sur la page, donc sortir
de cette rêverie. Parfois, je me demande comment font les
autres ? Comment font ces auteurs qui, comme Flaubert le faisait
au xixe siècle, écrivent et réécrivent,
refondent, reconstruisent, condensent à partir d'un premier
jet dont il ne reste finalement rien ou presque dans la version
finale du livre ? Ça me semble assez effrayant. Personnellement,
je me contente d'apporter des corrections sur un premier jet,
qui ressemble à un dessin qui aurait été
fait d'un seul trait. Ces corrections sont à la fois nombreuses
et légères, comme une accumulation d'actes de microchirurgie.
Oui, il faut trancher dans le vif comme le chirurgien, être
assez froid vis-à-vis de son propre texte pour le corriger,
supprimer, alléger. Il suffit parfois de rayer deux ou
trois mots sur une page pour que tout change. Mais tout ça,
c'est la cuisine de l'écrivain, c'est assez ennuyeux pour
les autres...
Dans mes premiers livres, il n'y avait jamais de chapitres, de
retours à la ligne, de respiration. A posteriori, je me
suis demandé pourquoi, et j'ai compris que l'écriture
s'accommode mal de la jeunesse. Sauf dans le cas d'un génie
poétique précoce, comme Rimbaud. Ecrire très
jeune, c'est être soumis à une tension qu'on ne sait
pas manier. Regardez ces déménageurs capables de
porter sur les épaules et le dos des poids inhumains, parce
qu'ils savent quelle posture leur corps doit adopter pour cela.
Ecrire, c'est pareil : il faut trouver la posture. Au début,
je n'y arrivais pas, j'étais crispé, tendu, ce n'est
pas si facile de se concentrer. De plus, il y a comme une déperdition
d'influx nerveux entre le cerveau et la main : on pense à
des choses qui vous stimulent, et quand on se met à écrire,
d'une certaine manière, c'est déjà trop tard,
vous avez perdu l'influx nerveux, vous êtes comme ces canards
dont on a coupé le cou et qui continuent à courir
alors qu'ils n'ont plus de tête.
Ce n'est qu'avec les années que j'ai appris à gérer
cela, à me détendre un peu, à aérer
mes romans. Ecrire n'est pas vraiment plus facile, mais on dispose
de techniques qui font que, quand même, on y arrive mieux.
Même si, parfois, je me dis aussi qu'il y a un côté
anachronique dans l'écriture, la lenteur qu'elle suppose,
alors même que tout va tellement vite aujourd'hui, tout
s'est accéléré autour de l'écrivain
qui, lui, continue à son rythme.>> Télérama.
Entretien avec Nathalie Crom, 01/10/2014
écrit
la même chose
<< Vous arrive-t-il de jeter
un regard en arrière et de vous interroger sur l'évolution
de votre oeuvre ?
Patrick Modiano. Me tourner en arrière*, c'est quelque
chose que j'essaie d'éviter. J'ai peur de m'apercevoir
que j'ai toujours écrit la même chose. Cela m'est
arrivé, en corrigeant un texte, de m'apercevoir que j'avais
écrit quasi exactement la même scène dans
un livre précédent. Certaines choses reviennent
sans qu'on s'en rende compte. Je ne voulais d'ailleurs pas trop
m'en apercevoir, je ne voulais pas trop approfondir cela, car
ça risquait de me paralyser : si je me disais que j'écrivais
tout le temps la même chose, alors je risquais d'arrêter
d'écrire ! C'est assez décourageant, quelque part.
Mes textes me donnent l'impression d'un kaléidoscope, avec
toujours les mêmes figures qui réapparaissent...
J'avais l'impression, avec chaque livre, de me débarrasser
de quelque chose, de déblayer quelque chose pour avoir
le champ libre, pour écrire enfin ce que je voudrais vraiment.
Mais ça n'arrive pas. C'est un peu comme le tonneau des
Danaïdes. C'est une sorte de fuite en avant qui n'en finit
jamais. Une chose a changé, c'est qu'au début c'était
plus asphyxiant d'écrire. Je n'arrivais pas à faire
des blancs. Il n'y avait pas d'espace, de respiration. J'étais
dans une tension continue, assez pénible, comme un voltage
trop élevé. Cela donne des livres assez courts,
car c'était difficile de tenir ça très longtemps.
C'était lié à l'âge. On est tributaire
de l'âge auquel on écrit. >> Entretien
avec Maryline Heck, Magazine Littéraire, n° 490, octobre
2009
Ecrivains
de Patrick Modiano (les)
"Julien Gracq, dont la lecture me réconforte".
Marcel Proust ; Eric-Maria Remarque ; Rilke ; Simenon ; Marcel
Proust ; Emmanuel Berl ; Pierre Loti ; Inka Parei ; Yoko Ogawa
; Valéry Larbaud (à suivre)
Ecrire
un nouveau roman
"Au début, c’est angoissant. Il y a toujours
une scène très précise. Pour L’horizon,
je voyais un homme qui attendait une amie à la sortie du
bureau… Puis pendant un mois, je continue à l’aveugle.
J’éprouve des moments de découragement, je
me demande si je n’ai pas fait fausse route. Mais je n’abandonne
jamais, même si je ne cesse de changer de direction, de
bifurquer tout au long de l’écriture." La
Tribune de Genève, entretien avec Pascale Frey, 27-02-10
l'écriture
( *Rapport heureux à) ?
Mais faut-il déduire de cette méthode que vous
n'avez pas un rapport heureux à l'écriture ?
P.M. Non. Ce qui aggrave mon cas, c'est cette rêverie préalable
à tout commencement d'écriture et dont j'ai besoin
avant de passer à l'acte. Je suis comme ces gens qui sont
au bord d'une piscine et attendent des heures avant de plonger
: écrire, pour moi, est quelque chose de désagréable,
donc je suis obligé de rêver beaucoup avant de m'y
mettre, de trouver des façons de rendre agréable
ce travail assez long et difficile, de trouver un dopant. J'ai
d'ailleurs compris, maintenant, la raison de l'alcoolisme de beaucoup
de grands écrivains : je crois qu'il s'agit de cette perpétuelle
baisse de tension et l'alcool fonc-tionne comme le grand dopant,
même quand on a fini d'écrire.
