Cahiers.
"Depuis trente ans, je prends des notes dans des cahiers.
Ces cahiers sont le réservoir de tous mes romans. C’est
une espèce de fatras désordonné comprenant
des faits divers, des adresses et des noms que j’ai dénichés
dans de vieux bottins. Si je me laissais aller, je ne ferais que
ça… Ce n’est pas publiable, mais c’est
là que je puise mon inspiration. Et comme j’ai une
certaine faculté d’oubli, je réécris
des choses que j’ai déjà écrites dans
d’autres livres!" La
Tribune de Genève, entretien avec Pascale Frey, 27-02-10
Cahier,
retrouver des personnes* (le)
(...) un jour, dans un cahier, j'ai essayé de récapituler
des gens que j'avais croisés dans ma vie mais dont je n'ai
jamais su ce qu'ils étaient devenus. Il y a un côté
énigmatique dans tout cela qui m'a toujours fasciné.
Je me demande quelles vies sont devenues les leurs. C'est une
situation un peu étrange qui ne trouve pas de conclusion.
Parfois, il s'agit de situations dans lesquelles on était
trente ou quarante ans plus tôt et qui n'ont jamais eu d'avenir.
Ou des lieux que l'on n'arrive plus à retrouver, une rue,
un immeuble, un appartement. Ou encore une chose sur laquelle
on n'a jamais eu d'explication. Ça peut remonter à
l'enfance, parfois. Tout cela forme l'arrière-fond de toute
une vie. On a l'impression que le destin hésitait.
Trouve-t-on un jour les réponses ?
P.M. Non, je ne crois pas. Je crois que ces bribes restent toujours
énigmatiques. Il m'est souvent arrivé d'essayer
de retrouver certaines personnes, ou de trouver une explication
à certaines énigmes du passé, mais à
chaque fois je me suis heurté à une résistance.
Peut-être me suis-je mis moi-même cette résistance
dans la tête... Mais ces choses-là résistent
toujours aux explications. Même si on se livre à
une enquête policière, on n'arrive jamais à
savoir.
"Mon
Paris n'est pas un Paris de nostalgie mais un Paris rêvé"
entretien avec François Busnel (Lire), 04/03/2010
Caméra
invisible (j'ai fait ce rêve d'une)
"
A seize ans, j'ai rêvé, comme beaucoup d'autres,
d'une caméra légère et même invisible
qui permettrait de filmer les rues de Paris, de jour comme de
nuit, et qui capterait les visages et les paroles des passants,
et les suivrait dans leurs aventures quotidiennes sans qu'ils
s'en aperçoivent. Le film que je voyais se projeter sur
l'écran aurait été à la fois un film
de fiction et un documentaire : des histoires d'inconnus se déroulant
dans une lumière naturelle.
«Le terme "prise de vue" n'aurait plus eu de
sens. La caméra aurait été si légère
que l'on n'aurait pas senti son poids sur l'épaule et
qu'elle aurait saisi les regards, les sourires, le mouvement
des feuilles et des nuages, sans les geler sur la pellicule – une
pellicule si sensible qu'elle se serait laissée tout simplement
imprégner par la vie.
«A l'époque où je rêvais de cette
caméra magique, passaient dans les cinémas d'exclusivité des
Champs-Elysées et des Grands Boulevards – ou dans
des salles plus secrètes comme les Agriculteurs – les
premiers films de la Nouvelle Vague. A travers deux ou trois
d'entre eux, j'avais bien senti cette volonté de fuir
le studio pour la rue et la lumière naturelle, et le désir
d'atteindre ce point magnétique où documentaire
et fiction se confondent. D'autres cinéastes, comme Rossellini,
et plus loin encore dans le temps, Jean Vigo, étaient
parvenus, chacun à sa manière, à ce mystérieux équilibre.
«Ceux de la Nouvelle Vague disposaient – paraît-il – d'un
avantage sur leurs aînés : les caméras étaient
plus légères, les pellicules plus sensibles. Les
progrès de la technique facilitaient les choses. Mais
j'ai fini par comprendre que tout cela n'était qu'une
illusion.
«Il n'existera jamais une caméra légère,
sauf celle qu'il faut, chaque fois, bricoler soi-même.
Après quarante ans, on se rend compte que le Cameflex
dont se servait Godard pour A bout de souffle n'était
pas aussi "léger" que cela, puisque son moteur
faisait du bruit et qu'il interdisait la prise de son directe.
Et la pellicule de cinéma n'étant pas aussi sensible
qu'on l'imagine, Godard et Coutard eurent recours à une
pellicule photo pour tourner les séquences de nuit. De
toutes façons, bien avant eux, Jean Vigo et Max Ophuls
avaient su rendre légère et fluide, par on ne sait
quel prodige, une caméra encore plus lourde.
«En regardant l'Atalante ou les Contrebandiers de Moonfleet,
je me disais aussi que la caméra – lourde ou légère – n'était
pas simplement faite pour capter la vie quotidienne ou la lumière
naturelle, mais aussi pour rendre sensibles les vagues de rêves
qui se dégagent des objets les plus usuels : une péniche,
un phonographe, un tatouage, une plage anglaise...
«Mais combien d'efforts, d'énergie et de sang-froid
pour vaincre toutes les lois de la pesanteur liées à l'art
cinématographique... Il m'est vite apparu que, malheureusement,
la caméra ne pourrait jamais avoir la légèreté du
stylo. Chaque image qui m'émouvait dans un film en me
donnant la sensation de la fragilité, de l'éphémère
et du naturel – ces images qui vous font dire : oui, la
vie, c'est comme ça – avait été le
résultat d'un bricolage, parce que les instruments mis à votre
disposition étaient insuffisants. Chaque fois, il avait
fallu se construire de bric et de broc son propre Stradivarius
pour jouer sa partition. Et souvent il avait été nécessaire
de se défendre contre le producteur, de pallier, comme
Orson Welles, un brusque manque d'argent en improvisant une séquence
dans un hammam, ou comme Rossellini, de filmer sur des chutes
de pellicule, ou d'attendre la trente-cinquième prise
pour parvenir enfin à capter l'enfant radieuse qu'était
Marilyn Monroe. Et quand vous aviez achevé par miracle
votre film, on le défigurait à coups de ciseaux,
sans prévenir, comme il était arrivé à Stroheim, à Vigo, à Welles
ou à Ophuls... Décidément, si on l'envisageait
comme un art, le cinéma avait été quelquefois
bien éprouvant et cruel pour les artistes. «C'est
essayer d'écrire Guerre et Paix dans une auto tamponneuse»,
disait Stanley Kubrick.
«Je savais bien que Baudelaire ou Flaubert n'avaient pas été ménagés
par la vie, mais les procureurs de la chambre correctionnelle
où ils avaient comparu pour outrage à la morale
publique ne sont pas parvenus, en définitive, à mutiler
leurs œuvres. Et un souci, au moins, leur avait été épargné :
celui de trouver un producteur et de persuader madame Boucicaut,
par exemple, de financer les Fleurs du Mal et Madame Bovary.
«Qu'est-ce qui décide certaines personnes, quand
elles sont au carrefour du cinéma et de la littérature, à prendre
un chemin plutôt que l'autre ? Godard a confié qu'à vingt
ans il avait voulu écrire un roman. Il avait écrit
la première phrase, mais la seconde n'était jamais
venue.
«Il
faut dire que le stylo n'est pas aussi léger
qu'il semble au premier abord. Il peut lui aussi peser des tonnes,
et toute une vie est parfois nécessaire pour essayer de
rendre son stylo aussi léger que le rêve d'une caméra
légère.». Libération, 13-03-99, Les
objets du siècle.
Camp
de Drancy Le camp où est passée
Dora Bruber.
Capitulation
allemande sans condition, Reims, 1945
Les Soviétiques hissent le drapeau rouge au sommet du Reichstag,
puis exigent une capitulation sans condition. Goebbels se donne
la mort après avoir tué ses six enfants. C'est donc
l'amiral Dônitz, que Hilter a désigné pour
successeur dans son testament, qui regroupe les forces allemandes
et engage le processus de capitulation, signée à
Reims le 7 mai à 2 h 45 au quartier général
d'Eisenhower et ratifiée le 8 à Berlin, au quartier
général de Joukov. Ainsi s'effondre exsangue le
Reich qui devait " durer mille ans ".
Carnets
autobiographiques
"En fait, Un pedigree est le condensé d'un travail
beaucoup plus long, beaucoup plus étendu, qui ressemblait
un peu à des Mémoires. C'est presque un extrait
d'un truc plus long.
Que vous publierez un jour ?
P.M. Je ne sais pas. C'est difficile. Il faut trouver la même
distance, c'est très compliqué. Il existe, en effet,
une vingtaine de cahiers. Mais il faudrait... Ce serait... J'ai
tiré cent vingt pages de ces cahiers pour Un pedigree.
Faut-il publier le reste ? Je ne sais vraiment pas. Ce serait
bizarre.
Pourquoi ?
P.M. Parce qu'on verrait tout ce qui m'a permis d'écrire
mes autres livres, mes romans. Ce serait comme une machine dont
on verrait les arrière-fonds, les fondations... Ce serait
très bizarre. Ce serait comme de voir tout le grouillement
des romans... Quelle étrange impression !
Cela vous déplaît ?
P.M. Je préfère les romans tels qu'ils ont été
publiés. Tous sont des espèces d'autobiographie.
Mes livres sont faits de bric et de broc autobiographique. Mais
publier ces carnets... Je ne sais pas." "Mon
Paris n'est pas un Paris de nostalgie mais un Paris rêvé"
entretien avec François Busnel (Lire), 04/03/2010
Cathédrale
fragmentaire
"J'ai souvent le sentiment que des gens de ma génération
ont une infirmité par rapport à ceux de la génération précédente:
notre pouvoir de concentration s'est affaibli. La génération précédente
est parvenue à faire une oeuvre globale, une sorte de cathédrale.
Je pense à Proust ou à Lawrence Durrell et à son Quatuor d'Alexandrie.
Ces gens vivaient dans un monde où l'on pouvait se concentrer
davantage tandis que pour les gens de ma génération, c'est fragmentaire.
On arrive peut-être à faire un truc global, mais avec des fragments,
si vous voulez..."
Entretien avec Laurence Liban, Lire, octobre 2003.
