Faiblesse
Il aurait voulu pouvoir décrire des paysages, comme Tourgueniev
ou Thomas Hardy.
Faire
dans la vie
<<Un soir, au cours de l'une de ses visites, mon père est assis
en face de moi dans le salon de la maison de la rue du Docteur-Kurzenne, près
du bow-window. Il me demande ce que je voudrais faire dans la vie. Je ne sais
pas quoi lui répondre.>> Ephéméride,
2002, Mercure
de
France, ed.
Faits
divers
1.
Pour déclencher l'écriture, il a besoin de choses très réelles
tels les faits divers qui sont comme comme des départs d'écriture
(R Barthes), alors il a entrepris de lire tous les grands faits
divers des années 30 aux années 70. Quelque chose l'attire sans
savoir quoi.
La rubrique des faits divers est le
point de départ à deux romans de Modiano : Dora Bruder
et Fleurs de ruine.
"Il
y a huit ans, dans un vieux journal, Paris-Soir, qui datait du
30 septembre 1941, je suis tombé à la page trois sur une rubrique :
«D'hier à aujourd'hui». Au bas de celle-ci, j'ai lu :"
«PARIS
On recherche
une jeune fille, Dora Bruder, 15 ans, 1 m 55, visage ovale, yeux
gris-marron, manteau sport gris, pull-over bordeaux, jupe et chapeau
bleu marine, chaussures sport marron. Adresser toutes indications
à M. et Mme Bruder, 41 boulevard Ornano, Paris.»
A
partir de cet avis de recherche le narrateur tente de s'imaginer
la vie et de retrouver les traces de la jeune fille, 'essaie
de trouver des indices, les plus lointains dans le temps'
2.
"il faut trouver
un nouvel angle de vue. C'est difficile parce que, depuis trente-cinq
ans, j'ai toujours publié à des distances assez courtes. C'est
comme quelqu'un qui prend des fragments, qui ne fait pas ça d'un
seul coup, mais par morceaux... Chaque fois que j'ai senti que
je pouvais donner le meilleur de moi-même, c'est quand j'avais...
C'est pour ça que je suis obsédé par le fait de parler d'un fait
divers, que je suis en phase directe avec la réalité. Prenez le
cas de Violette Nozière qui avait tué son père, essayé d'empoisonner
sa mère. Elle a été condamnée à mort, elle a fait de la prison,
elle a été relâchée. Après, elle est devenue dans la vie courante
une femme très... et elle a fini avec ses petits-enfants qui ignoraient
tout d'elle. Ou encore cette femme que je croisais quand j'avais
17 ans et qui habitait rue du Dragon... Pauline Dubuisson... Ce
qui me frappait, c'est qu'il y a des moments de votre vie qui
sont complètement hermétiques par rapport au reste, qui vous semblent
tellement former un bloc qui ne se rattache pas au reste, que,
évidemment, d'un point de vue romanesque, vous avez tendance à..."
Entretien avec Laurence Liban,
Lire, octobre 2003.
3.
Pourquoi les faits divers vous passionnent-ils tant ?
Cela vient d'un souvenir de mes 10-11 ans, terrible : la photo,
en Une de Paris Match, de Pauline Dubuisson, une femme accusée
de crime passionnel, L'affaire a fait beaucoup de bruit à
l'époque, car elle a failli être condamnée
à mort. Le regard de cette femme m'avait beaucoup impressionné.
Or quelques années plus tard, j'ai croisé par hasard
Pauline Dubuisson, qui avait été libérée,
rue du Dragon et je l'ai reconnue tout de suite. Mais les faits
divers d'aujourd'hui avec leur côté pathologique
m'intéressent moins que ceux d'hier, qui renvoyaient davantage
à une sorte de fantastique social*..."
Entretien
avec Marianne Payot, Delphine Peras, "Je suis devenu comme
un bruit de fond", l’Express, 04/03/2010
~~~~~~~~~~
Famille
juive
Dans Sylvia, en 1952, son autobiographie fantasmée,
Emmanuel Berl écrivait « J'appartiens, à une de ces familles
françaises, qui, à la fois, restent juives et ne le sont plus.
(... ) Aussi, le mot juif, l'idée que je suis juif, si lourds
de sens et de conséquences, n'ont-ils en moi, cependant, qu'une
sonorité aiguë, mais grêle. Ce fait
si important, je suis resté assez longtemps sans le connaître.
»
Et si l'œuvre entière de Modiano ne tentait pas d'approcher, un
peu seulement, cette notion improbable de la judaïté, tant elle
changeait selon les pays de la diaspora. Le son aigu et grêle
d'un mot qu'il a décliné à travers de nombreux personnages mais
presque -sans le nommer -, presque...
Fantastique
social
Pourquoi les faits divers* vous
passionnent-ils tant ?
Cela vient d'un souvenir de mes 10-11 ans, terrible : la photo,
en Une de Paris Match, de Pauline Dubuisson, une femme accusée
de crime passionnel, L'affaire a fait beaucoup de bruit à
l'époque, car elle a failli être condamnée
à mort. Le regard de cette femme m'avait beaucoup impressionné.
Or quelques années plus tard, j'ai croisé par hasard
Pauline Dubuisson, qui avait été libérée,
rue du Dragon et je l'ai reconnue tout de suite. Mais les faits
divers* d'aujourd'hui avec leur côté pathologique
m'intéressent moins que ceux d'hier, qui renvoyaient davantage
à une sorte de fantastique social*..."
Entretien
avec Marianne Payot, Delphine Peras, "Je suis devenu comme
un bruit de fond", l’Express, 04/03/2010
Faulkner
A un journaliste qui demandait à Faulkner pourquoi il
reprenait toujours les mêmes histoires de folie et de violence,
l'auteur de Sanctuaire, répondit, après un silence
: "J'épuise un rêve".
Fausse
route/ Découragement*
"Quand j'écris un roman, c'est comme si je
conduisais une voiture sans visibilité. Il y a parfois
du découragement. Je me demande si je n'ai pas fait fausse
route". Entretien avec Myriam CHAPLAIN-RIOU,
AFP, à l'occasion d la publication de l'Horizon, février
2010
Faux
/ Vrai*
<<
Je crois que tout est vrai[...]. Peut-être tout est faux
[...] C’est très difficile. Qu’est-ce qui est
vrai ? A part [...] ma petite fille, ma petite fille, ma femme,
ma mère, ça, j’en suis sûr... C’est
vrai. Le reste...>> Paris-Match, 12 août
1977
Femme
narratrice (Une)
Dans le roman "La
Petite Bijou" (2001) le narrateur est une femme. Patrick
Modiano a abandonné ce "Je" vague des anciens romans.
et affirme même se sentir plus à l'aise avec cette place
d'énonciation. "C'est comme si je transcrivais les mots d'une
autre personne." Mais alors, ce fameux "Je" repris
de livre en livre dans cette sorte d'indécision où le lecteur
est incapable de déterminer la place proprement autobiographique
de l'invention fictionnelle, ce "Je" a-t-il un statut
identique de livre en livre ou n'est-il pas aléatoire selon les
épisodes écrits, retranscrits, réinventés, sublimés, reconstruits,
etc.~
Une
fiancée pour Choura
Fiancée
pour Choura (une) [1987],
illustrations de Dominique Zehrfuss, Albums, Gallimard Jeunesse.
Résumé
de
l'éditeur
<< Vacances
de neige pour Choura, le célèbre labrador aux yeux bleus. Le voici
à la montagne, dans un hôtel qui est un vrai palais, rempli de
couloirs déserts parfaits pour les farces. C'est le temps des
leçons de ski avec la baronne Orczy, des cours de patins à glace,
des jus d'orange et des valses. C'est surtout pour notre héros
le temps des rencontres, car voici la très douce et très belle
Flor de Oro dont il tombe terriblement amoureux.
Une nouvelle aventure d'un chien romanesque et libre, où plane
encore une fois l'ombre du Mouton
Rouge.>>
Une fiancée* pour Choura* Une aventure
de Choura
" En 1986 et 1987, Patrick Modiano, épaulé
par l’illustratrice qui le connaît le mieux, Dominique
Zehrfuss, publiait chez Gallimard deux albums pour enfants : Une
aventure de Choura et Une fiancée pour Choura. Ce sont
des albums paradoxaux comme l’album de Marguerite Duras
évoqué déjà ici. Patrick Modiano n’eût-il
été Patrick Modiano, aucun éditeur sensé
n’aurait édité ces deux livres. Non qu’ils
fussent mauvais ou simplement sans intérêt, mais
ils ne s’adressent assurément pas à qui ils
semblent être destinés.
