Rafistoler
/ Bricoler
"D'un livre à l'autre, je rafistole des choses entre
elles, je bricole. C'est une sorte de patchwork, mais j'oublie
des éléments en cours de route, et j'essaie ensuite de les rattraper.
Je reprends des choses trop superficielles, pour les approfondir,
comme si quelque chose avait germé. C'est bizarre, mais il y a
une sorte de logique interne... Pendant le premier mois, on ne
sait pas où on va, c'est pénible. Quand c'est fini, ça ne correspond
plus du tout à ce qu'on imaginait. C'est pareil depuis trente
ans. Au début, on s'embarque, on cafouille, on va à l'aveuglette.
Puis ça se met en place, mais jusqu'à la fin, on bifurque, on
croit que c'est fichu, mais il suffit de revenir en arrière pour
s'apercevoir où on s'est fourvoyé. Parfois c'est décourageant.
Godard disait, je crois, qu'il avait coupé au hasard dans la pellicule
de son premier film. C'est vrai. Il suffit quelquefois de taillader,
pas vraiment au hasard, il y a toujours des intermèdes qu'on peut
couper. Le texte est souvent comme une masse molle qui vous paralyse,
mais vous taillez dans le vif, vous enlevez les doublons, les
répétitions. Et vous repartez. Ecrire, c'est comme un lent travail
d'accommodation, comme un regard qui divergerait et qu'on redresserait
peu à peu. Je ne trouve jamais le bon angle d'emblée. A l'origine,
Moreau-Bardaev, par exemple, c'était deux personnages mais je
me suis rendu compte qu'un seul suffisait. Alors je lui ai donné
les deux noms. Au départ, on louche, on voit tout en double. Puis
la mise en place, l'accommodation, se fait."
La
Rafle du Vèl' d'Hiv
Rafle
du Vèl' d'Hiv
(la)
Les 16 et 17 juillet 1942, au vélodrome d'Hiver de Paris,
sont rassemblés dans des conditions intolérables
plus de 8 000 juifs dont plus de 4 000 enfants. Cette rafle organisée
par la police française est l'un des événements
les plus marquants de la persécution antisémite
commise par les autorités françaises.
Du décret signé par le maréchal Pétain
le 4 octobre 1940, autorisant l'internement dans des camps spéciaux
des « ressortissants étrangers de race juive »,
jusqu'à la circulaire du 13 juillet 1942, véritable « plan
de guerre » du préfet de police de Paris qui détaille
minutieusement la vaste opération d'arrestations et de
rassemblement des juifs étrangers de la capitale, les événements
vont s'enchaîner dans une mise en scène qui aboutit à la
tragédie des 16 et 17 juillet 1942. Ces journées
sont le théâtre d'une sinistre opération
militaire menée par des milliers de policiers et de gendarmes.
Durant ces deux jours, dans la capitale, près de huit
mille juifs étrangers, hommes, femmes et enfants sont
envoyés au Vél d'Hiv. Dans ce lieu, jusque-là temple
du sport, des milliers d'êtres humains tentent de survivre
pendant plusieurs jours dans les pires conditions qui soient
: pas de couchage, aucun ravitaillement, absence d'eau, hygiène
inexistante... Les juifs se retrouvent pris au piège :
une poignée réussira à faire évader
des enfants, beaucoup se laisseront mourir et le plus grand nombre
sera déporté vers le camp d'extermination d'Auschwitz.
Il faut savoir que cette opération fut considérée
comme un demi car le plan prévoyait l'arrestation de 22 à 24
000 juifs étrangers, hommes, femmes et enfants, même
si ces derniers étaient de nationalité française.
Paris, le 13 Juillet 1942 - Circulaire n° 173-42
À Messieurs
les Commissaires Divisionnaires, Commissaires de Voie Publique
et des Circonscriptions de Banlieue.
[...] Les
Autorités Occupantes ont décidé l'arrestation
et le rassemblement d'un certain nombre de juifs étrangers.
La mesure dont il s'agit ne concerne que les juifs des nationalités
suivantes :
Allemands, Autrichiens, Polonais, Tchécoslovaques, Russes
(réfugiés ou soviétiques, c'est-à-dire « blancs » ou « rouges »),
Apatrides, c'est-à-dire de nationalité indéterminée.
Elle concerne tous les juifs des nationalités ci-dessus,
quel que soit leur sexe, pourvu qu'ils soient âgés
de 16 à 60 ans (les femmes de 16 à 55 ans). Les
enfants de moins de 16 ans seront emmenés en même
temps que les parents [souligné par nous].Vous constituerez
des équipes d'arrestation. Chaque équipe sera composée
d'un gardien en tenue et d'un gardien en civil ou d'un inspecteur
des Renseignements généraux ou de la Police Judiciaire.
[...] Les équipes chargées des arrestations devront
procéder avec le plus de rapidité possible, sans
paroles inutiles et sans commentaires. En outre, au moment de
l'arrestation, le bien-fondé ou le mal-fondé de
celle-ci n'a pas à être discuté. C'est vous
qui serez responsables des arrestations et examinerez les cas
litigieux qui devront vous être signalés [souligné par
nous].
[...] Des
autobus, dont le nombre est indiqué plus loin,
seront mis à votre disposition. Lorsque vous aurez un
contingent suffisant pour remplir un autobus, vous dirigerez
:
- sur le Camp de Drancy : les individus ou familles n'ayant pas
d'enfants de moins de 16 ans ;
- sur le Vélodrome d'Hiver : les autres.
Vous dirigerez alors les autobus restants sur le Vélodrome
d'Hiver.
[...] Enfin,
vous conserverez, pour être exécutées
ultérieurement, les fiches des personnes momentanément
absentes lors de la première tentative d'arrestation.
Pour que
ma Direction soit informée de la marche des
opérations, vous tiendrez au fur et à mesure, à votre
Bureau, une comptabilité conforme au classement ci-dessus.
