Philippe
LABRO, un témoignage.
"PATRICK MODIANO ou LE JEUNE HOMME BEIGE"
<<
La première fois que je rencontrai Patrick Modiano, c’était
il y a quelques années, huit ans peut-être, chez
des gens, à Paris, sur une terrasse donnant sur la Seine.
Il était tout beige, un camaïeu. Ça lui est
resté, cette qualité d’uniformité dans
des couleurs passe-partout. Il arrivait déjà, dans
ce genre de réunion, auréolé d’une
réputation de romancier doué qui avait, dès
son premier livre, gagné un cercle fervent d’admirateurs
puis, relativement vite, atteint une couche plus profonde de fidèles
qu’il conserverait toute sa vie. Il avait obtenu le prix
Roger-Nimier pour son premier roman, qui n’était
pas ce que l’on appelle conventionnellement un roman. À
dire vrai, aucun de ses livres ne pourrait se classer sous cette
étiquette, encore qu’Aragon ait écrit un jour
qu’un roman n’était qu’une façon
comme une autre de « brouiller les cartes ». Mais
je n’avais pas encore lu son récit et, lorsque je
bavardais avec lui, je ne le connaissais, précisément,
que de réputation. Pourtant, l’énoncé
du prix évoquait un style, un ton, une attitude. Nimier
Jaguar et whisky, droite qui claque au vent de la rive
gauche, scandale et panache, les Hussards... Modiano appartenait-il
à la même école d’hommes?
La grâce et l’insolence de son écriture, le
brillant qu’il jetait aux yeux du lecteur et qui, cependant,
n’était pas de la poudre, ce rythme mélodieux
de la phrase et cette constante déchirure de l’adolescence
à la recherche de quelque chose, le fascinant et habile
mélange de culture littéraire et de nostalgio-triviologie,
détails d’objets rétro, photos de luxe, chansons
inachevées, noms exotiques et romanciers anglo-saxons désuets,
tout cela, et tout le reste, faisait que l’on s’attendait
à l’un de ces intarissables jeunes hommes que les
salons offrent parfois en prime avec les petits-fours. Un conversationniste
talentueux, vous abreuvant de formules et citations, anecdotes
et paradoxes, pour vous abandonner transpercé, humilié,
séduit et vaincu. Il n’en était rien.
Hier, comme aujourd’hui, Patrick Modiano semblait habité
par une incapacité de s’exprimer verbalement, une
timidité de tous les sens et de tous les instants. Vêtu
d’une veste ample et d’une chemise floue sans cravate
(je crois bien, depuis que je le connais, n’avoir jamais
vu Modiano porter une cravate), un pantalon sans plis et des chaussures
sans couleur, il paraissait vouloir, dès le premier contact,
effacer toute possibilité qu’on le remarque, le reconnaisse,
pis encore qu’on le congratule. Les gestes inachevés
de ses longues mains dans le ciel, les coupures dans l’espace
avec ses deux bras interminables n’avaient pas encore atteint
la quasi perfection imparfaite d’aujourd’hui, mais
tout de même, tout était là, déjà
dessiné. Mince, long, un beau visage classique de jeune
premier de film des années 30, il m’avait paru chaleureux
et souriant. Les timides et les complexés baissent souvent
les yeux devant leur interlocuteur. Patrick Modiano me regardait
avec une lueur d’amitié et de gentillesse, avec curiosité,
soif de savoir. Les lumières de son regard démentaient
la paralysie du discours. Il n’était pas timide,
mais retenu, et surtout le narcissisme inhérent à
toute création ne débordait pas dans son personnage
quotidien, son comportement social. Au contraire de la plupart
des écrivains (de la plupart d’entre nous, d’ailleurs,
pourquoi limiter cette tare aux écrivains?), il n’éprouvait
aucune envie qu’on lui parlât de son oeuvre, de lui-même.
Il était ouvert à l’autre, curieux de l’autre,
prêt à partager votre rire, votre expérience
ou votre émotion en rejetant un peu la tête et les
cheveux en arrière, avec un air de dire: « Oui, oui,
bien sûr, je comprends.» Car il possédait cette
étrange faculté de vous transmettre qu’il
avait tout compris sans jamais réellement l’exprimer,
et d’attendre de vous le même phénomène
— mais qu’il n’était dupe de rien, quoique
innocent de toute bassesse. Ça, c’était aveuglant,
évident, et immuable : Modiano respirait tout, inquiétude,
insécurité, Angst, tout sauf la mesquinerie, la
jalousie, ou simplement ce que l’on appelle la méchanceté
et qui tient lieu souvent, à Paris, de passeport pour la
réussite.
Et comme il s’était vite aperçu, à
son grand soulagement, que, n’ayant pas lu son dernier livre,
il me serait difficile de l’en entretenir, il m’embarqua,
avec force hésitations et silences, dans un long monologue
sur la chanson française. (Avec Modiano, on commence par
poser des questions, on finit par monologuer devant lui.) J’avais
écrit quelques paroles pour des musiques que chanterait
Johnny Hallyday. De son côté, Modiano s’était
essayé, au moment où je fis sa rencontre, à
écrire pour, je crois bien, Françoise Hardy. Nous
en parlâmes longuement, c’est-à-dire qu’il
me laissa parler et ponctua par des « oui... c’est
ça... c’est-à-dire... enfin.., oui, ah oui,
tout à fait... » qui le gagnèrent définitivement
à mon cœur . Il flottait autour de sa personne l’odeur
d’un parfum que j’avais reconnu aux États-Unis
sur ceux qui s’adonnaient parfois à la « fumette
», mais je ne peux jurer de rien. J’ai lu, bien plus
tard, que Jean Cau (qui l’aima et l’influença
de la meilleure manière : en l’encourageant à
écrire) déclara que, s’il n’avait pu
écrire, Modiano aurait peut-être très mal
tourné, mais je n’en conclus strictement rien.
Depuis cette rencontre sur une terrasse en automne, je me mis
à lire, au fil des années 70, les livres de Modiano,
mais pas forcément dans l’ordre. Je découvris
dans Les boulevards de ceinture la marque d’un génie
du visuel — ce qui se retrouverait dans le meilleur du film
Lacombe Lucien —, une obsession très minutieusement
recensée des moments, couleurs et paysages d’un passé
honteux. Et j’appris, avec Villa triste, qu’il avait
réussi, de façon lente mais assurée, à
se débarrasser du brillant et de l’époustouflant
de La place de L~toile ou de La ronde de nuit (que je ne lus qu’en
dernier) pour atteindre à l’épuré,
au maîtrisé, dosé, ému de Livret de
famille. Tout le monde n’était pas de cet avis: on
aime tellement le style, en France, qu’on le souhaite éclatant,
éblouissant, et qu’on fait la fine bouche lorsque
le style se calme, s’émonde, se bonifie et se transforme
en talent.
Lorsque l’allegro vivace débouche sur l’andante.
La reconnaissance continuait néanmoins de s’ accroître
: Grand Prix du roman de l’Académie française,
favori pour le Goncourt, figure de plus en plus singulière
dans le jeune roman français, par ailleurs fort avare de
révélations.
J’eus l’occasion de beaucoup côtoyer Modiano
lorsque le désir d’un producteur nous associa, avec
Michel Audiard, pour la conception et l’adaptation des Mémoires
d’un assassin en vue d’en faire un film qui ne vit,
finalement, jamais le jour. Nous passâmes quelque six semaines
en hiver à nous retrouver chaque jour, dans une suite de
l’hôtel de La Trémoille, où nous travaillions
au sujet proposé, et j’en garde un souvenir très
vif et heureux.
Il n’avait pas changé, pas vraiment. Toujours vêtu
d’un long manteau genre poil de chameau, qu’il portait
à même un chandail ou un cardigan couleur beige,
transportant au bout du bras un parapluie que je ne le vis jamais
ouvrir, il n’avait rien perdu de son extrême sollicitude,
sa complète disponibilité, son souci de ne pas heurter,
froisser ou contredire, ce qui ne trahissait aucune veulerie ou
lâcheté, mais plutôt politesse, discrétion,
désir d’harmonie et de calme. Le conflit lui faisait
peur. Il ne savait pas dire non. Il détestait choisir.
Au restaurant, il attendait sagement que nous ayons commandé
nos plats pour s’empresser de dire «je prendrai la
même chose » et nous ne savions pas très bien
s’il s’agissait d’une indifférence suprême
à toute forme de nourriture ou d’une crainte d’avoir
voulu marquer, par une initiative inverse à celle de ses
convives, un semblant d’autorité. Je pense qu’il
y avait un peu des deux.
Au sortir de nos sessions de travail, nous nous retrouvions sur
le trottoir de la rue Bassano, souvent la nuit, et j’avais
beau lui proposer de le raccompagner en voiture quelque part,
il faisait toujours dans l’air de ces gestes de main et
d’avant-bras pour signifier que non, non, il ne voulait
pas me déranger, il n’allait pas très loin,
dans le XV°, il rentrerait à pied. Modiano ne sait
pas conduire. Et ce que je sais aujourd’hui de sa maladresse
manuelle et de son mépris pour les choses les plus concrètes,
comme un feu rouge ou un sens unique, m’a convaincu depuis
longtemps qu’il vaut mieux, en effet, pour sa santé,
celle de ses enfants et de sa femme, ainsi que pour la tranquillité
de son éditeur, Gallimard, qu’il ne tente jamais
d’introduire une clé de contact dans le dispositif
de n’importe quelle automobile. Cette incapacité
devant le pratique et le quotidien ne le coupe pas du monde réel.
