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Au Temps
Dictionnaire Patrick Modiano

Bernard Obadia

Dernières entrées dans le Dictionnaire

 

B  D  E  F  G  H  I  J  K  L  M  N  O  P  Q  R  S  T  U  V  W  X  Y  Z 

B  D  E  F  G  H  I  J  K  L  M  N  O  P  Q  R  S  T  U  V  W  X  Y  Z

M

Magnétisme des choses 
" (...)  trouver une sorte de surréalité à des choses banales, à des décors. Comme une rue qui, objectivement, n'a aucun intérêt. (...)
Pourquoi rechercher cette surréalité?
P.M. Parce que j'ai l'impression que la vraie réalité de cette chose se trouve dans cette surréalité. Il y a une sorte de phosphorescence qui ne vient pas forcément de moi mais qui vient de la chose elle-même."  
Lire, octobre 2003 à l'occasion de la publication de Accident nocturne, roman, 2003

Mai 68. 1
<< - Avez-vous participé aux événements de mai ?
J'étais plutôt décalé. Notamment parce que le mouvement était lié à l'université, et que j'avais abandonné mes études. J'avais des amis qui participaient, alors j'ai pris part à des manifestations. Mais pas avec ce côté militant, pas dans un groupe. C'est bizarrement quand j'avais 12-13 ans que j'ai eu une sorte d'obsession politique. J'écrivais des textes... ce sont les premières choses que j'ai écrites. Un peu comme des pamphlets, comme La Place de l'Étoile en un sens. Il y avait des textes sur Staline, sur Castro, comme c'était le début de la révolution de Cuba. Il y avait des événements qui m'avaient frappé, enfant : la mort de Staline... Mais c'était un peu en décalage, toujours, vu mon âge. Je me suis beaucoup intéressé à la guerre d'Algérie, mais c'était plus normal car j'avais 15-17 ans. À cette époque-là, au moment de l'Algérie, il y avait une atmosphère qui rappelait la période de l'Occupation : on avait par exemple instauré un couvre-feu, pour les mineurs de moins de 16 ans, si je me souviens bien. Il y avait aussi une sorte de police parallèle...>>
Entretien avec Maryline Heck, Magazine Littéraire, n° 490, octobre 2009

Mai 1968. 2
<< Ce qui m’a frappé alors dans cette insurrection, c’est que les types de mon âge avaient oublié qu’ils étaient eux-mêmes compromis dans la société dont ils s’improvisaient les juges. Ils en étaient les collaborateurs, cela même les disqualifiait.>> Extrait d’une interview entre Patrick Modiano et Magazine littéraire

Malaise / sensation*
<< J’ai commencé à éprouver un drôle de sensation, sans doute à cause des trottoirs déserts, de la brume de chaleur et du silence autour de moi. A mesure que je descendais le boulevard Murat, mon malaise se précisait : j’avais enfin découvert le quartier où je me promenais souvent, dans mes rêves, avec Jacqueline. Pourtant, nous n’avions jamais marché ensemble par ici, ou alors c’était au cours d’une autre vie. [...] J’ai reconnu les fontaines, au milieu de la place. J’étais sûr que d’habitude Jacqueline et moi nous suivions une rue à droite, derrière l’église, mais je ne l’ai pas retrouvée, cet après-midi-là. >> D.P.O., p.163

 

Manques (impairs , passes)
Une force liée aux manques, aux blancs, à un "ne pas tout dire parce que c'est impossible", là dans un endroit intime où les lecteurs trouvent une place ou reconnaissent celles qu'ils peuvent occuper de façon aléatoire. Les lecteurs de PM comme ses personnages ont-ils besoin d'aides, de suivi tant ils sont fragiles : absences, disparitions, trous de mémoire, détours, modifications, interrogatoires...
Aucun  rebondissement.
Un espace romanesque du puzzle, de la pièce manquante, présente, désignée, supposée dans le livre manquant, dans le livre à venir, dans Le Livre antérieur. Et puis, et puis, ces narrateurs : "(...) des narrateurs sont tout encombrés d'eux-mêmes et cherchent pourtant à se voir de plus loin : un incident, un accident les réveille d'une tristesse nonchalante et date une sorte de présent de référence pour le livre, un événement qui sépare un avant et un après, que l'on pourra observer d'un «plus tard», le moment de l'écriture." (Par Jean-Baptiste HARANG
, Libération 02-10-03)  