Des appels généraux vous seront fréquemment
adressés pour la communication de ces renseignements.
Parmi les personnes arrêtées, vous distinguerez
le nombre de celles qui sont conduites à Drancy de celles
qui sont conduites au Vélodrome d'Hiver.
Pour faciliter le contrôle, vous ferez porter au verso
de la fiche, par un de vos secrétaires, la mention « Drancy » ou « Vélodrome
d'Hiver » selon le cas.
Les services détachant les effectifs ci-dessous indiqués
devront prévoir l'encadrement normal, les chiffres donnés
n'indiquant que le nombre des gardiens. Les gradés n'interviendront
pas dans les arrestations, mais seront employés selon
vos instructions au contrôle et à la surveillance
nécessaires.
Total des équipes : 1472 ; total des gardiens en civil
ou en tenue : 1568. En outre : 220 Inspecteurs des Renseignements
Généraux et 250 Inspecteurs de la Police Judiciaire.
Garde des Centres primaires de rassemblements et accompagnements
des autobus. Total des gardes et gardiens : 430.
Circonscriptions de banlieue
[... ]Totaux : 60 gendarmes, 20 gardiens en tenue et 53 gardiens
en civil.
La Compagnie du Métropolitain, réseau de surface,
enverra directement les 16 et 17 juillet à 5 heures aux
Centraux d'Arrondissements où ils resteront à votre
disposition jusqu'à fin de service : 44 autobus.
En outre, à la Préfecture de Police (caserne de
la Cité) : 6 autobus.
[...] La Direction des Services Techniques tiendra à la
disposition de l'État-Major de ma Direction, au garage, à partir
du 16 juillet à 8 heures : 10 grands cars.
[...] De plus, de 6 heures à 18 heures, les 16 et 17 juillet,
un motocycliste sera mis à la disposition de chacun des
IXe, Xe, XIe, XVIIIe, XIXe et XXe arrondissements.
La garde du Vélodrome d'Hiver sera assurée, tant à l'intérieur
qu'à l'extérieur, par la Gendarmerie de la région
parisienne et sous sa responsabilité.
Tableau récapitulatif
des fiches d'arrestations : Paris : 25 334 ; banlieue : 2 057
; total : 27 391.
Le Directeur de la Police municipale, Hennequin.
D'après Richard Basnier, professeur d'histoire et de
géographie
Bibliographie sur
la Rafle du Vel d'Hiv
RAJSFUS
Maurice, La Rafle du Vél d'Hiv, PUF, 2002.
RAYSKI Adam, Il y a soixante ans. La rafle du Vélodrome
d'Hiver. Le
peuple de Paris solidaire des juifs, Mairie de Paris, 2002. Document
disponible en PDF (attention : 2 MO).
www.resistancejuive-france.net/
LÉVY Claude, La Grande Rafle du Vèl' d'Hiv, 16
juillet 1942, Laffont, 2002.
GUENO Jean-Pierre (sous la dir. de), Paroles d'étoiles
: mémoires d'enfants cachés (1939-1945), Librio,
2002.
GUENO Jean-Pierre (sous la dir. de), Paroles d'étoiles
: l'album des enfants cachés (1939-1945), Éd. des
Arènes, 2002.
MARRUS Michael R., PAXTON Robert O., Vichy et les Juifs, Calmann-Lévy,
1981.
KASPI André, Les Juifs pendant l'Occupation, Seuil, coll. « Points
Histoire », 1997.
KLARSFELD Serge, Le Mémorial de la déportation
des juifs de France, édité et publié par
Beate et Serge Klarsfeld, 1979 (à consulter en bibliothèque).
LABORIE Pierre, « 1942 et le Sort des Juifs. Quel tournant
dans l'opinion ? », Annales, EHESS, 1993 (3).
NATANSON Dominique, J'enseigne avec l'internet la Shoah et les
crimes nazis, CRDP de Bretagne, 2002.
~~~~~~~~
Raison
<< Il y a des explications multiples, sociologiques,
économiques, psychanalytiques, religieuses qui, séparément ou
croisées, ne suffisent jamais à déduire le fait de l'extermination.
La raison bute. Il arrive même qu'elle se fasse une raison de
son incapacité à comprendre : elle affirme alors que le génocide
est aberration pure, anomalie historique, instant de démence unique
dans le déroulement explicable du temps. Ce qui a entre autres
avantages celui de débarrasser les bourreaux et leurs complices
du poids de leur responsabilité. Entre les deux écueils, la rationalisation
et l'irrationalisation, la voie est étroite.>> Pierre
Lepape, le Monde, 4 avril 1997.
Jean-Paul
Rappeneau : "Le rire nous a réunis ", témoignage
Scénariste de « Lacombe Lucien », avec Louis
Malle, Modiano a aussi été celui de « Bon
Voyage ».
« La première fois que j'ai rencontré Patrick
Modiano, c'était en 1962, dans une maison de campagne,
dans l'Oise. Il y avait là un grand jeune homme silencieux
qui venait de passer son bac. Je ne connaissais pas son nom, et
nous n'avons pas échangé trois mots. Et puis, bien
longtemps après, quand est paru La Place de l'étoile,
j'ai compris que ce nouvel écrivain dont tout le monde
parlait était le jeune homme inconnu de l'été
1962. Au long des années, nous nous sommes croisés
quelquefois. J'admirais ses livres, je les ai tous lus. J'ai été
tenté d'en adapter certains pour le cinéma. Je lui
ai même proposé de travailler avec moi sur des scénarios
mais, pour des raisons diverses, cela n'a jamais pu se faire.
Et puis un jour, je l'ai revu plus longuement lors d'un dîner.
Je lui ai raconté le projet que j'avais alors en tête,
un film qui se passerait à Bordeaux, un certain week-end
de juin 1940 où, dans la panique de l'exode, le gouvernement
et le Tout-Paris s'étaient retrouvés entassés
dans le même hôtel. Alors là, il s'est enflammé.