Catherine
certitude [1988],
illustrations de Sempé , Albums, Gallimard Jeunesse ;
Collection Folio junior
Résumé
de l'éditeur
<< Comme son papa, Catherine
Certitude porte des lunettes. Et une paire de lunettes, cela complique
parfois la vie : par exemple lorsqu'elle est obligée de les enlever
au cours de danse. Car Catherine rêve de devenir une grande danseuse
comme sa maman qui vit à New York. Mais ses lunettes lui offrent
l'avantage de pouvoir vivre dans deux mondes différents : le monde
réel, tel qu'elle le voit, quand elle les porte, et un monde plein
de douceur, flou et sans aspérité si elle les ôte.
Un monde où elle danse comme dans un rêve...>>
CAU
(jean)
"Écrivain
français (Bram, 1925 — Paris, 1993).
Membre de la jeunesse existentialiste, secrétaire de Sartre,
prix Goncourt en 1961 (la Pitié de Dieu), Jean Cau rompt
avec le philosophe (le Meurtre d'un enfant, 1965), se rapproche
du général de Gaulle et se consacre au pamphlet
(Ma misogynie, 1972; Discours de la décadence, 1978). L'audience
de ce porte-parole d'une droite virulente est assurée dans
ses articles (Paris-Match, l'Express..) et au théâtre
(le Maître du monde, 1963; Pauvre France, 1972) par un ton
violemment caustique et un goût prononcé pour la
polémique. En 1995, parut son ouvrage posthume l'Orgueil
des mots." .Encyclopédie
Hachette
Amie de la mère de Modiano il préfaça
La Place de l'Etoile
Chanson
Elle lit
Des romans-photos
Dans le métro...
L'ingénieur aux tempes grises
Séduira-t-il la souris grise
Le charmant torero
Épousera-t-il la dactylo
Elle lit
Des romans-photos
Dans le métro...
Elle se demande si la bergère
Finira par épouser
Le fils de la duchesse douairière
Après deux ou trois baisers
Et si le riche planteur
Dans son île
Filera le parfait bonheur
Avec la belle écuyère
Et si le Corse au grand cœur
Vengera sa petite sœur
Elle lit
Des romans-photos
Dans le métro
Mais c'est l'heure du boulot
Finis les romans-photos
Au bureau, à l'usine
Au chantier, à la mine
Vous vous reposerez
Quand vous serez au tombeau...
Elle lisait des romans-photos
Elle lisait des romans-photos
Elle s'est jetée sous le métro
Avec ses romans-photos
A la station Trocadéro...
Écrit par Patrick Modiano, composé et interprété par
Hughes de Courson (Ballon Noir, 1967)
Chronologies,
Le siècle de Modiano
Louis
Ferdinand CELINE
Louis
Ferdinand CÉLINE (1)
Dictionnaire des mots de Louis Ferdinand CÉLINE. Restituer
les usages de la langue de Céline à travers son lexique ; tisser
un réseau de références en matière de critique célinienne. Projet
en cours d'élaboration.
Louis-Ferdinand
CELINE (2)
Informations générales sur Céline, utiles pour une première approche
de l'œuvre. Sa vie et son oeuvre : romans, théâtre, ballets, pamphlets,
correspondances, bibliographie, actualité, jugements de critiques
et d'écrivains.
Cercle
invisible
" Les lecteurs de Patrick Modiano le savent, l'éprouvent :
on entre dans ses romans comme dans un cercle invisible.
On est pris, happé par le monde que ses personnages habitent et
hantent. Rapt infiniment heureux puisqu'il a la sympathie comme
loi fondamentale et un plaisir sans tache comme rémunération.
On a beaucoup glosé sur la manière, sur la musique si singulière
et entêtante de Modiano. Et l'analyse est loin d'être achevée.
Mais il faudrait parler également de l'effet tout aussi particulier
que sa lecture suscite. Il faudrait se regarder soi-même, imperceptiblement
enrichi d'une sensation que l'on ne peut nommer tant elle est
proche et intime. Tant elle renvoie, mystérieusement, à sa propre
mémoire." Patrick
Modiano, géographe des nuits de Paris par Patrick Kéchidian,
le Monde du 3 octobre 03
Le
Chagrin et la pitié (Réalisé en
1967 par Marcel Ophuls en collaboration avec André Harris
et Alain de Sédouy)
<< Long documentaire de quatre heures, Le Chagrin
et la pitié analyse
la situation de la France entre 1940 et 1944 alors que le pays était
occupé par les troupes allemandes, tandis qu'un gouvernement
de droite français siégeait à Vichy. S'il était
loin d'être partisan de l'Allemagne nazie, ce gouvernement
dans son ensemble n'en considérait pas moins la victoire
des Allemands comme inéluctable et se montrait par la
force des choses docile à la collaboration qui s'avéra
un marché de dupes pour les deux parties.
Le
film est un montage de matériaux très divers:
archives et bandes d'actualité de la période 40-44,
extraits de longs métrages allemands et de films de propagande
de Vichy et, surtout, interviews d'un certain nombre de personnes
(célèbres ou anonymes) qui donnent leurs positions
personnelles par rapport aux événements qu'elles
ont vécus.
Le
Chagrin et la pitié rappelait aux Français
ce qui s'était réellement passé pendant
cette période: comment la France s'est effondrée
sous l'inexorable avance de la puissance allemande; comment le
gouvernement de Vichy a cru apaiser l'Allemagne nazie en proclamant
la 'Révolution nationale', substituant à la traditionnelle
devise de 'Liberté, Egalité, Fraternité'
celle de 'Travail, Famille, Patrie'; par quel état d'esprit
des expositions antijuives ont pu être montées ou
des acteurs français ont pu doubler dans notre langue
des films tels que la célebre production antisémite Le Juif Süss (Jud
Süss, 1940) de Veit Harlan.
Dans
la mesure où il obligea les Français à se
pencher sur leur passé, Le Chagrin et la pitié fut
loin d'être inutile. Mais il fut cependant dépassé par
la tourmente politique qu'il déclencha. On peut le rattacher à un
vaste courant de programmation destinée au grand public;
en effet, au cours des années 70, les télévisions
européennes s'attachèrent à exhumer les
archives filmées pour reconstruire l'histoire contemporaine
du continent. Il est d'ailleurs symptomatique que Le Chagrin
et la pitié ait été produit par un organisme
d'Etat: l'Office de Radiodiffusion-Télévision Francaise
(O.R.T.F.). Dans la France gaulliste d'alors, la Résistance était
non seulement considérée comme une brillante page
d'histoire, mais aussi comme le creuset où s'eetaient
forgées l'unité et la force de la nation. Le tableau
que le film donnait des années 40 allait à l'encontre
de cette image idéale. Dans ces circonstances, on ne saurait
s'étonner que le film ait été interdit de
diffusion sur le petit écran. Exploité dans un
cinéma d'art et d'essai parisien, il connut un tel succès
qu'il fallut le programmer dans une salle plus importante. S'ensuivit
une polémique aiguë.
Si
le film ne parvient pas à rendre vraiment compte de
la situation de la France occupée et vichyssoise, c'est
probablement à cause de son parti pris d'interviews inégalement
objectives. Le ton du film change en effet en fonction des interviewés.
Le matériel que l'on juxtapose directement à un
entretien, le ton du journaliste... tout varie de façon
involontairement révélatrice, bien qu'a première
vue la même importance ait été accordée
au témoignage des héros de la Résistance
et des combattants de la France libre, à ceux des espions
britanniques, des hommes politiques français, des collaborateurs
déclarés ou des adversaires de la France.
Le
film tire sa force du fait même qu'il rappelle l'importance
de la collaboration - révélant ainsi que la France était
loin à cette époque d'être unanimement gaulliste
- mais sa faiblesse tient à la façon qu'il a de
présenter la collaboration comme le résultat d'attitudes
purement individuelles. Le film souffre de cette propension,
inhérente à la plupart des émissions historiques
télévisées, à n'étayer un
fait historique que sur des témoignages individuels en
excluant toute approche d'ensemble des données d'un phénomène
historique telle que l'étude des structures sociales,
des institutions politiques ou des mentalités.
La
gauche française a parfois déploré que
l'effacement de la Résistance dans le film ait contribué à réhabiliter
la droite collaborationniste et facilité son revirement
ultérieur en faveur de la droite gaulliste. Mais c'est
peut-être ce "flou" politique qui fait tout l'intérêt
du film. Il fourmille de personnages hauts en couleur: le paysan
héros de la Résistance, bourru et jovial; le vétéran
de la division Charlemagne (division de la Waffen SS formée
de volontaires français qui ont combattu sur le front
russe) expliquant tranquillement, avec autant de bonne foi que
d'autosatisfaction, pourquoi il était logique que la jeunesse
de la classe sociale à laquelle il appartenait fit comme
lui en 1940; l'espion anglais homosexuel qui vécut avec
un officier allemand pour mieux transmettre des renseignements à Londres;
l'irréductible officier d'infanterie allemand qui, près
de trente ans après la guerre, justifie sa conduite en
France occupée.
Politiquement,
Le Chagrin et la pitié est un échec
relatif parce que le pittoresque y occulte trop souvent l'analyse
historique, seule à même de donner des leçons
politiques. Comme l'a bien souligné Alfred Fabre-Luce,
on ne rend pas compte d'une situation moyenne par la juxtaposition
symétrique de cas extrêmes.>>
Le
Cinéma français.1960-1985 sous
la direction de Philippe de Comes et Michel Marmin avec la
collaboration de
Jean Arnoulx et Guy Braucourt. Paris: Editions Atlas, 1985. 76-77.
Chansons
françaises pendant la Guerre de 1939 à 1945
"Ça fait d'excellents français"
Chanson
de G.van Parys et J.Boyer chantée
par Maurice Chevalier, 1939.
"
Le colonel était dans la finance,
Le commandant était dans l'industrie,
Le capitaine était dans l'assurance,
Et le lieutenant était dans l'épicerie.
Le juteux était huissier de la banque de France,
Le sergent était boulanger-patissier,
Le caporal était dans l'ignorance
Et le 2e classe était rentier. Et tout ça, ça fait
D'excellents Français,
D'excellents soldats,
Qui marchent au pas.
Ils n'en avaient plus l'habitude
Mais c'est comme la bicyclette ça s'oublie pas.
Et tous ces gaillards,
Qui pour la plupart,
Ont des gosses qu'ont leur certificat d'étude,
Oui tous ces braves gens
Sont partis chiquement,
Pour faire tout comme jadis
C'que leurs pères ont fait pour leurs fils.
