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Au Temps
Dictionnaire Patrick Modiano

Bernard Obadia

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B  D  E  F  G  H  I  J  K  L  M  N  O  P  Q  R  S  T  U  V  W  X  Y  Z 

B  D  E  F  G  H  I  J  K  L  M  N  O  P  Q  R  S  T  U  V  W  X  Y  Z

L

 

Philippe LABRO, un témoignage. "PATRICK MODIANO ou LE JEUNE HOMME BEIGE"

<< La première fois que je rencontrai Patrick Modiano, c’était il y a quelques années, huit ans peut-être, chez des gens, à Paris, sur une terrasse donnant sur la Seine.
Il était tout beige, un camaïeu. Ça lui est resté, cette qualité d’uniformité dans des couleurs passe-partout. Il arrivait déjà, dans ce genre de réunion, auréolé d’une réputation de romancier doué qui avait, dès son premier livre, gagné un cercle fervent d’admirateurs puis, relativement vite, atteint une couche plus profonde de fidèles qu’il conserverait toute sa vie. Il avait obtenu le prix Roger-Nimier pour son premier roman, qui n’était pas ce que l’on appelle conventionnellement un roman. À dire vrai, aucun de ses livres ne pourrait se classer sous cette étiquette, encore qu’Aragon ait écrit un jour qu’un roman n’était qu’une façon comme une autre de « brouiller les cartes ». Mais je n’avais pas encore lu son récit et, lorsque je bavardais avec lui, je ne le connaissais, précisément, que de réputation. Pourtant, l’énoncé du prix évoquait un style, un ton, une attitude. Nimier Jaguar et whisky, droite qui claque au vent de la rive
gauche, scandale et panache, les Hussards... Modiano appartenait-il à la même école d’hommes?
La grâce et l’insolence de son écriture, le brillant qu’il jetait aux yeux du lecteur et qui, cependant, n’était pas de la poudre, ce rythme mélodieux de la phrase et cette constante déchirure de l’adolescence à la recherche de quelque chose, le fascinant et habile mélange de culture littéraire et de nostalgio-triviologie, détails d’objets rétro, photos de luxe, chansons inachevées, noms exotiques et romanciers anglo-saxons désuets, tout cela, et tout le reste, faisait que l’on s’attendait à l’un de ces intarissables jeunes hommes que les salons offrent parfois en prime avec les petits-fours. Un conversationniste talentueux, vous abreuvant de formules et citations, anecdotes et paradoxes, pour vous abandonner transpercé, humilié, séduit et vaincu. Il n’en était rien.
Hier, comme aujourd’hui, Patrick Modiano semblait habité par une incapacité de s’exprimer verbalement, une timidité de tous les sens et de tous les instants. Vêtu d’une veste ample et d’une chemise floue sans cravate (je crois bien, depuis que je le connais, n’avoir jamais vu Modiano porter une cravate), un pantalon sans plis et des chaussures sans couleur, il paraissait vouloir, dès le premier contact, effacer toute possibilité qu’on le remarque, le reconnaisse, pis encore qu’on le congratule. Les gestes inachevés de ses longues mains dans le ciel, les coupures dans l’espace avec ses deux bras interminables n’avaient pas encore atteint la quasi perfection imparfaite d’aujourd’hui, mais tout de même, tout était là, déjà dessiné. Mince, long, un beau visage classique de jeune premier de film des années 30, il m’avait paru chaleureux et souriant. Les timides et les complexés baissent souvent les yeux devant leur interlocuteur. Patrick Modiano me regardait avec une lueur d’amitié et de gentillesse, avec curiosité, soif de savoir. Les lumières de son regard démentaient la paralysie du discours. Il n’était pas timide, mais retenu, et surtout le narcissisme inhérent à toute création ne débordait pas dans son personnage quotidien, son comportement social. Au contraire de la plupart des écrivains (de la plupart d’entre nous, d’ailleurs, pourquoi limiter cette tare aux écrivains?), il n’éprouvait aucune envie qu’on lui parlât de son oeuvre, de lui-même. Il était ouvert à l’autre, curieux de l’autre, prêt à partager votre rire, votre expérience ou votre émotion en rejetant un peu la tête et les cheveux en arrière, avec un air de dire: « Oui, oui, bien sûr, je comprends.» Car il possédait cette étrange faculté de vous transmettre qu’il avait tout compris sans jamais réellement l’exprimer, et d’attendre de vous le même phénomène — mais qu’il n’était dupe de rien, quoique innocent de toute bassesse. Ça, c’était aveuglant, évident, et immuable : Modiano respirait tout, inquiétude, insécurité, Angst, tout sauf la mesquinerie, la jalousie, ou simplement ce que l’on appelle la méchanceté et qui tient lieu souvent, à Paris, de passeport pour la réussite.
Et comme il s’était vite aperçu, à son grand soulagement, que, n’ayant pas lu son dernier livre, il me serait difficile de l’en entretenir, il m’embarqua, avec force hésitations et silences, dans un long monologue sur la chanson française. (Avec Modiano, on commence par poser des questions, on finit par monologuer devant lui.) J’avais écrit quelques paroles pour des musiques que chanterait Johnny Hallyday. De son côté, Modiano s’était essayé, au moment où je fis sa rencontre, à écrire pour, je crois bien, Françoise Hardy. Nous en parlâmes longuement, c’est-à-dire qu’il me laissa parler et ponctua par des « oui... c’est ça... c’est-à-dire... enfin.., oui, ah oui, tout à fait... » qui le gagnèrent définitivement à mon cœur . Il flottait autour de sa personne l’odeur d’un parfum que j’avais reconnu aux États-Unis sur ceux qui s’adonnaient parfois à la « fumette », mais je ne peux jurer de rien. J’ai lu, bien plus tard, que Jean Cau (qui l’aima et l’influença de la meilleure manière : en l’encourageant à écrire) déclara que, s’il n’avait pu écrire, Modiano aurait peut-être très mal tourné, mais je n’en conclus strictement rien.
Depuis cette rencontre sur une terrasse en automne, je me mis à lire, au fil des années 70, les livres de Modiano, mais pas forcément dans l’ordre. Je découvris dans Les boulevards de ceinture la marque d’un génie du visuel — ce qui se retrouverait dans le meilleur du film Lacombe Lucien —, une obsession très minutieusement recensée des moments, couleurs et paysages d’un passé honteux. Et j’appris, avec Villa triste, qu’il avait réussi, de façon lente mais assurée, à se débarrasser du brillant et de l’époustouflant de La place de L~toile ou de La ronde de nuit (que je ne lus qu’en dernier) pour atteindre à l’épuré, au maîtrisé, dosé, ému de Livret de famille. Tout le monde n’était pas de cet avis: on aime tellement le style, en France, qu’on le souhaite éclatant, éblouissant, et qu’on fait la fine bouche lorsque le style se calme, s’émonde, se bonifie et se transforme en talent.
Lorsque l’allegro vivace débouche sur l’andante. La reconnaissance continuait néanmoins de s’ accroître : Grand Prix du roman de l’Académie française, favori pour le Goncourt, figure de plus en plus singulière dans le jeune roman français, par ailleurs fort avare de révélations.
J’eus l’occasion de beaucoup côtoyer Modiano lorsque le désir d’un producteur nous associa, avec Michel Audiard, pour la conception et l’adaptation des Mémoires d’un assassin en vue d’en faire un film qui ne vit, finalement, jamais le jour. Nous passâmes quelque six semaines en hiver à nous retrouver chaque jour, dans une suite de l’hôtel de La Trémoille, où nous travaillions au sujet proposé, et j’en garde un souvenir très vif et heureux.
Il n’avait pas changé, pas vraiment. Toujours vêtu d’un long manteau genre poil de chameau, qu’il portait à même un chandail ou un cardigan couleur beige, transportant au bout du bras un parapluie que je ne le vis jamais ouvrir, il n’avait rien perdu de son extrême sollicitude, sa complète disponibilité, son souci de ne pas heurter, froisser ou contredire, ce qui ne trahissait aucune veulerie ou lâcheté, mais plutôt politesse, discrétion, désir d’harmonie et de calme. Le conflit lui faisait peur. Il ne savait pas dire non. Il détestait choisir. Au restaurant, il attendait sagement que nous ayons commandé nos plats pour s’empresser de dire «je prendrai la même chose » et nous ne savions pas très bien s’il s’agissait d’une indifférence suprême à toute forme de nourriture ou d’une crainte d’avoir voulu marquer, par une initiative inverse à celle de ses convives, un semblant d’autorité. Je pense qu’il y avait un peu des deux.
Au sortir de nos sessions de travail, nous nous retrouvions sur le trottoir de la rue Bassano, souvent la nuit, et j’avais beau lui proposer de le raccompagner en voiture quelque part, il faisait toujours dans l’air de ces gestes de main et d’avant-bras pour signifier que non, non, il ne voulait pas me déranger, il n’allait pas très loin, dans le XV°, il rentrerait à pied. Modiano ne sait pas conduire. Et ce que je sais aujourd’hui de sa maladresse manuelle et de son mépris pour les choses les plus concrètes, comme un feu rouge ou un sens unique, m’a convaincu depuis longtemps qu’il vaut mieux, en effet, pour sa santé, celle de ses enfants et de sa femme, ainsi que pour la tranquillité de son éditeur, Gallimard, qu’il ne tente jamais d’introduire une clé de contact dans le dispositif de n’importe quelle automobile. Cette incapacité devant le pratique et le quotidien ne le coupe pas du monde réel. A mesure que je fis sa connaissance, j’aperçus chez Modiano les ressources et la vivacité d’un esprit toujours en éveil devant les faits divers de la vie, la politique, les sports ou le spectacle, un don pour saisir et retenir ce qu’il y a de dérisoire et grotesque dans l’attitude de tel ou tel contemporain, s’émerveiller de la poésie ou de l’insolite de tel événement, appréhender l’air de notre temps. Rien n’échappe à ce « passéomane» qui lit tout ce qui paraît, découpe, emmagasine, met en fiches, et collecte sans arrêt, s’imprégnant, comme tout écrivain sérieux, de la moindre réflexion, sensation, pulsion. Le perçant de son regard n’est pas exclusivement orienté sur les sombres années de l’Occupation. Observateur, journaliste en réalité, perpétuel preneur de notes, Modiano ne parle pas pour mieux entendre, mais pour
mieux écouter. Son labeur de « repérages », qu’il effectue seul, dans les rues de Paris, n’est pas moins méticuleux que celui d’un Alain Resnais ou d’un Stanley Kubrick à la recherche de leurs futurs décors. Il ne se limite pas à la ville une phrase au retour d’un voyage, l’évocation d’une plage, la couleur d’un aéroport, le bruit d’une gare dans une cité étrangère suffisent sans doute pour déclencher en lui ce mystérieux processus grâce à quoi il aboutit à une scène, un lambeau de vie, un chapitre, un nouveau récit.
Il semblait éprouver quelque inquiétude sur son art. Parfois, il émettait des doutes sur l’itinéraire qu’il avait suivi, craignant d’avoir jeté trop tôt ses feux, d’avoir trop rapidement dit ce qu’il avait à dire, et de se retrouver sec, répétitif, bloqué. Lorsque je lui demandai, une fois que notre collaboration se fut achevée mais que nous continuâmes de nous voir et d’avancer dans l’amitié, à quoi il travaillait, il me répondit qu’il « leur » (c’était son éditeur) avait donné « quelque chose » dont il était clair qu’il ne voulait rien définir ou raconter. Entre-temps, on l’avait encore une fois oublié pour le Goncourt au profit de je ne sais plus quel autre roman, fort plat et fort peu magique, mais dont l’auteur avait savamment construit la carrière, à l’image de ces jeunes députés qui « prévisionnent », cinq ans à l’avance, leur premier poste de secrétaire d’État. Il ne s’en plaignait pas. Ce n’était pas très important, phrase essentielle dans la conversation modianesque.
Nous nous envoyons des cartes postales. En juillet 1978, à La Baule, je le revois. Sa femme attend un deuxième enfant. Cette plage et ce décor lui vont bien.
Il en rit même, tellement les villas et les réverbères au bord de l’Atlantique semblent s’intégrer à un chapitre qu’il a peut-être déjà écrit. Toujours aussi curieux de ce que je fais, de ce que j’écris, des événements de ma propre existence, il efface mes questions sur le «quelque chose » que son éditeur imprime et dont il ne me livrera même pas le titre, cette Rue des boutiques obscures qui lui vaudra, quelques mois plus tard, sans coup férir cette fois, un prix Goncourt venu ratifier un succès déjà populaire, comme si la masse anonyme et sans cesse accrue de ses lecteurs avait suivi infailliblement l’énorme progrès accompli, le passage du nerveux quasi caricatural à l’aquarelliste du cœur , sensible et maturé.
Nous dînerons ensemble, quelques soirs avant l’attribution d’un prix auquel il préfère ne pas trop faire allusion; superstition, et crainte aussi, puisqu’il a dû sentir que cette consécration lui serait bénéfique et le délivrerait peut-être de ses premiers démons. Quelques jours plus tard, sur le répondeur automatique de mon téléphone, il aura la force d’aligner une phrase bien construite, longue, et tout à fait claire, m’annonçant qu’il va « essayer de passer à travers tout cela », dit sur un ton de conspirateur, et qu’il me fera signe lorsque les formalités fastidieuses et indispensables de la célébrité auront été surmontées. Plus tard encore, il m’enverra un mot, depuis Versailles, pour me raconter avec délices qu’il a découvert, chez un bouquiniste, un exemplaire fatigué d’un de mes propres romans avec, à l’intérieur, une lettre d’amour adressée à une inconnue par un certain Alain. (Ce genre de choses n’arrive qu’à Modiano.) J e relirai alors les lignes ultimes de son remarquable roman. A trente ans, ou un peu plus, Patrick Modiano voit s’ouvrir devant lui le chemin d’une oeuvre d’écrivain authentique, à la mesure de son envoi final « Elle a déjà tourné le coin de la rue, et nos vies ne sont-elles pas aussi rapides à se dissiper dans le soir que ce chagrin d’enfant?... »
Paru dans Vogue, février 1 979.