Et vous, quel est votre dopant ? L'alcool ?
P.M. Non, pas du tout. Je marche beaucoup. Je rêvasse. Je
me mets dans une sorte d'état second à partir de
morceaux de réalité, souvent du passé, parfois
des noms propres. Cette perpétuelle hésitation transparaît
peut-être dans mes livres... Je ne me rends pas compte.
" "Mon Paris n'est pas un Paris de nostalgie
mais un Paris rêvé" entretien avec François
Busnel (Lire), 04/03/2010
Eichmann
en Israël, 1961 (Procès d’)
Adolf
Eichman, Les juifs de France (extrait des mémoires)
Effacé
(ce qui est)
<< Il faut longtemps pour que resurgisse à la lumière
ce qui est effacé. Des traces subsistent dans des registres
et l’on ignore où ils sont cachés et quels
gardiens consentiront à vous les montrer. Ou peut-être
ont-ils oublié, tout simplement, que ces registres existaient
? >> Dora
Bruder, p.15
Tristan
EGLOF
<< Paris, octobre 1994. Un jeune Américain
pose son sac sur le pont des Arts. Il a 22 ans, une drôle
de bouille d'enfant hirsute, avec une ride en forme de Y sur
le front,
et chante à la guitare des vieux tubes de Bob Dylan.
Il fait froid. Une jeune fille timide passe sur le pont, entre
Louvre et Académie française.
Paris,
octobre 1998. Un Américain répondant au
nom étrange de Tristan Egolf fait une entrée tonitruante
sur la scène littéraire internationale. Gallimard
a publié son énorme premier roman, Le Seigneur
des porcheries. Il sera traduit en plusieurs langues. La
critique crie au génie. Evoque Faulkner, Steinbeck, Malcolm
Lowry.
Lancaster
(Pennsylvanie, USA), mai 2005. Des gazettes locales annoncent
la mort de Tristan
Egolf, jeune écrivain de
33 ans. Le jeune homme du pont des Arts était retourné vivre
dans sa ville natale. Samedi 7 mai, il s'est tiré une
balle dans la tête. Son Seigneur des porcheries , roman
inouï, visionnaire et apocalyptique, portait ce sous-titre
bizarre : "Le temps venu de tuer le veau gras et d'armer
les justes". Une légende commence.
Sur
le pont des Arts, en ce jour d'octobre 1994, le "crooner" a
froid aux pieds. "I played blues with blue ankles" (je
jouais du blues avec des chevilles bleues), dira- t-il. La jeune
fille timide qui passe par là s'appelle Marie. Marie Modiano,
fille de l'écrivain éponyme. Elle écrit
des poèmes, ne sait pas encore qu'elle deviendra chanteuse
et écoute ce garçon grave et enthousiaste lui parler
en anglais de Céline et de Rabelais, qu'il dévore.
Marie
a 16 ans, lui dit qu'elle en a 21. Il veut bien la croire,
et de toute façon ça n'a pas d'importance, leur
histoire est commencée. Elle l'amène chez ses parents,
lui qui n'a que sa guitare et son baluchon. Ils l'aiment aussitôt,
l'adoptent. "Peut-être que je ne jouais pas mon rôle
de père, se souvient Patrick Modiano, mais je trouvais ça
normal qu'il habite avec Marie. En fait, c'était évident." Le
matin, Marie va au lycée avec son cartable. Et Tristan écrit.
Il écrit le jour, la nuit. Des centaines de pages manuscrites,
raturées, fignolées à l'obsession. Il en
teste les effets sur James et Shelly, un couple d'artistes, ses
meilleurs amis. Tristan a connu James dans une université de
Philadelphie, juste avant de terminer une année de philosophie
et d'intégrer un groupe de musique punk. Puis James a
rencontré Shelly. Ils s'installent à Paris, Tristan
n'a pas de domicile fixe, eux si. "Il vivait chez nous,
raconte Shelly. On était scotchés tous les trois
comme des orphelins, on se prenait pour Scott et Zelda Fitzgerald,
Tristan était Hemingway. On n'avait pas d'argent, et la
vie était belle. Avec Tristan, tout était une évidence."
Avec
eux, il expérimente des phrases, des mots qu'il
a l'étrange talent de faire siens en les chargeant de
sens, des anecdotes qu'il absorbera dans son roman. "Dans
la rue, il faisait le clown juste pour nous rendre heureux ,
poursuit Shelly. Des choses toujours extravagantes et drôles.
Il pouvait faire exprès de s'étaler avec ses valises
dans un aéroport ou venir à notre mariage, en plein
mois d'août, couvert d'un manteau de laine. Irrésistible." L'arrivée
de Marie ne casse pas le trio, elle s'y ajoute très simplement.
Le soir, pour un peu d'argent, Tristan chante dans des cafés.
Un
soir d'hiver 1995, Patrick Modiano entre dans la chambre de
l'hôte pour y fermer une fenêtre. "J'ai été un
peu indiscret , confesse-t-il. Il y avait sur la table une masse
de feuilles hallucinante. Rien qu'à voir le manuscrit,
j'ai eu une intuition." Modiano comprend mal l'anglais mais
ne résiste pas à la tentation de s'attarder sur
cette écriture microscopique avec ses mots serrés,
ses ratures et ses rajouts. Il pense aux manuscrits du Suisse
alémanique Robert Walser. "C'est horrible à dire
, raconte-t-il, mais je n'avais pas besoin de lire son roman.
Je savais. Peut-être parce que je suis du métier
? Rien qu'en voyant cette masse, et ce type qui passait ses journées à écrire...
c'est difficile à expliquer. Ça m'a semblé bizarre
que ce type de 23 ans, à la fin du XXe siècle, écrive
encore à la main avec des ratures."