Choura est un labrador aux yeux bleus, avec des grains de beauté
sur le visage. Il vit chez M. et Mme Vervekken, ses maîtres,
à Massy-Palaiseau. Ce sont de bons bourgeois, modernes
(à la Jacques Tati). Chez eux, il écoute l’adagio
d’Albinoni (sans se demander, comme un récent ministre
désarmé, qui en est le compositeur), et lit Le Mouron
rouge. Subjugué par ce livre, il écrit à
la baronne Orczy pour lui dire son admiration ; en retour elle
l’invite à Monte-Carlo, où elle réside,
pour en faire son secrétaire particulier. Ses nouvelles
fonctions consistent pour l’essentiel à lézarder
dans la piscine, à faire du ski nautique et à danser
lors de soirées pendant lesquelles la baronne et Porfirio
Rubirosa papotent.
Dans le deuxième album, la baronne emmène son secrétaire
particulier, Choura, aux sports d’hiver. A la patinoire,
Choura fait la connaissance de Flor de Oro, une jeune chienne
en vacances avec son maître. Les deux chiens se plaisent
et le maître de Flor de Oro propose à la baronne
de les fiancer. Il les embarque tous pour Santo-Rosario, l’île
dont il est président. Choura se prend à rêver
d’un jour lui succéder, pendant que la baronne écrit
un nouveau roman d’aventures.
"Je suis un chien qui fait semblant d'avoir un pedigree."
écrit Modiano dans Un Pedigree. L’image vient de
loin. Choura, le héros des ces deux aventures bien antérieures
est un chien anthropomorphe. Il marche sur les pattes arrières,
valse et s’initie au ski nautique. Il est allé à
l’école, fréquente seul les cinémas,
lit la baronne Orczy et apprend à taper à la machine.
De là à l’imaginer substitut de l’auteur…
Incontestablement la mythologie personnelle de Modiano affleure
dans ces petits textes. Rubirosa qu’on a croisé aussi
dans La place de l’étoile, Rue des boutiques obscures,
et Quartier perdu est la figure centrale des deux récits.
Dans le premier, il évoque les souvenirs de leur jeunesse
avec la baronne (au mépris de toute vraisemblance, 44 ans
les séparaient). Dans le second, la jolie fiancée
de Choura se prénomme Flor de Oro, comme la fille du dictateur
Trujillo, qu’épousa le séduisant Porfirio.
Rubirosa précédé d’une réputation
flatteuse (les maîtres d'hotel désigneraient de son
nom les moulins à poivre king size) épousa ensuite
Danielle Darrieux et on lui attribue des liaisons plus ou moins
longues avec Eva Peron, Ava Gardner, Rita Hayworth, Kim Novak,
Dolorès del Rio, Veronica Lake et Zsa Zsa Gabor. Une telle
conjonction d’actrices de cinéma de l’âge
d’or hollywoodien ne pouvait que fasciner Modiano, dont
la mère elle-même connut une petite carrière
cinématographique.
On voit que rien dans les thèmes ni dans les références
ne destine Une aventure de Choura et Une fiancée pour Choura
à de jeunes lecteurs. Néanmoins, ils demeurent,
à les relire vingt ans plus tard, pleins de charme. Et
si Dominique Zehrfuss n’égale pas Pierre Le Tan dans
la fusion avec le texte, son travail (qui rappelle un peu celui
de Régis Franc) convient tout à fait à l’atmosphère
déréalisée des deux récits de Modiano."
Blog in girus imun nocte et consomimur igni (http://ingirum.blogspirit.com/modiano_patrick/)
Fichier
<< Le 27 septembre 1940, l'administration militaire allemande en France occupée ordonnait : " Toute personne juive devra se présenter jusqu'au 20 octobre 1940 auprès du sous-préfet de son arrondissement dans lequel elle a son domicile ou sa résidence habituelle pour se faire inscrire sur un registre spécial. " L'ordonnance ajoutait : " La déclaration du chef de famille sera valable pour toute la famille. " C'est là un point d'histoire non contesté.
Il n'est pas davantage contesté que l'autorité allemande fut obéie, que dans le département de la Seine 149 734 personnes vinrent se faire recenser, que les fiches les concernant furent établies par des fonctionnaires français de la préfecture de police et, enfin, que ces fiches dûment classées, répertoriées, servirent ensuite aux rafles et aux arrestations. Ainsi furent peuplés en France les camps de Pithiviers et de Beaune-la-Rolande, puis ceux de Compiègne et de Drancy. Ainsi furent bientôt formés les convois à destination de Birkenau et d'Auschwitz.>> Jean
Marc Théollyere, Le monde, du 5 février 1993
Fiction (ligne de)
<< « Au
lieu du sujet, nous trouvons une figure : “je” n’est
jamais au point du réel où il se pense et où on
le pense. Il n’est peut-être que la fiction de ce
point. »(Louis Marin le souligne
dans La Voix excommuniée). C’est
aussi ce que dit Lacan dans ses Écrits : tout sujet s’appréhende
dans une « ligne de fiction ». Cette fiction est
bien la seule vérité possible que le sujet puisse
produire de lui-même. Aussi l’autofiction en dit-elle
sans doute plus long, y compris dans les interstices du non-dit
et de l’implicite, que le plus soigné et le plus
sincère des récits rétrospectifs de soi.>> Dominique
VIART in, "Un genre impossible", Université de
Lille CEREN-CNDP, http://www.cndp.fr/revueTDC/884-73409.htm
Fiction
et Annecy *
<< Je suis incapable d'écrire un livre de pure fiction.
Alors, j'ai mélangé mes propres souvenirs et ceux
des filles que j'ai croisées dans les années 60.
Comme l'héroïne du deuxième récit, j'ai
souffert de vivre dans un pensionnat près d'Annecy, le
collège Saint-Joseph de Thônes, et, comme elle, je
m'en suis évadé pour rentrer à Paris en train.
Comme celle du premier récit, j'ai vécu dans cette
atmosphère trouble de la fin de la guerre d'Algérie.
Les très rares fois où j'ai vu mon père,
c'était à Genève. J'avais 16 ans, on venait
me chercher dans mon pensionnat, je traversais la frontière,
et j'arrivais dans le hall de l'Hôtel du Rhône où
j'assistais à un mystérieux ballet de diplomates,
de dirigeants du FLN, d'hommes cravatés à l'air
sombre, c'était une ambiance très étrange,
très secrète. Enfin, comme la jeune femme du troisième
récit, j'ai connu, toujours près d'Annecy, des disciples
de Gurdjieff, et j'étais frappé de constater qu'ils
étaient toujours recrutés chez des intellectuels
se trouvant dans un état physique désespéré.>>
Titre
de l'article, Une Jeunesse, à propos du livre "Des
inconnues", Nouvel Observateur, 28-01-1999.
Fiction
/ Vie*
<< Bizarrement, j'ai eu l'impression de m'approcher plus
de ma propre vie dans la fiction >>. Entretien
avec Maryline Heck, Magazine Littéraire, n° 490, octobre
2009
Filmer
"Seize ans, j'ai rêvé, comme beaucoup d'autres, d'une
caméra légère et même invisible qui permettrait de filmer les
rues de Paris, de jour comme de nuit, et qui capterait les visages
et les paroles des passants, et les suivrait dans leurs aventures
quotidiennes sans qu'ils s'en aperçoivent. Le film que je voyais
se projeter sur l'écran aurait été à la fois un film de fiction
et un documentaire : des histoires d'inconnus se déroulant dans
une lumière naturelle."
"Le terme "prise de vue" n'aurait plus eu de sens.
La caméra aurait été si légère que l'on n'aurait pas senti son
poids sur l'épaule et qu'elle aurait saisi les regards, les sourires,
le mouvement des feuilles et des nuages, sans les geler sur la
pellicule – une pellicule si sensible qu'elle se serait laissée
tout simplement imprégner par la vie."
"Mais combien
d'efforts, d'énergie et de sang-froid pour vaincre toutes les
lois de la pesanteur liées à l'art cinématographique... Il m'est
vite apparu que, malheureusement, la caméra ne pourrait jamais
avoir la légèreté du stylo. Chaque image qui m'émouvait dans un
film en me donnant la sensation de la fragilité, de l'éphémère
et du naturel – ces images qui vous font dire : oui, la vie, c'est
comme ça – avait été le résultat d'un bricolage, parce que les
instruments mis à votre disposition étaient insuffisants."