Marché noir
<< La locution « marché noir » est apparue pendant la Seconde Guerre mondiale (majuscules à Seconde, adjectif précédant le substantif, et au nom Guerre, mais pas à mondiale, parce que cet adjectif, lui, vient après le nom commun, devenu nom propre dans cette dénomination d'un événement historique).
D'où vient ce surnom pour désigner un marché parallèle et clandestin ? Sans nul doute parce que noir évoque l'ombre, la nuit - même si les transactions ne se déroulaient pas forcément à des heures nocturnes, même si cette activité « souterraine » ne s'exerçait pas obligatoirement dans les caves ou les tunnels du métro... Cela est beaucoup plus plausible qu'une origine située outre-Manche, dès lors que l'on affirme que l'expression black market aurait été développée à partir de black money. Dans ce cas, le « marché noir » britannique aurait fait allusion non à un marché parallèle, mais à de la fausse monnaie, à des prétendues pièces en argent qui, en fait, étaient constituées d'étain argenté... et qui noircissaient réellement. Certes, il peut y avoir eu recoupement, dans la mesure où la monnaie imitée a pu servir à s'approvisionner « au noir », à payer à des prix prohibitifs la moindre denrée...
Le « marché noir » s'est installé en France en conséquence de la débâcle militaire et de l'occupation du pays. L'occupant accaparant la production nationale, les Français, en tous domaines - nourriture, vêtements, fournitures... - se retrouvèrent face à la pénurie et au rationnement. Ils se saignèrent pour se procurer si possible, et à un prix de plus en plus fort, même exorbitant, le nécessaire.
Le « marché noir » ne consista pas seulement en un marché parallèle où des citadins démunis, le plus souvent, cherchèrent à se procurer ce qui était rationné ou complètement absent des boutiques, il résidait dans une spirale inflationniste incontrôlée qui permit à certains producteurs ou intermédiaires, en particulier des courtiers et grossistes, des ferrailleurs, d'amasser des profits colossaux.
Dans Au bon beurre, Jean Dutourd dépeint quelques « joyeux profiteurs de guerre », des crémiers « petits artisans du marché noir », à leur échelon. Bien que ces commerçants se soient notablement enrichis, les profits de la famille Poissonard ne sont pas du niveau des fortunes engrangées, dans la réalité, par les rois du marché noir, souvent proches du pouvoir ou qui jouèrent plusieurs cartes...
L'expression est passée dans le langage courant pour désigner le commerce illicite de biens et de marchandises qui, interdits ou soumis à un contrôle très strict, sont vendus... « au noir ».
Pour les Français, le souvenir des années très grises étant évidemment très présent, « marché noir » sous-entend indubitablement qu'il y a transaction à des prix abusifs (« le soir de la finale de la Coupe, des billets se vendaient au marché noir - dix fois le prix d'émission du billet - autour du Parc des Princes ») ; pour d'autres, « marché noir » désignera toute économie clandestine, sans qu'il y ait ipso facto des prix prohibitifs.>> Jean-Pierre Colignon, Le Monde du 22 février 2004

Matière sombre
«Derrière les événements précis et les visages familiers, il sentait bien tout ce qui était devenu une matière sombre: brèves rencontres, rendez-vous manqués, lettres perdues, prénoms et numéros de téléphone figurant dans un ancien agenda et que vous avez oubliés, et celles et ceux que vous avez croisés sans même le savoir. Comme en astronomie, cette matière sombre était plus vaste que la partie visible de votre vie. Elle était infinie.» L'Horizon, Gallimard, 2010

Mélange
Réel, imaginaire glissent, s'échangent, se mêlent, se manifestent, imprévisibles et inévitables tant les fils de l'autobiographie se tissent avec l'ordre romanesque.

le Même livre
"- Est-ce que vous n'avez pas l'impression de faire chaque fois le même livre ?
- Tout à fait ! Les choses se répètent, les mêmes noms reviennent. Ce ne sont pas vraiment d'ailleurs des répétitions, mais des ébauches sur lesquelles je reviendrais sans cesse. Une surimpression... C'est un peu comme si j'écrivais le même livre, mais par à-coups : l'époque n'est plus aux cathédrales, mais à l'effort discontinu."
Entretien avec Christophe Ono-dit-Biot , à l'occasion de la parution de Dans le café de la jeunesse perdue, 27/09/2007, - © Le Point N°1828-