A mesure que je fis sa connaissance, j’aperçus chez
Modiano les ressources et la vivacité d’un esprit
toujours en éveil devant les faits divers de la vie, la
politique, les sports ou le spectacle, un don pour saisir et retenir
ce qu’il y a de dérisoire et grotesque dans l’attitude
de tel ou tel contemporain, s’émerveiller de la poésie
ou de l’insolite de tel événement, appréhender
l’air de notre temps. Rien n’échappe à
ce « passéomane» qui lit tout ce qui paraît,
découpe, emmagasine, met en fiches, et collecte sans arrêt,
s’imprégnant, comme tout écrivain sérieux,
de la moindre réflexion, sensation, pulsion. Le perçant
de son regard n’est pas exclusivement orienté sur
les sombres années de l’Occupation. Observateur,
journaliste en réalité, perpétuel preneur
de notes, Modiano ne parle pas pour mieux entendre, mais pour
mieux écouter. Son labeur de « repérages »,
qu’il effectue seul, dans les rues de Paris, n’est
pas moins méticuleux que celui d’un Alain Resnais
ou d’un Stanley Kubrick à la recherche de leurs futurs
décors. Il ne se limite pas à la ville une phrase
au retour d’un voyage, l’évocation d’une
plage, la couleur d’un aéroport, le bruit d’une
gare dans une cité étrangère suffisent sans
doute pour déclencher en lui ce mystérieux processus
grâce à quoi il aboutit à une scène,
un lambeau de vie, un chapitre, un nouveau récit.
Il semblait éprouver quelque inquiétude sur son
art. Parfois, il émettait des doutes sur l’itinéraire
qu’il avait suivi, craignant d’avoir jeté trop
tôt ses feux, d’avoir trop rapidement dit ce qu’il
avait à dire, et de se retrouver sec, répétitif,
bloqué. Lorsque je lui demandai, une fois que notre collaboration
se fut achevée mais que nous continuâmes de nous
voir et d’avancer dans l’amitié, à quoi
il travaillait, il me répondit qu’il « leur
» (c’était son éditeur) avait donné
« quelque chose » dont il était clair qu’il
ne voulait rien définir ou raconter. Entre-temps, on l’avait
encore une fois oublié pour le Goncourt au profit de je
ne sais plus quel autre roman, fort plat et fort peu magique,
mais dont l’auteur avait savamment construit la carrière,
à l’image de ces jeunes députés qui
« prévisionnent », cinq ans à l’avance,
leur premier poste de secrétaire d’État. Il
ne s’en plaignait pas. Ce n’était pas très
important, phrase essentielle dans la conversation modianesque.
Nous nous envoyons des cartes postales. En juillet 1978, à
La Baule, je le revois. Sa femme attend un deuxième enfant.
Cette plage et ce décor lui vont bien.
Il en rit même, tellement les villas et les réverbères
au bord de l’Atlantique semblent s’intégrer
à un chapitre qu’il a peut-être déjà
écrit. Toujours aussi curieux de ce que je fais, de ce
que j’écris, des événements de ma propre
existence, il efface mes questions sur le «quelque chose
» que son éditeur imprime et dont il ne me livrera
même pas le titre, cette Rue des boutiques obscures qui
lui vaudra, quelques mois plus tard, sans coup férir cette
fois, un prix Goncourt venu ratifier un succès déjà
populaire, comme si la masse anonyme et sans cesse accrue de ses
lecteurs avait suivi infailliblement l’énorme progrès
accompli, le passage du nerveux quasi caricatural à l’aquarelliste
du cœur , sensible et maturé.
Nous dînerons ensemble, quelques soirs avant l’attribution
d’un prix auquel il préfère ne pas trop faire
allusion; superstition, et crainte aussi, puisqu’il a dû
sentir que cette consécration lui serait bénéfique
et le délivrerait peut-être de ses premiers démons.
Quelques jours plus tard, sur le répondeur automatique
de mon téléphone, il aura la force d’aligner
une phrase bien construite, longue, et tout à fait claire,
m’annonçant qu’il va « essayer de passer
à travers tout cela », dit sur un ton de conspirateur,
et qu’il me fera signe lorsque les formalités fastidieuses
et indispensables de la célébrité auront
été surmontées. Plus tard encore, il m’enverra
un mot, depuis Versailles, pour me raconter avec délices
qu’il a découvert, chez un bouquiniste, un exemplaire
fatigué d’un de mes propres romans avec, à
l’intérieur, une lettre d’amour adressée
à une inconnue par un certain Alain. (Ce genre de choses
n’arrive qu’à Modiano.) J e relirai alors les
lignes ultimes de son remarquable roman. A trente ans, ou un peu
plus, Patrick Modiano voit s’ouvrir devant lui le chemin
d’une oeuvre d’écrivain authentique, à
la mesure de son envoi final « Elle a déjà
tourné le coin de la rue, et nos vies ne sont-elles pas
aussi rapides à se dissiper dans le soir que ce chagrin
d’enfant?... »
Paru
dans Vogue, février 1 979.
RELECTURE
Philippe Labro
Modiano est un travailleur
<< Je ne vois pas grand-chose à ajouter
à ce «portrait-moment » daté de plus
de vingt ans qui baigne dans l’affection, l’estime,
l’admiration. Depuis cette publication, Patrick (qui signe
parfois «Patoche » lorsque nous nous écrivons)
a continué sa route singulière, portant plus loin
encore que nous pouvions nous y attendre son fanatisme pour l’épure,
le non-dit, le suggéré, tout ce qui, au fond, était
déjà contenu dans son premier ouvrage. Cette ambitieuse
promesse qu’il remplit, livre après livre —chaque
livre n’étant jamais, selon ses propres dires, que
le même que le précédent et cependant un autre.
Rien ne l’a changé. Rien! Ni le temps ni la gloire.
L’extraordinaire respect dont il jouit, la fidélité
vigoureuse d’un « fonds de lecteurs » de plus
en plus solide, les quelques passages savoureux et émouvants
qu’il a faits chez Pivot à la télé
(la pudeur, la franchise, l’humour, la modestie, l’incapacité
de se prendre au sérieux), les incessants hommages, la
régulière louange unanime que lui vaut chacune de
ses nouvelles parutions, l’adjectif « modianesque
» passé dans le langage courant (et chacun sait qu’un
nom propre transformé en adjectif est une des preuves de
la consécration ultime, celle du public comme de la critique),
rien n’a modifié le discours, le comportement, l’esprit
de Patrick. C’est un très rare exemple de pérennité,
de continuité, de cohérence, d’adhésion
à soi-même.
L’œil est toujours aussi sombre mais pétillant
de curiosité et de générosité, les
bras et les mains battent toujours le même curieux manège
des gestes d’un accordéoniste qui n’aurait
pas d’instrument, le sourire est toujours aussi juvénile,
enfantin, ignorant l’ironie ou le sarcasme. Il possède,
malgré une certaine densité de son corps, la même
maladresse nonchalante qui lui tient lieu, quoi qu’il en
croie, d’élégance et de charme. On dirait
qu’il a toujours porté la même veste, le même
col roulé, et qu’il est hanté, surtout et
toujours, par les mêmes interrogations sur la faiblesse
des hommes, la solitude des enfants, l’innocence bafouée
des jeunes filles, le passé brumasseux et équivoque
de personnages aux noms aussi exotiques que les quartiers et les
rues où ils n’habitent plus. Son regard perdu recherche
toujours avec autant d’angoisse le pourquoi des relations
humaines, la source des déchirements familiaux, la confrontation
avec le cynisme ou la cruauté, les choix qui font ou défont
une vie d’adulte. Encore faudrait-il qu’il accepte
le mot adulte, on le rencontre peu dans son écriture ou
son vocabulaire; pour lui, la frontière entre l’enfance
et ce qui ne l’est plus reste indéfinissable et pourtant,
magistralement, sans jamais rien démontrer, il parvient
à la définir.
Il trompera toujours autant son monde. Car ce géant aux
apparences fragiles possède sans doute d’insondables
ressources de volonté et d’opiniâtreté
et ses faux airs de paresseux contrarié ou de dilettante
éthéré dissimulent la permanente quête
du mot qui convient, du rythme qui sied, de l’image qui
frappe, de la petite tache de couleur dans le gris des choses;
il creuse sans cesse son sillon. Regardez-le traîner dans
je ne sais quelle impasse du XVIIe arrondissement ou quelle allée
des Buttes-Chaumont. Il ne traîne pas. Il ne flâne
pas. Il ne rêve pas. Il travaille! Modiano, comme tout romancier,
travaille tout le temps. >> Philippe
Labro
Labyrinthe
<< Quai de Passy. Pont de Bir-Hakeim. Ensuite l’avenue
de New-York [...] Place de l’Alma, première oasis.
Puis les arbres et la fraîcheur du Cours-la-Reine. Apres
la traversée de la place de la Concorde, je toucherai presque
le but. Rue Royale. Je tourne à droite, rue Saint-Honore.
A gauche, rue Cambon. [...] De nouveau, la peur me reprend. R.B.O,
page 142-143
<< Nous
suivons une allée de graviers qui longeait la pelouse.
Sur notre gauche, des buissons, à hauteur d’homme,
étaient soigneusement taillés. Il me désigna
:
- Le labyrinthe. Il a été planté par le grand-père
de Freddie. Je m’en occupe le mieux que je peux. Il faut
bien qu’il y ait quelque chose qui reste comme avant.