Fiction
(la)par Laurent Jenny (2003).
Cours
en ligne, Université de Genève
figés
«Je ne crois pas que mes romans soient figés dans
une époque — les années 60 ou 40. C'est une
rêverie* tout à fait subjective sur les années
60 ou 40… », Gérard
de Cortanze citant PM, "La Biographie de Patrick Modiano",
revue Bon-à-tirer, n°81, 1er avril 2008.
Figuration
de soi* (la) par Laurent Jenny (2003).
Cours
en ligne, Université de Genève
Filmographie
- Bon voyage* de
Jean-Paul Rappeneau (2003), co-scénariste du film
"
En juin 1940, à l'hôtel
Splendid de Bordeaux sont réunis ministres, journalistes,
grands bourgeois, demi-mondaines et espions de tous bords. Là,
un jeune homme devra choisir entre une célèbre
actrice et une étudiante
passionnée, entre les politiques et les voyous, entre
l'insouciance et l'âge adulte."
- Le
Fils de Gascogne* de Pascal Aubier (1995).
co-écriture
du scénario avec le réalisateur.
"Immersion dans le milieu du
cinema des annees soixante-dix marques par la Nouvelle Vague a
travers les aventures de Harvey,
jeune provincial et guide a l'occasion, qui accueille a Paris
une troupe de chanteurs georgiens venus pour quelques jours donner
des concerts. Au cours d'un repas dans un restaurant, un client,
affirme reconnaitre en Harvey le fils de Gascogne, figure centrale
et seduisante du cinema et de la vie parisienne des annees soixante."
-
Généalogies d'un crime* de Raoul Ruiz (1997).
Patrick Modiano y a tenu un petit rôle (celui de Bob)
"A Vienne quelque temps avant la guerre, Hermine Helmut
von Hug, psychanalyste pour enfants, est persuadee que son neveu
age de cinq ans a des tendances homicides. Elle decide donc d'etudier
l'evolution inexorable des penchants criminels de son neveu. Celui-ci
commet finalement le crime tant attendu: il tue sa tante."
-
Une jeunesse* de Moshé Misrahi (1981). Adaptation
du roman de Modiano. A noter la présence
de Jacques Dutronc et de Charles Aznavour.
-
Lacombe Lucien* de Louis Malle (1973). PM
a co-écrit
le scénario
du film avec Louis Malle et le texte a fait l'objet d'une publication.
Cf la Bibliographie.
-
Le Parfum d'Yvonne* de Patrice Leconte (1994).
Libre adaptation de
Villa triste*.
-
Te quiero* de Manuel Poirier (1997).
Libre adaptationdu roman Dimanches
d'août*.
"Jean et Sylvia ont quitté la France pour refaire leur
vie en Amérique du Sud. Ils débarquent à Lima,
au Pérou, le pays natal de Jean, pour y vivre leur
passion. Ils ont en leur possession un diamant que Sylvia a volé à son
mari et qu'ils espèrent revendre à un prix intéressant.
Dans un bar de Lima, ils font la rencontre d'un couple de Français à qui
ils proposent d'acheter leur unique bien. Les relations vont
alors devenir étranges
et ambiguës laissant peu à peu place à des
jeux de pouvoir et de séduction."
<<
C’est un beau film. Il a pris son autonomie par
rapport au livre. Pour des raisons qui lui tenaient à cœur,
Manuel Poirier a voulu que tout se passe à Lima. Il a su
créer,
par des images et des sensations très fortes, une osmose
entre les personnages et la ville. Je peux dire que le Lima de
Manuel Poirier me rend brusquement concret, sensible et tactile
ce qui n’était jusqu’à présent
pour moi qu’un paysage intérieur.>> Texte
publié sur le site Diaphana.
Fils (un bon)
Jérôme Garcin - A la question: «Vous jugez-vous comme
un bon fils?», vous répondez: «Je n’ai jamais été un fils.» Et
vous ajoutez même: «Pas d’études, pas de parents.» C’est terrible...
P. Modiano. – C’est surtout péremptoire. Mais j’ai toujours été
troublé de constater que beaucoup d’écrivains, y compris Baudelaire
et de nombreux poètes maudits, exprimaient dans leur œuvre la
conscience très forte d’être un fils. Moi, c’est un sentiment
que, à l’adolescence comme à l’âge adulte, je n’ai jamais éprouvé
et qui sans doute m’a manqué, me manque. Jérôme
Garcin, Rencontre avec P Modiano, Le Nouvel Observateur, 2 octobre
2003
Le
Fils de Gascogne de Pascal Aubier (1995).
co-écriture du scénario avec le réalisateur.
"Immersion dans le milieu du cinema des annees soixante-dix marques par
la Nouvelle Vague a travers les aventures de Harvey, jeune provincial et guide
a l'occasion, qui accueille a Paris une troupe de chanteurs georgiens venus pour
quelques jours donner des concerts. Au cours d'un repas dans un restaurant, un
client, affirme reconnaitre en Harvey le fils de Gascogne, figure centrale et
seduisante du cinema et de la vie parisienne des annees soixante."
Finir
"Je n'ai
jamais eu l'impression, chaque fois que j'ai écrit un livre, d'avoir
écrit quelque chose de fini, de clos sur lui-même, comme un roman
de Simenon, par exemple. J'ai toujours eu l'impression que j'essayais
au fur et à mesure de mes livres de déblayer quelque chose pour
enfin arriver à écrire un vrai livre. Mais ce n'est jamais fini,
c'est comme une fuite en avant, très désordonnée, comme quelqu'un
qui n'a pas assez de souffle, qui est obligé de faire des pauses.
Dans mon enfance, il y avait une course de vélo qui s'appelait
les Six jours. Pendant six jours, les coureurs tournaient sur
une piste. Parfois, ils s'arrêtaient, ils faisaient du surplace.
C'est pareil quand j'écris. Dans cette succession de livres, il
y a plein de moments inutiles, il ne faudrait garder que les bons
et les rassembler, comme des morceaux choisis. Je me dis toujours:
je vais me débarrasser de ça, et après j'aurai le champ libre.
Mais c'est impossible, c'est une illusion. Le vrai livre n'arrive
jamais. Et je n'arrive jamais à écrire un livre complètement autonome
des autres. J'ai toujours l'impression que je pourrais prendre
tel truc dans tel livre et le raccrocher à tel morceau d'un autre,
que ça ne ferait pas vraiment de différence. Tout ces déblayages
vers un livre principal donnent une direction mais pas une architecture,
ce qui fait qu'on continue d'écrire. On reprend sous un autre
angle, c'est comme un contrechamp. Dans «Des inconnues», un des
trois récits est un contrepoint, bien noir, de «Villa triste».
"
Fitzgerald
Dans La Place de l'Etoile(1968) on peut lire à la page 20 del'éd. Folio Gallimard, 1997.
"Je franchis un portail, traverse un parc qui
descend en pente douce jusqu’au Léman et gare
ma voiture devant le perron d’une villa illuminée.
Quelques jeunes filles en robes claires m’attendent
sur la pelouse. Scott Fitzgerald a parlé mieux que
je ne saurais le faire de ces “parties ” où le
crépuscule est trop tendre, trop vifs les éclats
de rire et le scintillement des lumières pour présager
rien de bon. Je vous recommande de lire cet écrivain
et vous aurez une idée exacte des fêtes de
mon adolescence. A la rigueur, lisez Fermina Marquez de
Larbaud."