Matières
<< Modiano fait ainsi sa matière de ses propres rêveries. Il lui suffit de regarder le monde tel qu'il se dessine sous ses paupières closes pour lancer le manège à trois temps de ses obsessions. Le lecteur reconnaît quelques points fixes du décor, des boulevards ou des places aisément repérables sur le plan de Paris (le boulevard Jourdan, la place de Clichy, l'avenue Malakoff et le bois de Boulogne). Les circonstances varient peu, nous sommes toujours dans l'après-guerre, même si cette fois-ci, au fil des années qui passent, le souvenir de l'Occupation semble s'estomper. Des personnages apparaissent, qui tiennent des conversations banales, mais certaines expressions («pays natal») exercent un pouvoir magique sur leur volonté. Ils sont tous plus ou moins sur le qui-vive, dans l'attente de quelque chose ou de quelqu'un. Si la main invisible qui conduit leurs actions semble incertaine, c'est parce que ces personnages sont des créations non de l'Histoire, mais du songe. Leur statut évanescent ne leur évite pas de tituber dans les décombres de la vie. Les fantômes aussi ont du mal à vivre. >>
Daniel Rondeau, "Modiano, logique interne", l'Express du 14 mai 2001

LA MÉDITERRANÉE DE PATRICK MODIANO (NICE* TUNIS* ALEXANDRIE*)
par Annie Demeyere

Mégève
« Que faisaient mon père et ma mère en février 1944 à Megève ? Je le saurais bientôt– pensais-je. » Le saura-t-il jamais ? Tout porte à crorie que la mémoire va être recouverte par d'autres couches fictionnelles et que cet espoir, cette attente, ce désir
(quoi choisir ?) va durer tant qu'il composera ses livres à la circonférence du réel et de la fiction. PM est dans le savoir du passé et dans l'Insu, il écrit pour mobiliser des forces, une énergie qui l'entraîne et surtout le fait dériver. L"oeuvre entière serait comme un immense habitacle en dérive qui décrit des cercles concentriques autour d'un centre indéchiffrable. Il dit : « Il est impossible d’être son propre spectateur, d’entendre sa voix ou de se voir de dos. Je n’écris pas pour meconnaître moi-même, pour m’adonner à un jeu introspectif », Écrire revient à « injecter de la fiction dans la réalité et à styliser des éléments autobiographiques ». Et c'est dans un mouvement circulaire que ces "éléments autobiographiques" étayent et complexifient, à la faveur d'une étonnante simplicité langagière,des strates fictionnelles qui avancent et se rétractent.


 Mélancolie, Bonheur*
    Jérôme Garcin  – Plusieurs fois dans ce livre  [Accident nocturne] vous dites avoir le goût du bonheur et ordonné votre vie, depuis trente ans, à la manière d’un jardin à la française. Cela surprend parce qu’on vous voit davantage du côté de la mélancolie et des forêts impénétrables...
    P. Modiano. – Vous savez, j’ai toujours eu le sentiment que ma nature profonde était la faculté au bonheur, mais qu’elle avait été détournée tout au long de ma vie par des circonstances extérieures. C’est le hasard qui m’a fait naître en 1945, qui m’a donné des origines troubles et qui m’a privé d’un entourage familial. Je ne peux pas me sentir responsable des idées noires, de l’angoisse, d’une certaine forme de morbidité qui m’ont été imposées. Je n’ai jamais choisi le matériau de mes livres. J’ai dû écrire non pas avec ce que je suis, c’est-à-dire quelqu’un de banal et heureux, mais avec ce que le destin a fait de moi. Comme je le dis à un moment dans ce livre, «à la profondeur du tourment, je préfère la légèreté du bonheur». Mais je me console en me disant que tout est programmé et que si ça n’avait pas été moi, un autre aurait eu l’impression d’être un clandestin. Moi, si j’étais né à la campagne, j’aurais été un écrivain paysagiste. Cela m’aurait suffi. 
   