RELECTURE Philippe Labro
Modiano est un travailleur
<< Je ne vois pas grand-chose à ajouter à ce «portrait-moment » daté de plus de vingt ans qui baigne dans l’affection, l’estime, l’admiration. Depuis cette publication, Patrick (qui signe parfois «Patoche » lorsque nous nous écrivons) a continué sa route singulière, portant plus loin encore que nous pouvions nous y attendre son fanatisme pour l’épure, le non-dit, le suggéré, tout ce qui, au fond, était déjà contenu dans son premier ouvrage. Cette ambitieuse promesse qu’il remplit, livre après livre —chaque livre n’étant jamais, selon ses propres dires, que le même que le précédent et cependant un autre.
Rien ne l’a changé. Rien! Ni le temps ni la gloire. L’extraordinaire respect dont il jouit, la fidélité vigoureuse d’un « fonds de lecteurs » de plus en plus solide, les quelques passages savoureux et émouvants qu’il a faits chez Pivot à la télé (la pudeur, la franchise, l’humour, la modestie, l’incapacité de se prendre au sérieux), les incessants hommages, la régulière louange unanime que lui vaut chacune de ses nouvelles parutions, l’adjectif « modianesque » passé dans le langage courant (et chacun sait qu’un nom propre transformé en adjectif est une des preuves de la consécration ultime, celle du public comme de la critique), rien n’a modifié le discours, le comportement, l’esprit de Patrick. C’est un très rare exemple de pérennité, de continuité, de cohérence, d’adhésion à soi-même.
L’œil est toujours aussi sombre mais pétillant de curiosité et de générosité, les bras et les mains battent toujours le même curieux manège des gestes d’un accordéoniste qui n’aurait pas d’instrument, le sourire est toujours aussi juvénile, enfantin, ignorant l’ironie ou le sarcasme. Il possède, malgré une certaine densité de son corps, la même maladresse nonchalante qui lui tient lieu, quoi qu’il en croie, d’élégance et de charme. On dirait qu’il a toujours porté la même veste, le même col roulé, et qu’il est hanté, surtout et toujours, par les mêmes interrogations sur la faiblesse des hommes, la solitude des enfants, l’innocence bafouée des jeunes filles, le passé brumasseux et équivoque de personnages aux noms aussi exotiques que les quartiers et les rues où ils n’habitent plus. Son regard perdu recherche toujours avec autant d’angoisse le pourquoi des relations humaines, la source des déchirements familiaux, la confrontation avec le cynisme ou la cruauté, les choix qui font ou défont une vie d’adulte. Encore faudrait-il qu’il accepte le mot adulte, on le rencontre peu dans son écriture ou son vocabulaire; pour lui, la frontière entre l’enfance et ce qui ne l’est plus reste indéfinissable et pourtant, magistralement, sans jamais rien démontrer, il parvient à la définir.
Il trompera toujours autant son monde. Car ce géant aux apparences fragiles possède sans doute d’insondables ressources de volonté et d’opiniâtreté et ses faux airs de paresseux contrarié ou de dilettante éthéré dissimulent la permanente quête du mot qui convient, du rythme qui sied, de l’image qui frappe, de la petite tache de couleur dans le gris des choses; il creuse sans cesse son sillon. Regardez-le traîner dans je ne sais quelle impasse du XVIIe arrondissement ou quelle allée des Buttes-Chaumont. Il ne traîne pas. Il ne flâne pas. Il ne rêve pas. Il travaille! Modiano, comme tout romancier, travaille tout le temps.
>> Philippe Labro

Labyrinthe
<< Quai de Passy. Pont de Bir-Hakeim. Ensuite l’avenue de New-York [...] Place de l’Alma, première oasis. Puis les arbres et la fraîcheur du Cours-la-Reine. Apres la traversée de la place de la Concorde, je toucherai presque le but. Rue Royale. Je tourne à droite, rue Saint-Honore. A gauche, rue Cambon. [...] De nouveau, la peur me reprend. R.B.O, page 142-143