<< Comme Fitzgerald, Modiano subit cette attirance répulsion
pour l’inépuisable diversité de la vie, qu’il
trouve dans les rues de Paris, où il laisse errer son labile
narrateur « pour le meilleur et pour le pire ». Mais
si Scott Fitzgerald nous décrit le monde de l’entre-deux-guerres,
ses personnages déambulant parfois dans un Paris qui baigne
dans la fête et le Jazz, Modiano, conscient de son inspiration
fitzgeraldienne, nous pose à travers ses romans une autre
question : qu’en est-il de Paris après 1939 ? Nostalgique
des années trente, des années folles, il se rappelle
que cette décennie en son déclin voit la musique
autrichienne remplacer le Jazz américain et les marches
militaires la valse créole. Aussi Modiano déclare-t-il,
dans un ouvrage consacré à Brassaï : « La
guerre a cassé la romance de Paris. » (Modiano-Brassaï,
Paris Tendresse, éd. Hoëbeke-Paris, 1990, p. 12.) La guerre
1939-1945 a laissé une brèche dans
l’Histoire. Que devient ce monde nocturne de fête,
et « ces grands et petits escrocs des années trente
(…) mélange trouble de mystère et de sentimentalité »[30]
? Qui hantent encore les music-halls d’antan, que sont
devenus les patrons des boîtes de nuit de Pigalle et les
starlettes de Montmartre ?>>
FLEURS
DE RUINE
Fleurs
de ruine [1991]
Quatrième de couverture (édition
brochée)
<< Je m'étais
assis a la terrasse de l'un des cafés, vis-à-vis
du stade Charlety. J'échafaudais toutes les hypothèses
concernant Philippe de Pacheco dont je ne connaissais même
pas le visage. Je prenais des notes. Sans en avoir clairement
conscience, je commençais mon premier livre. Ce n'était
pas une vocation ni un don particuliers qui me poussaient a écrire,
mais tout simplement l'énigme que me posait un homme que
je n'avais aucune chance de retrouver, et toutes ces questions
qui n'auraient jamais de réponse. Derrière moi,
le juke-box diffusait une chanson italienne. Une odeur de pneus
brûlés flottait dans l'air. Une fille s'avançait
sous les feuillages des arbres du boulevard Jourdan. Sa frange
blonde, ses pommettes et sa robe verte étaient la seule note de fraÎCheur dans ce
début d'après-midi d'août. A quoi bon tâcher
de résoudre des mystères insolubles et poursuivre
des fantômes, quand la vie était la, toute simple,
sous le soleil ? >>
Fleurs
de ruine [1991]
Quatrième de couverture (édition
Points, 1995)
<<24 avril 1933. Deux jeunes
époux se suicident dans leur appartement parisien pour de mystèrieuses
raisons. Cette nuit-là ils auraient fait la connaissance de deux
femmes, de deux hommes, fréquenté un dancing, pénétré dans
une maison pourvue d'un ascenseur rouge.
Trente ans se sont écoulés. Le narrateur s'interroge sur leur histoire
dont certains protagonistes semblent avoir croisé la sienne. Interrogation
qui, en écho, en suscite d'autres. Fantômes entrevus, explications
jamais venues. Silhouettes, prénoms aspirés par le temps. Paris,
aussi, surtout. Perdu, poursuivi, redessiné.>>
Fleurs
de ruine PERSONNAGES
Jacqueline,
amie du narrateur, ils habitaient un hôtel au bout de la
rue Pierre-Nicole. Ils vivaient d'expédients, "avec l'argent
procuré par la vente de son manteau de fourrure."
Fleurs
de ruine La
scène du suicide. Une scène inaugurale ?
<< M
Urbain T.,
jeune ingénieur, sorti premier de l'Ecole de chimie, épousait
il y a trois ans Mlle
Giselle S. âgée de vingt-six
ans, son ainée d'un an. Mme T. était une jolie blonde,
grande et fine. Quant à son mari, il avait le type du beau
garçon
brun. Le couple était installé en juillet dernier au rez-de-chaussée
du 26, rue des Fossés-Saint-Jacques, dans un atelier transformé
par eux en studio. Les jeunes époux étaient très unis.
Aucun souci ne semblait ternir leur bonheur.
Samedi soir, Urbain T. décida
de sortir en compagnie de sa femme pour dîner. Tous deux
quittèrent leur domicile vers
dix-neuf heures. Ils ne devaient y rentrer que vers deux
heures du matin, en compagnie de deux couples
de rencontre. Menant un tapage inusité, ils tinrent évéillés leurs voisins
peu habitués à de si bruyantes manifestations de la part
de locataires ordinairement
fort discrets. La fête eut sans doute des péripéties inattendues.
Vers quatre heures
du matin, les invités partirent. Au cours de la demi-heure qui sécoula ensuite
dans le silence, deux coups sourds retentirent.
A neuf heures, une voisine, sortant de chez elle, passa devant la porte des T.
Elle entendit des gémissements. Se rappelant tout à coup les détonations de
la nuit, elle s'inquiéta et frappa à la porte. Celle-ci s'ouvrit et Gisèle
S parut. Du sang coulait doucement d'uen blessure apparente au sein gauche.
Elle murmura : "Mon mari ! Mon mari ! Mort." Quelques instants après arrivait
M Magnan, commissaire de police. Gisèle T. gémissait, allongée sur un divan.
Dans la pièce voisine, on découvrit le cadavre de son mari. Celui-ci tenait
encore un révolver dans sa main crispèée. Il s'était suicidé d'une balle en
plein coeur.
A ses côtés une lettre griffonnée : "Ma femme s'est tuée. Nous étions ivres.
Je me tue. Ne cherchez pas...>>
Fleurs
de ruine Personnages <<
Jacques Henley :
" Parle anglais, allemand sans accent." Un visage très britanique
: moustache
blonde, yeux très clairs. Son adresse est indiquée : Jacques
Henley, "Les Raquettes", Iles des Loups, Nogent-sur-Marne (Seine),
Tremblay 12.00. Mais au même numéro de téléphone, il est mentionné
dans l'annuaire sous le nom de E.J. Dothée.>>
Jacqueline,
compagne du narrateur.
La
figure de
Violette Nozière* est évoquée comme personnage de référence dans l'histoire des
criminelles célèbres et comme un personnage de roman qui, dans
la mesure où elle a peut-être croisé des
figures de Fleurs
de ruine, accède à un autre statut, le temps d'une
évocation.
Violette
Nozière (1915-1966) fut accusée
d'avoir empoisonné ses parents (seul son père fut tué), elle
comparut devant les assises
de la Seine en 1934. Les surréalistes a qui ellel inspira plusieurs
poèmes et peintures exaltant la résistance à l'autorité parentale,
contribuèrent à sa célébrité. Condamnée à mort, elle fut gracièe
puis libérée après 10 ans d'internement et enfin réhabilitée
en 1963.
Dans Fleurs de ruine, Patrick
Modiano l'évoque à sa manière : << Elle
donnait ses rendez-vous dans un hôtel de la rue Victor-Cousin,
près de la Sorbonne, et au Palais du
Café,
boulevard
Saint-Michel. Violette était une brune au teint pâle que les
journaux de l'époque comparait à une fleur vénéneuse et qu'ils
appelaient "la fille aux poisons" Elle liait connaissance au
Palais du Café avec de faux étudiants aux vestons trop
cintrès et aux lunettes d'écaille. Elle leur faisait croire
qu'elle attendait un héritage et leur promettait monts et merveilles
: des voyages, des Bugatti... Sans doute avait-elle croisé,
sur
le boulevard, le couple T. qui venait de s'installer dans le
petit appartement de la rue des Fossés-Saint-Jacques."
Dans de nombreux romans, Patrick Modiano mêle des personnages
inventés et des figures de l'histoire* qui
ont attisé l'imagination de la presse comme du public. Ce frottement
du réel et de la
fiction lui permet de donner encore plus consistance à des
personnages "inventés" qui accèdent au statut du "pour de vrai"
que les enfants
confèrent à leur invention dans des jeux tantôt improvisés,
tantôt savants. Ce procédé inscrit les personnages dans l'Histoire
et
brouille les pistes entre fiction et réalité.
C'est un jeu, un jeu infini.
Sylvianne,
celle qui a peut-être croisé le couple T. rencontre Eddy
Pagnon* . Il transporte des
vins en fraude, de Bordeaux à
Paris pour le compte d'un hôtelier qui possède un entrepôt,
au quai Saint-Bernard, à la Halle aux vins. Faisait-il partie
de
la bande de la rue Lauriston ( le siège de la Gestapo française)
? Ce personnage est-il intervenu pour faire sortir le père
du narrateur du camp d'internement de Drancy ? << J'ai tenté
de découvrir
le garage où Pagnon travaillait avant-guerre et, parmi les
nouvelles bribes de renseignements que je viens de rassembler
sur lui,
il y a ceci : arrêté en novembre 1941 par les Allemands pour
les avoir doublés dans une affaire de marché noir d'imperméables.
Détenu à la Santé. Libéré par Chamberlin alias "Henri".
Entre à son service, rue Lauriston. Quitte la bande de la rue
Lauriston trois mois avant la libération. Se retire à Barbizon
avec sa maîtresse, la marquise d'A. Il était possesseur d'un
cheval de course et d'une auto. SE TROUVE UNE PLACE DE CHAUFFEUR
SUR UN CAMION POUR LE TRANSPORT DE VINS DE BORDEAUX A PARIS.>>
Pacheco* Un
personnage clé dans Fleurs
de ruine qui va occuper de nombreuses
pages dans la roman, tant sa figure va être au centre d'un
réseau de relations entre plusieurs personnages.