Il en savait plus que moi sur la période, sur les amours
des hommes politiques et des actrices, etc. Il est un fichier
vivant de ces années-là. Il m'a dit : « Si
vous voulez, cette fois... » Nous nous sommes revus dès
le lendemain, et on a avancé ensemble. Cela a donné
Bon Voyage ( le film, sorti en avril 2003, a obtenu le plus grand
nombre de nominations aux césars 2004, onze nominations
dont celles du « meilleur film » et du « meilleur
scénario », NDLR ). Notre collaboration s'est déroulée
le plus simplement possible, ça passait beaucoup par de
longues conversations.
Mais surtout, et ce fut une surprise pour moi, j'ai découvert
un homme très éloigné de l'image du personnage
austère que l'on imagine : le rire nous a réunis.
Et à chaque fois que l'on se revoit, nous repartons dans
des fous rires.
J'aime aussi sa réserve, ses silences, et sa capacité
d'être à l'écoute. Et ce que j'admire dans
ses romans, c'est cette manière unique d'être d'une
extraordinaire précision dans les détails (les noms
des rues, les appartements, les numéros de téléphone...)
et en même temps de tout envelopper dans une sorte de brume.
Un message à lui faire passer ? Sortons de nos retraites
respectives, traversons le jardin du Luxembourg et voyons-nous
plus souvent. » le Figaro, 27 septembre 2007
Rapport
heureux à l'écriture* ?
Mais faut-il déduire de cette méthode que vous
n'avez pas un rapport heureux à l'écriture ?
P.M. Non. Ce qui aggrave mon cas, c'est cette rêverie préalable
à tout commencement d'écriture et dont j'ai besoin
avant de passer à l'acte. Je suis comme ces gens qui sont
au bord d'une piscine et attendent des heures avant de plonger
: écrire, pour moi, est quelque chose de désagréable,
donc je suis obligé de rêver beaucoup avant de m'y
mettre, de trouver des façons de rendre agréable
ce travail assez long et difficile, de trouver un dopant. J'ai
d'ailleurs compris, maintenant, la raison de l'alcoolisme de beaucoup
de grands écrivains : je crois qu'il s'agit de cette perpétuelle
baisse de tension et l'alcool fonc-tionne comme le grand dopant,
même quand on a fini d'écrire.
Et vous, quel est votre dopant ? L'alcool ?
P.M. Non, pas du tout. Je marche beaucoup. Je rêvasse. Je
me mets dans une sorte d'état second à partir de
morceaux de réalité, souvent du passé, parfois
des noms propres. Cette perpétuelle hésitation transparaît
peut-être dans mes livres... Je ne me rends pas compte.
" "Mon Paris n'est pas un Paris de nostalgie
mais un Paris rêvé" entretien avec François
Busnel (Lire), 04/03/2010
Récits et témoignages de survivants.
Ce site bien structuré expose des témoignages très touchants pour la plupart de escapés de camps de concentration. Consultez en particulier le témoignage Vaillant Couturier issu du procès de Nuremberg en Janvier 1946.
Réalité
" Obscurément, je sais que pour donner le meilleur de
moi-même je dois me rapprocher davantage de la réalité. C'est
comme quand on essaie de capter un rayon de soleil. Le point d'incandescence,
c'est quand je parle vraiment d'une réalité. Chaque fois que dans
cette espèce de bouillon fictionnel j'ai glissé des éléments de
réalité, les gens ne pouvaient pas s'en apercevoir, mais c'est
là que ça fonctionnait le mieux.
(...) Chaque fois que je suis face à la réalité, j'ai l'impression
que ça peut prendre plus d'ampleur... (...) La réalité, pour moi,
est surtout un motif de prendre des objets très banals, comme
le faisaient les surréalistes, de prendre un téléphone, par exemple,
et de lui trouver des côtés magnétiques, de les sur-réaliser."
Entretien avec Laurence Liban,
Lire, octobre 2003 à l'occasion de la publication de Accident
nocturne, roman, 2003
Réalité
fragmentaire
(...) la réalité est toujours fragmentaire. Quelquefois, on
rencontre quelqu'un et puis on le perd de vue. On a oublié certaines
choses, volontairement ou non. On ment sur soi-même. Tout cela
forme une masse de fragments. Sauf peut-être dans un rapport de
police. Et même là, il peut y avoir des erreurs. Entretien
avec Laurence Liban, Lire, octobre 2003 à l'occasion de la publication
de Accident nocturne, roman, 2003
Registre
(noms* et)
"Au fond, Bowing cherchait à sauver de l’oubli
les papillons qui tournent quelques instants autour d’une
lampe. Il rêvait d’un immense registre où auraient
été consignés les noms des clients de tous
les cafés de Paris depuis cent ans, avec mention de leur
arrivée ou de leur départ successifs. Il était
hanté par ce qu’il appelait ‘les points fixes".
Dans le café de la jeunesse perdue, 2007,
p; 19.
réel
/ Imaginaire*
<< - Cette reconnaissance par les historiens du caractère
précurseur de vos livres pourrait cependant avoir quelque
chose de paradoxal : vous avez fréquemment affirmé,
revendiqué la dimension imaginaire des périodes
que vous reconstituiez dans vos récits, qu'il s'agisse
des années 1940 ou de l'époque de la guerre d'Algérie...
Je pense que ce qui est onirique peut parfois plus se rapprocher
de la réalité. L'imaginaire peut dire quelque chose
du réel. Aussi parce qu'on peut arriver, par l'écriture,
à une sorte d'intuition de ce que pouvait être le
réel. Malgré toute l'horreur, cette époque
de l'Occupation avait d'ailleurs quelque chose d'irréel.