En
1996, Tristan Egolf tente sa chance auprès d'éditeurs
américains. La plupart exigent un "résumé" du
roman avant de lire le manuscrit. Dans la famille Modiano, on
s'amuse beaucoup de cette histoire de résumé. "A
table, raconte Patrick, on jouait à faire des résumés
de romans. Ça ne tient pas debout. On essayait avec l
'Ulysse de Joyce. Ou avec Proust : 'Un enfant a de la peine à s'endormir
parce que sa mère ne vient pas le voir'." Tristan
envoie des résumés à une trentaine d'éditeurs,
reçoit une trentaine de refus.
L'été de la même année, il emmène
Marie à Lancaster, sur les lieux de son adolescence. Il
y a là sa mère, son beau-père et sa sœur
Gretchen, une actrice qu'ils iront voir jouer un soir dans un
théâtre du Massachusetts. Ensemble ils visitent
le Middle West, l'Indiana, le Minnesota, le Dakota. Cette Amérique
des profondeurs, fascinante et haïe. La terre d'inspiration
de Tristan Egolf où il avait passé sa jeunesse à glaner
des notes, décortiquant la société, accumulant
les métiers, plongeur, projectionniste, épicier,
promeneur de chiens, employé d'une usine de couches, puis
dans une autre qui fabriquait des croix de Jésus.
Né en Espagne, d'une mère artiste peintre et d'un
père journaliste, tous deux très européanophiles,
Tristan a 15 ans quand son père se suicide. "C'était
un type de ma génération qui a vécu toutes
les choses un peu chaotiques des années 1960, cette poussée
de vitalité et le mal de vivre , confie Modiano. Il a
eu un destin flamboyant à la mesure de ces années-là.
Sa mère, je l'ai entrevue lorsqu'elle est passée à Paris.
Elle était gentille et dépassée par ce fils
un peu exceptionnel. Pas facile d'être la mère de
Malcolm Lowry."
En
septembre 1996, Tristan et Marie s'installent à Londres.
Elle suit des cours d'art dramatique, il termine son roman. "Je
l'ai vu très angoissé, raconte Marie. Il souffrait.
Plus il avançait vers la fin de l'écriture, plus
c'était dur. Il ne savait pas s'il serait publié,
ce qui était pour lui la chose la plus importante." Il
termine son livre début 1997. Le couple se sépare
pour prendre un peu d'air.
A
Paris, la mère de Marie, Dominique, s'aventure dans
le manuscrit. Soir après soir, un dictionnaire d'argot
américain à lamain, elle s'enfonce dans cet anglais
dense, volcanique, à la fois sombre et burlesque, grossier
et sublime.
Un
narrateur commence par raconter à la première
personne du pluriel l'histoire qui va suivre : l'enfer d'une
Amérique profonde, la "cornbelt" (région
céréalière), où l'hystérie
des méthodistes se répand sur une faune de petits
Blancs alcooliques, violents, ignares, plus ou moins dégénérés.
On
comprendra plus tard que le mystérieux narrateur, en
fait, est un groupe d'éboueurs. John Kaltenbrunner, le
héros dont ils témoignent dix ans après
sa mort, a été banni de sa petite ville lisse,
y est revenu comme éboueur après avoir dégringolé l'échelle
sociale et a déclenché une "crise" qui
a révolutionné la vie de ses camarades et après
laquelle la petite ville sombrera, ensevelie sous ses propres
ordures. John mourra finalement en antéchrist, dans un
gigantesque chaos au terme d'une chasse à l'homme. Il
restera aux éboueurs - les "justes", les
apôtres - à raconter son "évangile".
Le tout à coups de personnages épiques et de scènes
d'anthologie, d'un banal match de basket à l'enfer d'une
usine de poulets décapités à la chaîne.
Au
fur et à mesure de sa lecture, Dominique Modiano est
stupéfaite. "C'est génial. Attention, chef-d'œuvre
!" , lance-t-elle à son époux. Patrick n'est
pas surpris : "Je le savais." Il pense à ces écrivains
américains de l'entre-deux-guerres, édités
ou découverts en France. Pourquoi pas Tristan Egolf ? Il
apporte lui-même le manuscrit chez Gallimard. Christine
Jordis et Serge Chauvin en font des comptes rendus dithyrambiques.
Pour ce dernier, c'est "un choc extrême" . Gallimard
publie le roman à l'automne 1998. Exceptionnellement,
la maison en acquiert les droits mondiaux. Tristan apprend la
nouvelle par un coup de fil de Marie : "Tu es assis ? C'est
bon ! Reviens signer tes contrats."
Le
jeune auteur n'en fait pas un plat. "Il n'avait pas
du tout le côté 'homme de lettres à la française'
, continue Patrick Modiano. C'était un mélange
de douceur et d'exubérance, de gentillesse et d'excès,
de vitalité et de je-m'en-foutisme pour tout ce qui concernait
le confort, une espèce de nonchalance très américaine.
Dormir sur un matelas, dans un lit ou par terre, il s'en foutait
complètement. Il me faisait penser à Malcolm Lowry
pour sa vie toujours excessive. Il lui arrivait toujours des
trucs invraisemblables. Un jour, il avait eu un accident, on
est allé le chercher à l'Hôtel-Dieu. Il avait
un bandage à la tête, on aurait dit Apollinaire,
et je ne sais pas pourquoi tout autour de lui était devenu
bizarre. C'était quelqu'un qui provoquait les atmosphères." (...)
Modiano
réfléchit à voix haute. "J'essaie
de trouver dans la littérature américaine un écrivain
qui aurait pu créer une œuvre aussi massive entre
23 et 25 ans, et je ne trouve pas. Mailer a écrit au même âge
Les Nus et les Morts, mais c'est de la plaisanterie à côté.
Dans un tout autre genre, dans un style plus en épure,
la seule à avoir son niveau, avec cette précocité,
ce serait Carson McCullers. Ce qui m'a stupéfié en
le lisant, c'est la maîtrise du style dans une forme hallucinée.
Il a trouvé le classicisme dans le délire le plus
total, ce qui est plus difficile que la démesure. Il a été confronté à une
violence qui lui a donné cette vision apocalyptique, mais
c'est un styliste. Dans l'hallucination et un certain délire,
avec une force sordide et burlesque, il est très classique.