Le colonel avait de l'albumine,
Le commandant souffrait du gros colon,
Le capitaine avait bien mauvaise mine,
Et le lieutenant avait des ganglions.
Le juteux avait des coliques néphrétiques,
Le sergent avait le pilor atrophié,
Le caporal un cor isachronique
Et le 2e classe des cors aux pieds.
Et tout ça, ça fait
D'excellents Français,
D'excellents soldats,
Qui marchent au pas.
Oubliant dans cette aventure,
Qu'ils étaient douillets, fragiles et délicats.
Et tous ces gaillards,
Qui pour la plupart,
Prenaient des cachets, des gouttes et des mixtures,
Les v'là bien portants,
Tout comme à vingt ans.
D'où vient ce miracle là ?
Mais du pinard et du tabac !
Le colonel était de l'Action française,
Le commandant était un modéré,
Le capitaine était pour le diocèse,
Et le lieutenant boulottait du curé.
Le juteux était un fervent extrémiste,
Le sergent un socialiste convaincu,
Le caporal, inscrit sur toutes les listes,
Et le 2e classe au PMU !
Et tout ça, ça fait
D'excellents Français,
D'excellents soldats,
Qui marchent au pas.
En pensant que la République,
C'est encore le meilleur régime ici bas.
Et tous ces gaillards,
Qui pour la plupart,
N'étaient pas du même avis en politique,
Les v'là tous d'accord,
Quel que soit leur sort,
Ils désirent tous désormais,
Qu'on nous foute une bonne fois la paix !
" Paris sera toujours Paris"
Chanson
de C.Oberfeld et A.Willemetz chantée
par Maurice Chevalier, 1939.
Par précaution on a beau mettre,
Des croisillons à nos fenêtres,
Passer au bleu nos devantures,
Et jusqu'aux pneus de nos voitures,
Désentoiler tous nos musées,
Chambouler les Champs-Elysées,
Emmailloter de terre battue,
Toutes les beautés de nos statues,
Voiler le soir les réverbères,
Plonger dans le noir la ville lumière. Paris sera toujours Paris, la plus belle ville monde.
Malgré l'obscurité profonde,
Son éclat ne peut être assombri.
Paris sera toujours Paris, plus on réduit son éclairage
Plus on voit briller son courage,
Sa bonne humeur et son esprit.
Paris sera toujours Paris
Pour qu'à ce bruit
Chacun s'entraîne,
On fait la nuit
Jouer de la sirène.
Nous contraindre à faire le zouave
En pyjama dans notre cave.
On aura beau par des oukases,
Nous couper l'veau et même le jazz,
Nous imposer le masque à gaz,
Les mots croisés à quatre cases,
Nous obliger dans nos demeures,
A nous coucher tous à neuf, dix, onze heuresŠ
Refrain
Bien que ma foi depuis octobre,
Les robes soient beaucoup plus sobres,
Qu'il y ait moins de fleurs et moins d'aigrettes,
Que les couleurs soient plus discrètes,
Bien qu'au gala on élimine les chinchillas et les hermines,
Que les bijoux pleins de décence,
Brillent surtout par leur absence.
Que la beauté soit moins voyante,
Moins effrontée, moins froufroutante
Paris sera toujours Paris, la plus belle fille monde.
Paris sera toujours Paris, on peut limiter ses dépenses,
Sa distinction, son élégance,
N'en ont alors que plus de prix,
Paris sera toujours Paris !
" Ca sent si bon la France"
Chanson
de Louiguy et J.Larne chantée
par Maurice Chevalier, 1941.
Quand on a roulé sur la terre entière,
On meurt d'envie de retour dans le train
Le nez au carreau d'ouvrir la portière,
Et d'embrasser tout comme du bon pain.
Ce vieux clocher dans le soleil couchant
Ca sent si bon la France !
Ces grands blés mûrs emplis de fleurs des champs,
Ca sent si bon la France !
Ce jardinet où l'on voit "Chien méchant"
Ca sent si bon la France !
A chaque gare un murmure,
En passant vous saisit :
" Paris direct, en voiture"
Oh ça sent bon le pays !
On arrive enfin, fini le voyage.
Un vieux copain vient vous sauter au cou.
Il a l'air heureux, on l'est davantage,
Car en sortant tout vous en fiche un coup.
Le long des rues ces refrains de chez nous,
Ca sent si bon la France !
Sur un trottoir ce clochard aux yeux doux,
Ca sent si bon la France !
Ces gens qui passent en dehors des clous,
Ca sent si bon la France !
Les moineaux qui vous effleurent,
La gouaille des titis,
" Paris Midi,
Dernière heure."
Oh ça sent bon le pays !
Et tout doucement, la vie recommence,
On s'était promis de tout avaler.
Mais les rêves bleus, les projets immenses,
Pour quelques jours on les laisse filer.
Cette brunette aux yeux de paradis,
Oh ça sent si bon la France !
Le PMU qui ferme avant midi "Oh là, oh là là !"
Ca sent si bon la France !
Le petit bar où l'on vous fait crédit.
Oh ça sent si bon la France !
C'est samedi faut plus s'en faire, repos jusqu'à lundi
!
Belote et re-, dix de der.
Ca sent bon le pays !
Quel pays ?
Mais ça sent bon notre pays, mais oui !
" Fleur de Paris"
Chanson
de H.Bourtavre et M.Vandair chantée
par Maurice Chevalier, 1945.
Mon épicier l'avait gardée dans son comptoir,
Le percepteur la conservait dans son tiroir,
La fleur si belle de notre espoir.
Le pharmacien la dorlotait dans un bocal,
L'ex-caporal en parlait à l'ex-général
Car c'était elle notre idéal.
C'est une fleur de Paris,
Du vieux Paris qui sourit,
Car c'est la fleur du retour,
Du retour des beaux jours.
Pendant quatre ans dans nos coeurs,
Elle a gardé ses couleurs,
Bleu, blanc, rouge avec l'espoir elle a fleuri,
Fleur de Paris.
C'est une fleur de chez nous,
Elle a fleuri de partout
Car c'est la fleur du retour,
Du retour des beaux jours.
Pendant quatre ans dans nos coeurs,
Elle a gardé ses couleurs,
Bleu, blanc, rouge elle était vraiment avant tout,
Fleur de chez nous.
La
chaussure
"Je ne pouvais plus détacher les yeux de cette chaussure.
Plus tard quand ma vie aurait pris un cours nouveau, il faudrait
toujours qu'elle restât à la portée de mon regard, bien en évidence
sur une cheminée ou dans une boîte vitrée, en souvenir du passé.
Et à ceux qui voudraient en savoir plus sur cet objet, je répondrais
que c'était la seule chose que mes parents m'avaient léguée ;
oui, aussi loin que je remontais dans mes souvenirs, j'avais toujours
marché avec une seule chaussure. A cette pensée, j'ai fermé les
yeux et le sommeil est venu dans un fou rire silencieux."
(Accident
nocturne, Roman, 2003 p 21)
CHIEN
DE PRINTEMPS
Chien
de Printemps [1993]
Quatrième de couverture
<< Il faut croire que parfois notre mémoire
connaît
un processus analogue à celui des photos PolaroÏd.
Pendant près
de trente ans, je n'ai guère pensé à Jansen.
Nos rencontres avaient eu lieu dans un laps de temps très
court. Il a quitté la France au mois de juin 1964, et
j'écris ces lignes en avril 1992. Je n'ai jamais eu de
nouvelles de lui et j'ignore s'il est mort ou vivant. Son souvenir était
resté en hibernation et voilà qu'il resurgit au
début de ce printemps 1992. Est -ce parce que j'ai retrouvé la
photo de mon amie et moi, au dos de laquelle un tampon aux lettres
bleues indique: Photo Jansen. Reproduction interdite? Ou bien
pour la simple raison que les printemps se ressemblent ? >>
Chien de printemps, Résumé
Francis Jansen, un photographe que le narrateur a rencontré dans
sa jeunesse, était natif d'Anvers, de nationalité italienne
par sa
mère, et disparu au Mexique en juin 1964, avec trois valises
de photographies contenant l'essentiel de son oeuvre. Jansen
enseignait volontiers qu'un photographe n'est rien, qu'il
doit se fondre dans le décor et devenir invisible pour mieux
travailler et "capter", comme il disait, la
"lumière
naturelle". Ami et disciple du grand Robert Capa (avec
qui il avait couvert le Tour de France de 1939 mais aussi
la chute de Berlin en 1945); Il sembe que la mort du fondateur
de l'Agence Magnum, en Indochine, l'est affecté au point
que, la mélancolie seule, dans les dernières années de sa
"carrière" parisienne, actionnait son Rolleiflex. Francis
Jansen photographiait des bords de trottoirs, des affiches
lacérées sur des palissades, des chiens errants et des artistes
de cabarets, des femmes à la margelle, des pavés, l'ombre
des platanes, des rideaux d'arbres et des clochers, à la
recherche d'une innoncence ou d'un bonheur égarés. Le futur
romancier qui lui rendait visite le surprit même
un jour, tête baissée, comme assoupit sur un banc des Champs-Elysées
: Francis Jansen photographiait ses chaussures. Quand son
son jeune visiteur s'étonnait de la feinte désinvolture de
ses chasses, Francis Jansen lui répondait qu'il faut "prendre
les choses en douceur et en sislence sinon elles se rétractent."
D'après Jean-Louis Ezine, Le Nouvel Observateur
du 14 octobre 1993.
Chien
de printemps, premières pages
Chien de printemps, quatrième
de couverture
" Il faut croire que parfois notre mémoire
connaît un processus analogue à celui des photos
PolaroÏd. Pendant près de trente ans, je n'ai guère
pensé à Jansen. Nos rencontres avaient eu lieu
dans un laps de temps très court. Il a quitté la
France au mois de juin 1964, et j'écris ces lignes en
avril 1992. Je n'ai jamais eu de nouvelles de lui et j'ignore
s'il est mort ou vivant. Son souvenir était resté en
hibernation et voilà qu'il resurgit au début de
ce printemps 1992. Est -ce parce que j'ai retrouvé la
photo de mon amie et moi, au dos de laquelle un tampon aux lettres
bleues indique: Photo Jansen. Reproduction interdite? Ou bien
pour la simple raison que les printemps se ressemblent ?"