Entretien
avec Maryline Heck, Magazine Littéraire, n° 490, octobre
2009
Réfracté
" Ma démarche n'est pas d'écrire pour essayer de me connaître
moi-même ni de faire de l'introspection. C'est plutôt, avec de
pauvres éléments de hasard: les parents que j'ai eus, ma naissance
après la guerre..., trouver un peu de magnétisme à ces éléments
qui sont sans intérêt en eux-mêmes, les réfracter à travers une
sorte d'imaginaire. L'entreprise autobiographique m'a toujours
paru une sorte de leurre, sauf si elle a une dimension poétique
comme Nabokov l'a fait dans Autres rivages. Le ton autobiographique
a quelque chose d'artificiel car il implique toujours une mise
en scène. Pour moi, c'est plutôt une entreprise artistique, une
mise en forme d'éléments dérisoires." Entretien
avec Laurence Liban, Lire, octobre 2003 à l'occasion de la publication
de Accident nocturne, roman, 2003
Réminiscences
Une coupure de journal, une photo, un objet quelconque font
ressurgir chez le narrateur les événements qui y sont liés. Un
défilé de souvenirs passe alors en vrac. Plusieurs sujets se croisent,
le lecteur finit par ne plus se rappeler à partir de quel souvenir
la narration a commencé.
Remords
et vide*
<< Peu importe les circonstances et le décor. Ce
sentiment de vide et de remords vous submerge, un jour. Puis,
comme une marée il se retire et disparaît. Mais il
finit par revenir en force et elle ne pouvait pas s’en débarrasser.
Moi non plus. >> Voyage de noces, p.157
Repartir
sur quelque chose / déblayer*
"A chaque fois que je finissais un livre, j'avais l'impression
que je pourrais repartir sur quelque chose de nouveau. J'ai d'ailleurs
la même impression avec ce nouveau livre, L'horizon. L'impression
d'avoir déblayé. D'avoir suffisamment déblayé
pour pouvoir repartir. Mais tout cela n'est qu'une fuite en avant...
Après chaque livre, j'ai donc cette impression d'avoir
suffisamment déblayé ce qui est devant moi - ou
derrière moi - pour pouvoir enfin aborder quelque chose
de nouveau. Mais cette impression est illusoire. C'est donc une
sensation assez désagréable. C'est comme si vous
vouliez dégager quelque chose pour pouvoir enfin traiter
une autre chose, comme si vous vouliez vous débarrasser
de certaines choses de votre passé, de votre vie, pour
pouvoir enfin partir d'un nouveau pied et avoir le champ libre,
mais, finalement, cela ne marche jamais comme ça. Ce sentiment
est une illusion." "Mon Paris n'est pas
un Paris de nostalgie mais un Paris rêvé" entretien
avec François Busnel (Lire), 04/03/2010
Répétitons
<< - A force de revenir sans cesse sur les mêmes motifs,
avez-vous parfois eu peur que votre imaginaire soit tari ?
PM- Ce n'est qu'a posteriori qu'on s'aperçoit qu'on reprend
toujours des thèmes, des images sur lesquels on a déjà
écrit. Cela se fait de façon inconsciente, mais
il arrive un moment où, à force que ça se
répète et que ça se recoupe, on craint que
ça ne marche plus. Faulkner disait qu'écrire c'est
épuiser un rêve. On peut éviter cet épuisement.
Pour ce nouveau roman,[Pour que tu ne
te perdes pas dans le quartier] dont j'avais déjà
utilisé les éléments de l'intrigue dans Remise
de peine, je savais, instinctivement, qu'il me fallait trouver
un nouveau point de vue. Alors il n'y a plus de « je »,
il s'agit d'un récit à la troisième personne.
Et les événements sont envisagés à
partir du présent, du début du xxie siècle,
soit un demi-siècle après qu'ils se sont produits.
On peut penser que j'écrirai toujours sur les mêmes
thèmes, toujours ces « trucs » venus de mon
enfance, mais selon des points de vue qui évoluent.>>
Télérama.
Entretien avec Nathalie Crom, 01/10/2014
Rêver
à partir des personnages *
<< - Il n’y a aucune rupture de ton entre ce livre
[Un Pedigree] et les précédents, à
l’exception d’un humour discret mais plutôt
noir, comme si vous vous sentiez plus libre à l’égard
des personnes réelles que fictives.
- Je ne peux pas trop employer dans la fiction cet "humour
discret et plutôt noir", parce que, à trop forte
dose, cela orienterait la fiction vers la satire, et j’ai
besoin que les personnages de fiction me fassent rêver.>>
Rêver
ma vie
"Cet automne 1959, ma mère joue une pièce au
théâtre Fontaine. Les samedis soir de sortie, je
fais quelquefois mes devoirs dans le bureau du directeur de ce
théâtre. Et je me promène aux alentours. Je
découvre le quartier Pigalle, moins villageois que Saint-Germain-des-Prés,
et un peu plus trouble que les Champs-Elysées. C’est
là, rue Fontaine, place Blanche, rue Frochot que pour la
première fois je frôle les mystères de Paris
et que je commence sans bien m’en rendre compte, à
rêver ma vie » Un Pédigrée,
2005, p. 61.
Rêveries et Cinéma*
Est-ce qu’un titre de film suffit à déclencher
une rêverie ?
Oui, des films avec des titres bizarres, comme je reviendrai à
Kandara ou Clara de Montargis, des films qu’il valait mieux
ne pas voir... il valait mieux les imaginer. J’avais fait
des listes de titres comme ça, je les avais répertoriés,
des listes de films absurdes que je n’ai jamais vus, seuls
les titres étaient mystérieux... Souvent, le titre
était plus mystérieux que le film lui-même,
qui était sûrement assez banal. C’était
aussi lié à la magie des affiches... et à
la féerie des salles de quartier. On avait l’impression
que le boulevard Ornano était directement relié
aux prairies, parce que les cinémas passaient un western
qui s’appelait La Fille de la prairie. Dans ces cinémas,
il y avait aussi des odeurs bizarres... On voyait des westerns
dans des cinémas qui avaient une odeur urbaine très
forte, un peu l’odeur qu’on sentait en passant sur
les grilles des métros... D’ailleurs, dans certains
cinémas, on entendait passer le métro en dessous...