Il fait partie de ces grands écrivains issus de l'Amérique
profonde, comme Faulkner, McCullers, Hemingway, Fitzgerald. Pas
moins."
Après la publication du Seigneur des porcheries , Tristan
rentre aux Etats-Unis. Il s'installe dans ce patelin qu'il déteste.
Une ville sans âme, lugubre, liée à son adolescence
tourmentée, à la mort de son père, à sa
mère qui y vit toujours. Il est plus heureux en Europe
mais il a besoin de glaner du réel américain. C'est
là-bas, dans son cauchemar familier, que mijote sa vision
du monde.
La
guerre américaine en Irak le pousse vers la politique.
Il se lance dans un militantisme actif contre George W. Bush.
Crée un site Internet, est inculpé pour s'être
exhibé en string avec des photos des tortures d'Abou Ghraib
en brûlant une effigie de Bush. Il publie aussi un deuxième
roman, Jupons et violons (Gallimard, 2003). Puis s'attaque à un
troisième, encore une œuvre énorme bâtie
avec obsession et acharnement. Il rédige cinq ou six versions
différentes. La dernière date de mars 2005. Et
puis il meurt. A 33 ans. A l'image de John Kaltenbrunner, son
héros christique.
"Le
suicide des écrivains, c'est particulier , explique
Patrick Modiano. A mon avis, Tristan a travaillé comme
un dingue à ce dernier livre. Et le travail littéraire
vous met quelquefois dans une solitude invivable." (...)>>
d'après Marion
Van Renterghem,
Le Monde du 02.07.05
Éloigné,
les Parents, Paris
Jérôme Garcin – Est-ce que le plus perturbant
n’était pas, en allant de ville en ville, d’être chaque fois plus
éloigné de vos parents?
P. Modiano. – Ce qui est terrible, vous voyez,
c’est que je n’avais pas pensé à ça. Et c’est parce que vous venez
de le formuler et de le synthétiser, ce dont je suis absolument
incapable, que j’en prends conscience. J’envie chez un Michel
Leiris la faculté d’introspection. J’ai toujours pensé que ceux
qui me lisent me connaissent mieux que je ne me comprends. Ces
séjours en province, où les gens s’occupaient de moi par substitution,
je les vivais en effet comme des rejets successifs. C’est la raison
pour laquelle, quand j’ai atteint la majorité, Paris m’a paru
comme le refuge où débarque un permissionnaire. Et encore! Car
j’ai été pensionnaire au lycée Henri-IV, c’est-à-dire enfermé
dans la ville où vivaient pourtant mes parents, et cela m’a semblé
encore plus dur à vivre. Je voyais mes copains rentrer chez eux
à 16 h 30, et, moi, je restais cloîtré dans le dortoir du lycée
avec des veilleurs de nuit. C’était lugubre et absurde. Aujourd’hui,
je ne pourrais plus vivre ailleurs qu’à Paris. Jérôme
Garcin, Rencontre avec P Modiano, Le Nouvel Observateur, 2 octobre
2003
Empreinte
"On se dit qu’au moins les lieux gardent une légère
empreinte des personnes qui les ont habités. Empreinte:
marque en creux ou en relief. Pour Ernest et Cécile Bruder,
pour Dora, je dirai: en creux. J’ai ressenti une impression
d’absence et de vide, chaque fois que je me suis trouvé
dans un endroit où ils avaient vécu." Dora
Bruder, 1997, p 29
Emprunts,
genres, vraisemblances
" (...)
il emprunte à la fois a plusieurs genres littéraires et entretient
l'illusion captieuse du roman policier, du roman historique, du
'nouveau' roman, d'une autobiographie, et même du roman classique
(sur des petites séquences). De
nombreux romans de Modiano sont construits comme des romans policiers
autour d'une enquête, d'une disparition, on y trouve souvent des
personnages louches et sans identité. Comme dans une autobiographie,
on trouve beaucoup de points communs entre l'auteur et le narrateur
des romans. Modiano prête à ses personnages son physique, son prénom,
son métier. Tout comme des autobiographes qui s'aident d'une documentation
en écrivant, Modiano se sert souvent de vieilles lettres, de coupures
de journaux, d'affiches. La dislocation du sujet, les retours en
arrière et les anticipations sont des signes du 'nouveau roman'.
Pour donner à ses récits les prestiges de vraisemblance Modiano
ancre ses héros et les événements qui y ont lieu dans les cadres
de notre histoire. En plus, il inclut dans son univers romanesque
des événements historiques attestés, des personnages qui ont réellement
existé. Par ces traits Modiano s'approche du roman historique."
Hélène Andreeva-Tintignac "L'Ecriture
romanesque de Patrick Modiano ou la frustration de l'attente
romanesque" Etude stylistique, Thèse présentée
en Janvier 2003, p7 de l'édition électronique. Enfance 1.
Enfance
«Je
ne suis pas du tout nostalgique*. Mon enfance me fait horreur.
Mais je suis habité par des images qui m'ont frappé et
se sont incrustées dans ma mémoire.» Entretien
avec Delphine Peras, l’ EXPRESS du 5 octobre 2007
2.
Enfance
"Les choses pénibles de l'enfance reviennent toujours,
dix ans après, vingt ans après, comme une espèce de boomerang...
de bombe à retardement... Comme si les fondations étaient pourries
au départ et finissaient par s'effondrer. La Petite Bijou est
dans une situation lugubre, qui débouche sur une sorte de suicide,
qui heureusement échoue.... En même temps, à la fin, on peut supposer
qu'elle est libérée, libérée de son passé."
3."Quand
on est enfant, on reçoit les choses de manière un peu... On les
voit démesurément grandes, et en même temps de manière très parcellaire.
Quelquefois des détails prennent une très grande importance, alors
qu'ils n'en ont aucune. Alors, ça ressurgit dans les cauchemars.
Les souvenirs d'enfance sont complètement fragmentaires, il y
a des détails hypertrophiés. Tout prend une dimension bizarre,
les lieux les plus banals, ne serait-ce qu'un garage, un ascenseur,
deviennent brusquement inquiétantes, étranges... Peut-être c'est
pareil maintenant pour les enfants, avec d'autres lieux, d'autres
objets."