<< Nous suivons une allée de graviers qui longeait la pelouse. Sur notre gauche, des buissons, à hauteur d’homme, étaient soigneusement taillés. Il me désigna :
- Le labyrinthe. Il a été planté par le grand-père de Freddie. Je m’en occupe le mieux que je peux. Il faut bien qu’il y ait quelque chose qui reste comme avant.
Nous pénétrâmes dans le « labyrinthe » par une de ses entrées latérales et nous nous baissâmes, à cause de la voûte de la verdure. Plusieurs allées s’entrecroisent, il y avait des carrefours, des ronds-points, des virages circulaires ou en angle droit, des culs-de-sac, une charmille avec un banc de bois vert...[...]
-C’est drôle.. Ce labyrinthe me rappelle quelque chose...>>
R.B.O, page 75-76

Lecteurs (les)
<< -Quelle relation entretenez-vous avec vos lecteurs ?
PM - C'est émouvant d'avoir des lecteurs. C'est merveilleux, on a l'impression qu'on peut communiquer. En fait, à chaque livre, il se passe ce drôle de phénomène, un peu désagréable : quand vous l'avez fini arrive un moment brutal où le livre veut littéralement couper les ponts, se débarrasser de vous. On ne peut pas être son propre lecteur. Votre livre terminé est devenu un objet, une sorte de magma un peu pâteux, une masse informe dont vous avez une vision de détails, mais pas de vue d'ensemble. Et c'est le lecteur qui va le révéler, comme cela se passe en photographie. Le livre n'appartient plus à celui qui l'a écrit, mais à ceux qui le lisent.
>> Télérama. Entretien avec Nathalie Crom, 01/10/2014

Lectures 1
<< J’ai commencé à lire A la recherche du temps perdu à 16 ans, je l’ai fini à 20. Je ne sais pas comment les livres m’ont influencé. C’était plutôt une musique de la phrase que je cherchais, un ton. Je pouvais le trouver chez les poètes. J’ai toujours pensé que finalement, si on fait de la prose, c’est parce qu’on est mauvais poète. Lecteur, j’aimais le style oratoire comme chez Bossuet, ou plus sec comme chez le cardinal de Retz. Mais ce que je cherchais dans le roman, c’était autre chose : des phrases, non pas elliptiques mais, comment dire, animées par une sorte de laconisme, des phrases très courtes, cassant quelque chose qui serait trop rhétorique pour obtenir quelque chose qui soit plus proche de la voix que de la grande musique. Je trouvais ça chez Hemingway, chez Pavese. J’aime lire Bossuet, Retz ou Bernanos mais, pour moi-même, j’essaie plutôt de trouver du côté de Ramuz, Céline, Giono. Pas pour les thèmes mais pour le style, non pas parlé mais très serré. Finalement, les auteurs que j’ai admirés ne m’ont pas influencé.>> Libération. Entretien avec Philippe Lançon, 4 octobre 2007.

Lectures 2
<< Dans mes lectures, je suis allé toujours vers des univers qui m'étaient étrangers, que je ne connaissais pas — les grands romans russes ou anglais, par exemple, qui se situent à la campagne. Mais c'est vrai qu'on regrette parfois de n'avoir pas assez observé les choses. Ou de ne pas avoir écrit sur elles. Ainsi, adolescent, alors que j'allais de pensionnat en pensionnat, j'ai regardé de près la vie se dérouler dans des villes de province, telles qu'elles n'existent plus aujourd'hui. J'aurais pu écrire là-dessus. Mais je ne l'ai pas fait. J'aurais dû pour cela adopter sans doute une forme romanesque plus classique, disons à la Mauriac. Mais on est un peu prisonnier de son registre, et de son enfance, de ce qu'on a vu, des lieux où on a vécu.>>
Télérama. Entretien avec Nathalie Crom, 01/10/2014

Lieux ouverts
<< Calme, préservé, on aurait dit une petite ville de province. Le nom même de « Vaugirard » évoquait les feuillages, le lierre, un ruisseau bordé de mousse. Dans une telle retraite, ils pouvaient laisser libre cours aux imaginations les plus héroïques.>> La Ronde de nuit, p.115.
<< Je me souviens de l’itinéraire en pente douce qui m’a mené jusqu’à cet endroit, l’un des plus désolés de Paris. Tout commence au Bois de Boulogne. Te rappelles-tu ? Tu joue au cerceau sur les pelouses du Pré Catelan. Les années passent, tu longes l’avenue Henri-Martin et tu te retrouves au Trocadéro. Ensuite place de l’Etoile. Une avenue devant toi, bordée de réverbères étincelants. Elle te semble l’image de l’avenir : chargée de belles promesses—comme on dit —L’ivresse te coupe le souffle au seuil de cette voie royale, mais il ne s’agit que de l’avenue des Champs-Élysées avec ses bars cosmopolites, ses poules de luxe et le Claridge, caravansérail hanté par le fantôme de Stavisky. Tristesse du Lido. Etapes navrantes que sont le Fouquet’s et le Colisée. Tout était truqué d’avance [...]. Tu poursuis ton itinéraire et ce que le médecin appelle ta DE-COM-PO-SI-TION MO-RA-LE sous les arcades de la rue de Rivoli.>> La Ronde de nuit, p.60-61.
<< Vienne. Les derniers tramways glissaient dans la nuit. Mariahilfer-Strasse, nous sentions la peur nous gagner. Encore quelques pas et nous nous retrouverions place de la Concorde. Prendre le métro, égrener ce chapelet rassurant : Tuileries, Palais-Royal, Louvre, Châtelet.>> La Place de l’étoile, p.148.
<< L’avenue était silencieuse. On entendait le bruissement des arbres.>> D.P.O., p.159.
<< Ils s’assirent à la terrasse d’un café, au soleil. Ils étaient les seuls clients.>>
L’Horizon, p.130.

Lieux fermés
<< A tâtons, j’ai cherché la porte, puis la minuterie de l’escalier. J’ai refermé la porte le plus doucement possible. A peine avais-je poussé l’autre porte aux carreaux vitrés pour traverser l’entrée de l’immeuble que cette sorte de déclic que j’avais éprouvé en regardant par la fenêtre de la chambre s’est produit de nouveau.>> R.B.O., p.104.
<< Dans ma chambre, elle a tiré les rideaux noirs. Je ne l’avais jamais fait auparavant car la couleur de ces rideaux m’inquiétait, et chaque fois j’étais réveillé par la lumière du jour. La lumière passait maintenant à travers la fente de rideaux. C’était étrange de voir sa veste et ses vêtements éparpillés sur le paquet. Beaucoup plus tard, nous nous sommes endormis >>
D.P. O., p.49.

Lire les articles et les livres qui lui sont consacrés
<< - Outre un grand succès public, votre oeuvre a obtenu une reconnaissance universitaire. Y êtes-vous sensible ? Lisez-vous les livres et les articles qui vous sont consacrés ?
PM -Oui, cela m'intéresse, car ça m’éclaire sur ce que je fais. Comme j'ai toujours l'impression de travailler à l'aveuglette... Mais c'est à double tranchant, car j'ai peur que cela me donne trop de lucidité sur ce que j'écris, que ça l'infléchisse en quelque manière. Mais oui, cela m'intéresse d'autant plus que, en dehors de ces travaux universitaires, la critique littéraire n'existe presque plus aujourd'hui.>>
Entretien avec Maryline Heck, Magazine Littéraire, n° 490, octobre 2009

 

Corinne LUCHAIRE par Roger Cousin
Note Publiée le 5 mars 2010 par Roger Cousin sur son Blog. Source : http://www.memoiresdeguerre.com/article-luchaire-corinne-46118266.html

Rosita Christiane Yvette Luchaire dite Corinne Luchaire (11 février 1921 Paris-22 janvier 1950 Paris) est une actrice française de cinéma.
Luchaire Corinne
Elle était la fille de Jean Luchaire, journaliste célèbre fusillé à la Libération et la petite-fille de l'historien et écrivain Julien Luchaire. Corinne Luchaire abandonne l'école dès la classe de troisième pour suivre les cours d'art dramatique de Raymond Rouleau. Son grand-père écrit pour elle la pièce de théâtre Altitude 3200.

Cela lui vaut d'être engagée pour le rôle principal du film Prison sans barreaux, qui la révèle au grand public en 1938. A seize ans, elle devient immédiatement l'une des vedettes les plus prometteuses du cinéma français. En deux ans, elle tourne six films, dont le plus connu est Le Dernier Tournant. Mais sa carrière au cinéma est vite interrompue par ses soucis de santé : souffrant de tuberculose, elle doit chaque année séjourner plusieurs mois en sanatorium à partir de 1941 d'abord au plateau d'Assy puis à Megève.

Sous l'Occupation, elle profite de la position de son père et de ses relations pour mener, durant ses séjours à Paris, une vie mondaine et insouciante. Elle se marie le 27 décembre 1941 à Megève avec Guy de Voisins-Lavernière qu'elle quitte un mois après, puis a une relation avec un officier autrichien le capitaine de la Luftwaffe Wolrad Gelrach , avec lequel elle a une fille Brigitte née le 10 mai 1944 déclarée sous le nom de Luchaire. Après une tentative de suicide (elle avait de nombreux amis juifs, notamment Simone Signoret un temps secrétaire de son père, et des amis résistants), Corinne suivra sa famille à Sigmaringen puis en Italie où elle est arrêtée à Merano avec son père. Elle est transférée avec lui à Fresnes; elle sera libérée quelques jours après l'exécution de Pierre Laval. En 1946, bien que n'ayant eu aucune activité politique, elle est condamnée à dix ans d'indignité nationale.