Il me reste des visages de ces années-là, d’il
y a trente ans... je cherche à retrouver un type qui m’avait
emmené pour la première fois à la Cinémathèque
et dans ces endroits-là. Mais après trente ans,
on ne se reconnaît même plus... De toute façon,
j’étais assez solitaire, peut-être à
cause de la littérature, je ne faisais pas partie d’une
bande de cinéphiles. Entretien
avec Frédéric Bonnaud, Les Inrockuptibles, 1997.
REMISE
DE PEINE (1987)
Remise
de peine [1987]
Quatrième de couverture
<< Une maison d'un étage, à la façade
de lierre, dans un village des environs de Paris ou le narrateur,
que l'on
appelait plus facilement« Patoche»à l'époque,
a grandi avec son petit frère car leur mère était
partie jouer une pièce en tournée.
Une maison ou ne vivaient que des femmes, une époque ou
tant de questions se bousculaient: qu'est-ce qu'une tête
brûlée ? Et une « série noire» ?
Eliot Salter, marquis de Caussade, reviendrait-il dans son château
comme l'avait promis le père des enfants lors d'un déjeuner?
Tant d'étonnements aussi: «Pourquoi les policiers
ne nous ont pas interrogés?» se demande encore Patoche,
qui ajoute: «Pourtant les enfants regardent. Ils écoutent
aussi.»
Sans doute ne reste-t-il rien de tout ça que l'étui à cigarettes
d'Annie, le sourire de Jean D., la grosse voiture de Roger Vincent
dans le souvenir du narrateur qui n'a pu oublier. Ni la maison,
ni ces femmes, ni leurs invités. Patoche regarde, écoute,
il sait parfaitement que quelque chose de grave leur est arrivé.>>
Remise
de peine, premières pages
~~~~~~~~
Ressources
pédagogiques sur la seconde guerre mondiale.
Résistance
et Collaboration
Bibliographie
Le Centre
de Documentation Juive Contemporaine
Mémoire
juive et éducation de Dominique Natanson
Repère
" Dans repère, bien sûr, il y a la sonorité redoublée,
ou redoutée, du père. Et, depuis ses débuts, Modiano tourne à
sa façon autour de cet insaisissable point fixe, de cette « Place
de l'Etoile » dont les avenues filiales l'éloignent ou le rapprochent.
Ses héros ont eu un père, comme tout le monde, mais celui-ci s'est
dérobé, il a été absorbé par une grande quantité de passé, il
a disparu dans le brouillard des rues et des activités louches.
Le but du jeu, du roman, consiste alors, chaque fois, à retrouver
sa trace - puisque les traces, par leur phosphorescence, suggèrent
mieux que les choses elles-mêmes. Patrick Modiano est devenu un
romancier géographe, presque géomètre, parce que son père mercurien,
à l'origine, lui glissait entre les doigts. Le freudisme a recensé
toutes les variantes de ce programme. Mais Modiano se fiche pas
mal du freudisme. C'est un artiste. Il jouit de sa névrose comme
un derviche de son vertige. Quel intérêt y aurait-il, pour lui,
à en guérir ?" Jean-Paul
Enthoven, Accident Nocturne, Le Point, 3-10-2003.
Répétitions
1
<< - Une chose pourrait faire penser à Perec, dans
vos livres, c'est la récurrence de certains motifs, certains
chiffres notamment. Chez Perec, certains chiffres reviennent ainsi
de façon obsessionnelle, ils ont une dimension autobiographique
forte, comme la date de la mort de sa mère. Or on trouve
chez vous certaines répétitions étonnantes.
Le numéro de téléphone 15-28, par exemple,
revient dans trois livres au moins : Dans le café de la
jeunesse perdue, Rue des Boutiques Obscures et Quartier perdu...
De telles répétitions sont-elles concertées
?
PM - J'ai souvent besoin de m'appuyer sur des détails réels,
qui ont pour moi quelque chose de magnétique. Il faut que
ce soit réel mais à la fois disparu. Ces numéros
de téléphone par exemple n'existent plus. Ce 15-28
était un numéro de téléphone réel,
comme sont réels la plupart des gens dont je cite le nom
dans mon dernier livre, Dans le café de la jeunesse perdue.
Ce sont des gens que j'ai rencontrés. Ces chiffres, ces
noms, ces adresses qui reviennent sans cesse renvoient à
des personnes que j'ai connues. Il m'arrive d'ailleurs de ne pas
m'apercevoir moi-même de leur retour, c'est troublant. J'ai
pu ainsi appeler par le même nom des personnages de différents
romans, sans m'en rendre compte... C'est un peu un problème,
ce n'est pas très logique. Ces répétitions
sont souvent très inconscientes. Le 15-28, c'est le numéro
d'amis que j'avais. Mais ces éléments récurrents
ne sont pas forcément autobiographiques. Ils sont réels,
mais ne renvoient pas toujours à quelque chose de personnel.
Parfois aussi je glisse des noms de gens dans l'espoir enfantin
qu'ils vont se manifester, des gens dont je voudrais savoir ce
qu'ils sont devenus. Comme une manière de lancer un appel.
Entretien
avec Maryline Heck, Magazine Littéraire, n° 490, octobre
2009
Répétitions
2
« Oui, chez
moi, » conclut Modiano dans une interview, « ce sont
toujours les mêmes personnages ou les mêmes thèmes
qui resurgissent, mais par à-coups, avec des reprises,
et pas d’un seul mouvement et en un seul gros volume. ».
Conclusion à un entretien, source inconnue
Restif
de la Bretonne
Il évoque le "spectateur nocturne" dans le
roman "Accident nocturne", paru en 2003.
- «le spectateur nocturne». Qui était-ce?