<<
J'avais croisé à plusieurs reprises, boulevard Jourdan un homme
d'une
cinquantaine d'années vêtu d'un manteau marron déteint
et aux manches trop longues, d'un pantalon de velours noir
et
d'après-skis. Ses cheveux étaient bruns et ramenés en arrière,
ses joues mal rasées. Il marchait avec circonspection,
comme s'il avait peur, à chacun de ses pas de glisser sur la
neige.
Au
mois de juin suivant, il n'était plus le même. Son complet
de toile beige, sa chemise bleu ciel et ses chaussures de daim
paraissaient flambant neufs. Ses cheveux coupès plus courts
et ses joues lisses lui donnaient un air de jeunesse.>> Toute
l'ambiguité du personnage que PM va décliner durant de longues
pages est comprise dans cette description, car à ses deux états
correspondent des vies différentes : une vie "d'avant", une
vie "d'après". Pacheco porte une valise noire (que contient-elle?),
il travaille à Air France, ( au sol ou dans les airs ?), il
vit à la Cité universitaire, détient une carte universitaire
qui spécifie son inscription à la faculté des sciences de
la Halle aux vins, (étudiant à son âge ?) Il ne peut suivre
les cours à cause de son travail. Mais quel travail ?
<< - Disons... un travail de steward. Parfois sur des avions,
ou dans un bureau d'Orly... ou à l'aérogare des Invalides...
Trois jours par semaine...>>
Pacheco rencontre
des Marocains, des Cubains, des blondes Scandinaves et distribue
des cadeaux de pacotilles venus des zones "hors-taxes".
Est-il d'origine espagnole ou portugaise, "Péruvien", répond-il.
La question de l'origine encore va être au centre du mystère
qui plane sur ce personnage énigmatique. Moitié français et
moitié belge par sa mère, il se dit descendant du maréchal
Victor, du nom de ce boulevard du côté de la porte de Versailles.
Le maréchal Victor, maréchal du Premier Empire avait été fait
duc de Bellune par Napoléon.
<< C'était la première fois qu'il me parlait de choses personnelles.
Jusque-là, je n'avais aucun point de repère : cet homme était
aussi fuyant et aussi lisse que son regard. Son âge lui-même
était incertain : entre trente-cinq et cinquante ans.>>
Le narrateur veut savoir à quel moment il a renoncé à se faire
appeler "Philippe de Bellune", mais il n'aura en guise de réponse
qu'une autre question : "Ca vous
intéresse vraiment ?"
Le narrateur et sa compagne, Jacqueline observe Pacheco qui fait semblant d'habiter
au pavillon des Provinces françaises, mais dès qu'il est sûr de ne pas être vu,
il quitte l'endroit avec sa valise noire, pour une destination inconnue.
<< Nous avons attendu qu'il soit à une cinquantaine de mètres devant nous pour
lui emboîter le pas. A la sortie de la Cité universitaire, il s'est dirigé vers
la gauche en direction de la porte d'Orléans et sa silhouette a disparu dans
la nuit. Où pouvait-il aller
? Quel était son vrai domicile ? Je l'imaginais marchant tout droit devant lui,
jusqu'à la porte de vesailles et atteignant enfin ce boulevard désolé qui portait
le nom de son ancêtre. Il le suivait à pas lents, sa valise à la main, comme
un somnambule, et à cette heure tardive, il était le seul piéton.>>
Les fins de chapitre des romans de PM portent souvent les effluves de l'énigme
que l'histoire contée dégage. Le sens doit travailler loin derrière
les derniers mots, les dernières évocations prononcées à l'oreille du lecteur,
là, tout près, pour qu'aucun importun, entende...
Le narrateur s'engage dans des recherches généalogiques, il veut
confondre "le personnage" en lui livrant des indices mais Pacheco feint
de ne
pas
comprendre
même s'il accuse le coup. Des autres résidents, il est inconnu au pavillon
des Provinces françaises, plus on s'enfonce dans le récit, plus grande est la
confusion sur le personnage de Pacheco. Sur
de vieux journaux datant de 1946, le narrateur débusque cette information : <<
Philippe de Bellune, dit "de Pacheco", serait mort l'année dernière des suites de
son internement à Dachau. Mais on exprimait des doutes sur cette mort.>> Deux
ans
plus tard, une autre information contredit le décés. Ce personnage
renvoi le narrateur aux doutes et questionnements qui subsistent autour de son
père.
PM n'est jamais sorti de ces questions et la publication en 2005 du récit autobiographique
intitulé Pedigré* confirme
tous les indices autofictionnels/autobiographiques qu'il a livrés au cours
de
l'oeuvre.
<< Je pensais à mon père qui avait vécu toutes les incohérences de la période
de l'Occupation et qui ne m'en avait presque rien dit avant que nous nous quittions
pour toujours. Et voilà qu'à peine entrevu, Pacheco lui aussi s'éclipsait sans
m'avoir donné des explications.>>
Obsédé par la question des origines, le narrateur ne cesse de reconstituer le
passé de Pacheco à partir
d'indices glanés çà et là : les rues, les lieux, les
habitations,
tout sert l'imagination du narrateur qui installe son personnage dans des décors
disparus ou reconstitués. Au fur et mesure que le récit se déroule, le narrateur
brouille les pistes, installe le propre désordre de la vie de Pacheco dans
l'histoire
et il finit par perdre le lecteur qui se laisse, à l'instar d'un personnage de
Modiano, dans les méandres de tous ces possibles...
Pacheco part pour le Maroc, laisse au narrateur sa petite valise noire, un dossier
d'inscription en tant qu'auditeur libre pour la faculté des sciences mais ne
revient pas. En définitive, le narrateur ouvre la valise et découvre plusieurs
documents.
Fleurs de ruine, premières
pages
Fleurs
de ruine, Le piéton de Paris, par Michel Braudeau
<< BIEN sûr, il doit en énerver quelques-uns
dans la profession, ce grand adolescent timide de quarante-six
ans,
avec son bégaiement, son
air de ne pas y toucher, ses déjà douze romans, dont un Goncourt,
cette chance qui ne le quitte pas, et toute la critique qui s'attendrit à chacun
de ses livres, qui ne sont jamais bien gros, ne sentent pas l'effort. C'est normal,
la grâce a toujours fait des jaloux. Ces lignes leur sont dédiées.
On reproche à Patrick Modiano d'écrire sans fin le même livre
depuis la Place de l'Etoile, de ne pas évoluer. Et alors, vous auriez
voulu qu'il évolue, Charles Trenet ? Quand la chanson est bonne... Avec
le temps, ses romans légers, impalpables, se répondent et s'emboîtent
comme autant de chapitres d'un livre plus vaste, composé de promenades,
d'esquisses, d'aller et retour, de tentatives exploratoires, d'expéditions
secrètes autour du seul grand sujet romanesque auquel on n'échappe
jamais, le temps et son passage en nous. Ses personnages ne s'y trompent pas,
du reste, et se retrouvent d'un titre à l'autre, le frère mort,
Rudy, les parents lointains, le père, silhouette fuyante et suspecte,
les " braves garçons " de la pension de la Croix-de-Berny, les
adultes louches, demi-mondaines, vrais collabos, faux nobles, dans le brouillard
de l'Occupation qui baigne l'enfance d'un climat équivoque, ambigu à jamais.
Le narrateur, qui n'est peut-être pas toujours l'auteur, mais respire et
sent comme lui, en reste marqué pour la vie, tatoué d'inquiétude,
jamais certain de l'identité des autres.
On ne sait exactement ce qui pousse le narrateur à s'intéresser à un
fait divers ancien, le double suicide, le 24 avril 1933, d'un couple de jeunes
mariés au numéro 26 de la rue des Fossés-Saint-Jacques.
Urbain T., ingénieur chimiste, et son épouse, Gisèle, se
sont donné la mort tard dans la nuit après une fête bruyante
en compagnie de deux couples, sans doute des rencontres de hasard lors d'un dîner
dans un restaurant du Perreux, sur l'île aux Loups. On ignore encore davantage
les raisons de ce suicide. Il est question d'une maison avec un ascenseur rouge.