4."A
l'instar de tous vos personnages, Thérèse est à
la recherche de son enfance. L'enfance, c'est la clé de
tout ?
Elle a eu une enfance bizarre et dix ans plus tard, cela provoque
chez elle un grand malaise comme une bombe à retardement.
Les fondations ont été mauvaises, et dix ans plus
tard, le ponton s'écroule, de sorte que le livre pourrait
être l'histoire d'une crise. Peut-être, en effet,
l'enfance est-elle la clé de tout: c'est terrible d'avoir
eu une enfance malheureuse, mais c'est parfois dangereux d'avoir
eu une enfance trop heureuse. Entretien
avec Sébastien le Fol, à propos de La Petite Bijou,
Le Figaro, 17-04-01
5.
Enfance
«J’ai eu une enfance sans aucun tracé logique.
Plus que le fait d’être malheureuse, c’est son
aspect chaotique qui m’a marqué. J’étais
livré à moi-même. Propulsé dans des
lieux, confronté à des gens que je ne connaissais
pas et que je ne comprenais pas. J’ai très vite pris
le pli de me poser des questions. Qui sont ces gens? Que font-ils?
Sans doute tout cela n’était-il pas aussi mystérieux
que ce que je ressentais enfant. Plus on vit entouré d’énigmes,
plus on ressent le besoin de s’accrocher aux bribes éparpillées
ça et là. Et chacune de ces bribes ne fait que renforcer
l’énigme. Un peu comme une forte lumière dans
un coin accentue la pénombre alentour.» [NB
: citation sans doute réécrite par la journaliste]
Rencontre « Patrick Modiano, chasseur d’ombres
par Lisbeth Koutchoumoff, Le Temps. 13 mars 2010
6.
Enfance
<<
Il y a des enfances que l'on pourrait dire logiques, compréhensibles.
La mienne avait quelque chose de fractionné ; elle était
faite de pièces éparses que j'avais du mal à
coordonner. Mes souvenirs d'enfance manquaient de cohérence,
car il y a eu ces déplacements, ces changements de lieux,
de personnes sans que je comprenne toujours pourquoi.>>
Tout cela m'était énigmatique.
Entretien avec Maryline Heck, Magazine Littéraire, n°
490, octobre 2009
~~~~~~
Enfermement
<< Ce motif de l’enfermement et de la fuite est un thème récurrent
de l’œuvre, et le thème central de Voyage de noces. Dans un
premier temps, le narrateur, qui est explorateur, a passé sa vie à fuir
dans de lointaines contrées. Au début du roman, il fugue du domicile
conjugal pour venir échouer aux portes de Paris, sorte de zone transitoire
où il prend du recul pour se pencher en biographe sur le sort d’Ingrid,
jusqu’au point nodal de sa vie qui est sa fugue du domicile paternel, un
soir de couvre-feu, en 1942. Autrichiens juifs, Ingrid et son père sont
la proie d’un régime totalitaire, et la fuite d’Ingrid est
légitimée par une angoisse naturelle qui lui évitera la
déportation qui effacera son père. Si la fuite du narrateur n’est
légitimée par aucune menace, elle l’est peut-être par
un malaise qui mystérieusement uni ces deux personnages, au-delà du
temps.>> Carine
Duvillé Errance et Mémoire : Paris et sa topographie chez Patrick
Modiano Mémoirede maitrise, juillet 2000. Paris IV, Sorbone.
L'Enquête
<< Chaque roman de Modiano s’apparente, d’une manière
ou d’une autre, à une enquête : à partir d’outils
concrets, des coupures de journaux, des cartes postales ou de vieilles photos,
un annuaire téléphonique ou même le Gotha, l’écrivain
anime le narrateur qui reconstruit cet univers enfoui dans le passé, et
réveille autour de lui tous ces inconnus de l’Histoire, ces personnages
oubliés, comme des fantômes qui rejoueraient les mêmes scènes
que dans cet autrefois fascinant. Ce passé, c’est tantôt celui
du narrateur, tantôt celui de ses parents, ou simplement celui d’inconnus
rencontrés au hasard, un jour, tous vaguement mêlés à son
destin. Cette enquête est poussée à son paroxysme dans Rue
des Boutiques Obscures où le narrateur est un détective privé amnésique
enquêtant sur son propre passé. Dressant une liste d’indices,
il retourne sur les lieux de son éventuel passé, et, de cette investigation
tente de reconstruire son itinéraire et le canevas de son histoire. Découvre-t-il
réellement sa vie ? Peut-être est-ce la vie d’un autre… Le
lecteur ne le saura pas, mais le pari est gagné : le détective
d’un bout à l’autre aura reconstruit le cours d’une
vie, et l’amnésique aura retrouvé une identité, se
sera reconstruit une mythologie des origines. L’enquête est à la
fois une recherche de témoins et d’indices, c’est-à-dire
un travail de recoupement des faits à la manière d’un roman
policier, et un travail sur la mémoire, qui tend à se confondre à l’imagination
pour revivre des souvenirs perdus. Elle aboutit donc à une reconstitution
dans laquelle il semble indispensable de localiser l’action.>> Carine
Duvillé Errance et Mémoire : Paris et sa topographie chez Patrick
Modiano Mémoirede maitrise, juillet 2000. Paris IV, Sorbone.
<< Bien
qu’empruntant au roman policier bon nombre de ses
outils, l’enquête n’est que le prétexte
d’une rêverie sur le passé, et l’itinéraire
apparaît comme la quête du chemin, la confrontation à l’éternelle énigme,
un parcours ontologique dans les méandres de l’esprit
humain. Minant de l’intérieur la forme même
du roman, qui nécessiterait une intrigue, son
déroulement et un dénouement qui répond
aux attentes du lecteur, Modiano nous offre en réalité un
voyage, une errance poétique dans les interstices
du temps et de l’espace. Aussi les enquêtes
sont-elles le plus souvent avortées, parce qu’au
fond, « Paris ne dévoile jamais ses mystères[Paris
Tendresse] Carine
Duvillé Errance et Mémoire : Paris et sa
topographie chez Patrick Modiano Mémoirede maitrise,
juillet 2000. Paris IV, Sorbone.