– C’était Restif de La Bretonne. Dans «les Nuits de Paris», il
raconte ses dérives de quartier en quartier. Je n’aime pas beaucoup
le côté moralisateur du livre, cette manière de toujours vouloir
secourir aucoin de la rue les jeunes filles en perdition, mais
l’ambiance est extraordinaire. Jérôme Garcin, Rencontre avec P Modiano, Le Nouvel
Observateur, 2 octobre 2003
pas
responsable de ma vie
"J'envie
les écrivains qui sont en symbiose avec eux-mêmes,
qui ont la chance d'avoir de la sympathie pour eux-mêmes.
Ce c'est pas mon cas, malheureusement. Sans doute parce que j'ai
le sentiment trouble que je ne suis pas responsable de ma vie,
comme un chien n'est pas responsable de son pedigree. Elle m'a
été imposée, voilà tout, j'y suis
en partie étranger. D'où le ton du livre. J'aurais
tellement aimé raconter une enfance heureuse avec des parents
harmonieux..." "Paris,
ma ville intérieure" entre tien avec Jérôme
Garçin., Le Nouvel Observateur, le 26/09/2007
Rêve
/ Rêverie
Rêve
(J'épuise un)
A un journaliste qui demandait à Faulkner pourquoi il reprenait
toujours les mêmes histoires de folie et de violence, l'auteur
de Sanctuaire, répondit, après un silence : "J'épuise
un rêve".
Rêve
(échange de)
Catherine Deneuve : "Le cauchemar que je
fais tout le temps, c’est que je joue au théâtre, que je ne sais
pas le texte qu’on n’a pas répété et que je dis « Je ne peux pas
monter sur scène! On n’a pas travaillé! "
PM - Moi, je rêve que la date de la première arrive...
Les journées avancent et je n’arrive pas à apprendre le rôle...
(entretien avec Catherine
Deneuve, Les Inrockuptibles Festival de Cannes 1997)
Rêverie
/ Réel
" (...)avant d'écrire, il y a une sorte de rêverie, mais
la rêverie ne peut s'appliquer qu'à des choses très précises:
des lieux ou des personnes. J'ai besoin de choses très réelles
pour pouvoir exprimer le côté somnambulique de cette époque."
Lire, octobre 2003 à l'occasion
de la publication de Accident nocturne, roman, 2003
Rêverie
«Je ne crois pas que mes romans soient figés* dans
une époque — les années 60 ou 40. C'est une
rêverie* tout à fait subjective sur les années
60 ou 40… », Gérard
de Cortanze citant PM, "La Biographie de Patrick Modiano",
revue Bon-à-tirer, n°81, 1er avril 2008.
~~~~~~~~~~
Revoir
des films
<< Mais souvent,
j’ai peur de revoir certains films qui m’ont marqué, parce que
je sais que ce ne sont pas forcément de bons films.
Comme "Une Aussi longue absence" d’Henri Colpi,
si je le revoyais, j’ai un peu peur que... ça doit pas être...
Ce film m’avait frappé parce que c’était une histoire d’amnésie.>>
Révolution
culturelle en Chine, 1965"Les
Cahiers de Malte Laurids Brigge, de Rainer Maria Rilke" Préface
de Patrick
ModianoArmand
ROBIN
La figure de ce poète
sert le personnage de Moreau-Bardaev dans la Petite
Bijou. << je l'ai croisé une fois dans une rue, j'étais
avec quelqu'un qu'il connaissait. Après j'ai lu ses poèmes et
j'ai appris qu'il était mort dans des conditions bizarres. Dans
les années 50, la radio avait un énorme impact.>>
Romans
policiers (écrire des) / mais que se passait-il au juste
?
"(...), j'ai toujours eu l'envie, la nostalgie de pouvoir
écrire des romans policiers. Ou des des séries,
comme faisait Georges Simenon, qui donnait un nouveau roman tous
les mois. Au fond, les thèmes principaux des romans policiers
sont proches de ceux qui m'obsèdent : la disparition, les
problèmes d'identité, l'amnésie, le retour
vers un passé enigmatique. Le fait, aussi, de proposer
souvent différents témoignages contradictoires sur
une personne, ou un événement me rapproche du genre.
Mon goût pour ce type d'intrigues s'explique aussi par des
raisons intimes. Rétrospecctivement, il me semble que des
épisodes de mon enfnaces ont ressemblé à
un roman policier. A certains moments, j'ai été
entouré de personnes et d'événements très
enigmatiques. Les enfants ne se posent pas tellement de questions
sur le moment, tout leur semble naturel. Mais c'est un peu plus
tard, lorsque le temps a commencé à s'écouler,
qu'on se retourne vers le passé en se demandant : mais
que se passait-il au juste ?" (...) Le roman policier induit
une sorte de réalisme, voire de naturalisme, et une structure
narrative assez rigide et efficace. Il n'y a pas de place dans
sa facture, pour le côté fluide de la rêverie,
il faut être un peu terre à terre, ou didactique,
afin que les pièces du puzzles s'emboîtent. A la
fin du roman poilicier, il y a un explication, une résolution.
Cela ne convient pas quand on veut comme moi, décrire un
passé morcelé, incertain, onirique. D'ailleurs,
je n'écris pas des romans au sens classique du terme, plutôt
des choses un peu bancales*, des sortes de rêveries, qui
relèvent de l'imaginaire. Télérama.
Entretien avec Nathalie Crom, 1/10/2014
La
Ronde de nuit (1969)
Ronde
de nuit (la)
[1969] Collection blanche, Gallimard et Collection Folio
(No 835) (1976)
Résumé de l'éditeur.
<< Comment
devenir traître, comment ne pas l'être ? C'est la question que
se pose le héros du récit qui travaille en même temps pour la
Gestapo française et pour un réseau de résistance. Cette quête
angoissée le conduit au martyre, seule échappatoire possible.
Par ce livre étonnant, tendre et cruel, Modiano tente d'exorciser
le passé qu'il n'a pas vécu. Il réveille les morts et les entraîne
au son d'une musique haletante, dans la plus fantastique ronde
de nuit.>>
La
Ronde de nuit, propos de 1973.