Jérôme Garçin – En somme, la phrase de Jacqueline Beausergent, à la fin d’«Accident nocturne» – «la vie est beaucoup plus simple que tu ne le crois», p. 147 –, résonne comme une morale...
    P. Modiano. – Oui, c’est absurde de se faire tant de mal quand la vie est si bien. Mais, lorsque j’écris, je ne me maîtrise pas. Et plus je me promets de fuir le marécage, plus j’y retourne. De même, je n’arrive pas à utiliser la troisième personne du singulier, je suis prisonnier du je que j’utilise dans mes romans depuis toujours.
Jérôme Garcin, Rencontre avec P Modiano, Le Nouvel Observateur, 2 octobre 2003

 

Même livre (écrire le)
<< Patrick Modiano n'écrit pas toujours le même livre, il le continue.>>
Jean-Baptiste Harang (Libération, 02-10-03)
Et si  cette évidence en forme de sentence prononcée seulement en octobre 2003 (après 30 romans) pouvait désigner intimement le travail de Modiano depuis 1968. A chaque publication, l'idée que chaque livre répète le précédent perdure en une sorte de "rien dire de plus" qui habille certains discours journalistiques...
Oui, PM "continue le même livre" depuis toujours dans une sorte de vaste  "Comédie du Temps" dont le personnage principal serait un narrateur à la fois  précis et indécis, un furet qui se porte là où ne le devine pas toujours. Pourtant...


Mémoire

Mémoire / passé
Il aurait dit à Emmanuel Berl en 1976 «Me créer un passé et une mémoire avec le passé et la mémoire des autres.» 

Mémoire et lieux*
<< Sa mémoire est fragmentaire et associative : grâce à une sorte de translation de repères, il mêle volontiers souvenirs personnels, fantasmes, Histoire et littérature, brouillant la ligne de démarcation entre la fiction et la réalité.(...) Les lieux, en plus de leur fonction narrative, ont un rôle référentiel : ils sont des panneaux qui, en plus de donner une cohérence chronologique au récit, fournissent de précieuses indications sur la portée personnelle et historique du texte. S’il ne cherche pas à livrer dans son œuvre son autobiographie, les lieux sont cependant entourés d’un réseau de connotations personnelles qui permettent un déchiffrage de l’espace romanesque : en effet, la topographie fait plus qu’esquisser un décor, et les lieux, loin d’être des objets à décrire, sont scrutés comme des sources dont le sens peut naître.
Il ne s’agit pas de voir dans le narrateur un reflet exact de l’auteur, mais de démontrer que la fiction devient autofiction dans la mesure où elle s’inscrit dans une ville, Paris, au centre de la mémoire et de l’imaginaire de Modiano, et sur laquelle il fait fonction de deus ex machina.
Aussi les lieux renvoient-ils à une réalité extra-textuelle, liée tantôt à l’expérience de l’auteur, tantôt à l’Histoire, assez consistante pour dessiner géographiquement sur une carte l’univers personnel de l’auteur. « Son » Paris est une ville divisée, et le narrateur est écartelé entre la Rive Gauche et la Rive Droite, qui symbolisent l’enfance face au monde adulte, (...)
Carine Duvillé Errance et Mémoire : Paris et sa topographie chez Patrick Modiano Mémoirede maitrise, juillet 2000. Paris IV, Sorbone.

Mémoire et noms*
<< J’aurais brassé les papiers, comme un jeu de cartes, et je les aurais étalés sur la table. […] Tout se limitait donc pour moi, en ce moment, à une vingtaine de noms et d’adresses disparates dont je n’étais que le seul lien ? [...]Si je le décidais, je quittais cette table et tout se déliait, tout disparaissait dans le néant.>> D.P.O. p 72-73

Mémoire de la résistance et de la déportation
Un portail qui propose plusieurs centaines de sites et de ressources historiques et contemporaines.

Mémorial de la déportation des Juifs de France, ( 1978). 1 par Serge Klarsfeld.
<< A partir de la moitié des années soixante-dix, l’orientation de l'oeuvre commence à changer progressivement, jusqu’à aboutir à une poétique tout à fait nouvelle. Deux événements capitaux nous semblent liés à cette modification profonde. La mort du père qui met fin à cette sorte de bataille polémique que son fils ne cessait de livrer à ce progéniteur obscur et troublant et – surtout – le choc ressenti à la lecture du Mémorial de la déportation des Juifs de France, publié en 1978 par Serge Klarsfeld.
Profondément bouleversé par cette liste de quatre-vingts mille noms, prénoms et dates de naissance qui, simplement juxtaposés sans aucun commentaire, agissent sur le lecteur avec une puissance qu’aucun texte littéraire ne peut atteindre (...)>> La topographie de la mort chez Patrick Modiano par Eva Beránková (Prague) l’Association Gallica, l’Institut Français de Prague et l’Institut de Langues et Littératures Romanes de l’Université Masaryk de Brno