Le narrateur a connu un bouquiniste, Claude Bernard, qui avait une maison dans
cette île, avec un ascenseur rouge, un chalet avec des bow-windows et une
véranda. Maison rasée probablement, ami disparu. Il se souvient
aussi, chemin faisant _ il marche beaucoup et le passé remonte en digressions
capricieuses, suscitées par les lieux qu'il traverse _ des Magasins généraux,
près du pont de Bercy, une annexe du camp de Drancy pendant la guerre,
où son père avait été interné et d'où l'avait
délivré bizarrement Eddy Pagnon, un membre de la bande de la rue
Lauriston.
QUAND il était jeune, le narrateur bricolait dans les vieux papiers, les
livres d'occasion, et vivait avec Jacqueline. Il avait remarqué près
de la Cité universitaire un clochard familier et loqueteux qui s'était
mué en l'espace de quelques mois en homme élégant, propre
et rajeuni, avec lequel ils avaient noué une vague amitié. On l'appelait
Pacheco mais son vrai nom était peut-être Philippe de Bellune, un
descendant du maréchal Victor, comme le boulevard Victor.
Pacheco travaillait à Orly ou à Air France, il disparaissait de
temps à autre pour un voyage, revenait avec des cigarettes, des produits
hors taxes. En fouillant dans de vieux annuaires et aussi dans la valise que
Pacheco lui avait un jour confiée, le narrateur avait découvert
que ce Bellune, recherché après la guerre pour ses activités
pendant l'Occupation, était supposé être mort au camp de
Dachau sans qu'on en eût la preuve ; d'ailleurs, ce n'était peut-être
qu'un imposteur, un faux Pacheco, en réalité un certain Charles
Lombard, ancien garçon de café au restaurant-dancing du Perreux,
photographié en compagnie du jeune couple quelques heures avant le drame
de 1933. Les chassés-croisés de l'espace et du temps sont vertigineux
comme souvent chez Modiano, les personnages se passent parfois le même
masque les uns aux autres, on dirait une gigantesque conspiration tramée
d'autrefois, dont les acteurs survivants ont perdu le fil et qui se révèle
par lambeaux, au hasard, à mesure que le roman s'écrit.
Et une fois de plus le Paris dans lequel Modiano se promène et fait son
enquête prend le premier rôle. Peu d'écrivains ont décrit
Paris avec un amour aussi intelligent, une mélancolie aussi puissante,
presque hallucinée. " Comme les Ursulines, le quartier du Montparnasse
m'a évoqué le château de la Belle au bois dormant. J'avais éprouvé la
même impression, à vingt ans, lorsque je logeais pour quelques nuits
dans un hôtel de la rue Delambre : Montparnasse m'avait déjà semblé un
quartier qui se survivait à lui-même et qui pourrissait doucement
loin de Paris. Quand il pleuvait rue d'Odessa ou rue du Départ, je me
sentais dans un port breton, sous le crachin. De la gare, qui n'était
pas encore détruite, s'échappaient des bouffées de Brest
ou de Lorient. "
C'est aussi le Quartier latin, où il ne reste rien des événements
de Mai 68, que des images d'actualités en noir et blanc, " presque
aussi lointaines que celles filmées pendant la Libération de Paris " ;
les magasins du port d'Austerlitz (" A l'odeur de vin et de charbon se mêle
maintenant celle des feuillages du Jardin des plantes et j'entends le cri d'un
paon et les rugissements du jaguar et du tigre. Les platanes et le silence de
la Halle aux vins. Une fraîcheur de cave m'enveloppe ") ; le parc
Montsouris, l'immeuble aux grandes baies vitrées où avait habité l'aviateur
Jean Mermoz ; la Cité universitaire, " un endroit de villégiature,
ou l'une de ces concessions internationales comme il en existait à Shanghai.
Cette zone neutre, à la lisière de Paris, assurait à ses
résidents l'immunité diplomatique. Quand nous en franchissions
la frontière _ avec nos fausses cartes d'identité, _ nous étions à l'abri
de tout " ; l'aquarium du Trocadéro ; Montmartre et le décor
du restaurant San Cristobal, comme une île caraïbe en pleine ville
; Saint-Germain-des-Prés, qui ressurgit de l'enfance par un après-midi
d'été au tournant de la rue Cardinale, du temps où il ressemblait à la
vieille ville de Saint-Tropez, sans les touristes, " de la place de l'église,
la rue Bonaparte descendait vers la mer ".
CETTE nostalgie n'est pas frivole, mais politique. Cette fascination pour le
décor de Paris est celle d'un enfant pour un monde admiré et monstrueusement
suspect ; ce n'est pas un caprice de touriste qui lui fait longtemps préférer
la rive droite à la rive gauche, c'est la mémoire du trajet suivi
par son père en s'évadant dans une luxueuse voiture de la collaboration,
ce père énigmatique, champion de la disparition subite, au point
que son fils n'est jamais sûr qu'il ait existé, comme tous les adultes
de cette période imprégnée par le mensonge absolu. Et ce
travail proustien de résurrection du passé est une façon
suprêmement élégante de montrer comme l'étoffe la
plus fragile et légère de nos vies, celle des sensations fugitives,
est toujours cousue au fil de l'Histoire.>>
MICHEL BRAUDEAU Le Monde 5 Avril 1991
————————————————————————————————————
Les
Francs-tireurs partisans (FTP)
groupe armé créé en
1942 par le Front national, mouvement de lutte pour l'indépendance
de la France, constitués en grande partie de communistes,
sont des maquis faisant partie de l'Armée secrète
de la résistance. Beaucoup ont eu une existence souterraine
depuis 1939. Rompus à la clandestinité et au maniement
des armes, prônant l'action directe, ils infligent des
pertes importantes à l'occupant et aux collaborateurs.
Benjamin
Fondane (un poème testament de 1942)
Sur
les fleuves de Babylone"
C’est à vous que je parle, homme des antipodes,
je parle d’homme à homme
avec le peu en moi qui demeure de l’homme,
avec le peu de voix qui me reste au gosier;
mon sang est sur les routes, puisse-t-il, puisse-t-il,
ne pas crier vengeance (...)
Un jour viendra, c’est sûr, de la soif apaisée,
nous serons au-delà du souvenir, la mort
aura parachevé les travaux de la haine,
je serai un bouquet d’orties sous vos pieds;
alors, eh bien, sachez que j’avais un visage
comme vous, une bouche qui priait comme vous.
(...) Tout comme vous, j’étais méchant et angoissé,
solide dans la paix, ivre dans la victoire
et titubant, hagard, à l’heure de l’échec...
Et pourtant, non.
Je n’étais pas un homme comme vous.
Vous n’êtes pas nés sur les routes,
personne n’a jeté à l’égout vos petits
comme des chats encore sans yeux,
vous n’avez pas erré de cité en cité
traqués par les polices,
vous n’avez pas connu les désastres, à l’aube
les wagons à bestiaux
et le sanglot amer de l’humiliation,
accusé d’un délit que vous n’avez pas fait,
du crime d’exister,
changeant de nom et de visage
pour ne pas emporter un nom qu’on a hué,
un visage qui avait servi à tout le monde
de crachoir!
Un jour viendra sans doute, quand ce poème lu
se trouvera devant vos yeux.
Il ne demande rien! Oubliez-le, oubliez-le! (...)
Mais quand vous foulerez ce bouquet d’orties
qui avait été moi, dans un autre siècle,
en une histoire qui vous semblera périmée,
souvenez-vous seulement que j’étais innocent
et que, tout comme vous, mortels de ce jour-là,
j’avais eu, moi aussi, un visage marqué
par la colère, par la pitié et la joie,
un visage d’homme, tout simplement.
Fragments
de souvenirs
« Ces fragments de souvenirs correspondaient aux années
où votre vie est semée de carrefours, et tant d'allées
s'ouvrent devant vous que vous avez l'embarras du choix. Les mots
dont il remplissait son carnet évoquaient pour lui l'article
concernant la « matière sombre » qu'il avait
envoyé à une revue d'astronomie. Derrière
les événements, précis et les visages familiers,
il sentait bien tout ce qui était devenu une matière
sombre : brèves rencontres, rendez-vous manqués,
lettres perdues, prénoms et numéros de téléphone
figurant dans un ancien agenda et que vous avez oubliés,
et celles et ceux que vous avez croisés sans même
le savoir. Comme en astronomie, cette matière sombre était
plus vaste que la partie visible de votre vie. Elle était
infinie. Et lui, il répertoriait dans son carnet quelques
faibles scintillements au fond de cette obscurité. Si faibles,
ces scintillements, qu'il fermait les yeux et se concentrait,
à la recherche d'un détail évocateur lui
permettant de reconstituer l'ensemble, mais il n'y avait pas d'ensemble,
rien que des fragments, des poussières d'étoiles.
