Naturel (le)
"Il ne vient jamais
naturellement, le naturel..."
Entretien avec Laurence
Liban, Lire, octobre 2003 à propos de la publication de Accident
nocturne, roman, 2003
Naissance
" La seule chose intéressante c'est ce qui a précédé ma naissance.
Quand on naît juste après la guerre, c'est assez bizarre. Cela
provoque des rencontres étranges qui ne se seraient pas faites
en temps normal. Ce sont des naissances un peu hasardeuses. C'est
plutôt un truc sociologique qu'il serait intéressant de voir."
Le Club reçoit Patrick Modiano,
Interview du 20/04/2001
Naissance
(date de) / Quarante sept
(47)*
<<
- Ce n'est tout de même pas un hasard si Rue des Boutiques
Obscures compte 47 chapitres, 1947 étant aussi la date
de naissance de votre frère, date que vous vous êtes
un temps attribuée, alors que vous êtes né
en 1945...
PM - Oui, là ce n'est pas un hasard. Ce chiffre 47 m'a
travaillé. Quand j'avais 19 ans, j'avais falsifié
mon passeport pour faire croire que j'avais 21 ans, l'âge
de la majorité. J'avais inscrit « 1943 » au
lieu de « 1945 ». Après, je l'ai refalsifié
pour rétablir la date, mais il était plus facile
de transformer le 3 en 7 qu'en 5. Je me suis alors trouvé
pris à mon propre piège : Gallimard avait photocopié
mon passeport car j'étais en lice pour le prix Fénéon,
un prix décerné à de jeunes écrivains...
il fallait prouver que l'on n'avait pas encore 35 ans. Du coup,
cette date de 1947 s'est trouvée officialisée, et
cela m'a poursuivi.>> Entretien
avec Maryline Heck, Magazine Littéraire, n° 490, octobre
2009
Le
Narrateur
<< Dans la plupart de ses romans, l’écrivain
met en scène un narrateur à la personnalité
fragile qui, errant dans Paris, est interpellé par un personnage,
ou le souvenir d’un personnage, qui d’une manière
obscure semble avoir marqué son destin. Au fil de rencontres,
il va évoluer dans un univers romanesque cosmopolite et
flou. Ce statut du narrateur est l’un des motifs structurants
de l’œuvre de Modiano : un narrateur qui subit est
attiré par un groupe ; observateur passif le plus souvent,
il devient parfois acteur involontaire d’une réalité
qu’il ignore. Dans ce monde qu’il découvre,
il est toujours un peu en transit, comme un « voyageur qui
monte dans un train en marche et se retrouve en compagnie de quatre
inconnus ». Ainsi il nous apparaît comme un être
à la dérive, empreint d’une sorte de tristesse,
sans assise réelle dans la vie, sur laquelle il ne livre
que très peu de détails.Modiano met toujours en
scène cette figure du narrateur sans papier ni attache,
enfermé dans les mêmes obsessions, plus lancinantes,
de cette « mémoire qui précède la naissance
». >> Carine
Duvillé Errance et Mémoire : Paris et sa topographie
chez Patrick Modiano Mémoirede maitrise, juillet 2000.
Paris IV, Sorbone.
Naviguer au hasard
"Dans cette vie qui vous apparaît quelquefois comme
un grand terrain vague sans poteau indicateur, au milieu de toutes
les lignes de fuite et les horizons perdus, on aimerait trouver
des points de repère, dresser une sorte de cadastre pour
n'avoir plus l'impression de naviguer au hasard. Alors, on tisse
des liens, on essaie de rendre plus stables des rencontres hasardeuses." (Cité
par La république des Lettres, le 4 octobre 2007.)
Né le...
Patrick
Modiano est né le 30
juillet 1945 à Boulogne Billancourt et non pas en 1947 (année
de naissance de Rudy, le frère mort à 10 ans d'une leucémie).
Lors de la publication des premiers romans, les notices biographiques
portaient l'année "1947" : est-il "né" avec
ce frère trop tôt disparu dont il a longtemps porté le poids de
l'absence ou PM a-t-il voulu se donner une année de naissance,
comme ont peut décider pour un personnage ?