Mémorial de la déportation des Juifs de France. 2
<< - Un événement me semble toutefois avoir marqué un tournant dans votre approche de l'Histoire dans l'écriture, c'est la découverte du travail de l'avocat Serge Klarsfeld. Vous avez écrit un très bel article à ce sujet, où vous lui exprimiez votre reconnaissance, où vous évoquiez le « choc » que fut pour vous la lecture de son Mémorial (2). «J'ai douté de la littérature [...], écriviez-vous alors. Il me semblait que le seul livre qu'il fallait écrire, c'était ce Mémorial, comme Serge Klarsfeld l'avait fait.»
PM - Ce Mémorial avec tous ces noms, ces listes de noms, donnait à la Shoah une dimension inédite, une réalité qu'elle n'avait pas avant. Ç'a été une forme de prise de conscience pour moi. Ces listes avaient quelque chose de définitif. Et ce qui m'a fait un choc, c'est que le Mémorial rejoignait précisément certains thèmes que je portais en moi depuis longtemps, des motifs récurrents dans mes livres, comme la disparition, le thème de l'anonymat des êtres... Car il n'y a dans ce Mémorial que des noms, des dates de naissance. Ça rejoignait des choses qui m'ont toujours hanté : une précision très ponctuelle, entourée d'un immense néant. Le Mémorial rejoignait l'une des motivations essentielles que j'ai d'écrire : retrouver quelque chose de très précis, mais un seul élément, tout le reste étant nimbé d'incertitude. Ça faisait écho aussi à un sentiment que j'ai par rapport à mon enfance*. Il y a des enfances que l'on pourrait dire logiques, compréhensibles. La mienne avait quelque chose de fractionné ; elle était faite de pièces éparses que j'avais du mal à coordonner. Mes souvenirs d'enfance manquaient de cohérence, car il y a eu ces déplacements, ces changements de lieux, de personnes sans que je comprenne toujours pourquoi. Tout cela m'était énigmatique.>>
Entretien avec Maryline Heck, Magazine Littéraire, n° 490, octobre 2009

Mémorial de la déportation des Juifs de France. 3
<< J’avais écrit trop jeune un premier livre où je rusais avec l’essentiel, en tâchant de répondre de manière désinvolte aux journalistes antisémites de l’Occupation, mais c’était comme pour me rassurer, faire le malin quand on a peur et que l’on parle trop fort dans le noir. Après la parution du Mémorial de Serge Klarsfeld, je me suis senti quelqu’un d’autre. Je savais maintenant quelle sorte de malaise j’éprouvais.>>
<< Son Mémorial m’a révélé ce que je n’osais pas regarder en face et la raison de mon malaise que je ne parvenais pas à exprimer [...] Et d’abord, j’ai douté de la littérature. Puisque le principal moteur de celle-ci est souvent la mémoire, il me semblait que le seul livre qu’il fallait écrire, c’était le mémorial, comme Klarsfeld l’avait fait. Je n’ai pas osé, à l’époque, prendre contact avec lui ni avec l’écrivain dont l’œuvre est souvent une illustration de ce mémorial, George Perec. >>
Libération, 2 novembre 1994


MEMORY LANE

 

Memory Lane, 1981, Première pages

Mère 1 (la)
Elle était comédienne, jouait au théâtre, au cinéma, faisait des doublages. La mère avait un accent slave alors elle doublait des actrices qui avait déjà un accent anglais comme Zsa Zsa Gabor dans "Les Arpents verts".  Lorsque Modiano avait 12, 13 ans, il l'accompagnait dans les studios de synchronisation, découvrait déjà comment ça fonctionnait, le cinéma… La mère a joué dans la dernière pièce de Giraudoux, "Pour Lucrèce" avec Anna Karina et Jean Luc Godard y tenait un petit rôle. La mère a tourné une scène dans "Bande à part" de Godard depuis la fenêtre de la chambre de Modiano, il avait 18 ans. Pendant que ces scènes étaient tournées, peut-être songeait-il à la construction de "La place de l'Etoile".