Nous pénétrâmes dans le « labyrinthe
» par une de ses entrées latérales et nous
nous baissâmes, à cause de la voûte de la verdure.
Plusieurs allées s’entrecroisent, il y avait des
carrefours, des ronds-points, des virages circulaires ou en angle
droit, des culs-de-sac, une charmille avec un banc de bois vert...[...]
-C’est drôle.. Ce labyrinthe me rappelle quelque chose...>>
R.B.O,
page 75-76
Lecteurs
(les)
<< -Quelle relation entretenez-vous avec vos lecteurs
?
PM - C'est émouvant d'avoir des lecteurs. C'est merveilleux,
on a l'impression qu'on peut communiquer. En fait, à chaque
livre, il se passe ce drôle de phénomène,
un peu désagréable : quand vous l'avez fini arrive
un moment brutal où le livre veut littéralement
couper les ponts, se débarrasser de vous. On ne peut pas
être son propre lecteur. Votre livre terminé est
devenu un objet, une sorte de magma un peu pâteux, une masse
informe dont vous avez une vision de détails, mais pas
de vue d'ensemble. Et c'est le lecteur qui va le révéler,
comme cela se passe en photographie. Le livre n'appartient plus
à celui qui l'a écrit, mais à ceux qui le
lisent. >> Télérama.
Entretien avec Nathalie Crom, 01/10/2014
Lectures
1
<< J’ai commencé à lire A la
recherche du temps perdu à 16 ans, je l’ai fini à
20. Je ne sais pas comment les livres m’ont influencé.
C’était plutôt une musique de la phrase que
je cherchais, un ton. Je pouvais le trouver chez les poètes.
J’ai toujours pensé que finalement, si on fait de
la prose, c’est parce qu’on est mauvais poète.
Lecteur, j’aimais le style oratoire comme chez Bossuet,
ou plus sec comme chez le cardinal de Retz. Mais ce que je cherchais
dans le roman, c’était autre chose : des phrases,
non pas elliptiques mais, comment dire, animées par une
sorte de laconisme, des phrases très courtes, cassant quelque
chose qui serait trop rhétorique pour obtenir quelque chose
qui soit plus proche de la voix que de la grande musique. Je trouvais
ça chez Hemingway, chez Pavese. J’aime lire Bossuet,
Retz ou Bernanos mais, pour moi-même, j’essaie plutôt
de trouver du côté de Ramuz, Céline, Giono.
Pas pour les thèmes mais pour le style, non pas parlé
mais très serré. Finalement, les auteurs que j’ai
admirés ne m’ont pas influencé.>>
Libération. Entretien avec Philippe
Lançon, 4 octobre 2007.
Lectures
2
<< Dans mes lectures, je suis allé toujours vers
des univers qui m'étaient étrangers, que je ne connaissais
pas — les grands romans russes ou anglais, par exemple,
qui se situent à la campagne. Mais c'est vrai qu'on regrette
parfois de n'avoir pas assez observé les choses. Ou de
ne pas avoir écrit sur elles. Ainsi, adolescent, alors
que j'allais de pensionnat en pensionnat, j'ai regardé
de près la vie se dérouler dans des villes de province,
telles qu'elles n'existent plus aujourd'hui. J'aurais pu écrire
là-dessus. Mais je ne l'ai pas fait. J'aurais dû
pour cela adopter sans doute une forme romanesque plus classique,
disons à la Mauriac. Mais on est un peu prisonnier de son
registre, et de son enfance, de ce qu'on a vu, des lieux où
on a vécu.>> Télérama.
Entretien avec Nathalie Crom, 01/10/2014
Lieux
ouverts
<< Calme, préservé, on aurait dit une petite
ville de province. Le nom même de « Vaugirard »
évoquait les feuillages, le lierre, un ruisseau bordé
de mousse. Dans une telle retraite, ils pouvaient laisser libre
cours aux imaginations les plus héroïques.>>
La Ronde de nuit, p.115.
<< Je me souviens de l’itinéraire en pente
douce qui m’a mené jusqu’à cet endroit,
l’un des plus désolés de Paris. Tout commence
au Bois de Boulogne. Te rappelles-tu ? Tu joue au cerceau sur
les pelouses du Pré Catelan. Les années passent,
tu longes l’avenue Henri-Martin et tu te retrouves au Trocadéro.
Ensuite place de l’Etoile. Une avenue devant toi, bordée
de réverbères étincelants. Elle te semble
l’image de l’avenir : chargée de belles promesses—comme
on dit —L’ivresse te coupe le souffle au seuil de
cette voie royale, mais il ne s’agit que de l’avenue
des Champs-Élysées avec ses bars cosmopolites, ses
poules de luxe et le Claridge, caravansérail hanté
par le fantôme de Stavisky. Tristesse du Lido. Etapes navrantes
que sont le Fouquet’s et le Colisée. Tout était
truqué d’avance [...]. Tu poursuis ton itinéraire
et ce que le médecin appelle ta DE-COM-PO-SI-TION MO-RA-LE
sous les arcades de la rue de Rivoli.>> La
Ronde de nuit, p.60-61.
<< Vienne. Les derniers tramways glissaient dans la nuit.
Mariahilfer-Strasse, nous sentions la peur nous gagner. Encore
quelques pas et nous nous retrouverions place de la Concorde.
Prendre le métro, égrener ce chapelet rassurant
: Tuileries, Palais-Royal, Louvre, Châtelet.>> La
Place de l’étoile, p.148.
<< L’avenue était silencieuse. On entendait
le bruissement des arbres.>> D.P.O., p.159.
<< Ils s’assirent à la terrasse d’un
café, au soleil. Ils étaient les seuls clients.>>
L’Horizon,
p.130.
Lieux
fermés
<< A tâtons, j’ai cherché la porte, puis
la minuterie de l’escalier. J’ai refermé la
porte le plus doucement possible. A peine avais-je poussé
l’autre porte aux carreaux vitrés pour traverser
l’entrée de l’immeuble que cette sorte de déclic
que j’avais éprouvé en regardant par la fenêtre
de la chambre s’est produit de nouveau.>> R.B.O.,
p.104.
<< Dans ma chambre, elle a tiré les rideaux noirs.
Je ne l’avais jamais fait auparavant car la couleur de ces
rideaux m’inquiétait, et chaque fois j’étais
réveillé par la lumière du jour. La lumière
passait maintenant à travers la fente de rideaux. C’était
étrange de voir sa veste et ses vêtements éparpillés
sur le paquet. Beaucoup plus tard, nous nous sommes endormis >>
D.P. O., p.49.
Lire
les articles et les livres qui lui sont consacrés
<<
- Outre un grand succès public, votre oeuvre a obtenu une
reconnaissance universitaire. Y êtes-vous sensible ? Lisez-vous
les livres et les articles qui vous sont consacrés ?
PM -Oui, cela m'intéresse, car ça m’éclaire
sur ce que je fais. Comme j'ai toujours l'impression de travailler
à l'aveuglette... Mais c'est à double tranchant,
car j'ai peur que cela me donne trop de lucidité sur ce
que j'écris, que ça l'infléchisse en quelque
manière. Mais oui, cela m'intéresse d'autant plus
que, en dehors de ces travaux universitaires, la critique littéraire
n'existe presque plus aujourd'hui.>> Entretien
avec Maryline Heck, Magazine Littéraire, n° 490, octobre
2009
Corinne
LUCHAIRE par Roger Cousin
Note Publiée le 5 mars 2010 par Roger Cousin sur son Blog.
Source : http://www.memoiresdeguerre.com/article-luchaire-corinne-46118266.html
Rosita Christiane Yvette Luchaire dite Corinne
Luchaire (11 février 1921 Paris-22 janvier 1950 Paris)
est une actrice française de cinéma.
Luchaire Corinne
Elle était la fille de Jean Luchaire, journaliste célèbre
fusillé à la Libération et la petite-fille
de l'historien et écrivain Julien Luchaire. Corinne Luchaire
abandonne l'école dès la classe de troisième
pour suivre les cours d'art dramatique de Raymond Rouleau. Son
grand-père écrit pour elle la pièce de théâtre
Altitude 3200.
Cela lui vaut d'être engagée pour
le rôle principal du film Prison sans barreaux, qui la révèle
au grand public en 1938. A seize ans, elle devient immédiatement
l'une des vedettes les plus prometteuses du cinéma français.
En deux ans, elle tourne six films, dont le plus connu est Le
Dernier Tournant. Mais sa carrière au cinéma est
vite interrompue par ses soucis de santé : souffrant de
tuberculose, elle doit chaque année séjourner plusieurs
mois en sanatorium à partir de 1941 d'abord au plateau
d'Assy puis à Megève.
Sous l'Occupation, elle profite de la position
de son père et de ses relations pour mener, durant ses
séjours à Paris, une vie mondaine et insouciante.
Elle se marie le 27 décembre 1941 à Megève
avec Guy de Voisins-Lavernière qu'elle quitte un mois après,
puis a une relation avec un officier autrichien le capitaine de
la Luftwaffe Wolrad Gelrach , avec lequel elle a une fille Brigitte
née le 10 mai 1944 déclarée sous le nom de
Luchaire. Après une tentative de suicide (elle avait de
nombreux amis juifs, notamment Simone Signoret un temps secrétaire
de son père, et des amis résistants), Corinne suivra
sa famille à Sigmaringen puis en Italie où elle
est arrêtée à Merano avec son père.