Névrose
"Ma
recherche perpétuelle de quelque chose de perdu, la quête d'un
passé brouillé qu'on ne peut élucider, l'enfance brusquement cassée,
tout participe d'une même névrose qui est devenu mon état d'esprit."
Magazine
Lire N° 176, mai 1990, Dossier consacré à Patrick Modiano,
cité par B. Doucey dans Profil N° 144, p. 6.
NICE
TUNIS* ALEXANDRIE*, LA MÉDITERRANÉE* DE PATRICK
MODIANO
par Annie Demeyere
PRIX
NOBEL DE LITTERATURE 2014, articles publiés (ou repris)
Discours
de Patrick Modiano, prix Nobel de littérature 10 décembre
2014, Stockholm
Noms
Noms
et des Dates (des)
Ces
noms inséparables de ces temps, ceux qui négociaient,
signaient les ordres de déportation, : Xavier Vallat, Darquier
de Pellepoix, René Bousquet, Jean Leguay, Fernand de Brinon,
négociant, marchandant comme des maquignons avec leurs
partenaires nazis Karl Oberg, Helmut Knochen, Theo Danneker, Otto
Abetz. Ce sont des dates : 14 mai 1941, 20 août 1941, 12
décembre 1941, en attendant juillet 1942 et la rafle du
Vélodrome d'hiver.
Les
noms évocateurs
<< Ils avaient de la chance, ces garçons, de cultiver
leurs chimères. Le quartier de Vaugirard s’y prêtait
admirablement. Calme, préservé, on aurait dit
une petite ville de Province. Le nom même de « Vaugirard » évoquait
les feuillages, le lierre, un ruisseau bordé de mousse.
Dans une telle retraite, ils pouvaient laisser libre cours
aux imaginations les plus héroïques. C’était
moi qu’on envoyait se frotter à la réalité et
qui naviguais en eau trouble.>> La ronde de nuit, 1969.
Noms
et lieux*
« J'aurais brassé les papiers, comme un jeu de cartes,
et je les aurais étalés sur la table. C'était
donc ça, ma vie présente ? Tout se limitait donc
pour moi, en ce moment, à une vingtaine de noms et d'adresses
disparates dont je n'étais que le seul lien ? Et pourquoi
ceux-là plutôt que d'autres ? Qu'est-ce que j'avais
de commun, moi, avec ces noms et ces lieux ? J'étais dans
un rêve où l'on sait que l'on peut d'un moment à
l'autre se réveiller, quand des dangers vous menacent.
Si je le décidais, je quittais cette table et tout se déliait,
tout disparaissait dans le néant. Il ne resterait plus
qu'une valise de fer-blanc et quelques bouts de papier où
étaient griffonnés des noms et des lieux qui n'auraient
plus aucun sens pour personne. » Du plus
loin de l’oubli.
Noms
et registre*
"Au fond, Bowing cherchait à sauver de l’oubli
les papillons qui tournent quelques instants autour d’une
lampe. Il rêvait d’un immense registre où auraient
été consignés les noms des clients de tous
les cafés de Paris depuis cent ans, avec mention de leur
arrivée ou de leur départ successifs. Il était
hanté par ce qu’il appelait ‘les points fixes".
Dans le café de la jeunesse perdue, 2007,
p; 19.
Nom
de personnes
"Comment écrivez-vous ?
P.M. Je pars du concret pour aller vers la fiction. J'utilise
souvent le nom de personnes qui ont vraiment existé parce
que ça m'aide à soutenir l'échafaudage. Je
détourne leurs noms, bien sûr." "Mon
Paris n'est pas un Paris de nostalgie mais un Paris rêvé"
entretien avec François Busnel (Lire), 04/03/2010
Noms et Mémoire
<< J’aurais brassé les papiers, comme un jeu
de cartes, et je les aurais étalés sur la table.