Les
enveloppes* mystèrieuses
<< Un dimanche matin, nous sommes allés en taxi dans le quartier
de la Bastille et de la République. Mon père a fait arrêter
le taxi une vingtaine de fois devant des immeubles, boulevard Voltaire, avenue
de la République, boulevard Richard-Lenoir. Chaque fois, il déposait
une enveloppe chez le concierge de l'immeuble. Appel à d'anciens actionnaires
d'une société défunte dont il avait exhumé les titres
? Peut-être cette Union minière indochinoise ? Un autre dimanche,
il dépose ses enveloppes le long du boulevard Pereire. >> Ephéméride,
2002, Mercure
de
France, ed.
Éternel
Retour
"Je n’ai aucune culture philosophique, mais cette notion d’« Éternel
Retour» m’a frappé parce qu’elle donne une impression
d’intemporalité. J’ai toujours été obsédé par
le temps – pas par le passé, mais par le temps*. J’ai l’impression
qu’il y a parfois comme des superpositions du passé, du présent
et même du futur, et que cette surimpression des époques aboutit à une
sorte de transparence intemporelle. C’est cette sensation que j’essaye
de traduire dans mes romans." [Rencontre]
Patrick Modiano à l'occasion de la sortie de Dans le café de
la jeunesse perdue, MK2 diffusion, 24/01/2008
Ether
<< Elle m’a tendu un tampon de coton après
l’avoir imbibé d’éther. J’ai hésité
quelques secondes avant de le prendre, mais si cela pouvait créer
un lien entre nous…J’ai aspiré le coton puis
le flacon d’éther. Et elle aussi a son tour. Une
fraîcheur m’a envahi les poumons. J’étais
allongé à côté d’elle. Nous étions
serrés l’un contre l’autre et nous tombions
dans le vide. La sensation de fraîcheur était de
plus en plus forte et le tic-tac du réveil se détachait,
de plus en plus net, dans le silence, au point que je pouvais
entendre son écho . >> D.P.O., p.29.
EPHEMERIDE
(2001)
Ephéméride une
nouvelle publiée en juin 2001.
Éphéméride
(2002) Collection
Le Petit Mercure, Mercure de France
Extrait de
l'œuvre
«Aujourdh'ui, 26 mai 2001, au
début de l'après-midi, je me suis rendu compte que cette mince
pellicule de minces événements pouvait se déchirer et se diluer
d'un instant à l'autre. Je marchais rue du Val-de-Grâce et
rue Pierre-Nicole. Quartier calme des Feuillantines. On dirait
que l'air y est léger et garde l'écho des années révolues.
J'avais perdu tous les minuscules points de repères de ma vie.
Des lambeaux de souvenirs me traversaient qui n'étaient plus
les miens, mais ceux d'inconnus et je ne pouvais pas leur donner
une forme précise. Il me semblait que j'avais habité par ici
dans une vie antérieure. J'y avais laissé quelqu'un.»
Ephéméride
de la figure du père
Durant l'été 2002, le Monde publie 10 nouvelles commandées à des écrivains
français de l'écurie Gallimard et PM ouvre la série par
ce texte emprunt de références autobiographique où la
figure du père est ommniprésente. Ainsi, c'est à travers
divers souvenirs que le père est réinstallé dans des épisodes
de l'enfance où une certaine dolence flotte dans des scènes à la
fois précises et incertaines :
- Le
lycée de la place du Panthéon
<<Mon père est venu une seule fois me rendre visite dans cet établissement.
Le proviseur du lycée, qu'il avait averti par téléphone
de son passage, m'avait donné l'autorisation de l'attendre sous le porche
de l'entrée. Ce proviseur portait un joli nom : Adonis Delfosse.Je
revois la silhouette de mon père, là, sous le porche, mais je ne
distingue pas son visage, comme si sa présence dans ce décor de
couvent médiéval me paraissait irréelle. La silhouette d'un
homme de haute taille, sans tête. Je
ne sais plus s'il existait un parloir. Il me semble que notre entrevue a eu lieu
au premier étage dans une salle qui devait être la bibliothèque,
ou bien la salle des fêtes. Nous étions seuls, assis à une
table, l'un en face de l'autre. Mon père m'exposait les projets qu'il
avait formés pour mon avenir.Il
souhaitait que je parte au service militaire en devançant l'appel. Les
quatre années qui ont suivi - jusqu'à ce que j'atteigne l'âge
de la majorité -, il n'a pas renoncé à ce projet. Il voulait
lui-même régler toutes les formalités à la caserne
de Reuilly. Puis ce serait le départ pour une autre caserne, vers l'est. Je
l'ai raccompagné jusqu'au porche du lycée. Je l'ai vu s'éloigner
sur la place du Panthéon. Un jour, mon père m'avait confié qu'il
fréquentait lui aussi, à dix-huit ans, le quartier des Ecoles.