Elle est transférée avec lui à Fresnes; elle
sera libérée quelques jours après l'exécution
de Pierre Laval. En 1946, bien que n'ayant eu aucune activité
politique, elle est condamnée à dix ans d'indignité
nationale.
Avant sa mort prématurée de tuberculose
en 1950, elle avait publié un ouvrage biographique (Ma
drôle de vie, 1949) qui constitue un document intéressant
sur sa situation de fille d'une personnalité influente
de la collaboration. Corinne Luchaire a exercé une certaine
fascination sur l'écrivain Patrick Modiano. Corinne L,
une éclaboussure de l'Histoire (réalisé par
Carole Wrona, 2008) est un portrait documentaire qui retrace sa
vie.
Filmographie
1935 : Les Beaux Jours de Marc Allégret
1937 : Le Chanteur de minuit de Léo Joannon
1938 : Conflit de Léonide Moguy
1938 : Prison sans barreaux de Léonide Moguy : Nelly
1938 : Prison Without Bars de Brian Desmond Hurst - version anglaise
du film précédent -
1939 : Le Dernier Tournant de Pierre Chenal : Cora
1939 : Le Déserteur de Léonide Moguy
1939 : Cavalcade d'amour de Raymond Bernard : Junie
1940 : L'Intruse - (Abbandono) de Mario Mattoli
1936 :Sous les yeux d'Occident de Marc Allégret :une laborantine
(non créditée au générique).
Théâtre
1937 : Altitude 3200 de Julien Luchaire, mise en scène
Raymond Rouleau, théâtre de l'Étoile
1939 : Altitude 3200 de Julien Luchaire, théâtre
Tristan Bernard
Lacombe
Lucien
« Autour
de Lacombe Lucien » (fév.
2009)
http://www.cinemaparisx.fr/?start:travaux:calendrier:lacombelucien
Samedi
7 février 2009 : journée d'étude
organisée par Jacqueline Nacache (Paris-Diderot) et Alain
Kleinberger (Paris-Ouest Nanterre La Défense) dans le
cadre du séminaire de recherche : « Cinéma
et Seconde Guerre mondiale : images, traces, présences »,
avec le soutien du CERILAC / CLAM-ECLAT (Paris-Diderot, dir.
F. Marmande, F. Lavocat, C. Murcia), de l’EA HAR Histoire
des Arts et des Représentations (dir. Christian Biet,
Paris-Ouest Nanterre La Défense) et de l’ARIAS (Paris
III/ CNRS /ENS Ulm, dir. Jean-Loup Bourget).
Aurélie
Feste-Guidon, Lacombe Lucien de Louis Malle
Histoire d’une polémique, ou polémique sur
l’Histoire ?
Thèse soutenue en 2009
Lacombe
Lucien (Synopsis)
"Juin 1944, les
Alliés ont débarqué en Normandie. Dans une petite ville du sud-ouest
de la France, Lucien Lacombe, un jeune paysan de dix-sept ans,
quitte l'hospice où il est employé aux basses besognes, pour passer
quelques jours dans son village, et, si possible, y rester. Mais
il retrouve la ferme de ses parents occupés par d'autres : son
père étant prisonnier en Allemagne, sa mère est devenue la maîtresse
du Maire du village. Il est reçu plus que froidement.
Le seul endroit où Lucien est vraiment libre c'est en pleine nature
: sa force, ses qualités de chasseur l'ont toujours mis au-dessus
de ses camarades même du fils du Maire, aujourd'hui dans le maquis.
Lucien décide de le rejoindre. Tout le monde connaît le chef du
maquis : l'instituteur. Lucien lui rend visite, sans succès. L'instituteur-lieutenant
de FFI ne croit pas qu'un cancre, même bon chasseur de lapin,
suffise à faire un résistant.
A la fin de son congé, Lucien regagne l'hospice. La crevaison
d'un pneu de bicyclette, son arrivée en ville en pleine nuit par
ces temps de couvre-feu, une rencontre imprévue, le font échouer
dans un hôtel réquisitionné par un groupe de français au service
de la police allemande. Ils saoulent Lucien par jeu, puis pour
encourager ses confidences... le lendemain, l'instituteur est
arrêté et torturé.
Lucien, dépassé par les événements, est pris dans un engrenage.
Il accepte de travailler avec ses nouveaux amis. Il ne comprend
pas grand chose aux questions idéologiques, mais il s'adapte facilement
à cette nouvelle vie qui semble lui donner des satisfactions :
la violence quotidienne devient pour lui aussi routinière qu'une
matinée de chasse ; Tonin, l'ex-policier révoqué, se fait raser
pendant la lecture des lettres de dénonciation ; Aubert, l'ancien
coureur cycliste, prend sa douche entre deux séances de torture
.... La rudesse naïve de Lucien contraste avec la bonne éducation
et l'humour cynique de Jean-Bernanrd de Voisins, le "fils
de famille" dévoyé du groupe.
Jean-Bernard l'emmène se faire faire un costume par Albert Horn,
un tailleur juif de Paris qui se cache dans la ville avec France,
sa fille de vingt ans, et sa vieille mère. En même temps qu'il
s'implique de plus en plus dans les infâmes activités de la Milice,
il courtise France qui, d'abord, ne manifeste guère d'enthousiasme.
Mais au retour d'un bal où France est insultée par des antisémites,
elle devient la maîtresse de Lucien qui s'installe chez les Horn.
A mesure que les Alliés avancent vers le sud, la Résistance prend
de plus en plus d'audace, et Jean-Bernard est abattu, ainsi que
Betty. La mère de Lucien, qui a reçu des menaces anonymes, presse
son fils de prendre la fuite, mais Lucien dit qu'il est bien là
où il est. Horn, qui ne peut plus le supporter, se rend à Faure,
un collaborateur farouchement antisémite, et il est emmené par
la Gestapo. Lucien arrive à son tour avec un soldat allemand pour
arrêter France et sa grand-mère. Au moment de sortir de l'immeuble,
il tue le soldat et s'enfuit dans la campagne, avec les deux femmes.
Leur voiture étant tombée en panne, ils se réfugient dans une
ferme abandonnée où ils mènent une idyllique vie champêtre.
Sur la dernière image, on voit apparaître le visage de Lucien,
avec ces mots : "Lacombe Lucien a été arrêté le 12 octobre
1944. Jugé par le Tribunal Militaire de la Résistance, il a été
condamné à mort et exécuté".Scénario
de Lacombe Lucien, avec Louis Malle (Gallimard, 1974),
Lacombe Lucien, Dossier de Télédoc.
Lacombre
Lucien, Analyse didactique de Benjamin Delmotte. Dossier
de Télédoc.
Lacombe
Lucien de Louis Malle (1973). PM
a co-écrit le scénario du film avec Louis
Malle et le texte a fait l'objet d'une publication. Cf
la Bibliographie.
- Bibliographie
Altman, Charles F. "Lacombe Lucien: Laughter as Collaboration."
The French Review Vol. XLIX, No. 4 (March 1976): 549-558.
- Baroncelli,
Jean de. "Un Nouveau Film de Louis Malle. 'LACOMBE LUCIEN',
un adolescent dans la Gestapo." Le Monde No. 9034 (31 janvier
1974): 1 et 13.
- Bory,
Jean-Louis. "Servitudes et misères d'un salaud."
Le Nouvel Observateur no. 481 (28 Janvier-3 Février 1974):
56-57.
- Capdenac,
Michel. "Révolte dévoyée, film fourvoyé.
LACOMBE LUCIEN, film français de Louis Malle." Europe
No. 540-541 (avril-mai 1974): 264-269.
- Golsan,
Richard J.. "Collaboration and Context: Lacombe Lucien,
the Mode Rétro, and the Vichy Syndrome." in Ungar,
Steven, Conley, Tom (eds.). Identity Papers. Contested Nationhood
in 20th Century France. Minneapolis: U. of Minnesota Press,
1996. 139-155.
- Golsan,
Richard. "Collaboration, Alienation and the Crisis of Identity
in the Film and Fiction of Patrick Modiano." Dans Aycock,
Wendell (ed.) Schoenecke,Michael (ed.). Film and Literature:
A Comparative Approach to Adaptation. Lubbock: Texas Tech UP,
1988.
- Hope,
Francis. 'Lacombe Lucien." New Review Vol.1 No.1 (april
1974): 73-74.
- Jacob,
Gilles. "entretien avec louis malle (à propos de
lacombe lucien)" Positif No. 157 (mars 1974): 28-35.
- Kael,
Pauline. "Lacombe, Lucien." The New Yorker No. 32
(Sept. 30, 1974).
- Leirens,
Jean. "Mon village à l'heure allemande: Lacombe
Lucien." Revue Générale: Lettres, Arts et
Sciences Humaines No.3 (Mars 1974): 99-104.
- Naomi
Greene."La vie en rose: Images of the Occupation in French
Cinema." in Kritzman, Lawrence. Auschwitz and After. Race,
Culture, and "the Jewish Question" in France. New
York, London: Routledge, 1995. 283-298.
- Mohrt,
Michel. "Louis Malle. Lacombe Lucien." N.R.F. No.
257 (Mai 1974): 115-117.
- Régent,
Roger. "Lacombe Lucien." La Nouvelle Revue des deux
Mondes No. 3 (Mars 1974): 737-743.
- Saint-Jours,
Frédéric. "Au temps de 'Lily Marlene'."
Ecrits de Paris No. 335 (avril 1974): 97-102.