» L'horizon, Gallimard, 2010.
fragments
/ Traces
<< Au fond, j’ai toujours douté qu’on
puisse ressusciter le passé – enfin comme la madeleine
de Proust—la seule chose, c’est qu’il y a par-ci,
par-la, des zones mélangées par l’oubli ---
restent des fragments --- des traces --- des trognons dans des
tonalités un peu glauques. >> L’événement
du jeudi, 4-10 janvier 1996
France antisémite
du régime de Vichy (la)
"En 1940, la France
comprend une population juive installée depuis des siècles. A
cela il faut ajouter des populations juives arrivées récemment
d' Europe centrale et orientale qui pour la plupart n'ont pas
la nationalité française.
De 1940 à 1944, l'État français va pratiquer une politique d'exclusion
et de persécution des Juifs en devançant les demandes des autorités
allemandes.
La politique antisémite du gouvernement de Vichy se caractérise
par trois points:
Premièrement, la définition, le classement et l'isolement des
Juifs au sein de la population française. Ainsi le 3 octobre 1940
est promulguée la loi portant statut des Juifs. Ce texte exclut
des citoyens français juifs de la fonction publique, de l'enseignement,
de l'armée... Les Juifs se voient définis par des critères raciaux
(article 1er). Une loi* du 4 octobre à la fois antisémite et xénophobe
s'en prend aux Juifs étrangers et donne aux préfets les pouvoirs
d'interner « les étrangers de race juive ».(document en fin d'article).
Deuxièmement, le régime de Vichy encourage l'antisémitisme par
une propagande raciste et xénophobe. Ainsi en mars 1941 un Commissariat
Général aux questions juives est créé afin de coordonner la politique
antisémite, son premier commissaire est Xavier VALLAT , remplacé
en 1942 par DARQUIER de PELLEPOIX encore plus fanatique que le
précédent.
Troisièmement, à partir de
1942, l'appareil d'État (administration et police) participe aux
opérations commanditées par les nazis visant à la déportation
et à la mise en application de la « Solution Finale ». C'est dans
ce cadre qu'en mars 1942, le premier convoi juif quitte Drancy,
qu'en juillet 1942 est déclenchée la grande rafle du « VEL'D'HIV
». L'occupation de la Zone Sud par les Allemands, en novembre
1942, ne fait qu'aggraver le sort des populations juives.
Quel bilan peut-on faire de cette politique ? Selon Serge Klarsfeld,
entre le printemps 1942 et l'été 1944, 76 000 juifs ont été déportés
de France dont 2 500 ont survécu.
Les deux tiers des déportés étaient des Juifs étrangers :Polonais
(26 000 ), Allemands (7 000), Russes (4 500), Roumains (3 300)...
Même si l'élimination des Juifs n'entrait pas dans les objectifs
du gouvernement de Vichy, celui-ci a été un instrument efficace
dans la première étape de « la solution finale », à savoir l'exclusion
et la déportation.
Que dire de l'attitude de la population française ? Les mesures
antisémites de Vichy et de l'occupant ont été reçues souvent avec
passivité par une population qui n'en voyait pas l'étendue des
conséquences. Mais quand la persécution devient plus importante,
de plus en plus de citoyens français s'y opposent et tentent de
sauver des Juifs. Comme l'écrit l'historienne Annette Wieviorka
: » et pourtant si trois Juifs sur quatre réussissent à survivre
en France pendant ces années terribles, c'est que Vichy n'a pas
pu effacer au pays des Droits de l'Homme trois quarts de siècle
de culture républicaine. »
Il n'est pas inutile de relire les propos de Mgr SALIEGE, cardinal
archevêque de Toulouse qui, dans sa pastorale du 20 Août 1942,
écrivait: « Les Juifs sont des hommes, les Juives sont des femmes.
Tout n'est pas permis contre eux, contre ces hommes, contre ces
femmes, contre ces pères et ces mères de famille. Ils font partie
du genre humain ; ils sont nos frères comme tant d'autres... ».Une
voix isolée pendant ces années sombres ?" Pierre
CHEVALERIAS
Varian
FRY ( - 1967)
<< Un jeune Américain envoyé à Marseille
en août 1940 par l'Emergency Rescue Committee (ERC), fondé à New
York deux mois auparavant. Il a pour tâche d'organiser
la fuite hors d'Europe d'artistes et d'intellectuels. ARRIVÉ à Marseille
avec une liste de deux cents noms, Varian Fry sauvera environ
deux mille personnes. Jusqu'au 2 juin 1942, quand l'administration
française décide de fermer son « Comité américain
de secours ». Parmi les célébrités
dont il organisa le départ figurent, outre Victor Serge
et son fils Vlady, les surréalistes André Breton,
André Masson, Max Ernst accompagné de Peggy Guggenheim,
puis Marcel Duchamp et Jean Hélion.
Le
4 décembre 1940, Marseille en délire
: Pétain y vient en voyage officiel. La ville est sur
les trottoirs et aux balcons. Le portrait du maréchal
sur la Canebière mesure 8 mètres de haut. L'archevêque,
le préfet, le maire et l'académie locale reçoivent
avec émotion le visiteur. Il les salue. Il salue la foule
derrière les barrières, sur le Vieux-Port. Il salue
le chien de la Légion. Il ne cesse de saluer, et les photographes
de le photographier.
Les
seuls qu'il ne salue pas, ce sont les indésirables,
les « internés administratifs suspects de pouvoir
troubler l'ordre public ». Il y en a vingt mille, pas moins.
Ils sont retenus par la police quatre jours partout où ils
peuvent être enfermés, par exemple sur un bateau
dans le port. Sur le Sinaïa sont incarcérés
André Breton et Victor Serge, agitateurs politiques notoires,
l'un poète, l'autre romancier, tous deux révolutionnaires.
Ils y retrouvent un citoyen américain, Varian Fry. Il
vient de New York pour les sauver du pétainisme et des
nazis. (...) Que la région fut, de 1940 à 1942,
le dernier refuge des artistes et des intellectuels avant l'exil
ou la persécution, que les surréalistes y reformèrent
brièvement leur groupe, on le savait de longue date. Ce
que fit Varian Fry, dans quelles conditions, avec quelles difficultés,
il fallait ces recherches pour l'établir plus précisément.
Fry arrive à Marseille, en train, au matin du 14 août
1940. Il a sur lui 3 000 dollars, une liste de deux cents noms,
une lettre de recommandation de l'épouse du président
des Etats-Unis, Eleanor Roosevelt, et une attestation qui certifie
qu'il se livre en Europe à une enquête sur les réfugiés
et leurs besoins. Fry a trente-deux ans, une formation en philologie
classique, un emploi dans l'édition new-yorkaise, des
opinions politiques libérales. Il a aussi des souvenirs
: en 1935, il a voyagé en Allemagne.
Deux
mois auparavant a été fondé à New
York l'Emergency Rescue Committee (ERC). Après l'effondrement
de l'armée française, Reinhold Niebuhr, président
des American Friends for German Freedom, provoque une réunion
sur la situation des réfugiés. Elle est réglée
par l'article 19 de la convention d'armistice signée par
Pétain le 22 juin : « Le gouvernement français
est tenu de livrer sur demande tous les ressortissants allemands
désignés par le gouvernement du Reich et qui se
trouvent en France, de même que dans les possessions françaises,
les colonies, les territoires sous protectorat et sous mandat. » Par
exemple Walter Benjamin, Max Ernst ou Hans Hartung, anti-nazis
déclarés.
L'assemblée crée l'ERC, qui collecte les premiers
fonds et intéresse à la cause Eleanor Roosevelt,
laquelle se fait fort d'obtenir du président des visas
d'entrée aux Etats-Unis. Deuxième étape
: dresser la liste de ceux qu'il faut sauver absolument. A cette
entreprise contribuent des émigrés, dont Thomas
Mann, et des Américains, dont le fils d'Alfred Barr, directeur
du Museum of Modern Art de New York. Arp, Chagall, Ernst, Kandinsky,
Matisse et Picasso sont dans ce répertoire - celui qu'emporte
Varian Fry, chargé d'organiser leur départ.