Chien de printemps : noms,
lieux, objets
Noms : Francis Jansen ; Colette Laurent ; Robert
Capa ; Nicole ; Jacques Besse ; Eugène Deckers ; Michel
L ; Lemoine ; Dr Henry de Meyendorff ; Gérard Philippe
; mime Gil ; Jules Laforgue ; Tristan Corbière ; Leslie
Charteris ; docteur Tennent ; Jean Monvallier ; Suzanne ; Raymond
; Robert ;
Lieux,
Objets : Place Denfert-Rochereau ; Rolleiflex ; rue
Froidevaux ; le Bottin ; Jardin de l'Observatoire ; Anvers
; Bruxelles ;
Belgique ; Paris ; Barcelone ; Figueras ; Etats-Unis ; magazine
Tempo ; camp de Drancy ; consulat d'Italie ; Haute-Savoie ; Berlin
; agence Magnum ; Mexique ; Cuernavaca ; Suisse ; Genève
; Rue Saint-Guillaume ; Bd Saint-Germain ; Quai d'Austerlitz
; gare de Lyon ; Deauville ; avenue d e la République
; hôtel Royal ; Quai de Passy ; hameau du Danube ; poterne
des Peupliers ; rue du Bois-des-Caures ; boulevard Raspail ;
l'Ecole buissonnière ; la Contrescarpe ; Ulm ; Rataud
; Claude-Bernard ; Pierre-et-Marie-Curie ; Montagne Sainte-Geneviève
; rue d'Ecosse ; rue Ribéra ; Fonssombrone ; Seine-et-Marne
; Melun ; Chailly-en-Bière ; boulevard Bonne nouvelle
; théâtre du Gymnase ; rue Boissade ; centre Américain
; Jardin du Luxembourg ; rue Auber ; Grands Boulevards ; faubourg
Saint-Honnoré ; avenue du Maine ; rue Delambre ; bd Saint-Michel
; Port-Royal ; rue Royer-Collard ; Cassis ; Wols ; Boulogne ;
Haute-Savoie ; rue des Cascades ; bd Saint-Michel ; gare du Luxembourg
; l'Ecole des Mines ; Livry-Gargan ; Eze-sur-Mer ; Nice ; la-Ferté-Alais
Chien
de Printemps Appel à témoins par Hugo
Marsan
<< A l'opposé des autres romanciers qui prennent la place
de Dieu Patrick Modiano se glisse parmi nous aussi démuni
que ses personnages
Modiano écrit simple. Cette formule laconique résumerait
le talent du romancier. Cela seul n'explique pas l'envoûtement
douloureux de ses livres. Un lecteur attentif peut alors s'interroger
sur l'opportunité de phrases apparemment inutiles : " Ce
soir-là, j'ai feuilleté Neige et soleil. Jansen
m'avait dit qu'il n'était pas responsable de ce titre
anodin et que l'éditeur suisse l'avait choisi lui-même,
sans lui demander son avis. " Le narrateur, un tout jeune
homme, s'interroge sur la vie de ce photographe plus âgé,
rencontré par hasard. L'album de photographies, Neige
et soleil, au titre si " anodin ", dont il traque les
clichés avec avidité, fait partie des indices.
Le jeune garçon (c'est en 1964, il a dix-neuf ans) veut
comprendre l'homme derrière le créateur, persuadé que
le tumulte de l'existence s'incruste dans l’œuvre.
Chaque mot de la phrase citée prend alors une autre résonance.
La réalité fondrait comme neige au soleil dès
l'instant où elle est captée par la pellicule (imprimée
sur la page). Les mots ne sont pas anodins : grâce à eux,
les individus deviennent des personnages. Ils acquièrent
l'éternité, mais sacrifient les étapes conventionnelles
de l'existence. Orphée emprisonne son chant dans les miroirs,
privé alors d'espérances, dont celle d'envisager
la durée comme une victoire.
L'écrivain, le photographe, sont responsables de ces instantanés
en noir et blanc que l'on croit pouvoir enfouir dans une malle
_ là où Francis Jansen entassait pêle-mêle
ses photographies, _ mais qui figent l'émotion, immobilisent
le réel. Jansen fuit, abandonne son oeuvre. Acte abominable
aux yeux du témoin qui, trente ans après, écrira
son roman (celui que nous lisons), obsédé par ces
quelques mois où il tenta de démasquer Jansen.
Deux printemps entre lesquels s'est écoulée la
longue jeunesse du romancier, dont nous ne saurons rien, sinon
qu'il peut, à chaque roman, annuler le temps et recréer
une illusion de réel. Sous sa surface de velours, Chien
de printemps est un livre coup de poing, qui affronte les obsessions
capitales de l'écrivain : la gratuité ineffable
de la création, les traquenards de la mémoire et
la permanence de la mort.
Les romans de Modiano se réduisent à l'épure.
Les mots y sont manipulés avec soin et prudence. Les phrases
sont des pièges où s'engluent des vies fictives.
Le romancier s'empare de l'autre comme de son jumeau, croisé,
entrevu, pourchassé sans doute, mais qui ne nous dévoilera
jamais l'épreuve de la mort. Modiano nous fascine, mais
nous fait peur. Il s'en excuse : son écriture se fait
limpide (anodine) afin de cacher ce travail de deuil. Notre vie
ne serait que le rêve d'un dieu fatigué.
D'éternels jeunes fantômes.
Modiano ne témoigne pas du temps visible. Il nous entraîne
dans un no man's land qui pourrait être aussi bien l'antichambre
de la mort que la plus reculée des chambres de la vie.
Modiano écrit des romans noirs. Sans jamais commenter
les affres de l'existence, il en révèle l'arbitraire.
Mais à l'opposé des autres romanciers qui prennent
la place de Dieu, il se glisse parmi nous, aussi démuni
que ses personnages. Chien de printemps est la mise en fiction
de l'écrivain Modiano se livrant à l'alchimie du
roman, désespéré de ne pouvoir dire l'espérance.
Francis Jansen abandonne une femme qui l'aime et décampe
face au mari jaloux (profession : mime) qui gesticule et menace
: du vaudeville. Mais il importe peu d'évaluer ses échecs
et ses lâchetés. Cela seul qui semble compter, c'est
ce signe mystérieux qu'il a lancé avant de disparaître,
sa présence dans le regard du narrateur. Les personnages
de Modiano sont d'éternels jeunes fantômes de chair.
L'amour serait un sentiment d'angoisse lorsque surgit ce double " mort à notre
place à une date et dans un lieu inconnus ". L'écrivain
a pour mission, puisque " son ombre finit par se confondre
avec nous ", de raconter cette vie ou de la suggérer,
de nous réveiller de l'amnésie.
De susciter aussi notre responsabilité historique. C'est
la mémoire de l'image. Sur la photographie, un inconnu
nous regarde : " Son regard à lui, un regard dont
je me rappelle l'expression triste et attentive. " Quelle
horreur découvre-t-il que nous ne pouvons qu'imaginer
? Là est notre véritable torture, dans cet instant
où Modiano suggère la douleur de l'autre, un autre
poursuivi en vain, qui nous tourne le dos et ne nous dévoilera
pas ce qu'il a déjà vu, que nous devinons sans
y croire encore. Patrick Modiano possède le don de faire
percevoir ce silence, l'émergence ralentie d'un désarroi
essentiel.>> HUGO MARSAN Le Monde du 28
novembre 1993
Chien
de Printemps, La mémoire en fuite par Corine Lesnes
<< Le
livre commence sur une note de hasard, comme tous les Modiano.
Le narrateur se trouvait dans un café de la place Denfert-Rochereau
avec une fille dont on ne sait rien, sinon qu'elle a dix-neuf
ans comme lui, un âge
où l'on est souvent « entraîné dans de curieuses
compagnies ».
A l'époque, c'était en 1964, on ne disait pas « une fille »,
on disait « une amie » et les numéros de téléphone
commençaient par des lettres. Danton 75-21. La fille et lui rencontrent
un photographe. C'est Francis Jansen, un ami de Robert Capa. Presque son frère
cadet, son double. Les deux hommes ont couvert ensemble la guerre d'Espagne
puis le Tour de France. Au début de la guerre, ils ont pris des chemins
différents. Capa est parti pour les Etats-Unis. Au dernier moment, Jansen
a préféré rester. Juif de nationalité italienne,
il a été libéré du camp de Drancy grâce au
consulat d'Italie. Une photo de 1945 montre les retrouvailles des deux amis
dans les ruines de Berlin. Jansen est aussi maigre, timide et blond que l'autre
est brun et joyeux.
Vingt-huit ans ont passé. De ce photographe, le narrateur entend raconter
le peu de choses qu'il sait. Par politesse, le jeune homme de 1964 s'est intéressé au
travail de l'artiste. Il l'a accompagné à l'atelier de la rue
Froidevaux. Par désoeuvrement, il s'est mis à classer les photos.
Il n'a pas posé de questions. Simplement, il a saisi quelques instants.
Une expression, qui revient souvent : « chien de printemps ». Une
fête d'adieu, donnée pour quatre amis dont on saura très
peu. A l'atelier, le jeune homme joue les standardistes. Jansen fait toujours
dire qu'il n'est pas là. Le jeune homme devine la fêlure, respecte
la réserve. Des coïncidences traversent l'ouvrage, reliant les
personnages. Elles arrachent au narrateur quelques souvenirs d'enfance. Mais, à l'image
de Jansen, il s'efforce surtout de suggérer le silence.
Tout est si authentique que tout a l'air vrai. A son habitude, Modiano exerce
son souci du détail jusqu'à l'étrangeté. On dirait
une enquête, et le biographe a versé ses pièces au dossier.
Artiste anonyme, Jansen passe à la postérité. Ses amis
habitent à Fossombrone (Seine-et-Marne). Il a publié un album
aux éditions de la Colombière, à Genève. Modiano
n'omet que l'essentiel. Jansen n'existe pas. Finalement, Jansen qui n'existe
pas s'en va, décidé à se faire oublier. Un frère,
un double, est mort à notre place, dit Modiano, « et son ombre
finit par se confondre avec nous ».>> CORINE LESNES Le 24 Juin 1995
Chien
de printemps, "Si la photo est bonne..." par Jean-Louis
Ezine
<<
La photographie n'est ni un art ni une technique: c'est une
magie, un sortilège qui joue sur les frontières
du temps et les marges du réel. Les boîtes à œilletons
qui en sont l'instrument, Barthes les appelait des«horloges à voir».