- Sineux,
Michel. "le hasard, le chagrin, la nécessité,
la pitié (sur lacombe lucien)." Positif No. 157
(Mars 1974: 25-27.
- Anne-Marie
Obajtek-Kirkwood
kirkwood@voicenet.com~
LAFONT,
une figure de la Collaboration
Après une adolescence tumultueuse, il est condamné
au début des années vingt pour proxénétisme,
et vit alors dans la clandestinité sous le nom de Lafont.
Repéré par l’Allemagne, il se voit proposé
la gestion d’un bureau d’achat : ses activités
prennent vite une ampleur surprenante, et il transfert ses activités
dans un lieu désormais tristement célèbre
: le 93 de la rue Lauriston, XVIè arrondissement. Il y
cumule le commerce, la torture et les activités mondaines.
Carine Duvillé Errance et Mémoire
: Paris et sa topographie chez Patrick Modiano Mémoire
de maitrise, juillet 2000. Paris IV, Sorbone.
<< Lafont, bel homme affligé d’une voix de
fausset, ancien souteneur promu capitaine SS mais qui compte bien
devenir préfet[29], a élu domicile à Neuilly,
avenue de Madrid, dans un somptueux hôtel particulier bourré
d’orchidées et de dahlias – sa passion. Les
portraits de Hitler et de Goering, trois mètres sur trois,
ornent le halle d’entrée. Les invités sont
triés sur le volet : l’Ambassadeur d’Allemagne
Abetz, le SS Knocken et ses adjoints, Chasseigne, ministre de
Vichy, le préfet de police Bussières, Jean Luchaire,
président du syndicat de la presse et directeur des Nouveaux
Temps qui sollicite fréquemment un prêt substantiel
car ses maîtresses lui coûtent cher. (...)>>
<< Pour les convives de moindre importance, la rue Lauriston,
à l’étage, tandis que l’on martyrise
dans les caves, ou le One Two Two, bordel désormais le
plus huppé de Paris, que Lafont s’est pratiquement
annexé et où il donne des banquets fastueux rassemblant
journalistes, artistes célèbres, femmes du monde,
industriels, politiciens. Aucun de ceux-là n’auraient
accepté, deux ans plus tôt, la prédiction
farce qu’il s’assiérait à la table d’un
Lafont. Beaucoup n’auraient même pas envisagé
de s’intégrer à la faune des défunts
bureaux d’achats. Le vertige du temps et la logique de la
trahison les ont mis sur les boulevards du crime.(...)
<< Avec
Lafont, Vautrin réécrit par Sade, son adjoint direct,
l’ancien flic Bonny, célébrés comme
« le meilleur policier de France » avant d’être
révoqué pour malversation, puis des voyous du milieu,
mais aussi une flopée de comtesses et marquises ne figurant
pas au Gotha, d’anciens militaires, d’ouvriers, de
journalistes, d’hommes d’affaires, de fonctionnaires.>>
<< A la libération, les policiers chargés
de l’enquête détecteront la pourriture si loin
et si haut qu’ils recevront l’ordre de refermer les
dossiers au motif discutable que le moral de la nation, déjà
bien ébranlé, ne supporterait pas le choc de révélations
aussi bouleversantes… “ Un cancer généralisé
”, dira le commissaire Clos, responsable des investigations.>>
<<L’ennemi l’avait voulu ainsi. Car Lafont et
ses émules ne devaient rien aux hasards du temps. On les
avait tiré des bas-fonds avec l’objectif délibéré
d’une subversion morale de la société française.>>
Gilles
Perrault, Paris sous l’Occupation, éd. Belfond, 1987,
cité
par Carine Duvillé.
Lauriston
(93 rue)
Siège officieux de la "Gestapo française"
pendant l'Occupation*. PM évoque ce lieu dans de nombreux
romans.
Lausanne,
Genève*
«Ces années-là, je rendais visite à
mon père à Genève et Lausanne où il
s’employait à des affaires diverses. C’était
les deux dernières années de la guerre d’Algérie.
Je me souviens de cette atmosphère étrange de contrôle
et de troubles qui régnait à Paris mais aussi à
Genève dans les hôtels où l’on voyait
des Algériens discuter le soir. Quelque chose fait que
je dois retourner régulièrement à Genève,
à Lausanne, aujourd’hui encore.» Rencontre
« Patrick Modiano, chasseur d’ombres par Lisbeth Koutchoumoff,
Le Temps. 13 mars 2010
Lectures, Entretien
avec Phlippe Lançon.
<< (...) Vous évoquez dans «Pedigree» des
lectures importantes : «Fermina Marquez», «Illusions
perdues», «Madame Bovary». Et Proust ?
J'ai commencé à lire A la recherche du temps perdu à seize
ans, je l'ai fini à vingt. Je ne sais pas comment les
livres m'ont influencé. C'était plutôt une
musique de la phrase que je cherchais, un ton. Je pouvais le
trouver chez les poètes. J'ai toujours pensé que
finalement, si on fait de la prose, c'est parce qu'on est mauvais
poète. Lecteur, j'aimais le style oratoire, comme chez
Bossuet, ou plus sec, comme chez le cardinal de Retz. Mais ce
que je cherchais dans le roman, c'était autre chose :
des phrases, non pas elliptiques, mais, comment dire, animées
par une sorte de laconisme, des phrases très courtes,
cassant quelque chose qui serait trop rhétorique, pour
obtenir quelque chose qui soit plus proche de la voix que de
la grande musique. Je trouvais ça chez Hemingway, chez
Pavese. J'aime lire Bossuet, Retz ou Bernanos, mais, pour moi-même,
j'essaie plutôt de trouver du côté de Ramuz,
Céline, Giono, pas pour les thèmes, mais pour le
style, non pas parlé, mais très serré.(...)>> Mais
qui est Dédé Sunbeam ?, Les premières rencontres
littéraires du jeune Modiano. Entretien
avec Phlippe Lançon, Libération du 4 octobre 2007
Lecteurs-sources
A une question sur la
publication de ses oeuvres dans les Clubs, Modiano formule cette
étrange réponse : << Souvent
les clubs m'apportent quelque chose en plus. J'écris quelquefois
pour avoir des renseignements. Pour résoudre des énigmes sur mes
parents et dont je voudrais avoir la solution. J'emploie des noms
réels, Je mets les vrais numéros de téléphone. Je joue avec le
feu, j'espère que quelqu'un va m'aider à rapatrier des éléments.
Des gens m'ont écrit, j'ai plus de chance parmi les lecteurs de
club. C'est mystérieux, cela peut pénétrer plus loin...>>
(Interview au Club du Livre, Mai 2001) Les
lecteurs alimenteraient l'œuvre, la mémoire, produiraient du sens.
Il est bien rare qu'un écrivain fasse une telle déclaration dans
laquelle il affirme sa reconnaissance de lecteurs qui viendraient
combler des trous, des manques...
Jean
LEGUAY (1910-1989)
Ancien responsable de la police de Vichy pour la zone
occupée. Il a été inculpé une première
fois pour sa participation présumée à l'organisation
de la rafle du Vél'd'Hiv des 16 et 17 juillet 1942 ; la
seconde dans le cadre de l'affaire Maurice Papon et de l'arrestation
et de la déportation à Bordeaux, entre juin 1942
et août 1944, de 1690 juifs. Entré très tôt dans la carrière préfectorale,
Jean Leguay fut du 16 novembre 1940 au 1er janvier 1942, secrétaire
général de la préfecture de la Marne. En
mai 1942, sous-préfet hors cadre, il devint dans la zone
occupée par les Allemands le délégué du
secrétaire général à la police du
gouvernement de Vichy, René Bousquet. Il devait assumer
ce poste jusqu'au mois de janvier 1944, date à laquelle
il devint préfet de l'Orne, fonction qu'il cessera bien évidemment
d'exercer au lendemain du débarquement allié en
juin 44.
Pierre
Le-Tan : "Une plume très visuelle",
témoignage
Peintre et illustrateur, Pierre Le-Tan a collaboré avec
Modiano à plusieurs ouvrages.
«
Je connaissais Patrick Modiano à travers ses récits.
Et ce qu'il raconte - les périodes, les lieux, Paris...
- me parlait beaucoup. Un jour, mon père me déclara
qu'il avait bien connu ses parents. Je lui ai alors écrit
une lettre. Puis, on s'est rencontrés. La première
fois, c'était en 1978. Notre rencontre et nos conversations
ont abouti à deux réalisations ; en 1981, on a élaboré ensemble
Memory Lane. En 1983, nous avons créé un objet
littéraire bizarre : Poupée blonde, une sorte de
programme d'une pièce de théâtre... qui,
finalement, n'a jamais été jouée !
Généralement, c'est très compliqué de
travailler à deux, mais avec lui, c'était simple.
De plus, on ne le perçoit pas trop de l'extérieur,
mais c'est quelqu'un qui a un grand sens de l'humour.
Ce que j'aime dans son écriture : c'est ce qu'elle dégage à travers
des ambiances, des personnages, des endroits. Pour quelqu'un
comme moi, qui ai toujours vécu à Paris, c'est
très intéressant de lire comment l'écrivain
voit ces quartiers un peu bizarres. C'est comme cela, on se sent
attiré par certains écrits, sans que l'on sache
toujours pourquoi. Je partage avec lui cette manie de tout conserver
: des coupures de presse, des vieilles photos, des papiers. On
se dit que cela finirait par servir un jour et que c'est souvent
le point de départ de quelque chose.