Avant sa mort prématurée de tuberculose en 1950, elle avait publié un ouvrage biographique (Ma drôle de vie, 1949) qui constitue un document intéressant sur sa situation de fille d'une personnalité influente de la collaboration. Corinne Luchaire a exercé une certaine fascination sur l'écrivain Patrick Modiano. Corinne L, une éclaboussure de l'Histoire (réalisé par Carole Wrona, 2008) est un portrait documentaire qui retrace sa vie.
Filmographie
1935 : Les Beaux Jours de Marc Allégret
1937 : Le Chanteur de minuit de Léo Joannon
1938 : Conflit de Léonide Moguy
1938 : Prison sans barreaux de Léonide Moguy : Nelly
1938 : Prison Without Bars de Brian Desmond Hurst - version anglaise du film précédent -
1939 : Le Dernier Tournant de Pierre Chenal : Cora
1939 : Le Déserteur de Léonide Moguy
1939 : Cavalcade d'amour de Raymond Bernard : Junie
1940 : L'Intruse - (Abbandono) de Mario Mattoli
1936 :Sous les yeux d'Occident de Marc Allégret :une laborantine (non créditée au générique).
Théâtre
1937 : Altitude 3200 de Julien Luchaire, mise en scène Raymond Rouleau, théâtre de l'Étoile
1939 : Altitude 3200 de Julien Luchaire, théâtre Tristan Bernard

 


Lacombe Lucien

« Autour de Lacombe Lucien » (fév. 2009)
http://www.cinemaparisx.fr/?start:travaux:calendrier:lacombelucien
Samedi 7 février 2009 : journée d'étude
organisée par Jacqueline Nacache (Paris-Diderot) et Alain Kleinberger (Paris-Ouest Nanterre La Défense) dans le cadre du séminaire de recherche : « Cinéma et Seconde Guerre mondiale : images, traces, présences », avec le soutien du CERILAC / CLAM-ECLAT (Paris-Diderot, dir. F. Marmande, F. Lavocat, C. Murcia), de l’EA HAR Histoire des Arts et des Représentations (dir. Christian Biet, Paris-Ouest Nanterre La Défense) et de l’ARIAS (Paris III/ CNRS /ENS Ulm, dir. Jean-Loup Bourget).

Aurélie Feste-Guidon, Lacombe Lucien de Louis Malle
Histoire d’une polémique, ou polémique sur l’Histoire ?
Thèse soutenue en 2009

Lacombe Lucien (Synopsis)
"Juin 1944, les Alliés ont débarqué en Normandie. Dans une petite ville du sud-ouest de la France, Lucien Lacombe, un jeune paysan de dix-sept ans, quitte l'hospice où il est employé aux basses besognes, pour passer quelques jours dans son village, et, si possible, y rester. Mais il retrouve la ferme de ses parents occupés par d'autres : son père étant prisonnier en Allemagne, sa mère est devenue la maîtresse du Maire du village. Il est reçu plus que froidement.
Le seul endroit où Lucien est vraiment libre c'est en pleine nature : sa force, ses qualités de chasseur l'ont toujours mis au-dessus de ses camarades même du fils du Maire, aujourd'hui dans le maquis. Lucien décide de le rejoindre. Tout le monde connaît le chef du maquis : l'instituteur. Lucien lui rend visite, sans succès. L'instituteur-lieutenant de FFI ne croit pas qu'un cancre, même bon chasseur de lapin, suffise à faire un résistant.
A la fin de son congé, Lucien regagne l'hospice. La crevaison d'un pneu de bicyclette, son arrivée en ville en pleine nuit par ces temps de couvre-feu, une rencontre imprévue, le font échouer dans un hôtel réquisitionné par un groupe de français au service de la police allemande. Ils saoulent Lucien par jeu, puis pour encourager ses confidences... le lendemain, l'instituteur est arrêté et torturé.
Lucien, dépassé par les événements, est pris dans un engrenage. Il accepte de travailler avec ses nouveaux amis. Il ne comprend pas grand chose aux questions idéologiques, mais il s'adapte facilement à cette nouvelle vie qui semble lui donner des satisfactions : la violence quotidienne devient pour lui aussi routinière qu'une matinée de chasse ; Tonin, l'ex-policier révoqué, se fait raser pendant la lecture des lettres de dénonciation ; Aubert, l'ancien coureur cycliste, prend sa douche entre deux séances de torture .... La rudesse naïve de Lucien contraste avec la bonne éducation et l'humour cynique de Jean-Bernanrd de Voisins, le "fils de famille" dévoyé du groupe.
Jean-Bernard l'emmène se faire faire un costume par Albert Horn, un tailleur juif de Paris qui se cache dans la ville avec France, sa fille de vingt ans, et sa vieille mère. En même temps qu'il s'implique de plus en plus dans les infâmes activités de la Milice, il courtise France qui, d'abord, ne manifeste guère d'enthousiasme. Mais au retour d'un bal où France est insultée par des antisémites, elle devient la maîtresse de Lucien qui s'installe chez les Horn.
A mesure que les Alliés avancent vers le sud, la Résistance prend de plus en plus d'audace, et Jean-Bernard est abattu, ainsi que Betty. La mère de Lucien, qui a reçu des menaces anonymes, presse son fils de prendre la fuite, mais Lucien dit qu'il est bien là où il est. Horn, qui ne peut plus le supporter, se rend à Faure, un collaborateur farouchement antisémite, et il est emmené par la Gestapo. Lucien arrive à son tour avec un soldat allemand pour arrêter France et sa grand-mère. Au moment de sortir de l'immeuble, il tue le soldat et s'enfuit dans la campagne, avec les deux femmes. Leur voiture étant tombée en panne, ils se réfugient dans une ferme abandonnée où ils mènent une idyllique vie champêtre.
Sur la dernière image, on voit apparaître le visage de Lucien, avec ces mots : "Lacombe Lucien a été arrêté le 12 octobre 1944. Jugé par le Tribunal Militaire de la Résistance, il a été condamné à mort et exécuté".
Scénario de Lacombe Lucien, avec Louis Malle (Gallimard, 1974),

Lacombe Lucien, Dossier de Télédoc.

Lacombre Lucien, Analyse didactique de Benjamin Delmotte. Dossier de Télédoc.

Lacombe Lucien de Louis Malle (1973). PM a co-écrit le scénario du film avec Louis Malle et le texte a fait l'objet d'une publication. Cf la Bibliographie.

  • Bibliographie
    Altman, Charles F. "Lacombe Lucien: Laughter as Collaboration." The French Review Vol. XLIX, No. 4 (March 1976): 549-558.
  • Baroncelli, Jean de. "Un Nouveau Film de Louis Malle. 'LACOMBE LUCIEN', un adolescent dans la Gestapo." Le Monde No. 9034 (31 janvier 1974): 1 et 13.
  • Bory, Jean-Louis. "Servitudes et misères d'un salaud." Le Nouvel Observateur no. 481 (28 Janvier-3 Février 1974): 56-57.
  • Capdenac, Michel. "Révolte dévoyée, film fourvoyé. LACOMBE LUCIEN, film français de Louis Malle." Europe No. 540-541 (avril-mai 1974): 264-269.
  • Golsan, Richard J.. "Collaboration and Context: Lacombe Lucien, the Mode Rétro, and the Vichy Syndrome." in Ungar, Steven, Conley, Tom (eds.). Identity Papers. Contested Nationhood in 20th Century France. Minneapolis: U. of Minnesota Press, 1996. 139-155.
  • Golsan, Richard. "Collaboration, Alienation and the Crisis of Identity in the Film and Fiction of Patrick Modiano." Dans Aycock, Wendell (ed.) Schoenecke,Michael (ed.). Film and Literature: A Comparative Approach to Adaptation. Lubbock: Texas Tech UP, 1988.
  • Hope, Francis. 'Lacombe Lucien." New Review Vol.1 No.1 (april 1974): 73-74.
  • Jacob, Gilles. "entretien avec louis malle (à propos de lacombe lucien)" Positif No. 157 (mars 1974): 28-35.
  • Kael, Pauline. "Lacombe, Lucien." The New Yorker No. 32 (Sept. 30, 1974).
  • Leirens, Jean. "Mon village à l'heure allemande: Lacombe Lucien." Revue Générale: Lettres, Arts et Sciences Humaines No.3 (Mars 1974): 99-104.
  • Naomi Greene."La vie en rose: Images of the Occupation in French Cinema." in Kritzman, Lawrence. Auschwitz and After. Race, Culture, and "the Jewish Question" in France. New York, London: Routledge, 1995. 283-298.
  • Mohrt, Michel. "Louis Malle. Lacombe Lucien." N.R.F. No. 257 (Mai 1974): 115-117.
  • Régent, Roger. "Lacombe Lucien." La Nouvelle Revue des deux Mondes No. 3 (Mars 1974): 737-743.
  • Saint-Jours, Frédéric. "Au temps de 'Lily Marlene'." Ecrits de Paris No. 335 (avril 1974): 97-102.
  • Sineux, Michel. "le hasard, le chagrin, la nécessité, la pitié (sur lacombe lucien)." Positif No. 157 (Mars 1974: 25-27.
  • Anne-Marie Obajtek-Kirkwood
    kirkwood@voicenet.com~