BUREAUCRATIE
ET FILIÈRES Ses alliés ? Ceux qui
forment les services du CAS, installés à l'Hôtel
Splendide, puis rue Grignan : des émigrés allemands
en danger et Daniel Bénédite, militant SFIO, ancien
secrétaire à la préfecture de police de
Paris, spécialiste du style administratif. Autres secours
: des fonctionnaires qui « ferment les yeux » et
les consuls de pays restés au poste malgré l'occupation
de leurs pays - Lituanie, Pologne, Tchécoslovaquie - et
qui fournissent des passeports, jusqu'à leur arrestation.
(...)
Il
y a aussi ceux qui financent, ceux qui logent, ceux qui patronnent.
Les
collectes aux Etats-Unis sont financées par Peggy
Guggenheim - qui se trouve alors à Grenoble -, Mary Jane
Gold, milliardaire américaine restée à Marseille
pour aider Fry, et des émigrants riches qui, en partant,
prêtent de l'argent. Les patronages sont ceux de Françoise
Rosay, Pablo Casals, André Gide, Georges Duhamel, Emmanuel
Mounier, Wladimir d'Ormesson. La comtesse Lily Pastré,
dans sa propriété de Montredon, recueille Joséphine
Baker, Georges Auric, Darius Milhaud, Clara Haskill, André Masson,
successivement ou simultanément. La comtesse, qui doit
sa fortune à un apéritif, fonde l'association Pour
que l'esprit vive, organise des fêtes et abrite ses pensionnaires
en attente d'un bateau. Les surréalistes locataires de
la villa Air-Bel ont les mêmes angoisses.
Varian
Fry s'épuise à duper la bureaucratie et à inventer
des filières. Il verse des subsides hebdomadaires à plus
de cinq cents réfugiés. Son efficacité est
remarquable. Le 25 mars 1941, Breton et sa famille, Victor Serge
et son fils Vlady embarquent sur le Capitaine-Paul-Lemerle, où monte
aussi un ethnologue inconnu, Claude Levi-Straus. Le 31 mars,
André Masson, sa femme et ses fils montent à bord
du Carimare, direction la Martinique. Le 13 juillet, Peggy Guggenheim
et Max Ernst quittent Lisbonne en avion. Dans les mois qui suivent
et jusqu'à l'occupation, en novembre 1942, par les nazis
de la « zone libre », d'autres parviennent à partir,
Marcel Duchamp ou Jean Hélion, évadé d'un
camp de prisonniers en Poméranie.
Fry
ne réussit pas à faire partir tous ceux qui
sont en péril. Victor Brauner et Hans Bellmer se cachent
durant toute la guerre, et survivent. D'autres sont pris. Louise
Straus, peintre et historienne d'art, a été entre
1919 et 1922 la première femme d'Ernst. Réfugiée
en France, elle fait appel au CAS, et son fils, Jimmy Ernst,
intervient en sa faveur auprès de Barr, en vain. Elle
trouve abri un moment à Manosque, chez Jean Giono. Arrêtée
par les nazis, elle disparaît dans un camp d'extermination,
comme le sculpteur Otto Freundlich, déporté à Maïdanek.
Le
6 septembre 1941, Fry est expulsé. Il quitte la France
par Perpignan et Port-Bou, là où Walter Benjamin
s'est suicidé un an auparavant. Grâce à Bénédite,
le cas survit jusqu'au 2 juin 1942. Ce jour-là, il est
fermé par la police française, à la demande
de l'administration française.>> (...) Philippe
DAGEN, Le Monde 16-01-99
Les
forces militaires allemandes
ont à leur tête, le général von Choltitz, commandant
du Grand Paris. Il est nommé le 7 août 1944 par Hitler qui renouvelle
son Etat-major après la tentative d'attentat contre lui, le 20 juillet.
Disposées en anneau défensif au sud-ouest de Paris, ses troupes
sont constituées de quatre régiments (environ 20 000 hommes)
que viennent renforcer dix-sept chars Panzerlehr, un bataillon de choc et des
batteries de la 1 re brigade de DCA.
Les
Forces françaises de l'intérieur (FFI)
rassemblent, à partir du 1 er février 1944, tous les groupes
armés de la résistance clandestine. Sous la direction du général
Kœnig, les FFI jouent un rôle-clé dans la libération
de la France. Souvent jeunes et mal armés, parfois mobilisés
de la dernière heure, ils apportent une aide précieuse aux troupes
alliées. Leur commandant, pour la région parisienne, est le colonel
Henri Rol-Tanguy.
Fugue
<< Je me souviens de l’impression forte que j’ai éprouvée
lors de ma fugue de janvier 1960 –si forte que je crois
en avoir connu rarement de semblables. C’était l’ivresse
de trancher, d’un seul coup, tous les liens : rupture brutale
et volontaire avec la discipline qu’on vous impose, le
pensionnat, vos maîtres, vos camarades de classe. Désormais,
vous n’aurez plus rien à faire avec ces gens-là ;
rupture avec vos parents qui n’ont pas su vous aimer et
dont vous vous dites qu’il n’y a aucun recours à espérer
d’eux ; sentiment de révolte et de solitude porté à son
incandescence et qui vous coupe le souffle et vous met en état
d’apesanteur. Sans doute l’une des rares occasions
de ma vie où j’ai été vraiment moi-même
et où j’ai marché à mon pas.
Cette extase
ne peut durer longtemps. Elle n’a aucun avenir.
Vous êtes très vite brisé net dans votre élan.
La
fugue –paraît-il- est un appel au secours et
quelquefois une forme de suicide. Vous éprouvez quand
même un bref sentiment d’éternité.
Vous n’avez pas seulement tranché les liens avec
le monde, mais aussi avec le temps. Et il arrive qu’à la
fin d’une matinée, le ciel soit d’un bleu
léger et que rien ne pèse plus sur vous. Les aiguilles
de l’horloge du jardin des Tuileries sont immobiles pour
toujours. Une fourmi n’en finit pas de traverser la tache
de soleil.
Je pense à Dora Bruder. Je me dis que sa fugue n’était
pas aussi simple que la mienne une vingtaine d’années
plus tard, dans un monde redevenu inoffensif. Cette ville de
décembre 1941, son couvre-feu, ses soldats, sa police,
tout lui était hostile et voulait sa perte. A seize ans,
elle avait les monde entier contre elle, sans qu’elle sache
pourquoi.
D’autres rebelles, dans le Paris de ces années-là,
et dans la même solitude que Dora Bruder, lançaient
des grenades sur les Allemands, sur leurs convois et leurs lieux
de réunion. Ils avaient le même âge qu’elle.
Les visages de certains d’entre eux figurent sur l’Affiche
Rouge et je ne peux m’empêcher de les associer, dans
mes pensées, à Dora.>> (Dora
Bruber, 1997, NRF, pages 77 – 79)
La Fuite
<< Tous les personnages de Modiano semblent sur le qui-vive,
prêts à fuir
au moindre danger. En effet, leur vie paraît toujours compromise,
que ce soit à cause de leurs origines ou de leurs activités.
(...) de nombreux personnages sont acculés à fuir,
que ce soit en province, à l’étranger ou dans
les quartiers protégés de la capitale, comme les
boulevards de ceinture ou la périphérie, parce qu’ils
sont en danger. (...) Le désir de fuite estl une
invariante de l’œuvre, corollaire de la sensation d’enfermement
réel, dû à la persécution, ou virtuel,
dans un passé obsédant. Face aux menaces et aux angoisses
que représentent la capitale, l’idée d’un
refuge loin de Paris, à proximité ou au-delà des
frontières, devient l’unique pensée. Le lieu
désiré est à l’écart du monde,
réservé aux êtres traqués, et où ils
peuvent reconquérir une identité, toute relative
qu’elle soit. Le narrateur modianien vit dans l’obsession
de trouver ce lieu rêvé, ce havre hors du monde réservé à un
petit nombre d’élus, loin du tumulte et de l’agitation
de la ville.
>> Carine
Duvillé Errance et Mémoire : Paris et sa topographie
chez Patrick Modiano Mémoirede maitrise, juillet 2000. Paris
IV, Sorbone.
"Pourquoi,
vers dix-huit ans, ai-je quitté le centre
de Paris et rejoint ces régions périphériques
? Je me sentais bien dans ces quartiers, j’y respirais. Ils étaient
un refuge, loin de l’agitation du centre, et un tremplin
vers l’aventure et l’inconnu. Il suffisait de traverser
une place ou de suivre une avenue et Paris était derrière
soi. J’éprouvais une volupté à me sentir à la
lisière de la ville, avec toutes ces lignes de fuite… La
nuit, quand les lampadaires s’allumaient place de la porte
de Champerret, l’avenir me faisait signe." Voyage
de noces.
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