Pour moi, Patrick Modiano fait partie de ces écrivains à l'écriture
impeccable, limpide, créatrice d'un vrai univers. Cette
simplicité n'empêche pas l'écrivain de posséder
une très forte personnalité. Il y a une continuité dans
son œuvre. C'est un artiste qui s'est tracé une ligne
et s'y tient. Il ne cherche pas à épater, il dit
ce qu'il est. J'ajouterais que sa plume est très visuelle,
c'est pour cela qu'elle séduit un artiste comme moi. » Le
Figaro, 27 septembre 2007
Léthargie
" C'est une sorte de choc qui va réveiller le personnage
de sa léthargie [d'Accident nocturne]. La fin d'une période de
sa vie un peu floue. Il rêvait sa vie. C'est symbolique de ces
moments de la vie où les choses basculent du bon ou du mauvais
côté. Une période charnière. Il le dit lui-même: «Sans cet accident...».
C'est en quelque sorte le réveil de quelqu'un qui glissait peut-être...
Comme lorsqu'on est sous l'emprise d'une drogue... Mais ça, c'est
propre à une certaine période de la vie... De
votre vie, à vous?
P.M. Oui. Peut-être cela arrive à des gens qui n'ont pas
d'assises. Des gens qui ne sont pas sur des rails, encadrés par
un milieu, familial ou étudiant. C'est une période que j'ai éprouvée,
à la fois incertaine et...Donc, c'est l'histoire d'un garçon,
racontée par l'homme mûr qu'il est devenu.
P.M. Oui, une histoire racontée avec la distance du temps.
Entretien avec Laurence Liban,
Lire, octobre 2003 à l'occasion de la publication de Accident
nocturne, roman, 2003
Libération
de la France (Chronologie* de la)
La
Libération de Paris Site personnel.
liens (Trancher* tous les)
"Je me souviens de l’impression forte que j’ai
éprouvée lors de ma fugue de janvier 1960 –
si forte que je ne crois jamais en avoir connu de semblables.
C’était l’ivresse de trancher, d’un seul
coup, tous les liens: rupture brutale et volontaire avec la discipline
qu’on vous impose, le pensionnat, vos maîtres, vos
camarades de classe. Désormais, vous n’aurez plus
rien à faire avec ces gens-là; rupture avec vos
parents qui n’ont pas su vous aimer et dont vous vous dites
qu’il n’y a aucun recours à espérer
d’eux; sentiment de révolte et de solitude porté
à son incandescence et qui vous coupe le souffle et vous
met dans un état d’apesanteur. Sans doute l’une
des rares occasions de ma vie où j’ai été
vraiment moi-même et où j’ai marché
à mon pas." Dora Bruder, 1997, p. 77-78~
Lieux
lieux
(Noms* et)
« J'aurais brassé les papiers, comme un jeu de cartes,
et je les aurais étalés sur la table. C'était
donc ça, ma vie présente ? Tout se limitait donc
pour moi, en ce moment, à une vingtaine de noms et d'adresses
disparates dont je n'étais que le seul lien ? Et pourquoi
ceux-là plutôt que d'autres ? Qu'est-ce que j'avais
de commun, moi, avec ces noms et ces lieux ? J'étais dans
un rêve où l'on sait que l'on peut d'un moment à
l'autre se réveiller, quand des dangers vous menacent.
Si je le décidais, je quittais cette table et tout se déliait,
tout disparaissait dans le néant. Il ne resterait plus
qu'une valise de fer-blanc et quelques bouts de papier où
étaient griffonnés des noms et des lieux qui n'auraient
plus aucun sens pour personne. » Du plus
loin de l’oubli.
Lieux
(retourner sur les)
«Je n’ai plus besoin de retourner sur les lieux pour
écrire. J’ai été impressionné
au sens photographique du terme par des rues, des lumières,
des sons, entre 12 et 25 ans. Je marchais toujours avec un sentiment
de clandestinité, de danger. Je ne pouvais pas être
là, dans ces quartiers, tout seul.»
Rencontre
« Patrick Modiano, chasseur d’ombres par Lisbeth Koutchoumoff,
Le Temps. 13 mars 2010
~~~~~~
Ligne
claire
Cette expression est empruntée à la bande dessinée, elle désigne
ces figures ou objets tracés d'un trait, immédiatement lisibles,
sans effort ni hystérie dans l'expression.
Écrire simple, ligne claire... " Les romans de Modiano se
réduisent à l'épure. Les mots y sont manipulés avec soin et prudence.
Les phrases sont des pièges où s'engluent des vies fictives. Le
romancier s'empare de l'autre comme de son jumeau, croisé, entrevu,
pourchassé sans doute, mais qui ne nous dévoilera jamais l'épreuve
de la mort. Modiano nous fascine, mais nous fait peur. Il s'en
excuse : son écriture se fait limpide (anodine) afin de cacher
ce travail de deuil." Hugo
Marsan Le Monde 26/11/93
Littérature (l'ombre
de Vichy sur la) Christian
DELACAMPAGNE, le
Monde du 23 Septembre 1994
Leurre
de la nouvelle période
<< Je me dis
je vais passer enfin à une nouvelle période, mais c'est un leurre.
On est condamné à faire la même chose. Les articles de journaux,
cela vous aide. On ne sait pas très bien ce que l'on écrit, c'est
comme si on était sur des sables mouvants, tant que le livre n'est
pas lu par quelqu'un d'autre. C'est comme une photo ; le négatif
a besoin d'être développé pour que le sujet soit visible. On ne
se voit pas dans la vie, on ne sait pas très bien ce qu'on est.>>
Interview au Club du Livre,
Mai 2001
Libération
de Paris, Les journées
décisives - 18
août. Une fusillade au pont des Arts marque le début
de l'insurrection parisienne.
- 19
août. Trois mille policiers occupent la préfecture
de police.
- 21-22
août. Entrée en vigueur d'une trêve
entre les insurgés et le général
von Choltitz, commandant allemand de Paris, négociée
pas l'intermédiaire
du consul de Suède, Raoul Nordling.
- 22-25
août. Reprise des combats à l'initiative du
Comité parisien de libération dirigé par
le colonel Rol-Tanguy, commandant des FFI de l'Ile-de-France.
- 22
août. Sur l'insistance du général de
Gaulle, Eisenhower, commandant en chef des armées
alliées,
ordonne de pousser la 2e DB de Leclerc sur Paris.
- 24
août. Commandé par le capitaine Raymond Dronne,
un détachement de la 2e DB entre dans Paris
et rejoint l'hôtel de ville.
- 25
août. Capitulation de von Choltitz.
- 26
août. De Gaulle descend l'avenue des Champs-Élysées
et va entendre un Magnificat à Notre-Dame.
- 31
août. Le siège du Gouvernement provisoire de
la République française (GPRF)
est transféré d'Alger à Paris.
Lieux
1
Il habitait tout près de l'hôtel de Suède où Godard tournait
"A bout de souffle"
<< Comme ils tournaient en extérieurs, ils ont
capté le Paris de ces années-là pour l’éternité, le Paris d’"A
bout de souffle" ou de "Cléo de 5 à 7". A l’époque,
ils ne se rendaient pas comptequ’ils allaient laisser au présent
tout un bloc de passé. (…) Quand Desplechin tourne "Comment
je me suis disputé (ma vie sexuelle)" au café Le Rostand,
rue de Médicis, j’ai l’impression que c’est le même café qu’on
voit dans le court métrage de Godard, "Tous les garçons s’appellent
Patrick..." Ce qui serait amusant, ce serait de voir les
deux films l’un après l’autre, ce serait bizarre, à presque quarante
ans de distance... Il faudrait les projeter en surimpression...
Les années passent et on retourne toujours sur les mêmes lieux...
>>
Lieux
2
Les adresses, les lieux ne sont jamais au hasard, ils sont
tous porteurs d'une force évocatrice. D'ailleurs, il fait souvent
des repérages, tant il a besoin de lieux réels pour provoquer
sa rêverie.
Les
Lieux
<< La cité romanesque est un monde avant tout
verbal, un espace créé par des mots. Chez Modiano,
il existe un culte de la mémoire des lieux très
poussé,
au centre de sa stratégie romanesque : en même
temps qu’ils participent de l’effet de réel,
les lieux jouent un rôle structurel. Il y a trois grands
axes dans l’appréhension de la ville : dans un
premier temps, ils sont les embrayeurs du récit. En
terme de repérage absolu, le locuteur, c’est à dire
le narrateur qui se souvient, construit son récit à partir
des lieux qu’il arpente : la diégèse naît à partir
des déictiques spatiaux, qui organisent la vision du
monde évoqué. Déambulant dans une cité mémoire,
il convoque des images et des réminiscences qui formeront
peu à peu le corps du récit.
En second lieu,
les lieux sont le reflet des états d’âmes
du personnage, le narrateur projetant son univers mental sur
les lieux qu’il parcourt.
Enfin, les lieux en disent plus
long sur les personnages que d’éventuelles descriptions
psychologiques, quasi-inexistantes dans le récit : non seulement
ils se définissent
par rapport aux lieux qu’ils fréquentent, mais en
plus ces lieux interfèrent sur le déroulement de
leur vie.>> Carine
Duvillé Errance et Mémoire : Paris et sa topographie
chez Patrick Modiano Mémoirede maitrise, juillet 2000. Paris
IV, Sorbone.