Elles donnent à regarder ce qui n'est plus, et ce commerce
de fantômes dans la chambre noire des instants révolus
a toujours fasciné les écrivains. Ce n'est sans
doute pas un hasard si Pellerin, un personnage que Flaubert n'installe
dans «l'Education sentimentale» que pour préfigurer
Bouvard et Pécuchet, vient à la photographie après
avoir tâté du fouriérisme, de l'homéopathie,
des tables tournantes, de l'art gothique et de la peinture humanitaire.
Francis Jansen, un photographe que Patrick Modiano a rencontré dans
sa jeunesse, et dont il tente de reconstituer l'étrange
parcours dans «Chien de printemps», était
lui aussi un amateur de spiritisme. C'est du moins ce que laisse
supposer sa présence régulière aux séances
qu'organisait Mme de Meyendorff en son moulin de Fossombrone
(Seine-et-Marne). Natif d'Anvers mais de nationalité italienne
par sa mère, et disparu sans laisser de traces au Mexique,
en juin 1964, avec trois valises contenant l'essentiel de son œuvre
pelliculée, Francis Jansen enseignait volontiers qu'un
photographe n'est rien, qu'il doit se fondre dans le décor
et devenir invisible pour mieux travailler et «capter,
comme il disait, la lumière naturelle».
Ami et disciple du grand Robert Capa (avec qui il avait couvert
le Tour de France en 1939, mais aussi la chute de Berlin en 1945),
il semble que la mort du fondateur de l'agence Magnum, en Indochine,
l'ait affecté au point que la mélancolie seule,
dans les dernières années de sa «carrière» parisienne,
actionnait son Rolleiflex. Francis Jansen photographiait des
bords de trottoirs, des affiches lacérées sur des
palissades, des chiens errants et des artistes de cabaret, des
femmes à la margelle, des pavés à l'ombre
des platanes, des rideaux d'arbres et des clochers, à la
recherche d'une innocence ou d'un bonheur égarés.
Le futur romancier qui lui rendait visite le surprit même
un jour, tête baissée, comme assoupi sur un banc
des Champs-Elysées: Francis Jansen photographiait ses
chaussures.
En somme, il disparaissait. Quand son jeune visiteur s'étonnait
de la feinte désinvolture de ses chasses, le Rollei en
bandoulière et l'œil triste, Jansen lui répondait
qu'il faut «prendre les choses en douceur et en silence
sinon elles se rétractent». On voit par là qu'ils étaient
faits pour se rencontrer, Patrick Modiano et lui. Francis Jansen,
dont toutes les photos se sont évanouies à mesure
que lui-même s'effaçait, était un personnage
en quelque sorte rêvé pour un écrivain qui,
de «la Place de l'étoile» aux «Boulevards
de ceinture», en passant par telle «Rue des Boutiques
obscures», telle «Villa triste» de tel «Quartier
perdu», aura lui-même exploré sans fin un
territoire du doute, de la perplexité et des pas perdus.
Bien entendu, Francis Jansen n'a jamais existé. C'est
un scrupule qui l'honore (est-il permis de disparaître à ce
point?), mais qui ne change rien à l'envoûtement
extrême où nous tient son admirable biographe. «On
photographie les choses pour se les chasser de l'esprit»,
disait Kafka. Qui sait si Francis Jansen, à force de mélancolie
rétroactive, n'a pas réussi l'exploit de s'abroger
corps et âme? Est-ce que nous ne prenons pas toujours la
place d'un frère perdu ou d'un double imaginé? «Chien
de printemps» est une merveille de mentir vrai, un bal
où s'entend, en même temps que l'écho fossile
des mondes abolis, la valse lente des années où plus
rien, on le sait, ne distingue ce qui fut de ce qui n'a jamais été.>>
Jean-Louis Ezine, Le Nouvel Observateur du 14/10/1993
n'avoir
jamais le Choix
«J'éprouve toujours cette impression, que je regrette,
de n'avoir jamais le choix. Il existe une chose à écrire,
que peut-être je n'écrirai pas, mais que je ne peux
abandonner en me disant : écrivons une autre chose, plus éloignée
de moi, plus gratuite, plus légère. J'aimerais
bien pouvoir faire cela, mais malheureusement je m'en sens incapable.
Ou la chose va à son terme, ou on la laisse. Et il m'est
souvent arrivé de la laisser. Mais j'ai aussi le sentiment
que, d'une façon ou d'une autre, ça revient, ça
devient autre chose, ça se réinvestit sous une
autre forme.»
Gérard de Cortanze citant PM, "La Biographie de Patrick Modiano",
revue Bon-à-tirer, n°81, 1er
avril 2008.
CHOLITZ
(Le général Dietrich von )
Commandant en août
1944 du «Gross
Paris» (le département de la Seine et une partie
des départements de la Seine-et-Marne et de la Seine-et-Oise,
circonscriptions administratives de l'époque). Le
petit homme courtaud et rondouillard s'est courageusement battu
dans les rangs des troupes aéroportées en
Hollande, au printemps de 1940. Il a gagné ses étoiles
de général en 1942, lors du siège de Sébastopol,
conduit par l'un des meilleurs stratèges de Hitler, le
général von Manstein. Il a appliqué en Russie,
sans sourciller, la politique brutale voulue par Hitler. Il s'est également
battu en Italie et en Normandie, à la tête d'un
corps d'armée. Au
début du mois d'août 1944, le Führer l'a
convoqué à son quartier général
de Rastenburg, en Prusse-Orientale. Hitler est encore sous
le choc
de l'attentat qui, le 20 juillet, a failli lui coûter
la vie. Le général von Choltitz qui, jusqu'alors,
a accompli scrupuleusement son devoir de soldat, se trouve
devant «un vieillard aux gestes
fébriles, aux propos hachés et criminels, au
rictus sauvage». Portrait que l'on pourrait juger caricatural – le «vieillard» n'est âgé que
de 55 ans. Au
cœur de cet été 1944,
le général von Choltitz
se voit donc investi du commandement du «Gross Paris»,
en lieu et place du général von Boineburg au loyalisme
douteux. Sa convocation à Rastenburg l'a troublé.
La guerre, il n'en doute plus, est perdue pour l'Allemagne. D'où sa
décision, difficile à prendre en raison de ses
conséquences prévisibles – notamment les
représailles sur sa famille –, de ne pas appliquer
les ordres de Hitler quant à la destruction de la capitale
de la France. La suite, avant la signature officielle de la capitulation
allemande dans la gare Montparnasse, c'est l'investissement de
l'hôtel
Meurice, où siège le haut commandement du «Gross
Paris», par un détachement de la 2e DB du général
Leclerc. Les premiers à entrer dans la place, sous les
ordres du commandant Lahorie, sont des Espagnols républicains,
engagés volontaires dans la 2e DB. Le soldat Antonio Gutierrez
désarme le général allemand qui, se séparant
de sa montre-bracelet, lui dit: «Tiens, pour toi. Garde-la
comme un bon souvenir.»
Le général von Choltitz est mort dans son lit,
en 1966, âgé de 72 ans. Malgré sa désobéissance
aux ordres de Hitler concernant Paris, sa famille avait été épargnée.
D'après
C.J., le
Figaro du 25 août 2004
Chronologie
depuis 1939
Chronologie de la Libération*
de Paris
Chronologie
de laLibération*
de la France
Cinéma
(faire du)
Il se sent très proche
du cinéma, en connivence,
comme avec la littérature pourtant il ne s'est jamais essayé
à faire un film, rebuté qu'il est par la technique. Beaucoup de
gens de sa génération se sont portés vers le cinéma, mais chez
lui, la littérature a pris le dessus. Il lui est arrivé de revoir
six fois le même film pour un plan, un seul. Alors, il a entrepris
de lire sur la technique du cinéma
: le montage, la photographie, les problèmes d’éclairage.
Il lisait des textes sur la couleur au cinéma ou sur les différentes
lumières ; voulait
comprendre en quoi les opérateurs de la Nouvelle Vague avaient
rompu avec la tradition, grâce à des procédés inventés par les
correspondants de guerre américains.
Même s'il a songé un temps devenir cinéaste, il ne s'estimait
pas assez chef d'entreprise, organisateur pour coordonner toute
une équipe et diriger des comédiens.
Cinéma
et rêveries*
Est-ce qu’un titre de film suffit à déclencher
une rêverie ?
Oui, des films avec des titres bizarres, comme je reviendrai à
Kandara ou Clara de Montargis, des films qu’il valait mieux
ne pas voir... il valait mieux les imaginer. J’avais fait
des listes de titres comme ça, je les avais répertoriés,
des listes de films absurdes que je n’ai jamais vus, seuls
les titres étaient mystérieux... Souvent, le titre
était plus mystérieux que le film lui-même,
qui était sûrement assez banal. C’était
aussi lié à la magie des affiches... et à
la féerie des salles de quartier. On avait l’impression
que le boulevard Ornano était directement relié
aux prairies, parce que les cinémas passaient un western
qui s’appelait La Fille de la prairie. Dans ces cinémas,
il y avait aussi des odeurs bizarres... On voyait des westerns
dans des cinémas qui avaient une odeur urbaine très
forte, un peu l’odeur qu’on sentait en passant sur
les grilles des métros... D’ailleurs, dans certains
cinémas, on entendait passer le métro en dessous...
Il me reste des visages de ces années-là, d’il
y a trente ans... je cherche à retrouver un type qui m’avait
emmené pour la première fois à la Cinémathèque
et dans ces endroits-là. Mais après trente ans,
on ne se reconnaît même plus... De toute façon,
j’étais assez solitaire, peut-être à
cause de la littérature, je ne faisais pas partie d’une
bande de cinéphiles. Entretien avec
Frédéric Bonnaud,
Les Inrockuptibles, 1997.
Cinématographique
"Je crois qu'aucun roman n'est cinématographique."
UN CIRQUE PASSE (1992)
Cirque
passe (un)
[1992] Collection blanche, Gallimard
et Collection Folio (No 2628) (1994)
4ème de couverture : «Place du Châtelet, elle a voulu
prendre le métro. C'était l'heure de pointe. Nous nous tenions
serrés près des portières. À chaque station, ceux qui descendaient
nous poussaient sur le quai. Puis nous remontions dans la voiture
avec les nouveaux passagers. Elle appuyait la tête contre mon
épaule et elle m'a dit en souriant que "personne ne pourrait
nous retrouver dans cette foule".