« Ma mère est absente de mon œuvre, car je cherche à la préserver de l’impureté. L’affaire se situe entre mon père et moi. Mon père a pu préserver sa vie grâce à une attitude trouble, grâce à de multiples concessions. Ce qui alimente mon obsession, ce n’est pas Auschwitz, mais le fait que dans ce climat, pour sauver leur peau, certaines personnes ont pactisé avec leurs bourreaux. Je ne réprouve pas pour autant la conduite paternelle. Je la constate. » (Interview accordée à La Croix, 9–10 novembre 1969; citée par Morris, p. 42)

« C’était une jolie fille au cœur sec. Son fiancé lui avait offert un chow-chow mais elle ne s’occupait pas de lui et le confiait à différentes personnes, comme elle le fera plus tard avec moi. Le chow-chow s’était suicidé en se jetant par la fenêtre. Ce chien figure sur deux ou trois photos et je dois avouer qu’il me touche infiniment et que je me sens très proche de lui.»
« Jamais je n’ai pu me confier à elle ni lui demander une aide quelconque. Parfois, comme un chien sans pedigree et qui a été un peu trop livré à lui-même, j’éprouve la tentation puérile d’écrire noir sur blanc et en détail ce qu’elle m’a fait subir, à cause de sa dureté et de son inconséquence. Je me tais. Et je lui pardonne. Tout cela est désormais si lointain… »
Un Pedigree, roman, Gallimard, 2006

Mère 2
<< Et puis, j’ai pense à ma mère qui faisait souvent des tournées en province. Les tournées Carinthy, théâtre de boulevard garanti. Comme elle parlait le français avec un accent balkanique, elle jouait les rôles de princesses russes, de comtesses polonaises et d’amazones hongroises. [...] Les tournées Carinthy parcourent toute la France.>> La Place de l’étoile, p.52.

 

 

Métro de Paris

http://www.paris-plan-net.com

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Le Mexique, L'Eldorado
<< En 1945, juste après ma naissance, mon père décide de vivre au Mexique. Les passeports sont déjà prêts. Mais, au dernier moment, il change d'avis. Il s'en est fallu de peu qu'il quitte l'Europe après la guerre. Trente années plus tard, il est allé mourir en Suisse, pays neutre. Entre-temps, il s'est beaucoup déplacé : le Canada, la Guyane, l'Afrique équatoriale, la Colombie. Ce qu'il a cherché en vain, c'était l'eldorado.>> Ephéméride, 2002, Mercure de France, ed.

Mondianien ?
- Plusieurs fois il a croisé cet adjectif dans des articles de presse et s'est demandé la validité, mais aussi la nécessité d'une telle appellation : "Mondianiens, Mondianistes, Mondianismes, Modianesque (tiens, il y aurait comme une tranche de romanesque dans ce dernier), et d'autres encore qu'il faudrait inventer lorsque que l'on veut tenter de dire. Mais la seule appellation acceptable reste le nom, (le nom du père) : Patrick Modiano avec le rythme et le coordonné de ce prénom et de ce nom qui se répondent et sont comme tendus sur une ligne en l'air, là-bas très haut. Une flèche souple pointée vers les directions où sont appelés à déambuler les personnages de l'œuvre. Dans un espace langagier où les noms de lieux, les noms de personnages ont un telle puissance évocatrice, inlassablement répétés en variations infinies, le nom de l'auteur devient absolument indispensable, comme s'il trouvait une place entre les noms inventés ou rapportés. "PM", la réduction du nom de l'auteur à ses initiales est le seul raccourci admissible car il porte les deux extrémités de la tension. 

Modiano (Rudy)
<< A partir de cet instant-là, il y a eu une absence dans ma vie, un blanc, qui ne me causait pas seulement une sensation de vide, mais que je ne pouvais pas soutenir du regard.>>
Dans le café de la jeunesse perdue, p.147

Modiano Albert, le père 
Albert Modiano était homme d’ »affaires », mais son fils, Patrick, reconnaît n’avoir jamais su, ni compris de quelles "affaires". Un père secret, énigmatique, juif d'origine oriental, né en France en 1912 : "un grand brun au physique de danseur argentin"(Paris Tendresse, Brassai-Modiano, 1991, édition Hoëbeke).
Cette figure paternelle est au centre de l'œuvre : personnage trouble, déambulant volontiers dans un monde interlope, et cela même avant guerre. 
"De 1939 à 1945, le père de l'écrivain séjourna à Paris, en pleine zone occupée, sans jamais porter l'étoile jaune imposée par les lois* "anti-juives" du gouvernement de Vichy. Il a donc dissimulé ses origines et vécu d'expédients sous de fausses identités. Dans Livret de famille, l'écrivain raconte qu'Albert Modiano épousa Luisa Colpeyn le 24 février 1944 à Megève, sous le nom de "Guy Jaspaard de Jonghe". Après la guerre, sa réussite dans le monde des affaires paraît incontestable. Installé sur la rive droite, rue Lord-Byron, Albert Modiano est alors amené à faire, comme l'évoque le narrateur de Remise de peine, de fréquents et énigmatiques voyages à Brazzaville. Albert Modiano quittera définitivement le foyer familial au début des années soixante. Il mourra en 1978, sans que son fils n'ait eu, réellement, l'occasion de le revoir."
Bruno Doucet, La Ronde de nuit, Profil Hatier, 1992.