Lieux et Mémoire*
<< Sa mémoire est fragmentaire et associative : grâce
à une sorte de translation de repères, il mêle
volontiers souvenirs personnels, fantasmes, Histoire et littérature,
brouillant la ligne de démarcation entre la fiction et
la réalité.(...) Les lieux, en plus de leur fonction
narrative, ont un rôle référentiel : ils sont
des panneaux qui, en plus de donner une cohérence chronologique
au récit, fournissent de précieuses indications
sur la portée personnelle et historique du texte. S’il
ne cherche pas à livrer dans son œuvre son autobiographie,
les lieux sont cependant entourés d’un réseau
de connotations personnelles qui permettent un déchiffrage
de l’espace romanesque : en effet, la topographie fait plus
qu’esquisser un décor, et les lieux, loin d’être
des objets à décrire, sont scrutés comme
des sources dont le sens peut naître.
Il ne s’agit pas de voir dans le narrateur un reflet exact
de l’auteur, mais de démontrer que la fiction devient
autofiction dans la mesure où elle s’inscrit dans
une ville, Paris, au centre de la mémoire et de l’imaginaire
de Modiano, et sur laquelle il fait fonction de deus ex machina.
Aussi les lieux renvoient-ils à une réalité
extra-textuelle, liée tantôt à l’expérience
de l’auteur, tantôt à l’Histoire, assez
consistante pour dessiner géographiquement sur une carte
l’univers personnel de l’auteur. « Son »
Paris est une ville divisée, et le narrateur est écartelé
entre la Rive Gauche et la Rive Droite, qui symbolisent l’enfance
face au monde adulte, (...) Carine
Duvillé Errance et Mémoire : Paris et sa topographie
chez Patrick Modiano Mémoirede maitrise, juillet 2000.
Paris IV, Sorbone.
~~~~~~
La
Littérature contemporaine
"- Vous qui avez été publié par Queneau,
quel regard portez-vous sur la littérature contemporaine
?
- Il y a un foisonnement beaucoup plus grand, qui m'intéresse
vraiment. Ils arrivent à faire des choses sur le présent,
sans la distance classique, qui me fascine. Quand j'ai commencé
à publier, il y avait encore la génération
des grands mastodontes. Malraux, Simenon, Montherlant, les derniers
livres de Céline, Giono... Ils auraient pu être mes
grands-pères. Les gens de ma génération,
eux, étaient très peu littéraires. Je me
sentais presque coupable par rapport à eux, parce qu'ils
avaient des préoccupations plus politiques. La littérature
était un truc désuet, avec des tribunaux comme le
Nouveau Roman... On s'est débarrassé de ces gangues....
- Richard Millet, lui, dit que « la littérature a
fait son temps ».
- Je ne suis pas d'accord, c'est comme la botanique, il y a toujours
des croisements à faire, comme les roses. Quand on dit
que la littérature est morte, c'est parce qu'on voudrait
que les choses meurent avec vous. Je ne vois pas pourquoi. Les
gens de la fin du XIXe siècle, quand ils voyait tous les
trucs des années 20, ça n'avait plus de sens pour
eux. Le monde est une matière romanesque folle, et j'aimerais
bien pouvoir... Tenez, dans mes romans, y a pas de portables,
ils vont encore dans des cabines téléphoniques,
mais le portable, ça peut être quelque chose de complètement
délirant." Entretien
avec Christophe Ono-dit-Biot , à l'occasion de la parution
de Dans le café de la jeunesse perdue, 27/09/2007,
- © Le Point N°1828-
Littérature
(sur l'avenir de la)
<< Les
oeuvres sont de plus en plus saccadées car elles sont liées
au rythme de l'époque. J'appartiens à une génération
qui, dans son enfance, a connu un monde qui n'avait pas tellement
changé. On essaie de traduire cette espèce d'évolution.
La littérature est ce qui peut le mieux traduire cette
l'angoisse contemporaine. Et je pense que cela continuera, parce
qu'il y aura toujours besoin de traduire cette question .>>
Conférence
de Presse du jeudi 9 octobre 2014, dans les locaux de Gallimard,
peu après l'annonce du Prix Nobel de littérature.
Lire
mes livres
"Je crois être incapable de lire mes livres comme un
lecteur. Question de détails. Je peux les lire pour des
problèmes techniques, c'est-à-dire pour corriger
tel ou tel passage, modifier telle ou telle phrase, mais je suis
incapable d'avoir une vue d'ensemble de ce que je viens d'écrire.
Vous savez, cette vue d'ensemble qui est le plaisir du vrai lecteur.
Quand on écrit, on ne peut pas l'avoir car on est toujours
attaché à des problèmes de détails.
On relit, on corrige, mais on ne voit pas l'ensemble tel qu'il
est véritablement. Ça aussi, c'est quelque chose
de très dérangeant." "Mon
Paris n'est pas un Paris de nostalgie mais un Paris rêvé"
entretien avec François Busnel (Lire), 04/03/2010
Livres
(Comment j'écris mes )
<< Le mot est fort, presque moral, mais c'est ce que
je ressens. D'un livre à l'autre, je rafistole des choses entre
elles, je bricole. C'est une sorte de patchwork, mais j'oublie
des éléments en cours de route, et j'essaie ensuite de les rattraper.
Je reprends des choses trop superficielles, pour les approfondir,
comme si quelque chose avait germé. C'est bizarre, mais il y a
une sorte de logique interne... Pendant le premier mois, on ne
sait pas où on va, c'est pénible. Quand c'est fini, ça ne correspond
plus du tout à ce qu'on imaginait. C'est pareil depuis trente
ans. Au début, on s'embarque, on cafouille, on va à l'aveuglette.
Puis ça se met en place, mais jusqu'à la fin, on bifurque, on
croit que c'est fichu, mais il suffit de revenir en arrière pour
s'apercevoir où on s'est fourvoyé. Parfois c'est décourageant.
Godard disait, je crois, qu'il avait coupé au hasard dans la pellicule
de son premier film. C'est vrai. Il suffit quelquefois de taillader,
pas vraiment au hasard, il y a toujours des intermèdes qu'on peut
couper. Le texte est souvent comme une masse molle qui vous paralyse,
mais vous taillez dans le vif, vous enlevez les doublons, les
répétitions. Et vous repartez. Écrire, c'est comme un lent travail
d'accommodation, comme un regard qui divergerait et qu'on redresserait
peu à peu. Je ne trouve jamais le bon angle d'emblée. (...)
Au départ, on louche, on voit tout en double. Puis la mise en
place, l'accommodation, se fait.>> Libération
26/04/01
LIVRET
de FAMILLE
Livret
de famille (1977)
Résumé
de l'éditeur
Quatorze
récits où l'autobiographie se mêle aux souvenirs imaginaires.
L'auteur peint aussi bien une soirée de l'ex-roi Farouk que son
père traqué par la Gestapo, les débuts de sa mère, girl dans un
music-hall d'Anvers, les personnages équivoques dont le couple
est entouré, son adolescence, et enfin quelques tableaux de son
propre foyer. Tout cela crée peu à peu un «livret de famille».
Livret
de famille, premières
pages
Pierre
LOTI, pseudonyme de Julien Viaud.
Écrivain français (Rochefort, 1850 — Hendaye, 1923).Marin
de carrière, il introduisit dans le roman un exotisme impressionniste,
où il fit passer son incurable nostalgie (Aziyadé, 1879;
le Roman d'un spahi, 1881; Mon frère Yves, 1883;
Pêcheur d'Islande, 1886; Madame Chrysanthème, 1887;
Ramuntcho, 1897). (Académie française, 1891). Emmanuel
Berl s'est montré quand Modiano avoua son intérêt pour Loti :
"Mais qui lit Pierre Loti, aujourd'hui ?"( E Berl 1976,
Interrogatoire)
Lourde
légère
"En regardant l'Atalante ou les Contrebandiers
de Moonfleet, je me disais aussi que la caméra – lourde ou
légère – n'était pas simplement faite pour capter la vie quotidienne
ou la lumière naturelle, mais aussi pour rendre sensibles les
vagues de rêves qui se dégagent des objets les plus usuels : une
péniche, un phonographe, un tatouage, une plage anglaise..."
L'HORIZON,
2010
l'HORIZON,
roman, 2010
Texte
publié par Gallimard à l'occasion de l'a parution.
Rencontre
avec Patrick Modiano, à l'occasion de la parution de L'Horizon
(2010)
"Il suivait la Dieffenbachstrasse. Une averse tombait, une
averse d’été dont la violence s’atténuait
à mesure qu’il marchait en s’abritant sous
les arbres. Longtemps, il avait pensé que Margaret était
morte. Il n’y a pas de raison, non, il n’y a pas de
raison. Même l’année de nos naissances à
tous les deux, quand cette ville, vue du ciel, n’était
plus qu’un amas de décombres, des lilas fleurissaient
parmi les ruines, au fond des jardins."
Vous écrivez, à propos de la terrible mère
de Bosmans devenue une vieille femme pitoyable, « Mon Dieu,
comme ce qui nous a fait souffrir autrefois paraît dérisoire
avec le temps […] ».
Est-ce une manière d’exprimer que le temps qui passe
est libérateur ? Patrick
Modiano — Oui, le temps qui passe est libérateur,
surtout quand il s’agit de personnes qui provoquaient chez
vous une angoisse ou un tourment, du temps de votre enfance ou
de votre adolescence – ce sont des âges où
l’on est prisonnier de tout. Avec le temps, ces personnes
n’ont plus de pouvoir sur vous et vous paraissent «
dérisoires », et parfois pitoyables.