À la station Gare du nord, nous étions entraînés dans le flot
des voyageurs qui s'écoulait vers les trains de banlieue. Nous
avons traversé le hall de la gare et, dans la salle des consignes
automatiques, elle a ouvert un casier et en a sorti une valise
de cuir noir.
Je portais la valise qui pesait assez lourd. Je me suis dit qu'elle
contenait autre chose que des vêtements.»
Résumé
<< Un cirque passe raconte
un épisode
de six jours en 1963. L’action débute par un interrogatoire
de police, où le narrateur est convoqué pour avoir
figuré sur le carnet de quelqu’un. Il y rencontre
Gisèle, qui semble se sentir menacée. Son père
a fuit en Suisse pour de mystérieuses raisons, et Grabley
doit se débarrasser de papiers compromettants. Quant
au narrateur, il gagne de l’argent grâce à la
revente de livres anciens, et vit dans une prétendue qualité d’étudiant
en Lettres à la Sorbonne afin « d’échapper à l’administration
française et à [ses] obligations militaires ».
Menacé d’une part par la police, de l’autre
par leurs fréquentations, Gisèle et Obligado désirent
fuir Paris pour vivre à Rome, où le narrateur a
l’opportunité d’un travail. Cependant, un
mystérieux sortilège semble les en empêcher,
et Gisèle meurt symboliquement dans un accident de voiture
sur le pont de Suresnes, en sortant de Paris. Carine
Duvillé Errance et Mémoire : Paris et sa topographie
chez Patrick Modiano Mémoirede maitrise, juillet 2000.
Paris IV, Sorbone.
premières
pages
Une
lecture de Alice PIERRE et Simone UNGER, étudiantes
au département Médiation culturelle et Art, Université
de Provence, (2006).
Entretien
avec Pierre Maury, Magazine Littéraire, septembre 2003
Cinéma
/ DENEUVE
Frédéric Bonnaud (journaliste à la revue Les Inrockuptibles)
a l'idée de réaliser une interview croisée ente Catherine Deneuve
et Patrick Modiano lorsque ce dernier fut membre du jury du festival
de Cannes en mai 1997.
A l'instar de Truffaut, Modiano différencie les acteurs destinés
au théâtre et ceux plus particulièrement concernés par l'image
cinématographique, telle Deneuve. Il précise l'intime relation
entre le roman et le cinéma car les voix ne sont pas portées
dans unfilm, elles peuvent être chuchotées. "C’est
pour ça
qu’une actrice me touche quand il n’y a rien de théâtral chez
elle. Peut-être parce que quand on écrit des romans... Le théâtre
est quelque chose d’étranger au roman alors que le cinéma est
très proche... Par exemple, votre voix n’a rien de théâtral,
c’est
une voix de cinéma. Le théâtre est magnifique quand on le lit
mais quand on le voit, les voix sont toujours portées alors
qu’au
cinéma on peut chuchoter, comme dans un roman. Le cinéma est
comme un frère du roman."
Cinéma
et impressions
<< - Dans la Nouvelle Vague, c’était ça, des gens
qui marchaient dans la rue, comme dans "Adieu
Philippine" de Rozier.
- Les Contrebandiers de Moonfleet me fascinait aussi, avec tout
ce côté mystérieux, onirique... >>
Clandestin
(être un)
" Vous savez, j’ai toujours eu le sentiment que ma
nature profonde était la faculté au bonheur, mais
qu’elle avait été détournée
tout au long de ma vie par des circonstances extérieures.
C’est le hasard qui m’a fait naître en 1945,
qui m’a donné des origines troubles et qui m’a
privé d’un entourage familial. Je ne peux pas me
sentir responsable des idées noires, de l’angoisse,
d’une certaine forme de morbidité qui m’ont
été imposées. Je n’ai jamais choisi
le matériau de mes livres. J’ai dû écrire
non pas avec ce que je suis, c’est-à-dire quelqu’un
de banal et heureux, mais avec ce que le destin a fait de moi.
Mais je me console en me disant que tout est programmé
et que si ça n’avait pas été moi, un
autre aurait eu l’impression d’être un clandestin.
Moi, si j’étais né à la campagne, j’aurais
été un écrivain paysagiste. Cela m’aurait
suffi."
Clubs
de livres (les)
"Souvent les clubs m'apportent quelque chose en plus.
J'écris quelquefois pour avoir des renseignements. Pour résoudre
des énigmes sur mes parents et dont je voudrais avoir la solution.
J'emploie des noms réels, je mets les vrais numéros de téléphone.
Je joue avec le feu, j'espère que quelqu'un va m'aider à rapatrier
des éléments. Des gens m'ont écrit, j'ai plus de chance parmi
les lecteurs de club. C'est mystérieux, cela peut pénétrer plus
loin..." Le
Club reçoit Patrick Modiano, Interview du 20/04/2001
Collaborateur
occasionnel, le Père ?
Dans «Remise de peine», en 1988, page 116, PM évoque
la figure du père : Albert Modiano, qui dirigeait une «société
africaine d’entreprise» dont les bureaux étaient sis aux Champs-Élysées,
n’a cessé de rejeter son fils. en 2003, dans Accident Nocturne,
il raconte deux fois une scène douloureuse qui demeure «l’un des
épisodes les plus tristes de sa vie», le fils aux abois demande
un peu d’argent à son père, qui s’énerve et, pour se débarrasser
de l’importun, le livre aux flics. La nuit suivante, dans ses
cauchemars, le jeune homme imagine qu’il a été dénoncé et qu’on
l’a «raflé». Un écho obsédant de l’Occupation et de cette question
restée sans réponse: pourquoi son père, d’origine juive, interné
en 1943 dans une annexe de Drancy, a-t-il été aussitôt libéré
par un membre de la bande de la rue Lauriston ?
Collaboration
et Résistance*,
Bibliographie
Collaboration (Jeux* avec des personnages de
la)
<< Tu restas quelques temps en Égypte. Comme tu n’avais
plus un sou, tu organisas à Port-Saïd une fête
foraine où tu exhibas tous tes vieux copains. A raison
de vingt dinars par personne, les badauds pouvaient voir Hitler
déclamer dans une cage le monologue d’Hamlet, Goering
et Rudolph Hess faire un numéro de trapèze, Himmler
et ses chiens savants, le charmeur de serpents Goebbels, von Schirach
l’avaleur du sable, […] Un peu plus loin tes danseuses,
les « Collabo’s Beauties », […] il y avait
là Robert Brasillach, costumé en sultane, la bayadère
Drieu la Rochelle, Abel Bonnard la vieille gardienne des sérails,
les vizirs sanguinaires Bonny et Laffont, […] Tes chanteurs
des Vichy-Folies jouaient une opérette à grand spectacle
: on remarquait dans la troupe un Maréchal, […] le
brigadier Darnand et le prince félon Laval. >>
La Place de l’étoile, p.167
COLPEYN
Luisa, la mère
Comédienne, née à Anvers, d'origine flamande, Elle quitta
la Belgique en 1942 après y avoir suivi des cours d'art dramatique,
vint à Paris. Dans Paris tendresse, le livre qu'il signa
avec Brassai, il évoque "le mal du pays et ses visites dans
deux cafés, l'un quai d'Austerlitz, l'autre quai des Grands-Augustins
pour entendre les mariniers parler flamand". A l'instar de
nombreuses figures féminines qui circulent dans les romans de
PM, Luisa Colpeyn joua essentiellement des petits rôles, eut une
carrière plutôt anonyme.
Luisa Colpeyn
dans la pièce, "Le Complexe de Philémon", au Théâtre
ce soir, enregistré au Théâtre Marigny et diffusé le 26 octobre
1973.
Luisa
Colpeyn joua, entre autres, dans : Rendez-vous de Juillet
(1949) e Jacques Becker ; La Vie commence à Minuit (1966),
un télé-film réalisé par Yvan Jouannet ; Salle n°8 (1967),
série télé réalisée par Jean Dewer et Robert Guez ; Erotissimo
(1968), un film dde Gérard Pirés ; Anne, jour
après jour, de Dominique de Saint Alban, télé-film réalisé
par Bernard Toublanc-Michel ; Nick Carter détective,(1978)
de Jean Marcillac, enregistré au Théâtre Marigny , dans le cadre
de "Au théâtre ce soir" ; Virginie (1966) de
Michel André ; La Demoiselle d'Avignon (1972), série télévisuelle
de 26 épisodes ; Sex Hop (1972) de Claude Berri.
<<
Que sait-on de Luiza Colpeyn ? Née à Anvers en 1921
dans une modeste famille de dockers, la jeune fille rêve
à dix-huit ans d’être comédienne. Modiano
résume dans le chapitre IV de Livret de famille
son itinéraire, de ses débuts professionnels à
l’invasion de la Wehrmacht en 1940, puis sa rencontre avec
son père, jusque cette soirée de mai 1945, accoudée
au balcon du 15 quai de Conti, elle est présentée
enceinte de Patrick qui naîtra en juillet. L’auteur
nous livre la vérité dans cet extrait, restant à
la surface des choses pour s’interdire de fabuler. Nous
ne saurons rien de ses états d’âme, mais nous
apprendrons les grands axes de sa vie : elle débarque à
Paris pour signer un contrat, peut-être la chance de sa
vie, avec deux producteurs de cinéma, mais la guerre empêchera
la concrétisation de ce projet.
A la fin d’une journée de 1942, par un crépuscule
aussi doux que celui d’aujourd’hui, un vélo-taxi
s’arrête, en bas, dans le renfoncement du quai de
Conti, qui sépare la monnaie et l’institut. Une jeune
fille descend du vélo-taxi. C’est ma mère.
Elle vient d’arriver à Paris par le train de Belgique.
A Paris, elle trouve, grâce à des amis et à
sa langue maternelle, un travail de traductrice pour une firme
de cinéma allemand, la Continental. Elle rencontre Albert
Modiano fin 1942, ignorant au départ qu’il est juif
et se cache. Ils s’installent ensemble au 15 quai de Conti
en hiver de la même année et se marieront en 1944
à Megève, en Suisse. Certainement caché,
le père signe sous un faux nom, donc le mariage n’aura
aucune valeur légale : Luiza Colpeyn ne s’appellera
jamais Modiano. (Tout comme Ingrid ne s’appelle pas Rigaud…)
A la libération, Patrick vient au monde et Luiza se lance
à nouveau dans une carrière de comédienne.