"La rive droite c’est la rive du père. Il avait son bureau rue Lord Byron (... « Parfum de cuir, pénombre, conciliabules interminables et des Noirs très élégants aux cheveux argentés. « (Villa triste) C’était l’époque des mystérieux voyages à Brazzaville et de la chimérique Société africaine d’entreprise (...).
Albert Modiano était un juif dont la famille avait, au fil des siècles, successivement émigré de Modène à Trieste, Salonique puis Alexandrie. Il était né en 1912 à Paris IXéme. Livré très jeune à lui-même, il a toujours eu un passé flou que l’Occupation a rendu encore plus flou, fréquentant des gens troubles ou invraisemblables. (... Albert Modiano a réussi à vivre les années d’Occupation dans l’illégalité totale sans jamais quitter Paris. Ne s’étant pas fait recenser comme juif ainsi que les lois Vichy l’y contraignaient, il n’eut jamais à porter l’étoile jaune. Patrick Modiano a réalisé que son père avait vécu sous une double identité en découvrant, un jour, à la porte de l’immeuble du 15, quai Conti, le nom de Henri Lagroua en face de son étage, le quatrième. Il interroge la concierge : « Mais Patrick, c’est votre père ! « Depuis, il n’a cessé de chercher pour comprendre : « un ami lui avait donné ses papiers après en avoir déclaré la perte. Ils étaient deux à posséder la même identité. Malgré cela, ils prenaient souvent le risque d’être ensemble au même endroit. Ils faisaient en sorte que l’un ou l’autre n’ait pas ses papiers sur lui ». (...Patrick Modiano a cessé de le voir à l’âge de 17 ans. Ils se sont brouillés quand le père a rempli d’office les papiers militaires d’incorporation de son fils. Traité par son fils de « sergent recruteur », il a rompu les ponts avec lui. Patrick Modiano a appris par la suite que La place de l’Etoile l’avait beaucoup choqué (...A l’occasion de vacances sur les rives du lac Léman, le père et le fils allaient enfin reprendre contact. C’est alors qu’Albert Modiano est décédé, dans des circonstances non élucidées : « J’ai été prévenu tard. Je n’ai jamais reçu un quelconque papier administratif. Je ne sais même pas où il est enterré ». A force de le chercher, Patrick Modiano est devenu lui-même un agent double.
"Modiano, lieux de mémoire"
D’après Pierre Assouline (1994), Textes publié par FR3, Un siècle d'écrivains.

Monologue intérieur
<<A la lecture d’un roman de Modiano, on a l’impression d’entrer littéralement dans une conscience, l’illusion d’être à l’intérieur d’un esprit : la technique du monologue intérieur lui permet de passer d’un thème à un autre ou d’une époque à une autre sans craindre les incohérences ou les anachronismes. La superposition des strates temporelles, qui s’accentuent en même temps qu’elles s’anéantissent, la chanson de l’amour qui s’en va, les isotopies de l’accident, de la disparition, des fuites et des fugues, la ronde obsessionnelle des visages et des noms, les sensations fugitives et les chocs d’une révélation, tout rapproche ses récits de la transcription d’une musique intérieure.>>
Carine Duvillé Errance et Mémoire : Paris et sa topographie chez Patrick Modiano Mémoirede maitrise, juillet 2000. Paris IV, Sorbone.

Moins
"(...) Je n'ai aucune facilité de plume, et écrire pour moi est un travail un peu pénible, bien que le résultat donne une impression de facilité. J'essaie de dire les choses avec le moins de mots possible."   
Paris-Match, 13 mars 1981, p. 56.