<<Pour La ronde de nuit, c’est le XVIè :
un quartier qui peut paraître aujourd’hui très
bourgeois, mais que je vois tout autrement. En effet, il
y a plein de maisons 1930 un peu bizarres, d’hôtels
particuliers qui ont l’air abandonné. Lorsqu’on
sait que sous L’Occupation, les officiers de la Gestapo
et toute une faune interlope y avaient élu leurs repères
(J’ai eu l’occasion de visiter un immeuble rue
de la Pompe où il s’était passé des
horreurs. La salle de bain était restée telle
qu’elle, c’était hallucinant ), alors
cela devient très mystérieux. La nuit, lorsque
les rues sont désertes, on s’aperçoit
que les lieux gardent l’imprégnation de ce qui
s’y est déroulé.>> Propos recueillis par Jean-Louis
Rambures, dans un entretien paru dans Le Monde le 24 mai 1973.
La
ronde de nuit
<<
La ronde de nuit (1969) appartient, avec La place de l’étoile(1967)
et Les boulevards de ceintures (1972), à ce que l’on
pourrait nommer la trilogie de l’Occupation, et contient
tous les prémisses et toutes les obsessions de l’œuvre
à venir. En transcrivant la déambulation erratique
d’un « agent double » dans le Paris forclos
de la guerre, ce second roman pose les bases même de sa
création romanesque. Dans ces trois premiers romans, la
Seconde Guerre mondiale, et ce qu’elle engendra d’obscures
affaires et de trafics louches, est la scène de prédilection
du romancier, qui l’inscrit au cœur de son oeuvre.
Passé dont il se sent héréditairement porteur,
il va tenter par la littérature d’assumer une mémoire
empoisonnée et de se reconstruire une mythologie des origines.
Si dans la suite de son œuvre le narrateur arpente le Paris
des années soixante, soixante-dix, quatre-vingt, son itinéraire
dévoile souvent les contours d’une autre carte :
celle d’une identité perdue, vestige d’une
période trouble autour de laquelle toute l’œuvre
s’articule, l’Occupation. (...) La ronde de nuit est,
au sens musical du terme, une ouverture : il introduit les thèmes,
les éléments narratifs et les obsessions qui deviennent
le ferment même de son œuvre romanesque. Ce second
roman n’est pas encore à proprement parler une quête,
mais plus une reconstitution hallucinée de Paris pendant
la Seconde Guerre mondiale. On entre avec le narrateur dans les
deux camps, celui des résistants d’un côté,
et des collaborateurs de l’autre, que l’on découvre
à travers ses yeux d’agent double. Déjà
le récit est constitué d’itinéraires
très précis et porteurs d’un sens encore en
constitution.>> Carine
Duvillé Errance et Mémoire : Paris et sa topographie
chez Patrick Modiano Mémoirede maitrise, juillet 2000.
Paris IV, Sorbone.
La
Rotonde, Portes d'Orléans
<<Parfois mon père m'accompagnait le lundi matin à la Rotonde,
porte d'Orléans. C'était là où m'attendait le car
qui me ramenait au collège. Nous nous levions vers 6 heures, et mon père
en profitait pour donner des rendez-vous dans les cafés de la porte d'Orléans
avant que je prenne le car. Cafés éclairés au néon
les matins d'hiver où il fait encore nuit noire. Sifflements des percolateurs.
Les gens qu'il rencontrait là lui parlaient à voix basse. Des forains,
des hommes au teint rubicond de voyageurs de commerce, ou à l'allure chafouine
de clercs de notaires provinciaux. A quoi lui servaient-ils exactement ? Ils
avaient des noms du terroir : Quintard, Chevreau, Picard.>> Ephéméride,
2002, Mercure
de
France, ed.
RUE
DES BOUTIQUES OBSCURES
(1978)
Rue
des boutiques obscures
[1978] Collection blanche, Gallimard ; Hors série
Beaux Livres, Gallimard (1978) ; Collection Folio (No 1358)
(1982)
Résumé
de l'éditeur
Qui
pousse un certain Guy Roland, employé d'une agence de police privée
que dirige un baron balte, à partir à la recherche d'un inconnu,
disparu depuis longtemps ? Le besoin de se retrouver lui-même
après des années d'amnésie ?
Au cours de sa recherche, il recueille des bribes de la vie de
cet homme qui était peut-être lui et à qui, de toute façon, il
finit par s'identifier. Comme dans un dernier tour de manège,
passent les témoins de la jeunesse de ce Pedro Mc Evoy, les seuls
qui pourraient le reconnaître : Hélène Coudreuse, Fredy Howard
de Luz, Gay Orlow, Dédé Wildmer, Scouffi, Rubirosa, Sonachitzé,
d'autres encore, aux noms et aux passeports compliqués, qui font
que ce livre pourrait être l'intrusion des âmes errantes dans
le roman policier.
Rue
des boutiques obscures : Résumé, histoire, sujet
Après
des années d'amnésie, Guy Roland,
employé d'une agence de police privée que dirige
un baron balte part, peut-être par besoin de se retrouver
lui-même, à la recherche d'un inconnu, Pedro McEvoy,
disparu depuis la guerre. Il recueille des bribes de la vie de
cet homme qui était peut-être lui, auquel, de toute
façon, il finit par s'identifier. Mais l'enquête,
de plus en plus compliquée, découvrant toute une
société cosmopolite vivant en France au moment
du déclenchement de la guerre, aboutit plusieurs fois à des
impasses, le livre se terminant sur une dernière mince
possibilité d'élucidation du mystère.
Des
noms affluent, des épisodes qui s’empilent,
un mille-feuilles de l’évocation ; Guetter, observer,
reconnaître, doute sur l’identité ; scruter
des photos et chercher à se reconnaître.