 

 

LAFONT, une figure de la Collaboration
Après une adolescence tumultueuse, il est condamné au début des années vingt pour proxénétisme, et vit alors dans la clandestinité sous le nom de Lafont. Repéré par l’Allemagne, il se voit proposé la gestion d’un bureau d’achat : ses activités prennent vite une ampleur surprenante, et il transfert ses activités dans un lieu désormais tristement célèbre : le 93 de la rue Lauriston, XVIè arrondissement. Il y cumule le commerce, la torture et les activités mondaines. Carine Duvillé Errance et Mémoire : Paris et sa topographie chez Patrick Modiano Mémoire de maitrise, juillet 2000. Paris IV, Sorbone.
<< Lafont, bel homme affligé d’une voix de fausset, ancien souteneur promu capitaine SS mais qui compte bien devenir préfet[29], a élu domicile à Neuilly, avenue de Madrid, dans un somptueux hôtel particulier bourré d’orchidées et de dahlias – sa passion. Les portraits de Hitler et de Goering, trois mètres sur trois, ornent le halle d’entrée. Les invités sont triés sur le volet : l’Ambassadeur d’Allemagne Abetz, le SS Knocken et ses adjoints, Chasseigne, ministre de Vichy, le préfet de police Bussières, Jean Luchaire, président du syndicat de la presse et directeur des Nouveaux Temps qui sollicite fréquemment un prêt substantiel car ses maîtresses lui coûtent cher. (...)>>
<< Pour les convives de moindre importance, la rue Lauriston, à l’étage, tandis que l’on martyrise dans les caves, ou le One Two Two, bordel désormais le plus huppé de Paris, que Lafont s’est pratiquement annexé et où il donne des banquets fastueux rassemblant journalistes, artistes célèbres, femmes du monde, industriels, politiciens. Aucun de ceux-là n’auraient accepté, deux ans plus tôt, la prédiction farce qu’il s’assiérait à la table d’un Lafont. Beaucoup n’auraient même pas envisagé de s’intégrer à la faune des défunts bureaux d’achats. Le vertige du temps et la logique de la trahison les ont mis sur les boulevards du crime.(...)

<< Avec Lafont, Vautrin réécrit par Sade, son adjoint direct, l’ancien flic Bonny, célébrés comme « le meilleur policier de France » avant d’être révoqué pour malversation, puis des voyous du milieu, mais aussi une flopée de comtesses et marquises ne figurant pas au Gotha, d’anciens militaires, d’ouvriers, de journalistes, d’hommes d’affaires, de fonctionnaires.>>
<< A la libération, les policiers chargés de l’enquête détecteront la pourriture si loin et si haut qu’ils recevront l’ordre de refermer les dossiers au motif discutable que le moral de la nation, déjà bien ébranlé, ne supporterait pas le choc de révélations aussi bouleversantes… “ Un cancer généralisé ”, dira le commissaire Clos, responsable des investigations.>>
<<L’ennemi l’avait voulu ainsi. Car Lafont et ses émules ne devaient rien aux hasards du temps. On les avait tiré des bas-fonds avec l’objectif délibéré d’une subversion morale de la société française.>>
Gilles Perrault, Paris sous l’Occupation, éd. Belfond, 1987, cité par Carine Duvillé.

Lauriston (93 rue)
Siège officieux de la "Gestapo française" pendant l'Occupation*. PM évoque ce lieu dans de nombreux romans.

 

Lausanne, Genève*
«Ces années-là, je rendais visite à mon père à Genève et Lausanne où il s’employait à des affaires diverses. C’était les deux dernières années de la guerre d’Algérie. Je me souviens de cette atmosphère étrange de contrôle et de troubles qui régnait à Paris mais aussi à Genève dans les hôtels où l’on voyait des Algériens discuter le soir. Quelque chose fait que je dois retourner régulièrement à Genève, à Lausanne, aujourd’hui encore.» Rencontre « Patrick Modiano, chasseur d’ombres par Lisbeth Koutchoumoff, Le Temps. 13 mars 2010

Lectures, Entretien avec Phlippe Lançon
<< (...) Vous évoquez dans «Pedigree» des lectures importantes : «Fermina Marquez», «Illusions perdues», «Madame Bovary». Et Proust ?
J'ai commencé à lire A la recherche du temps perdu à seize ans, je l'ai fini à vingt. Je ne sais pas comment les livres m'ont influencé. C'était plutôt une musique de la phrase que je cherchais, un ton. Je pouvais le trouver chez les poètes. J'ai toujours pensé que finalement, si on fait de la prose, c'est parce qu'on est mauvais poète. Lecteur, j'aimais le style oratoire, comme chez Bossuet, ou plus sec, comme chez le cardinal de Retz. Mais ce que je cherchais dans le roman, c'était autre chose : des phrases, non pas elliptiques, mais, comment dire, animées par une sorte de laconisme, des phrases très courtes, cassant quelque chose qui serait trop rhétorique, pour obtenir quelque chose qui soit plus proche de la voix que de la grande musique. Je trouvais ça chez Hemingway, chez Pavese. J'aime lire Bossuet, Retz ou Bernanos, mais, pour moi-même, j'essaie plutôt de trouver du côté de Ramuz, Céline, Giono, pas pour les thèmes, mais pour le style, non pas parlé, mais très serré.(...)>>
Mais qui est Dédé Sunbeam ?, Les premières rencontres littéraires du jeune Modiano. Entretien avec Phlippe Lançon, Libération du 4 octobre 2007

Lecteurs-sources
A une question sur la publication de ses oeuvres dans les Clubs, Modiano formule cette étrange réponse : << Souvent les clubs m'apportent quelque chose en plus. J'écris quelquefois pour avoir des renseignements. Pour résoudre des énigmes sur mes parents et dont je voudrais avoir la solution. J'emploie des noms réels, Je mets les vrais numéros de téléphone. Je joue avec le feu, j'espère que quelqu'un va m'aider à rapatrier des éléments. Des gens m'ont écrit, j'ai plus de chance parmi les lecteurs de club. C'est mystérieux, cela peut pénétrer plus loin...>> (Interview au Club du Livre, Mai 2001) Les lecteurs alimenteraient l'œuvre, la mémoire, produiraient du sens. Il est bien rare qu'un écrivain fasse une telle déclaration dans laquelle il affirme sa reconnaissance de lecteurs qui viendraient combler des trous, des manques...

Jean LEGUAY (1910-1989)
Ancien responsable de la police de Vichy pour la zone occupée. Il a été inculpé une première fois pour sa participation présumée à l'organisation de la rafle du Vél'd'Hiv des 16 et 17 juillet 1942 ; la seconde dans le cadre de l'affaire Maurice Papon et de l'arrestation et de la déportation à Bordeaux, entre juin 1942 et août 1944, de 1690 juifs. Entré très tôt dans la carrière préfectorale, Jean Leguay fut du 16 novembre 1940 au 1er janvier 1942, secrétaire général de la préfecture de la Marne. En mai 1942, sous-préfet hors cadre, il devint dans la zone occupée par les Allemands le délégué du secrétaire général à la police du gouvernement de Vichy, René Bousquet. Il devait assumer ce poste jusqu'au mois de janvier 1944, date à laquelle il devint préfet de l'Orne, fonction qu'il cessera bien évidemment d'exercer au lendemain du débarquement allié en juin 44.

Pierre Le-Tan : "Une plume très visuelle", témoignage
Peintre et illustrateur, Pierre Le-Tan a collaboré avec Modiano à plusieurs ouvrages.
« Je connaissais Patrick Modiano à travers ses récits. Et ce qu'il raconte - les périodes, les lieux, Paris... - me parlait beaucoup. Un jour, mon père me déclara qu'il avait bien connu ses parents. Je lui ai alors écrit une lettre. Puis, on s'est rencontrés. La première fois, c'était en 1978. Notre rencontre et nos conversations ont abouti à deux réalisations ; en 1981, on a élaboré ensemble Memory Lane. En 1983, nous avons créé un objet littéraire bizarre : Poupée blonde, une sorte de programme d'une pièce de théâtre... qui, finalement, n'a jamais été jouée !
Généralement, c'est très compliqué de travailler à deux, mais avec lui, c'était simple. De plus, on ne le perçoit pas trop de l'extérieur, mais c'est quelqu'un qui a un grand sens de l'humour.
Ce que j'aime dans son écriture : c'est ce qu'elle dégage à travers des ambiances, des personnages, des endroits. Pour quelqu'un comme moi, qui ai toujours vécu à Paris, c'est très intéressant de lire comment l'écrivain voit ces quartiers un peu bizarres. C'est comme cela, on se sent attiré par certains écrits, sans que l'on sache toujours pourquoi. Je partage avec lui cette manie de tout conserver : des coupures de presse, des vieilles photos, des papiers. On se dit que cela finirait par servir un jour et que c'est souvent le point de départ de quelque chose.
Pour moi, Patrick Modiano fait partie de ces écrivains à l'écriture impeccable, limpide, créatrice d'un vrai univers. Cette simplicité n'empêche pas l'écrivain de posséder une très forte personnalité. Il y a une continuité dans son œuvre. C'est un artiste qui s'est tracé une ligne et s'y tient. Il ne cherche pas à épater, il dit ce qu'il est. J'ajouterais que sa plume est très visuelle, c'est pour cela qu'elle séduit un artiste comme moi. » Le Figaro, 27 septembre 2007