 

Paul Morand

 

Paul MORAND (Poète et romancier français (Paris, 1888 — id., 1976)
<< Diplomate de carrière (il fut ambassadeur à Bucarest et à Berne de 1940 à 1944), écrivain cosmopolite par vocation, il fut, dans ses romans et ses nouvelles, le chroniqueur brillant et impertinent de l'Europe des années 20 (Ouvert la nuit, 1922; Fermé la nuit, 1923; Lewis et Irène, 1924; l'Europe galante, 1926; Londres, 1933). Il se révéla moraliste à travers des ouvrages qui font plus de part à l'histoire et au passé (l'Homme pressé, 1941; Hécate et ses chiens, 1954; Fin de siècle, 1957; Fouquet ou le Soleil offusqué, 1961; le Nouveau Londres, 1963; Venises, 1971). [Académie française, 1968].>> Hachette encyclopédie
2. Notice de l'Académie française
Dans le Journal inutile de Morand publié en 2001 (2 tomes), l'œuvre de Modiano semble tout particulièrement appréciée par cet écrivain ouvertement xénophobe et antisémite. Il fut d'ailleurs l'un des ambassadeurs qui se rallia à la politique de Vichy, ce que ne lui pardonnera pas le Général de Gaulle.

3. Paul Morand (sur) Entretien avec Phlippe Lançon
<< (...) vous avez rencontré Paul Morand, qui parle de vous dans son «Journal Inutile».
Morand, c'est lié à un truc très bizarre, qui vient des moeurs littéraires de l'époque, pas tellement différentes de celles des années trente. Quand j'ai publié la Place de l'Etoile , j'ai eu un prix donné par cette riche mécène américaine, Florence Gould. Il y a eu un déjeuner avec des gens très hétéroclites, de René Clair à Marcel Jouhandeau. Et donc Morand. Evidemment, il avait été un peu surpris par mon livre, où il y avait des choses désagréables sur l'Occupation. Bizarrement, il était très taciturne. Il ne m'a rien dit, pas un mot, mais il m'a donné une lettre dans laquelle il avait écrit ce qu'il pensait de mon livre. Ensuite, il m'a téléphoné à trois ou quatre reprises pour me voir. C'était très laconique : «Lundi prochain, 2 heures», puis il raccrochait. Les gens de son époque pouvaient faire ça.
Vous avez cette difficulté à finir vos phrases et lui, il était muet : de quoi et comment parliez-vous ?
Il pensait que des gens de ma génération ne savaient même plus qui il était, donc il était surpris parce que j'avais lu ses livres. Il me posait des questions, par exemple : «Et Montherlant, vous le lisez ?» Il essayait de tâter le terrain, de comprendre ma génération. Il aurait peut-être aimé qu'il y ait plus de gens comme moi, mais c'était fini. Il était claquemuré, mais, brusquement, il pouvait vous prendre par le bras pour marcher, d'un geste un peu rugueux... non, pas rugueux : un geste d'avant 1914. Comme Montherlant, que je croisais dans mon quartier, et qui marchait avec son manteau sous le bras qui, main sur la hanche, faisait comme une boucle (Modiano se lève et fait le geste).
Les livres de Morand vous ont marqué ?
Pas vraiment, en fait. Il n'avait pas de coeur. Il avait été trop gâté dans son enfance et son amertume venait de là, je crois. Ses livres ne me touchent pas. (...) >> Mais qui est Dédé Sunbeam ?, Les premières rencontres littéraires du jeune Modiano. Entretien avec Phlippe Lançon, Libération du 4 octobre 2007

Mot
<< Quelqu’un lui avait chuchoté une phrase dans son sommeil : Lointain Auteuil, quartier charmant de mes grandes tristesses, et il la nota dans son carnet, sachant bien que certains mots l’on entend en rêve, et qui vous frappent et que vous vous promettez de retenir, vous échappent au réveil ou bien n’ont plus aucun sens. >> L’Horizon, p.51.
 

Mystère (le)
<< Il ne faut jamais éclaircir le mystère. De toute façon, un écrivain ne le pourrait pas. Et même s’il cherche à l’éclaircir de manière méticuleuse, il ne fait que le renforcer. Samuel Beckett disait de Proust, qui ne faisait pratiquement rien d’autre que d’expliquer ses personnages : «Les expliquant, il épaissit leur mystère.>>
Entretien réalisé avec Patrick Modiano à l'occasion de la parution de "Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier" Bulletin Gallimard, (octobre 2014).

 


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