Il avait tout juste assez d'argent pour prendre en guise de repas un café au
lait et quelques croissants au Dupont-Latin. En ce temps-là, il avait
un voile au poumon. Je ferme les yeux et je l'imagine remontant le boulevard
Saint-Michel, parmi les sages lycéens et les étudiants d'Action
française. Son Quartier latin à lui, c'était plutôt
celui de Violette Nozière. Il avait dû la croiser souvent sur le
boulevard. Violette, la belle écolière du lycée Fénelon,
qui élevait des chauves-souris dans son pupitre.>>
- Le
Mexique*, L'Eldorado
<< En 1945, juste après ma naissance, mon père décide
de vivre au Mexique. Les passeports sont déjà prêts. Mais,
au dernier moment, il change d'avis. Il s'en est fallu de peu qu'il quitte l'Europe
après la guerre. Trente années plus tard, il est allé mourir
en Suisse, pays neutre. Entre-temps, il s'est beaucoup déplacé :
le Canada, la Guyane, l'Afrique équatoriale, la Colombie. Ce qu'il a cherché en
vain, c'était l'eldorado.>>
- Faire*
dans la vie
<<Un soir, au cours de l'une de ses visites, mon père est assis
en face de moi dans le salon de la maison de la rue du Docteur-Kurzenne, près
du bow-window. Il me demande ce que je voudrais faire dans la vie. Je ne sais
pas quoi lui répondre.>>
- Stioppa*
<< Le dimanche, promenade avec mon père et l'un de ses comparses
du moment. Stioppa. Mon père le voit souvent. Il porte monocle et ses
cheveux sont si gominés qu'ils laissent une trace quand il appuie la tête
sur le dossier du canapé. Il n'exerce aucun métier. Il habite dans
une pension de famille avenue Victor-Hugo. Parfois, nous allions, Stioppa, mon
père et moi, nous promener au bois de Boulogne.>>
- Les
diplômes*, Paulo Guérin
<< Un autre dimanche, mon père m'emmène, je me demande bien
pourquoi, au Salon nautique, du côté du quai Branly. Nous rencontrons
l'un de ses amis d'avant-guerre, "Paulo" Guérin. Un vieux jeune
homme en blazer. Je ne sais plus s'il visitait lui aussi le Salon ou s'il y tenait
un stand. Mon père m'explique que "Paulo" Guérin n'a
jamais rien fait sinon monter à cheval, piloter de belles voitures, et
séduire des filles. Que cela me serve de leçon : oui, dans la vie,
il faut des diplômes. Cette fin d'après-midi-là, mon père
avait l'air rêveur comme s'il venait de croiser un fantôme. Chaque
fois que je me suis retrouvé sur le quai Branly, j'ai pensé à la
silhouette un peu épaisse, au visage qui m'avait paru empâté sous
les cheveux bruns ramenés en arrière, de ce "Paulo" Guérin.
Et la question demeurera à jamais en suspens : que pouvait-il bien faire,
ce dimanche-là, sans diplômes, au Salon nautique ?>>
- La
Rotonde*, Portes d'Orléans
<<Parfois mon père m'accompagnait le lundi matin à la Rotonde,
porte d'Orléans. C'était là où m'attendait le car
qui me ramenait au collège. Nous nous levions vers 6 heures, et mon père
en profitait pour donner des rendez-vous dans les cafés de la porte d'Orléans
avant que je prenne le car. Cafés éclairés au néon
les matins d'hiver où il fait encore nuit noire. Sifflements des percolateurs.
Les gens qu'il rencontrait là lui parlaient à voix basse. Des forains,
des hommes au teint rubicond de voyageurs de commerce, ou à l'allure chafouine
de clercs de notaires provinciaux. A quoi lui servaient-ils exactement ? Ils
avaient des noms du terroir : Quintard, Chevreau, Picard.>>
- Les
enveloppes* mystèrieuses
<< Un dimanche matin, nous sommes allés en taxi dans le quartier
de la Bastille et de la République. Mon père a fait arrêter
le taxi une vingtaine de fois devant des immeubles, boulevard Voltaire, avenue
de la République, boulevard Richard-Lenoir. Chaque fois, il déposait
une enveloppe chez le concierge de l'immeuble. Appel à d'anciens actionnaires
d'une société défunte dont il avait exhumé les titres
? Peut-être cette Union minière indochinoise ? Un autre dimanche,
il dépose ses enveloppes le long du boulevard Pereire. >>
- Négliger
les détails*
<< Un soir, dans l'escalier, mon père m'a dit une phrase que je
n'ai pas très bien comprise sur le moment - l'une des rares confidences
qu'il m'ait faites : "On ne doit jamais négliger les petits détails.
Moi, malheureusement, j'ai toujours négligé les petits détails."
- Faire
des études*
<<Il
aurait souhaité que je sois ingénieur agronome.
Il pensait que c'était un métier d'avenir. S'il
attachait tant d'importance aux études, c'est que lui
n'en avait pas faites et qu'il était un peu comme ces
gangsters qui veulent que leurs filles soient éduquées
au pensionnat par les "frangines". Il parlait avec
un léger accent parisien - celui de la cité d'Hauteville
-, et il employait, de temps en temps, des mots d'argot. Mais
il pouvait inspirer confiance à des bailleurs de fonds,
car son allure était celle d'un homme aimable et réservé,
de haute taille, et qui s'habillait de costumes très
stricts.>>
l'Ether
"J'ai plutôt un truc avec l'éther. Quand j'avais
5 ans, à la sortie d'une école où personne
n'était venu me chercher, j'ai été renversé par
une voiture. C'était sur la Côte basque, on m'a
emmené chez les bonnes soeurs. Pour m'anesthésier,
on m'a fait respirer de l'éther. L'odeur m'a tellement
frappé qu'elle m'a poursuivi. Fraîcheur et pesanteur,
un truc bizarre. Il y avait ces bouteilles bleues, aussi... Oui,
il y a des images qui vous hantent." - Entretien
avec Christophe Ono-dit-Biot , 27/09/2007, - © Le Point N°1828-
études* (Faire
des )
<<Il
aurait souhaité que je sois ingénieur agronome. Il
pensait que c'était un métier d'avenir. S'il attachait
tant d'importance aux études, c'est que lui n'en avait pas
faites et qu'il était un peu comme ces gangsters qui veulent
que leurs filles soient éduquées au pensionnat par
les "frangines". Il parlait avec un léger accent
parisien - celui de la cité d'Hauteville -, et il employait,
de temps en temps, des mots d'argot. Mais il pouvait inspirer confiance à des
bailleurs de fonds, car son allure était celle d'un homme
aimable et réservé, de haute taille, et qui s'habillait
de costumes très stricts.>> Ephéméride,
2002, Mercure
de
France, ed.
J'épuise
un rêve
A
un journaliste qui demandait à Faulkner pourquoi il
reprenait toujours les mêmes histoires de folie et de
violence, l'auteur de Sanctuaire, répondit, après
un silence : "J'épuise un rêve".