Très intégrée au milieu Saint-Germain-des-Prés
dans les années cinquante de l’existentialisme et
du jazz, elle reste pour son fils irrémédiablement
attachée à la Rive Gauche et au quartier Latin.
Bien qu’elle soit absente de la quasi-totalité de
l’œuvre, elle semble parfois reliée par de petits
fils invisibles aux personnages féminins de ses romans.
Modiano aura un petit frère, Rudy, né en 1947, qui
mourra dix ans plus tard d’une leucémie : il appartiendra
pour toujours au monde de l’enfance, symbolisant l’Eden
perdu d’un bonheur familial. C’est après sa
mort que tout bascule : Luiza s’investira de plus en plus
dans sa carrière professionnelle, sans cesse en tournée
en Province et à l’étranger, et le père,
affairiste, est résolument absent. C’est pour le
jeune Modiano le début des pensionnats, des longues soirées
d’angoisse dans les dortoirs du collège, de la solitude
aussi. Autant de thèmes qui trouveront naturellement leur
place dans l’œuvre de l’écrivain, marquée
par le motif de l’absence : un petit frère disparu,
une mère instable, toujours en tournée, un père
mystérieux, toujours en cavale, qui disparaît complètement
de la vie du jeune homme alors qu’il n’a que vingt
ans.>> Carine
Duvillé Errance et Mémoire : Paris et sa topographie
chez Patrick Modiano Mémoirede maitrise, juillet 2000.
Paris IV, Sorbone.
comédiens
(le côté pathétique des)
"C’est lié à des souvenirs d’enfance,
j’ai vu le côté pathétique des comédiens
dans les coulisses... J’avais été très
frappé par une fille qui s’appelait Bella Darvi,
qui s’est suicidée. Il y avait un côté
tragique chez ces filles, elles avaient souvent des destins terribles...
On les voit comme des silhouettes, au fond de certains films,
c’est bizarre... Il faut bien dire que les gens de la Nouvelle
Vague étaient assez puritains, assez timides et fascinés
par
ces filles qui menaient une vie un peu... Elles apparaissent souvent
à l’arrière-plan de leurs films, comme cette
fille qui s’appelait Dorothée Blank et qu’on
aperçoit dans certains Godard... C’est émouvant
parce qu’on les verra pour l’éternité
au fond de certains films, elles sont immobilisées par
la pellicule... On ne peut avoir que de la tendresse pour les
acteurs et les actrices de cinéma, ils sont tellement fragiles,
ils ont de tels problèmes d’identité, on les
identifie tellement à des images qui ne leur correspondent
pas du tout dans la vie réelle... Et les hommes sont tout
aussi émouvants que les actrices... La vie des comédiens,
ça ressemble à la course des Six-Jours, il faut
faire un sprint à certains moments et puis il faut toujours
continuer... C’est ça qui m’émeut beaucoup,
ils doivent sans cesse payer de leur personne. Un écrivain
peut se cacher derrière son bouquin, eux ne peuvent pas
se protéger, ils sont exposés sans arrêt.
Il faut vraiment avoir une force incroyable pour continuer sur
une longue durée." (entretien
avec Catherine Deneuve, Les Inrockuptibles Festival
de Cannes 1997)
Comment il travaille
?
Il tâtonne, essaye, tâte le terrain, (lequel ?),
il prend des notes, fait des listes, quelquefois ces informations
dorment et puis 15 ans plus tard elles ressurgissent. Entretien
avec Laurence Liban, Lire, octobre 2003.
Le
Comité parisien
de libération (CPL)
est, à Paris, l'organe de direction
de la résistance. Créé en septembre 1943
et présidé par André Tolet, il déclenche
l'insurrection et joue un rôle important de coordination
des actions contre l'ennemi.
Le
Commissariat général
aux questions juives (CGQJ), "Les étapes
d'un calvaire" par Serge Klarsfeld
L'Etat français s'est très vite associé idéologiquement
au Reich dans le champ d'action le plus spécifique
de l'hitlérisme en exprimant une authentique vocation
antijuive. Les
premières pierres de l'édifice ont été posées
dès le 22 juillet 1940 par la création d'une commission
pour la révision des naturalisations puis, le 27 août
1940, par l'abrogation du décret-loi du 21 avril 1939,
qui empêchait la propagande antisémite dans la presse.
La loi portant statut des juifs a suivi le 3 octobre 1940 : elle
exclut les juifs de la fonction publique ainsi que des professions
libérales et proclame ouvertement la notion de " race
juive " alors que, jusque-là, les ordonnances allemandes,
de crainte de heurter l'opinion française, ne font référence
qu'à la " religion juive ". Ce statut sera renforcé le
2 juin 1941. Quant à la loi, à la fois antisémite
et xénophobe, du 4 octobre 1940, elle livre les " étrangers
de race juive " à l'arbitraire policier en conférant
aux préfets le pouvoir de les interner dans des camps
spéciaux. Le
Commissariat général aux questions juives (CGQJ),
véritable ministère aux affaires juives, est créé par
Vichy le 29 mars 1941 dans le but d'éliminer les juifs
de la vie civile, politique, économique, culturelle, ainsi
que de les dépouiller de leurs biens et de provoquer à leur égard
des mesures de police " commandées par l'intérêt
national ". Organisé par Xavier Vallat, le CGQJ passera
entre les mains de Darquier de Pellepoix quand il s'agira, selon
la volonté allemande, d'attenter à la vie des juifs. Le
CGQJ dispose d'une police aux questions juives, la PQJ, plus
tard Section d'enquête et de contrôle (SEC), qui
se signale par de nombreux abus. Ce sont essentiellement les
forces de police régulières qui mèneront
rafles et arrestations contre une population juive évaluée
de 300 000 à 330 000 personnes réparties en 1941
par moitié dans chacune des deux zones avec environ 50
% de juifs étrangers. Suscitées
par la section antijuive de la Gestapo, dirigée
par Dannecker, les arrestations massives de juifs par la police
française débutent le 14 mai 1941 dans l'agglomération
parisienne. Elles ne visent que des hommes, Polonais, Tchèques,
et même Autrichiens, (au total 3747), qui sont dirigés
vers deux camps du Loiret sous administration préfectorale,
Pithiviers et Beaune-la-Rolande. La
deuxième opération a lieu à partir du
20 août 1941 et touche 4232 juifs, dont un millier de Français.
Le camp de Drancy, sous administration française et sous
contrôle étroit de la Gestapo, est créé pour
eux. Le 12 décembre 1941, 700 juifs français, surtout
des notables, sont arrêtés par la Feldgendarmerie
et internés à Compiègne tandis que les nazis
sortent de Drancy 53 juifs pour une exécution massive.
Plus de 10 % des résistants fusillés au Mont-Valérien
sont juifs, alors que le pourcentage des juifs dans la population
française est à peine de 0,7 %.
Internements
La
première déportation des juifs de France a
lieu le 27 mars 1942. Elle concerne 1112 juifs, des hommes, pour
moitié juifs français de Compiègne, pour
moitié juifs apatrides de Drancy. En
juin 1942 s'est installée à Paris une nouvelle
direction de la police allemande et des SS avec, à sa
tête, le général SS Oberg assisté par
le colonel SS Knochen, commandant de la police de sûreté et
des services de sécurité, la Sipo-SD, au sein de
laquelle opère la Gestapo. Du
côté français, Laval et son chef de la
police, René Bousquet, obtiennent un renforcement de l'autorité de
Vichy en zone occupée en contrepartie d'une collaboration
policière accrue contre les ennemis communs au Reich et à Vichy
: les juifs, les communistes, les gaullistes, les terroristes. Les
mesures antijuives en zone occupée s'intensifient
: les ordonnances allemandes relèguent les juifs au rang
de parias, en particulier la huitième, du 29 mai 1942,
qui prescrit aux juifs de plus de six ans révolus le port
de l'étoile jaune en public avec la mention " juif ". En
juin 1942, s'engagent des négociations policières
franco-allemandes au sujet, cette fois, de l'arrestation massive
de familles juives, la décision ayant été prise à Berlin
le 11 juin de commencer la déportation de tous les juifs
de l'Europe de l'Ouest. Le 25 juin, la Gestapo se fixe comme
objectif à moyen terme la déportation de 40 000
juifs : 10 000 juifs apatrides doivent être arrêtés
en zone libre et livrés par Vichy, comme s'y est engagé Bousquet
le 16 juin ; 30 000 juifs doivent être trouvés en
zone occupée, la Gestapo insistant pour que 40 % de ces
juifs soient de nationalité française. La Gestapo
souligne aussi la nécessité de l'exécution
par les seules forces de police françaises de cette opération
massive. En
conseil des ministres, le 26 juin, Laval parait disposé à refuser
l'engagement de la police française en zone occupée
et ne semble pas au courant de l'accord donné par Bousquet
au sujet des 10000 juifs de la zone libre. Bousquet décide
d'accepter l'engagement exclusif de la police française
avec pour seule concession allemande le fait que les juifs français
seront épargnés pour le moment. Ce
qui a été conclu le 2 juillet entre Bousquet
et les chefs de la police nazie en France a été entériné en
partie par Pétain et par Laval, le 3 juillet, et confirmé en
totalité par Laval aux chefs SS le lendemain. Comme l'écrit
Dannecker à Eichmann : " Le président Laval
a proposé que, lors de l'évacuation de familles
juives de la zone non occupée, les enfants de moins de
seize ans soient emmenés eux aussi. Quant aux enfants
juifs qui resteraient en zone occupée, la question ne
l'intéresse pas. " Ainsi le feu vert pour la déportation
des enfants juifs, presque tous nés en France, est-il
donné par Vichy aux SS qui vont bientôt s'en servir. A
partir de la rafle du Vél' d'Hiv', et pendant onze
semaines, c'est au rythme de trois convois de mille juifs chacun
par semaine que va se dérouler la déportation des
juifs de France. Une première réaction de protestation
s'ébauche avec la lettre envoyée le 22 juillet à Pétain
par les cardinaux et archevêques de France assemblés à Paris
: "Nous ne pouvons étouffer le cri de notre conscience." Dans
la première quinzaine d'août 1942, Vichy expédie à Drancy
trois mille cinq cents juifs qui étaient internés
dans les camps de la zone libre. La grande rafle de la zone libre
menée à partir du 26 août permet à Vichy
de livrer encore six mille cinq cents juifs aux SS; beaucoup
moins que les chiffres prévus. Elle suscite cependant
de vives protestations de larges secteurs dans l'opinion publique,
appuyées et parfois précédées par
les interventions vigoureuses et efficaces des prélats
catholiques et du pasteur Boegner. La déclaration la plus
retentissante est celle de Mgr Saliège, archevêque
de Toulouse; la plus déterminante, celle du cardinal Gerlier,
archevêque de Lyon et primat des Gaules. Poussé par
l'admirable abbé Chaillet, Mgr Gerlier couvre l' "enlèvement" d'une
centaine d'enfants juifs que la préfecture de Lyon allait
transférer à Drancy. Cette
réaction humanitaire de l'opinion publique française,
surtout en zone libre, où elle a évidemment plus
de facilités pour s'exprimer, entraine immédiatement
pour le sort des juifs des répercussions bénéfiques. Mais
la Gestapo achève en 1942 de fournir à Auschwitz
le contingent prévu en juin de quarante mille déportés,
en faisant arrêter par la police française en zone
occupée les juifs baltes, yougo- slaves, bulgares, hollandais,
roumains, grecs et en déportant également de Pithiviers
un millier de juifs français qui ont tenté de passer
la ligne de démarcation.