Dans ce livre, les chapitres intermédiaires. sont nombreux
avec fiche signalétique, coordonnées qui recueillent
le tissu de relations : géographiques, affectives, familiales,
amoureuses. Il y a des apatrides dont la principale obsession
est « d’avoir une nationalité » Avec
les noms, les personnes évoquées, les personnages
croisés Guy Roland commence à se forger une identité.
De rencontre en rencontre, il change d’identité possible.
Est-il Pedro ? Celui-là ou un autre ?
Il y a toujours la boîte de biscuits, les photos, les noms,
les visages, des souvenirs, des listes, des numéros de
téléphone. Beaucoup de bars, de lieux collectifs
où la solitude s’énonce.
L’enquête autour de Pedro commence à s’affiner
: retrouver l’adresse, la nationalité, les lieux
de vie. : « Les lettres dansent, qui suis-je ? »
Au fur et à mesure, Guy Roland-Pedro découvre des éléments
de son passé mais jamais n’est affirmée,
verbalisée son infirmité : l’amnésie.
Un agenda atteste, le mariage avec Denise Coudreuse… Et
au milieu de toutes ces conjectures, l’inquiétude
s'accroît alors que la vérité semble se préciser.
Mais quoi ? Qui ? Quelle vérité ?
Dans ce livre Patrick Modiano pousse loin l’économie
textuelle : avec un nom et une adresse, il fait un chapitre.
Somme toute, chaque personnage est réduit à un
nom associé à un nom de lieu.
Rencontre avec le photographe JM Mansoure : le réseau téléphonique
d’autrefois dans l’intervalle des sonneries, la peur, les rencontres
clandestines, la sexualité inavouable, à l’époque.
Modiano risque même un chapitre entier sur les photos d’un personnage
disparu mais les souvenirs encore sont ils réels ou inventés
?
Guy Roland revient à l’agence Hutte où les souvenirs affluent
mais étayés par le parcours accompli. Il y aurait eu un Pedro
caché dans un hôtel : la fuite , la peur, l’exil, la clandestinité.
Et surtout cette lettre de Hutte qui le nomme « Guy »
«
Vous aviez raison de me dire que dans la vie, ce n’est pas l’avenir
qui compte, c’est le passé. »
Alors deux identités Pedro Stern ou Pedro Mc Evoy Aurait-il eu plusieurs
noms ? Qui j’étais, quel nom d’emprunt ? Il va jusqu’à Valparaiso… Pour
la deuxième fois, il est reconnu. Jamais, il n’avoue qu’il
a perdu la mémoire. Pourtant… Souvenirs plus précis ou
reconstruction ? Dis moi, Pedro… Quel était ton vrai nom ? » Vérité et
mensonge.
Une étape à Vichy : souvenirs réels ou inventés.
De nouveau, la peur, la fuite, la culpabilité. Il va aussi chercher
des traces au collège de Luiza, se demande comment était le père.
Un père un inconnu, encore. Une couche encore dans l’inconnu :
des comtes cachés ou des roturiers falsificateurs ? Dans les quarante
dernières pages, un afflux d’images, de souvenirs plus précis,
il semble recouvrer la mémoire. Ou s’invente-t-il un passé ?
Une nouvelle scène de la fuite, mais fuir quelle menace ? Une scène
de contrôle dans un train et survient un imaginaire romanesque celui
qui s’est forgé avec le Cinéma.
Pédro passe une frontière, est abandonné dans la montagne.
Et puis ces retours sur les lieux de l’abandon, de la perte, de la fuite.
Mais aller-retour immédiat.
Aucun souvenir vrai, réel : « vréel »
Rue
des boutiques obscures, premières pages
Les
boutiques obscures : Modiano et Perec par Roland Brasseur et
Denise Cima, 29 mai 1999 Un article publié sur
le site de l'Association Perec.
Le
Roman
Milan Kundera dans "L'Art du Roman" dresse ce tableau
du Roman qui réfléchit sur lui-même (il = le roman)
"
avec
(...) Cervantès, il se demande ce qu'est l'aventure; avec Samuel
Richardson, il commence à examiner 'ce qui se passe à l'intérieur',
à dévoiler la vie secrète des sentiments; avec Balzac, il découvre
l'enracinement de l'homme dans l'Histoire; avec Flaubert, il explore
la terra jusqu'alors incognita du quotidien ; avec Tolstoï, il
se penche sur l'intervention de l'irrationnel dans les décisions
et le comportement humain. Il sonde le temps : l'insaisissable
moment passé avec Marcel Proust; l'insaisissable moment présent
avec James Joyce. Il interroge, avec Thomas Mann, le rôle des
mythes qui, venus du fond des temps, téléguident nos pas.."
Rudy
Le frère mort d'une maladie du sang à 10 ans, en 1957. PM lui
adressera ses romans de 1967 à 1982 comme s'il
poursuivait
à
travers
l'espace
romanesque une conversation interrompue... Rudy modiano
est enterré au Père Lachaise, dans le carré juif à quelques
mètres de la tombe de Modigliani.
« Le choc
de sa mort a été déterminant. Ma recherche
perpétuelle de quelque chose de perdu, la quête
d’un passé brouillé qu’on ne
peut élucider, l’enfance brusquement cassée,
tout cela participe d’une même névrose
qui est devenue mon état d’esprit ».
Cité par Pierre Assouline dans Modiano, lieux
de mémoire, Le Magazine littéraire.
« Dans les rêves, les gens qu’on a perdus
nous apparaissent derrière un voile. En relisant
les épreuves de Remise de
peine, j’ai eu ce sentiment. Il y avait un blanc.
Nabokov a expliqué que quand on mettait un personnage
de la vie réelle dans la fiction, il se confondait
avec le tissu romanesque et c’était une trahison.
Mais je n’ai pas eu ce sentiment avec Rudy. Parce
que je ne lui ai pas donné d’existence individuelle.
Pas de prénom. C’était toujours "mon
frère et moi" Je ne l’ai pas trahi... ».
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