Berlin tient
ici une place importante, à deux périodes essentielles
du destin de la ville : sa destruction et sa réunification.
Diriez-vous que, débarrassé du passé, on
« respire » mieux dans une ville reconstruite ?
Patrick Modiano
— Dans L’horizon, le narrateur remarque au sujet de
Berlin : « Cette ville a mon âge » parce qu’il
est né en 1945, comme moi. J’ai donc toujours eu
l’impression que ma naissance était liée à
la guerre et que j’étais né parmi les ruines.
De sorte que Berlin est la ville la plus symbolique de notre génération
: reconstruite peu à peu depuis soixante-cinq ans –
et réunifiée – mais portant encore les traces
du passé « originel ».
Le narrateur
retrouve grâce à Internet deux personnages importants
perdus de vue depuis des décennies. Considérez-vous
Internet comme un outil pour faire ressurgir le passé ?
Patrick Modiano
— L’Internet est sans doute un outil précieux,
pour retrouver des liens évanouis ou comme machine à
faire ressurgir les fantômes. Mais souvent, il n’est
d’aucune utilité car les « fantômes »
ne se laissent pas aussi facilement débusquer.
La machine
à écrire de Simone Courtois, la dactylo professionnelle,
semble normale mais imprime des « signes curieux »
qui altèrent subtilement le texte sans le rendre illisible.
Ce léger décalage est-il une clé de votre
imaginaire ?
Patrick Modiano
— Pas seulement la clé de mon imaginaire et
de mon approche de l’écriture. Ce léger décalage
ou « déphasage » est celui de tous les romanciers.
©
www.gallimard.fr, 2010
L'Horizon,
dossier de Presse (sélection)
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"Lumière
incertaine de mes origines (la)"
C'est de la sorte qu'il nomme la période de l'occupation face
à Jean-Louis Ezine qui l'interroge de nouveau sur ce fond historique
qui circule dans la plupart de ses romans. Il fallut attendre
la fin des anées 90 pour que PM commence à s'éloigner de cette
toile, cette trame si obsédante dans laquelle il semblait définitivement
pris. Et si le versant métaphysique de l'Occupation le concerne
plus que les aspects référentiels c'est bien parce qu'il est depuis
toujours à une réflexion ontologique où les figures maternelle
et paternelle, toutes deux estompées, ravivent le sentiment des
a-topos, sans lieu. Aussi, l'obsession de la mémoire, des réminiscences,
des noms de lieux, des noms du père
"Comme tous les gens qui n'ont ni terroir ni racines,
je suis obsédé par ma préhistoire. Et ma préhistoire, c'est la
période trouble et honteuse de l'Occupation: j'ai toujours eu
le sentiment, pour d'obscures raisons d'ordre familial, que j'étais
né de ce cauchemar. Les lumières crépusculaires de cette époque
sont pour moi ce que devait être la Gironde pour Mauriac ou la
Normandie pour La Varende; c'est de là que je suis issu. Ce n'est
pas l'Occupation historique que j'ai dépeinte dans mes trois premiers
romans, c'est la lumière incertaine de mes origines. Cette ambiance
où tout se dérobe, où tout semble vaciller..."
Jean-Louis Ezine . Les écrivains
sur la sellette. Paris: Le Seuil, 1981. 22.
"Pourquoi
ici plus que dans n'importe quel autre endroit, ai-je senti l'odeur
vénéneuse de l'Occupation, ce terreau d'où je suis issu ?"
Livret de famille.
Gallimard, Coll.folio, 1981. 202.
"L'Occupation
est une sorte de microcosme, de condensation de tout le drame
humain, avec à la fois l'horreur et l'élan vital, et le côté aphrodisiaque
qu'engendre l'horreur: les gens se sentant menacés veulent en
même temps continuer à vivre... La condition humaine est condensée
dans des périodes comme celle-là... L'amour, la mort. les gens
qui disparaissent, la culpabilité... En fait le point de vue métaphysique
me trouble plus que le point de vue historique." Dominique
Montaudon. Quoi Lire Magazine (Mars 1989). 8.
Pierre
LOTI, pseudonyme de Julien Viaud
Écrivain français (Rochefort, 1850 — Hendaye,
1923).
Marin de carrière, il introduisit dans le roman un
exotisme impressionniste, où il fit passer son incurable
nostalgie (Aziyadé, 1879; le Roman d'un spahi, 1881;
Mon frère Yves, 1883; Pêcheur d'Islande, 1886;
Madame Chrysanthème, 1887; Ramuntcho, 1897). (Académie
française, 1891).
<< Pierre Loti et l'obsession du néant
Une enfance délicieuse entre des parents âgés,
un frère et une soeur de beaucoup ses aînés
et tout attentifs à lui plaire ; une adolescence exaltée
par le rêve, à l'ombre des bois et au bord de l'océan
; puis quelques années de jeunesse pauvre, comme pour
rendre plus charmant le premier sourire de la fortune ; entre
vingt et trente ans, de longs voyages en mer, les plus beaux
sites du monde visités, l'offrande des plus romanesques
amours ; autour de la trentaine, pour quelques pages de journal
nonchalamment publiées, la gloire littéraire survenant
comme par surprise et substituant en quelques années au « matelot
Pierre » le personnage de Pierre Loti : lu par un immense
public, académicien à quarante ans, adulé par
le monde, ami de deux reines ; et, jusqu'à la vieillesse,
la même existence agitée de voyageur et de prince
des lettres, de pèlerin et de poète des paysages
grandioses.
Mais
ouvre-t-on l'oeuvre ? Ces quarante volumes de confidences ne sont
qu'une
longue et toujours pareille élégie,
mouillée de vraies larmes. L'enfant gâté ressent,
tout petit, « l'oppression des crépuscules ». « Toujours, écrira-t-il
dans Le Roman d'un enfant, j'ai eu horriblement conscience du
néant des néants, de la poussière des poussières. » Et
ce sera toujours, jusqu'à la vieillesse inapaisée,
la même plainte, le même thrène : les choses
nous quittent, les êtres chéris ferment leurs yeux
dans la mort, le néant nous assiège et nous aura.
Loti n'écrit des livres que pour lutter contre l'obsession
de s'écouler dans le temps, pour appeler la pitié de
ceux qui lui survivront.>>
Par Pierre-Henri Simon, Le Monde, 21-01-1950
Lumière
1
<< J’ai toujours été obsédé,
dans le cinéma, par les opérateurs. La lumière
m’intéressait. J’aime bien aussi certaines
lumières estivales, très contrastées.[...]
Quand on écrit, il est peut-être difficile de traduire
une lumière, mais ça m’a toujours préoccupé.>>
MAURY, Pierre, « Patrick Modiano, Travaux
de déblaiement » in Magazine Littéraire, septembre
1992, no 302, p. 103
Lumière
2
<<
J’ai tourné le communicateur, mais au lieu de quitter
le bureau de Hutte, je suis resté quelques secondes dans
le noir. Puis j’ai allumé la lumière, et l’éteinte
à nouveau. Une troisième fois, j’ai allumé.
Et éteint. Cela réveillait quelque chose chez moi
: je me suis vu éteindre la lumière d’une
pièce qui était de la dimension de celle-ci, à
une époque que je ne pourrais pas déterminer. Et
ce geste, je le répétais chaque soir, à la
même heure. >> R.B.O., p.140.
Le
lycée de la place du Panthéon
<<Mon père est venu une seule fois me rendre visite dans cet établissement.
Le proviseur du lycée, qu'il avait averti par téléphone
de son passage, m'avait donné l'autorisation de l'attendre sous le porche
de l'entrée. Ce proviseur portait un joli nom : Adonis Delfosse.Je
revois la silhouette de mon père, là, sous le porche, mais je ne
distingue pas son visage, comme si sa présence dans ce décor de
couvent médiéval me paraissait irréelle. La silhouette d'un
homme de haute taille, sans tête. Je
ne sais plus s'il existait un parloir. Il me semble que notre entrevue a eu lieu
au premier étage dans une salle qui devait être la bibliothèque,
ou bien la salle des fêtes. Nous étions seuls, assis à une
table, l'un en face de l'autre. Mon père m'exposait les projets qu'il
avait formés pour mon avenir.Il
souhaitait que je parte au service militaire en devançant l'appel. Les
quatre années qui ont suivi - jusqu'à ce que j'atteigne l'âge
de la majorité -, il n'a pas renoncé à ce projet. Il voulait
lui-même régler toutes les formalités à la caserne
de Reuilly. Puis ce serait le départ pour une autre caserne, vers l'est. Je
l'ai raccompagné jusqu'au porche du lycée. Je l'ai vu s'éloigner
sur la place du Panthéon. Un jour, mon père m'avait confié qu'il
fréquentait lui aussi, à dix-huit ans, le quartier des Ecoles.
Il avait tout juste assez d'argent pour prendre en guise de repas un café au
lait et quelques croissants au Dupont-Latin. En ce temps-là, il avait
un voile au poumon. Je ferme les yeux et je l'imagine remontant le boulevard
Saint-Michel, parmi les sages lycéens et les étudiants d'Action
française. Son Quartier latin à lui, c'était plutôt
celui de Violette Nozière. Il avait dû la croiser souvent sur le
boulevard. Violette, la belle écolière du lycée Fénelon,
qui élevait des chauves-souris dans son pupitre.>> Ephéméride,
2002, Mercure
de
France, ed.
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