Léthargie
" C'est une sorte de choc qui va réveiller le personnage de sa léthargie [d'Accident nocturne]. La fin d'une période de sa vie un peu floue. Il rêvait sa vie. C'est symbolique de ces moments de la vie où les choses basculent du bon ou du mauvais côté. Une période charnière. Il le dit lui-même: «Sans cet accident...». C'est en quelque sorte le réveil de quelqu'un qui glissait peut-être... Comme lorsqu'on est sous l'emprise d'une drogue... Mais ça, c'est propre à une certaine période de la vie...
De votre vie, à vous?
P.M. Oui. Peut-être cela arrive à des gens qui n'ont pas d'assises. Des gens qui ne sont pas sur des rails, encadrés par un milieu, familial ou étudiant. C'est une période que j'ai éprouvée, à la fois incertaine et...Donc, c'est l'histoire d'un garçon, racontée par l'homme mûr qu'il est devenu.
P.M. Oui, une histoire racontée avec la distance du temps.
Entretien avec Laurence Liban, Lire, octobre 2003 à l'occasion de la publication de Accident nocturne, roman, 2003

 

Libération de la France (Chronologie* de la)

La Libération de Paris Site personnel.

liens (Trancher* tous les)
"Je me souviens de l’impression forte que j’ai éprouvée lors de ma fugue de janvier 1960 – si forte que je ne crois jamais en avoir connu de semblables. C’était l’ivresse de trancher, d’un seul coup, tous les liens: rupture brutale et volontaire avec la discipline qu’on vous impose, le pensionnat, vos maîtres, vos camarades de classe. Désormais, vous n’aurez plus rien à faire avec ces gens-là; rupture avec vos parents qui n’ont pas su vous aimer et dont vous vous dites qu’il n’y a aucun recours à espérer d’eux; sentiment de révolte et de solitude porté à son incandescence et qui vous coupe le souffle et vous met dans un état d’apesanteur. Sans doute l’une des rares occasions de ma vie où j’ai été vraiment moi-même et où j’ai marché à mon pas." Dora Bruder, 1997, p. 77-78~

 

Lieux

lieux (Noms* et)
« J'aurais brassé les papiers, comme un jeu de cartes, et je les aurais étalés sur la table. C'était donc ça, ma vie présente ? Tout se limitait donc pour moi, en ce moment, à une vingtaine de noms et d'adresses disparates dont je n'étais que le seul lien ? Et pourquoi ceux-là plutôt que d'autres ? Qu'est-ce que j'avais de commun, moi, avec ces noms et ces lieux ? J'étais dans un rêve où l'on sait que l'on peut d'un moment à l'autre se réveiller, quand des dangers vous menacent. Si je le décidais, je quittais cette table et tout se déliait, tout disparaissait dans le néant. Il ne resterait plus qu'une valise de fer-blanc et quelques bouts de papier où étaient griffonnés des noms et des lieux qui n'auraient plus aucun sens pour personne. » Du plus loin de l’oubli.

Lieux (retourner sur les)
«Je n’ai plus besoin de retourner sur les lieux pour écrire. J’ai été impressionné au sens photographique du terme par des rues, des lumières, des sons, entre 12 et 25 ans. Je marchais toujours avec un sentiment de clandestinité, de danger. Je ne pouvais pas être là, dans ces quartiers, tout seul.» Rencontre « Patrick Modiano, chasseur d’ombres par Lisbeth Koutchoumoff, Le Temps. 13 mars 2010

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Ligne claire
Cette expression est empruntée à la bande dessinée, elle désigne ces figures ou objets tracés d'un trait, immédiatement lisibles, sans effort ni hystérie dans l'expression.
Écrire simple, ligne claire... " Les romans de Modiano se réduisent à l'épure. Les mots y sont manipulés avec soin et prudence. Les phrases sont des pièges où s'engluent des vies fictives. Le romancier s'empare de l'autre comme de son jumeau, croisé, entrevu, pourchassé sans doute, mais qui ne nous dévoilera jamais l'épreuve de la mort. Modiano nous fascine, mais nous fait peur. Il s'en excuse : son écriture se fait limpide (anodine) afin de cacher ce travail de deuil."
Hugo Marsan Le Monde 26/11/93

Littérature (l'ombre de Vichy sur la) Christian DELACAMPAGNE, le Monde du 23 Septembre 1994

Leurre de la nouvelle période
<< Je me dis je vais passer enfin à une nouvelle période, mais c'est un leurre. On est condamné à faire la même chose. Les articles de journaux, cela vous aide. On ne sait pas très bien ce que l'on écrit, c'est comme si on était sur des sables mouvants, tant que le livre n'est pas lu par quelqu'un d'autre. C'est comme une photo ; le négatif a besoin d'être développé pour que le sujet soit visible. On ne se voit pas dans la vie, on ne sait pas très bien ce qu'on est.>>  Interview au Club du Livre, Mai 2001

Libération de Paris, Les journées décisives

  • 18 août. Une fusillade au pont des Arts marque le début de l'insurrection parisienne.
  • 19 août. Trois mille policiers occupent la préfecture de police.
  • 21-22 août. Entrée en vigueur d'une trêve entre les insurgés et le général von Choltitz, commandant allemand de Paris, négociée pas l'intermédiaire du consul de Suède, Raoul Nordling.
  • 22-25 août. Reprise des combats à l'initiative du Comité parisien de libération dirigé par le colonel Rol-Tanguy, commandant des FFI de l'Ile-de-France.
  • 22 août. Sur l'insistance du général de Gaulle, Eisenhower, commandant en chef des armées alliées, ordonne de pousser la 2e DB de Leclerc sur Paris.
  • 24 août. Commandé par le capitaine Raymond Dronne, un détachement de la 2e DB entre dans Paris et rejoint l'hôtel de ville.
  • 25 août. Capitulation de von Choltitz.
  • 26 août. De Gaulle descend l'avenue des Champs-Élysées et va entendre un Magnificat à Notre-Dame.
  • 31 août. Le siège du Gouvernement provisoire de la République française (GPRF) est transféré d'Alger à Paris.

 

Lieux 1
Il habitait tout près de l'hôtel de Suède où Godard tournait "A bout de souffle"  << Comme ils tournaient en extérieurs, ils ont capté le Paris de ces années-là pour l’éternité, le Paris d’"A bout de souffle" ou de "Cléo de 5 à 7". A l’époque, ils ne se rendaient pas comptequ’ils allaient laisser au présent tout un bloc de passé. (…) Quand Desplechin tourne "Comment je me suis disputé (ma vie sexuelle)" au café Le Rostand, rue de Médicis, j’ai l’impression que c’est le même café qu’on voit dans le court métrage de Godard, "Tous les garçons s’appellent Patrick..." Ce qui serait amusant, ce serait de voir les deux films l’un après l’autre, ce serait bizarre, à presque quarante ans de distance... Il faudrait les projeter en surimpression... Les années passent et on retourne toujours sur les mêmes lieux... >>  

 

Lieux 2
Les adresses, les lieux ne sont jamais au hasard, ils sont tous porteurs d'une force évocatrice. D'ailleurs, il fait souvent des repérages, tant il a besoin de lieux réels pour provoquer sa rêverie.

Les Lieux
<< La cité romanesque est un monde avant tout verbal, un espace créé par des mots. Chez Modiano, il existe un culte de la mémoire des lieux très poussé, au centre de sa stratégie romanesque : en même temps qu’ils participent de l’effet de réel, les lieux jouent un rôle structurel. Il y a trois grands axes dans l’appréhension de la ville : dans un premier temps, ils sont les embrayeurs du récit. En terme de repérage absolu, le locuteur, c’est à dire le narrateur qui se souvient, construit son récit à partir des lieux qu’il arpente : la diégèse naît à partir des déictiques spatiaux, qui organisent la vision du monde évoqué. Déambulant dans une cité mémoire, il convoque des images et des réminiscences qui formeront peu à peu le corps du récit.
En second lieu, les lieux sont le reflet des états d’âmes du personnage, le narrateur projetant son univers mental sur les lieux qu’il parcourt.
Enfin, les lieux en disent plus long sur les personnages que d’éventuelles descriptions psychologiques, quasi-inexistantes dans le récit : non seulement ils se définissent par rapport aux lieux qu’ils fréquentent, mais en plus ces lieux interfèrent sur le déroulement de leur vie
.>> Carine Duvillé Errance et Mémoire : Paris et sa topographie chez Patrick Modiano Mémoirede maitrise, juillet 2000. Paris IV, Sorbone.