[…] Tout se limitait donc pour moi, en ce moment, à
une vingtaine de noms et d’adresses disparates dont je n’étais
que le seul lien ? [...]Si je le décidais, je quittais
cette table et tout se déliait, tout disparaissait dans
le néant.>> D.P.O. p 72-73
François
Nourissier : ' Il est mon premier Prix Goncourt",
témoignage.
« Patrick Modiano, c'est mon premier Goncourt. J'avais rejoint
le jury en 1977, et il a été récompensé
en 1978, avec Rue des Boutiques Obscures. Je me rappelle m'être
battu pour qu'il l'obtienne. Je me souviens également qu'après
l'annonce faite au lauréat, sa mère avait refusé
de rejoindre l'endroit où l'on offrait un cocktail. Elle
refusait les mondanités et avait « boudé ».
Du coup, pour ne pas la laisser toute seule, je suis resté
avec elle. Et voilà comment, le jour où Modiano
a décroché le Goncourt, je me suis retrouvé
isolé, loin de mes confrères de l'Académie.
Pour moi, Modiano, c'est aussi le mari de la petite Dominique
(Dominique Zehrfuss, NDLR), que j'ai rencontrée enfant,
car je connaissais ses parents, Simone et Bernard Zehrfuss, qui
fut l'un des plus grands architectes français. Je pense
que Patrick Modiano est quelqu'un qui, consciemment ou non, joue
un rôle qui lui va bien. Il s'appuie sur le silence pour
être en sécurité. Il est incroyablement attentif
aux autres, ses yeux brillent, son regard bouge en permanence,
il a une grande curiosité en même temps qu'une certaine
distance. C'est un grand écouteur. Cela tombe bien, moi,
je suis un grand bavard : ça l'amuse beaucoup, et il rit
de ma façon de raconter. Nous avons de beaux souvenirs
de conversations.
J'aime beaucoup de choses de lui, mais surtout cette façon
qu'il a de fourrer dans son sac des tas de « trucs »
qu'il a ramassés et d'y puiser ensuite. Il y a sûrement
la guerre qui nous rattache tous les deux, ce regard sur la France
vaincue, meurtrie, menteuse...
Ce qui me passionne chez lui, c'est qu'il s'est formé lui-même,
qu'il a inventé une époque de l'Occupation, probablement
parce qu'il a observé des comportements qui l'intéressaient.
Je peux aisément dresser le portrait type du héros
« modianesque » : il aurait un costume bien coupé,
mais pas de saison, démodé ; des chaussures cirées,
mais fatiguées ; il me rappelle un peu ces personnes juives
déplacées après la guerre (*).
Patrick Modiano représente un petit îlot de singularité.
Il n'est pas à la mode et ne veut pas l'être. Il
est d'une grande fidélité à ses sujets et
à ses personnages. Il est dans le noir de la cible, c'est
mieux pour un écrivain.» Le Figaro,
27 septembre 2007
(*) François Nourissier a travaillé durant deux
ans, de 1949 à 1951, au service réfugiés
et relations extérieures du Secours catholique.
Nostalgique
«Je ne suis pas du tout nostalgique. Mon enfance* me fait
horreur. Mais je suis habité par des images qui m'ont
frappé et se sont incrustées dans ma mémoire.» Entretien
avec Delphine Peras, l’ EXPRESS du 5 octobre 2007
Notations et Vagabondages*
<< (...) je me livre à de longs vagabondages où je note,
muni d’un carnet, presque maniaquement tout ce qui m’a frappé :
pas de choses précises – je ne fais pas de réalisme – mais
des indications d’atmosphère. Tantôt il s’agit de l’ancienne
adresse de telle star du muet, découverte en feuilletant un vieil annuaire
de cinéma, et que j’ai été vérifier sur place.
Tantôt une entrée d’immeuble ou une cage d’ascenseur,
qui m’a frappé à cause d’une certaine luminosité.