L'Errance L'Errance
<<Cette errance donne à l’œuvre un caractère
résolument topographique : la récurrence de précisions
sur les lieux, adresses, téléphones, tout indique
dans ses romans l’obsession d’un parcours, l’itinéraire
d’une quête. Ainsi, la ville fait partie intégrante
du récit, qui consiste à retracer le parcours de
vies disparues, et les nombreuses précisions sur les lieux
sont si naturellement imbriquées à l’action
que leur fonction dépasse le simple rôle de désignation
du réel pour devenir des éléments indispensables à la
cohérence de l’intrigue.>> Carine
Duvillé Errance et Mémoire : Paris et sa topographie
chez Patrick Modiano Mémoirede maitrise, juillet 2000.
Paris IV, Sorbone.
N.O.-
D'«Horizons perdus», votre héroïne,
Louki, dit que «c'est l'histoire de gens qui gravissent
les montagnes du Tibet vers le monastère de Shangri-La
pour apprendre les secrets de la vie et de la sagesse.» Et
elle ajoute aussitôt: «Ce n'est pas la peine d'aller
si loin. Pour moi, Montmartre, c'est le Tibet.» Il me
semble que cette phrase, vous pourriez la reprendre à votre
compte, vous qui voyagez si peu dans le monde et tellement à Paris.
2. Errance P. Modiano.- Le Paris* où j'ai
vécu et que j'arpente
dans
mes
livres
n'existe plus. Je n'écris que pour le retrouver. Ce n'est pas de la nostalgie,
je ne regrette pas du tout ce qui était avant. C'est simplement que j'ai
fait de Paris ma ville intérieure, une cité onirique, intemporelle
où les époques se superposent et où s'incarne ce que Nietzsche
appelait «l'éternel retour.» Il m'est très difficile
maintenant de la quitter. C'est ce qui me donne si souvent l'impression, que
je n'aime pas, de me répéter, de tourner en rond.
N.O.- Est-ce que fuguer sans cesse, comme le fait Louki, n'est pas la seule manière
de bien connaître une ville et ses frontières, invisibles à l'œil
nu?
P. Modiano.- C'est comme ça, du moins, que j'ai découvert Paris.
J'avais entre douze et quinze ans, mes parents s'entendaient mal, j'étais
livré à moi-même, j'avais l'impression de dériver
au fil de promenades interdites, de vivre de grandes aventures qui n'étaient
pas de mon âge, d'être confronté au fantastique social, certains
quartiers m'effrayaient, c'était un choc violent, que j'exprime dans ce
livre mais aussi dans tous les autres. Peut-être ne m'en suis-je jamais
remis de cette errance*-là et de cette solitude-là. Entretien
avec Jérôme Garcin, Le Nouvel Observateur", 27 septembre 2007
3.
Errance
<< Pendant ces quinze dernières années, je
m’étais senti prisonnier des autres et de moi-même,
et tous mes rêves étaient semblables : dans des rêves
de fuite, des départs en train, que malheureusement je
manquais. Je n’atteignais jamais la gare. Je me perdais
dans les couloirs du métro, et sur le quai de la station,
les rames ne venaient pas. >> D.P.O.,
p.139.
L'espace
« Devenu personnage, l’espace a un langage, une action,
une fonction, et peut-être la principale : son écorce
abrite la révélation.» Jean-Yves
Tadié, Le récit poétique (1994), Tel Gallimard,1997,
p.10.
Eternel
retour
"J’ai eu un moment l’illusion qu’au-delà
du cimetière je te retrouverais. Là-bas, ce serait
l’éternel Retour, le même geste qu’avant
pour prendre à la réception la clé de ta
chambre. Le même escalier raide. La même porte blanche
avec son numéro: 11. La même attente. Et puis les
mêmes lèvres, le même parfum et la même
chevelure qui se dénoue en cascade." Dans
le café de la jeunesse perdue, 2007, p; 138
Etranger
<< Il faudrait encore errer dans la grisaille du boulevard
Saint-Michel, parmi tous ces gens qui marchaient vers leurs écoles
ou vers leurs facultés. Ils avaient mon âge, mais
ils étaient pour moi des étrangers. C’est
à peine si je comprenais leur langue.>> D.P.O.
p.33., p.34.
l'Etui
<< Modiano raconte cette anecdote extraordinaire. Enfant, il
reçoit d'un bijoutier de la place de l'Opéra
le Prix de la Plume de Diamant : un stylographe à réservoir
d'encre. Sa mère à court d'argent veut le déposer
au Mont-de-piété qui le refuse : la plume est
en pacotille. Quelques jours plus tard des voleurs s'introduisent
chez elle et, croyant qu'il a de la valeur, volent le stylographe,
mais laissent l'étui! Trente ans après, Modiano
rendant visite à sa mère constate que celle
qui n'a jamais lu aucun de ses livres, n'a conservé aucun
de ses souvenirs, est toujours en possession du vieil étui — coquille
vide et dérisoire à l'intérieur de laquelle
est encore gravé le nom du bijoutier : Clerc. Modiano
subtilise l'objet et l'emporte chez lui où il repose
toujours sous une fine pellicule de poussière et de
feuilles mortes.>> Gérard de Cortanze, "La Biographie
de Patrick Modiano", revue Bon-à-tirer, n°81,
1er avril 2008.
Expire
(un monde qui)
<< Grabley est un personnage typique de la fin des années
cinquante et du début des années soixante.
(…) J’ai fait allusion à un endroit qui
s’appelle la Tomate. Ca paraît dérisoire
mais ça se rattache vraiment aux années cinquante, à ces
boîtes de Strip-tease telles qu’elles pouvaient
exister et qui, bizarrement, ont continué à vivoter
jusque dans les années soixante-dix. Elle côtoyait
tous les chambardements qu’il y a eu à la fin
des années soixante mais ce Paris des années
cinquante continuait à expirer. PM,
entretien. Le Magazine Littéraire,
n° 302, sept. 1992.
Extinction
(un monde en)
Les personnages
des romans de PM sont les vestiges
d’une époque
perdue, ils apparaissent comme les derniers survivants d’un
monde en désagrégation, un monde qui expire
et de l’extinction duquel Modiano se porte le témoin. |