Lieux et Mémoire*
<< Sa mémoire est fragmentaire et associative : grâce à une sorte de translation de repères, il mêle volontiers souvenirs personnels, fantasmes, Histoire et littérature, brouillant la ligne de démarcation entre la fiction et la réalité.(...) Les lieux, en plus de leur fonction narrative, ont un rôle référentiel : ils sont des panneaux qui, en plus de donner une cohérence chronologique au récit, fournissent de précieuses indications sur la portée personnelle et historique du texte. S’il ne cherche pas à livrer dans son œuvre son autobiographie, les lieux sont cependant entourés d’un réseau de connotations personnelles qui permettent un déchiffrage de l’espace romanesque : en effet, la topographie fait plus qu’esquisser un décor, et les lieux, loin d’être des objets à décrire, sont scrutés comme des sources dont le sens peut naître.
Il ne s’agit pas de voir dans le narrateur un reflet exact de l’auteur, mais de démontrer que la fiction devient autofiction dans la mesure où elle s’inscrit dans une ville, Paris, au centre de la mémoire et de l’imaginaire de Modiano, et sur laquelle il fait fonction de deus ex machina.
Aussi les lieux renvoient-ils à une réalité extra-textuelle, liée tantôt à l’expérience de l’auteur, tantôt à l’Histoire, assez consistante pour dessiner géographiquement sur une carte l’univers personnel de l’auteur. « Son » Paris est une ville divisée, et le narrateur est écartelé entre la Rive Gauche et la Rive Droite, qui symbolisent l’enfance face au monde adulte, (...)
Carine Duvillé Errance et Mémoire : Paris et sa topographie chez Patrick Modiano Mémoirede maitrise, juillet 2000. Paris IV, Sorbone.

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La Littérature contemporaine
"- Vous qui avez été publié par Queneau, quel regard portez-vous sur la littérature contemporaine ?
- Il y a un foisonnement beaucoup plus grand, qui m'intéresse vraiment. Ils arrivent à faire des choses sur le présent, sans la distance classique, qui me fascine. Quand j'ai commencé à publier, il y avait encore la génération des grands mastodontes. Malraux, Simenon, Montherlant, les derniers livres de Céline, Giono... Ils auraient pu être mes grands-pères. Les gens de ma génération, eux, étaient très peu littéraires. Je me sentais presque coupable par rapport à eux, parce qu'ils avaient des préoccupations plus politiques. La littérature était un truc désuet, avec des tribunaux comme le Nouveau Roman... On s'est débarrassé de ces gangues....
- Richard Millet, lui, dit que « la littérature a fait son temps ».
- Je ne suis pas d'accord, c'est comme la botanique, il y a toujours des croisements à faire, comme les roses. Quand on dit que la littérature est morte, c'est parce qu'on voudrait que les choses meurent avec vous. Je ne vois pas pourquoi. Les gens de la fin du XIXe siècle, quand ils voyait tous les trucs des années 20, ça n'avait plus de sens pour eux. Le monde est une matière romanesque folle, et j'aimerais bien pouvoir... Tenez, dans mes romans, y a pas de portables, ils vont encore dans des cabines téléphoniques, mais le portable, ça peut être quelque chose de complètement délirant."
Entretien avec Christophe Ono-dit-Biot , à l'occasion de la parution de Dans le café de la jeunesse perdue, 27/09/2007, - © Le Point N°1828-

Littérature (sur l'avenir de la)
<< Les oeuvres sont de plus en plus saccadées car elles sont liées au rythme de l'époque. J'appartiens à une génération qui, dans son enfance, a connu un monde qui n'avait pas tellement changé. On essaie de traduire cette espèce d'évolution. La littérature est ce qui peut le mieux traduire cette l'angoisse contemporaine. Et je pense que cela continuera, parce qu'il y aura toujours besoin de traduire cette question .>> Conférence de Presse du jeudi 9 octobre 2014, dans les locaux de Gallimard, peu après l'annonce du Prix Nobel de littérature.

Lire mes livres
"Je crois être incapable de lire mes livres comme un lecteur. Question de détails. Je peux les lire pour des problèmes techniques, c'est-à-dire pour corriger tel ou tel passage, modifier telle ou telle phrase, mais je suis incapable d'avoir une vue d'ensemble de ce que je viens d'écrire. Vous savez, cette vue d'ensemble qui est le plaisir du vrai lecteur. Quand on écrit, on ne peut pas l'avoir car on est toujours attaché à des problèmes de détails. On relit, on corrige, mais on ne voit pas l'ensemble tel qu'il est véritablement. Ça aussi, c'est quelque chose de très dérangeant."
"Mon Paris n'est pas un Paris de nostalgie mais un Paris rêvé" entretien avec François Busnel (Lire), 04/03/2010

 

Livres (Comment j'écris mes )
<<
Le mot est fort, presque moral, mais c'est ce que je ressens. D'un livre à l'autre, je rafistole des choses entre elles, je bricole. C'est une sorte de patchwork, mais j'oublie des éléments en cours de route, et j'essaie ensuite de les rattraper. Je reprends des choses trop superficielles, pour les approfondir, comme si quelque chose avait germé. C'est bizarre, mais il y a une sorte de logique interne... Pendant le premier mois, on ne sait pas où on va, c'est pénible. Quand c'est fini, ça ne correspond plus du tout à ce qu'on imaginait. C'est pareil depuis trente ans. Au début, on s'embarque, on cafouille, on va à l'aveuglette. Puis ça se met en place, mais jusqu'à la fin, on bifurque, on croit que c'est fichu, mais il suffit de revenir en arrière pour s'apercevoir où on s'est fourvoyé. Parfois c'est décourageant. Godard disait, je crois, qu'il avait coupé au hasard dans la pellicule de son premier film. C'est vrai. Il suffit quelquefois de taillader, pas vraiment au hasard, il y a toujours des intermèdes qu'on peut couper. Le texte est souvent comme une masse molle qui vous paralyse, mais vous taillez dans le vif, vous enlevez les doublons, les répétitions. Et vous repartez. Écrire, c'est comme un lent travail d'accommodation, comme un regard qui divergerait et qu'on redresserait peu à peu. Je ne trouve jamais le bon angle d'emblée. (...)  Au départ, on louche, on voit tout en double. Puis la mise en place, l'accommodation, se fait.>> 
Libération 26/04/01

 

 LIVRET de FAMILLE

 

Livret de famille (1977)
Résumé de l'éditeur
Quatorze récits où l'autobiographie se mêle aux souvenirs imaginaires. L'auteur peint aussi bien une soirée de l'ex-roi Farouk que son père traqué par la Gestapo, les débuts de sa mère, girl dans un music-hall d'Anvers, les personnages équivoques dont le couple est entouré, son adolescence, et enfin quelques tableaux de son propre foyer. Tout cela crée peu à peu un «livret de famille».

Livret de famille, premières pages

 

 

 

Pierre LOTI, pseudonyme de Julien Viaud. 
Écrivain français (Rochefort, 1850 — Hendaye, 1923).Marin de carrière, il introduisit dans le roman un exotisme impressionniste, où il fit passer son incurable nostalgie (Aziyadé, 1879; le Roman d'un spahi, 1881; Mon frère Yves, 1883; Pêcheur d'Islande, 1886; Madame Chrysanthème, 1887; Ramuntcho, 1897). (Académie française, 1891). Emmanuel Berl s'est montré quand Modiano avoua son intérêt pour Loti : "Mais qui lit Pierre Loti, aujourd'hui ?"( E Berl 1976, Interrogatoire)

 

Lourde légère
"En regardant l'Atalante ou les Contrebandiers de Moonfleet, je me disais aussi que la caméra – lourde ou légère – n'était pas simplement faite pour capter la vie quotidienne ou la lumière naturelle, mais aussi pour rendre sensibles les vagues de rêves qui se dégagent des objets les plus usuels : une péniche, un phonographe, un tatouage, une plage anglaise..."

 

L'HORIZON, 2010

l'HORIZON, roman, 2010

Texte publié par Gallimard à l'occasion de l'a parution.

Rencontre avec Patrick Modiano, à l'occasion de la parution de L'Horizon (2010)

"Il suivait la Dieffenbachstrasse. Une averse tombait, une averse d’été dont la violence s’atténuait à mesure qu’il marchait en s’abritant sous les arbres. Longtemps, il avait pensé que Margaret était morte. Il n’y a pas de raison, non, il n’y a pas de raison. Même l’année de nos naissances à tous les deux, quand cette ville, vue du ciel, n’était plus qu’un amas de décombres, des lilas fleurissaient parmi les ruines, au fond des jardins."

Vous écrivez, à propos de la terrible mère de Bosmans devenue une vieille femme pitoyable, « Mon Dieu, comme ce qui nous a fait souffrir autrefois paraît dérisoire avec le temps […] ».
Est-ce une manière d’exprimer que le temps qui passe est libérateur ? Patrick Modiano — Oui, le temps qui passe est libérateur, surtout quand il s’agit de personnes qui provoquaient chez vous une angoisse ou un tourment, du temps de votre enfance ou de votre adolescence – ce sont des âges où l’on est prisonnier de tout. Avec le temps, ces personnes n’ont plus de pouvoir sur vous et vous paraissent « dérisoires », et parfois pitoyables.