La
protection italienne
Après
l'invasion de la zone libre par les Allemands, en novembre 1942,
les autorités militaires italiennes protègent, dans
leur nouvelle zone d'occupation, les juifs français et
étrangers contre les mesures de Vichy (apposition obligatoire
de la mention "juif" sur les titres d'identité
et sur la carte d'alimentation) ainsi qu'en empêchant, au
besoin par la force, les arrestations de juifs. Des
pressions allemandes s'exercent sur Mussolini qui se décide,
le 18 mars 1943, à transférer aux autorités
françaises les pouvoirs de police sur les juifs dans sa
zone d'occupation. Le lendemain même, il se ravise sous
l'effet d'un document relatant les atrocités nazies à
l'Est contre les juifs. Le Duce confie le traitement de la question
juive dans la zone d'occupation italienne à sa police civile.
L'inspecteur général Lo Spinoso, chargé de
cette mission, se fait conseiller par Angelo Donati, juif italien
dont l'efficacité fut remarquable, et il continue à
protéger systématiquement les juifs. Pendant
le premier semestre de 1943, la section antijuive de la Gestapo
alimente les trains de déportation avec les juifs français
détenus pour avoir commis des infractions, avec des rafles
menées conjointement par des policiers français
et allemands à Marseille, par la préfecture de police
à Paris, par la gendarmerie de la zone Sud ; mais les SS
ont conscience que la défaite de Stalingrad accentue les
réticences de Vichy. Ils tentent d'obtenir de Laval la
révocation des naturalisations de juifs obtenues depuis
1927. Mais la chute de Mussolini, le 25 juillet, rend Laval circonspect,
et la loi prévue ne sera pas publiée. En
représailles, les SS décident d'inclure, systématiquement
cette fois, les juifs français dans les déportations
; mais ils ne reçoivent de Berlin d'autre renfort policier
qu'un commando d'une dizaine d'hommes dirigé par Alois
Brünner, l'un des plus redoutables délégués
d'Eichmann. Ce commando déclenche une terrible chasse aux
juifs sur la Côte d'Azur. Le 8 septembre, en effet, les
Alliés ont prématurément rendu public l'armistice
signé par les Italiens, empêchant ceux-ci de transférer
en Italie, afin de les transporter en Afrique du Nord, une vingtaine
de milliers de juifs réfugiés dans la région
niçoise. Le
remplissage des trains (quatorze convois en 1944 dont deux de
1 500 personnes) s'effectue par la poursuite à Paris de
rafles par la préfecture de police visant les juifs étrangers
(plus de 4 000), ainsi que par des rafles en province menées
parfois par la police allemande et visant indistinctement juifs
français et juifs étrangers ; Marseille (1 450),
Nice (1 100), Lorraine (950), Lyon (900), Toulouse (680), Isère
(650), Charente (650), Bordeaux (570), Massif Central (450), etc.
La
nomination de Darnand au poste de secrétaire général
au maintien de l'ordre et le rôle accru de sa milice facilitent
les arrestations de juifs français ainsi que les fusillades
ou exécutions sommaires (environ un millier). Heureusement,
les organisations juives ont dissous à temps leurs foyers
plus ou moins clandestins d'enfants juifs, sauf en deux cas :
celui. d'Izieu (Ain) où Klaus Barbie fait rafler quarante-quatre
enfants le 6 avril 1944, et celui des foyers de l'UGIF, dans la
région parisienne, liquidés le 20 juillet par Brünner
qui déporte plus de trois cents enfants par le dernier
grand convoi de Drancy, le 31 juillet.
Serge Klarfeld, Le Monde, 17 Mai 1987
Compliqué
/ Bizarre*
Deux mots répétés à longueur d'entretiens
: «C'était bizarre.» Ou bien : « Il y
avait un homme bizarre.» Bizarre, c'est son mot. Énigmatique,
Trouble, Mystérieux, reviennent aussi fréquemment.
Il a beaucoup de souvenirs de gens bizarres. On sent bien que
ce sont ceux-là qui l'intéressent. Il dit aussi
: « C'est compliqué », lorsqu'il cherche à
expliquer ce qu'il semble ressentir en lui-même.
Conférence
en ligne du colloque « Modiano Rencontres », tenue
à Lyon le 5 février.
Les
intervenants : Clémence Boulouque, Claude Burgelin,
Antoine de Gaudemar, Régine Robin, Roger-Yves Roche, Tiphaine
Samoyault. (01-03-08)
Le
Conseil national de la résistance
(CNR)
créé en
mai 1943, rassemble tous les partis, les syndicats et l'ensemble
des mouvements de résistance, tous clandestins. Son maître
d'œuvre est Jean Moulin. Sorte de Parlement de la résistance,
sa tâche consiste en l'unification des partis politiques
autour du général de Gaulle et à la préparation
de l'après-guerre. Présidé par Georges Bidault,
son objectif est la reconquête de l'indépendance
nationale.
Contexte extérieur
" Son angoisse [le "héros de Accident nocturne]
vient d'un contexte extérieur, non de lui-même. J'ai toujours
senti que j'étais le produit d'une époque marécageuse, de la guerre.
On parle toujours de l'Occupation, mais ce n'est pas gratuit pour
moi." Entretien avec
Laurence Liban, Lire, octobre 2003.
Copier
"Depuis des années, j'accumule des cahiers où
je recopie des trucs précis, des dates, des noms, des lieux,
à propos de gens qui ont réellement existé.
Ça chevauche les époques, ce n'est pas du tout littéraire,
ça ne peut pas être publié, mais je m'y sens
beaucoup plus à l'aise que dans l'écriture. En fait,
tous les livres que j'écris ne sont qu'une contraction
de cette masse de renseignements que j'accumule. Par exemple,
puisque vous avez parlé d'« Un pedigree »,
j'ai des masses de choses sur mon père, sur les gens qu'il
a connus sous l'Occupation... C'est tout un univers, une matière
à l'état brut mais qui a un but en soi, documentaire.
J'ai mis un index, une nomenclature, parce que tout s'enchevêtre.
C'est aussi un moteur qui me permet d'écrire mais je préférerais
faire ça seulement." Entretien
avec Christophe Ono-dit-Biot , à l'occasion de la parution
de Dans le café de la jeunesse perdue, 27/09/2007,
- © Le Point N°1828-
"Corridors
du temps. 1
"...cette idée m'est venue un jour que je me promenais
dans un quartier neuf de Paris. J'ai eu une impression qui me
semblait relever d'un livre ou d'un film de science-fiction :
dans ce quartier de tours où je ne reconnaissais plus les
anciennes rues, j'ai eu le sentiment que, peut-être, il
y avait une sorte de vie parallèle où les gens étaient
restés les mêmes qu'alors. Comme s'il y avait, en
effet, des corridors du temps où les gens restaient exactement
tels qu'ils étaient lorsque vous les aviez vus quarante
ans plus tôt. Je me souviens d'avoir lu une anthologie de
science-fiction qui réunissait des textes étonnants
sur le temps. Ça m'avait fasciné. Je suis incapable
d'écrire un roman de science-fiction mais tout ce qui concerne
cet univers m'a toujours intéressé. L'idée
qu'il puisse y avoir des poches dans Paris où les gens
que vous avez connus quand vous étiez très jeune,
en 1967, par exemple, continuent à vivre exactement comme
ils le faisaient alors, cette idée folle d'un temps qui
n'évolue pas me fascine. Quelquefois, on rencontre des
gens qui continuent de vivre dans une sorte de jeunesse pétrifiée
- c'est de plus en plus difficile à mon âge car beaucoup
sont morts. Je me souviens avoir revu, du côté du
boulevard Saint-Michel, quelqu'un qui, à 75 ans, continuait
à ressembler à un étudiant ! Je m'étais
dit que cette sorte d'arrêt du temps, cette sorte d'anachronisme
était proprement fabuleux. C'était presque de la
science- fiction : cet homme était comme en 1967 mais avec
quarante ans de plus et ne paraissait pas avoir vieilli... Cette
rencontre est sans doute l'un des points de départ inconscients
de L'horizon." "Mon Paris n'est pas un
Paris de nostalgie mais un Paris rêvé" entretien
avec François Busnel (Lire), 04/03/2010
corridors
du temps.2
<< Il avait lu, la veille, un roman de science-fiction,
Les Corridors du temps. Des gens étaient amis dans leur
jeunesse, mais certains ne vieillissent pas, et quand ils croisent
les autres, après quarante ans, ils ne les reconnaissent
plus. Et d’ailleurs il ne peut plus y avoir aucun contact
entre eux : Ils ne sont souvent côte à côte,
mais chacun dans leur corridor du temps différent. S’ils
voulaient se parler, ils ne s’entendaient pas, comme deux
personnes qui sont séparées par une vitre d’aquarium.[...]
Mais un jour, par miracle, nous emprunterons le même corridor.
Et tout recommencera pour nous deux dans ce quartier neuf. >>
L’Horizon, p.127., p.128.
Denis
COSNARD, Dans la peau de Patrick Modiano", Ed Fayard, Janvier
2011
cahier
critique
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