Berlin tient ici une place importante, à deux périodes essentielles du destin de la ville : sa destruction et sa réunification. Diriez-vous que, débarrassé du passé, on « respire » mieux dans une ville reconstruite ?

Patrick Modiano — Dans L’horizon, le narrateur remarque au sujet de Berlin : « Cette ville a mon âge » parce qu’il est né en 1945, comme moi. J’ai donc toujours eu l’impression que ma naissance était liée à la guerre et que j’étais né parmi les ruines. De sorte que Berlin est la ville la plus symbolique de notre génération : reconstruite peu à peu depuis soixante-cinq ans – et réunifiée – mais portant encore les traces du passé « originel ».

Le narrateur retrouve grâce à Internet deux personnages importants perdus de vue depuis des décennies. Considérez-vous Internet comme un outil pour faire ressurgir le passé ?

Patrick Modiano — L’Internet est sans doute un outil précieux,
pour retrouver des liens évanouis ou comme machine à faire ressurgir les fantômes. Mais souvent, il n’est d’aucune utilité car les « fantômes » ne se laissent pas aussi facilement débusquer.

La machine à écrire de Simone Courtois, la dactylo professionnelle, semble normale mais imprime des « signes curieux » qui altèrent subtilement le texte sans le rendre illisible.
Ce léger décalage est-il une clé de votre imaginaire ?

Patrick Modiano — Pas seulement la clé de mon imaginaire et
de mon approche de l’écriture. Ce léger décalage ou « déphasage » est celui de tous les romanciers.

© www.gallimard.fr, 2010

L'Horizon, dossier de Presse (sélection)


 

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"Lumière incertaine de mes origines (la)"
C'est de la sorte qu'il nomme la période de l'occupation face à Jean-Louis Ezine qui l'interroge de nouveau sur ce fond historique qui circule dans la plupart de ses romans. Il fallut attendre la fin des anées 90 pour que PM commence à s'éloigner de cette toile, cette trame si obsédante dans laquelle il semblait définitivement pris. Et si le versant métaphysique de l'Occupation le concerne plus que les aspects référentiels c'est bien parce qu'il est depuis toujours à une réflexion ontologique où les figures maternelle et paternelle, toutes deux estompées, ravivent le sentiment des a-topos, sans lieu. Aussi, l'obsession de la mémoire, des réminiscences, des noms de lieux, des noms du père

"Comme tous les gens qui n'ont ni terroir ni racines, je suis obsédé par ma préhistoire. Et ma préhistoire, c'est la période trouble et honteuse de l'Occupation: j'ai toujours eu le sentiment, pour d'obscures raisons d'ordre familial, que j'étais né de ce cauchemar. Les lumières crépusculaires de cette époque sont pour moi ce que devait être la Gironde pour Mauriac ou la Normandie pour La Varende; c'est de là que je suis issu. Ce n'est pas l'Occupation historique que j'ai dépeinte dans mes trois premiers romans, c'est la lumière incertaine de mes origines. Cette ambiance où tout se dérobe, où tout semble vaciller..."
Jean-Louis Ezine . Les écrivains sur la sellette. Paris: Le Seuil, 1981. 22.

"Pourquoi ici plus que dans n'importe quel autre endroit, ai-je senti l'odeur vénéneuse de l'Occupation, ce terreau d'où je suis issu ?" Livret de famille. Gallimard, Coll.folio, 1981. 202.

"L'Occupation est une sorte de microcosme, de condensation de tout le drame humain, avec à la fois l'horreur et l'élan vital, et le côté aphrodisiaque qu'engendre l'horreur: les gens se sentant menacés veulent en même temps continuer à vivre... La condition humaine est condensée dans des périodes comme celle-là... L'amour, la mort. les gens qui disparaissent, la culpabilité... En fait le point de vue métaphysique me trouble plus que le point de vue historique." Dominique Montaudon. Quoi Lire Magazine (Mars 1989). 8.

Pierre LOTI, pseudonyme de Julien Viaud
Écrivain français (Rochefort, 1850 — Hendaye, 1923).
Marin de carrière, il introduisit dans le roman un exotisme impressionniste, où il fit passer son incurable nostalgie (Aziyadé, 1879; le Roman d'un spahi, 1881; Mon frère Yves, 1883; Pêcheur d'Islande, 1886; Madame Chrysanthème, 1887; Ramuntcho, 1897). (Académie française, 1891).
<< Pierre Loti et l'obsession du néant
Une enfance délicieuse entre des parents âgés, un frère et une soeur de beaucoup ses aînés et tout attentifs à lui plaire ; une adolescence exaltée par le rêve, à l'ombre des bois et au bord de l'océan ; puis quelques années de jeunesse pauvre, comme pour rendre plus charmant le premier sourire de la fortune ; entre vingt et trente ans, de longs voyages en mer, les plus beaux sites du monde visités, l'offrande des plus romanesques amours ; autour de la trentaine, pour quelques pages de journal nonchalamment publiées, la gloire littéraire survenant comme par surprise et substituant en quelques années au « matelot Pierre » le personnage de Pierre Loti : lu par un immense public, académicien à quarante ans, adulé par le monde, ami de deux reines ; et, jusqu'à la vieillesse, la même existence agitée de voyageur et de prince des lettres, de pèlerin et de poète des paysages grandioses.
Mais ouvre-t-on l'oeuvre ? Ces quarante volumes de confidences ne sont qu'une longue et toujours pareille élégie, mouillée de vraies larmes. L'enfant gâté ressent, tout petit, « l'oppression des crépuscules ». « Toujours, écrira-t-il dans Le Roman d'un enfant, j'ai eu horriblement conscience du néant des néants, de la poussière des poussières. » Et ce sera toujours, jusqu'à la vieillesse inapaisée, la même plainte, le même thrène : les choses nous quittent, les êtres chéris ferment leurs yeux dans la mort, le néant nous assiège et nous aura. Loti n'écrit des livres que pour lutter contre l'obsession de s'écouler dans le temps, pour appeler la pitié de ceux qui lui survivront.>>
Par Pierre-Henri Simon, Le Monde, 21-01-1950

Lumière 1
<< J’ai toujours été obsédé, dans le cinéma, par les opérateurs. La lumière m’intéressait. J’aime bien aussi certaines lumières estivales, très contrastées.[...] Quand on écrit, il est peut-être difficile de traduire une lumière, mais ça m’a toujours préoccupé.>> MAURY, Pierre, « Patrick Modiano, Travaux de déblaiement » in Magazine Littéraire, septembre 1992, no 302, p. 103

Lumière 2
<< J’ai tourné le communicateur, mais au lieu de quitter le bureau de Hutte, je suis resté quelques secondes dans le noir. Puis j’ai allumé la lumière, et l’éteinte à nouveau. Une troisième fois, j’ai allumé. Et éteint. Cela réveillait quelque chose chez moi : je me suis vu éteindre la lumière d’une pièce qui était de la dimension de celle-ci, à une époque que je ne pourrais pas déterminer. Et ce geste, je le répétais chaque soir, à la même heure. >> R.B.O., p.140.

Le lycée de la place du Panthéon
<<Mon père est venu une seule fois me rendre visite dans cet établissement. Le proviseur du lycée, qu'il avait averti par téléphone de son passage, m'avait donné l'autorisation de l'attendre sous le porche de l'entrée. Ce proviseur portait un joli nom : Adonis Delfosse.
Je revois la silhouette de mon père, là, sous le porche, mais je ne distingue pas son visage, comme si sa présence dans ce décor de couvent médiéval me paraissait irréelle. La silhouette d'un homme de haute taille, sans tête. Je ne sais plus s'il existait un parloir. Il me semble que notre entrevue a eu lieu au premier étage dans une salle qui devait être la bibliothèque, ou bien la salle des fêtes. Nous étions seuls, assis à une table, l'un en face de l'autre. Mon père m'exposait les projets qu'il avait formés pour mon avenir.Il souhaitait que je parte au service militaire en devançant l'appel. Les quatre années qui ont suivi - jusqu'à ce que j'atteigne l'âge de la majorité -, il n'a pas renoncé à ce projet. Il voulait lui-même régler toutes les formalités à la caserne de Reuilly. Puis ce serait le départ pour une autre caserne, vers l'est. Je l'ai raccompagné jusqu'au porche du lycée. Je l'ai vu s'éloigner sur la place du Panthéon. Un jour, mon père m'avait confié qu'il fréquentait lui aussi, à dix-huit ans, le quartier des Ecoles. Il avait tout juste assez d'argent pour prendre en guise de repas un café au lait et quelques croissants au Dupont-Latin. En ce temps-là, il avait un voile au poumon. Je ferme les yeux et je l'imagine remontant le boulevard Saint-Michel, parmi les sages lycéens et les étudiants d'Action française. Son Quartier latin à lui, c'était plutôt celui de Violette Nozière. Il avait dû la croiser souvent sur le boulevard. Violette, la belle écolière du lycée Fénelon, qui élevait des chauves-souris dans son pupitre.>> Ephéméride, 2002, Mercure de France, ed.


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