Chaque fois, je note : Avenue Kléber – Style de l’édifice – caractéristiques
de la lumière… Je possède des cahiers entiers remplis de
numéros d’immeubles. Inutile de savoir s’il s’est réellement
passé, il y a 30 ou 40 ans, un drame à cet endroit. Il suffit que
je puisse l’imaginer. Alors, rentré chez moi, si par chance je tombe,
en vérifiant dans le bottin l’identité des habitants de l’immeuble,
sur quelque nom un peu extravagant, mon imagination se met tout de suite à broder.>> Propos
recueillis par Jean-Louis Rambures, dans un entretien paru dans Le Monde le 24
mai 1973.
Nouvelles
(Lecteur de)
<< Oui, bien sûr, je suis un lecteur
de nouvelles. Je citerai, au hasard,
Sylvie, de Nerval, Le Rideau cramoisi, de Barbey d'Aurevilly,
Dans son coin natal, de Tchekhov, La Danseuse d'Izu, de Kawabata… Mais
la liste serait longue ! D'Edgar Poe à Carson McCullers,
de Stevenson à Nabokov, de Kafka à Pavese, de
Henry James à Scott Fitzgerald, c'est pratiquement toute
la littérature."
Pourquoi
des nouvelles ? Quelles sensations particulières
apportent-elles ? "Parce qu'elles donnent une émotion
forte et immédiate. Comme le disait Gide, les nouvelles
sont faites pour être lues d'un coup, en une seule fois.
C'est la meilleure définition, mais elle reste très
vague, puisqu'elle pourrait s'appliquer, par exemple, à certains
poèmes en prose de Baudelaire.>> Réponses
à des qestions de Josyane Savigneau, le Monde du 29 juin 01.
Violette
Nozière La figure de Violette
Nozière est évoquée comme
personnage de référence dans l'histoire des criminelles
célèbres et comme un personnage de roman qui, dans
la mesure où elle a peut-être croisé des figures
de Fleurs de ruine*, accède à
un autre statut, le temps d'une évocation.
Violette Nozière (1915-1966) fut accusée d'avoir
empoisonné ses parents (seul son père fut tué),
elle comparut devant les assises de la Seine en 1934. Les surréalistes
a qui ellel inspira plusieurs poèmes et peintures exaltant
la résistance à l'autorité parentale, contribuèrent
à sa célébrité. Condamnée à
mort, elle fut gracièe puis libérée après
10 ans d'internement et enfin réhabilitée en 1963.
Dans Fleurs de ruine, Patrick Modiano
l'évoque à sa manière : <<
Elle donnait ses rendez-vous dans un hôtel de la rue Victor-Cousin,
près de la Sorbonne, et au Palais du Café, boulevard
Saint-Michel. Violette était une brune au teint pâle
que les journaux de l'époque comparait à une fleur
vénéneuse et qu'ils appelaient "la fille aux
poisons" Elle liait connaissance au Palais du Café
avec de faux étudiants aux vestons trop cintrès
et aux lunettes d'écaille. Elle leur faisait croire qu'elle
attendait un héritage et leur promettait monts et merveilles
: des voyages, des Bugatti... Sans doute avait-elle croisé,
sur le boulevard, le couple T. qui venait de s'installer dans
le petit appartement de la rue des Fossés-Saint-Jacques."
Dans de nombreux romans, Patrick Modiano mêle des personnages
inventés et des figures de l'histoire*
qui ont attisé l'imagination de la presse comme du public.
Ce frottement du réel et de la fiction lui permet de donner
encore plus consistance à des personnages "inventés"
qui accèdent au statut du "pour de vrai" que
les enfants confèrent à leur invention dans des
jeux tantôt improvisés, tantôt savants. Ce
procédé inscrit les personnages dans l'Histoire
et brouille les pistes entre fiction et réalité.
C'est un jeu, un jeu infini.
Nuits
<< Je n’ai jamais connu de nuits aussi belles, aussi
limpides en ce temps-là. Les lumières des villas
du bord du lac avaient un scintillement qui éblouissait
des yeux et dans lequel je discernais quelque chose de musical,
un solo de saxophone ou de trompette. Je percevais aussi, très
léger, immatériel, le bruissement des platanes de
l’avenue. J’attendais le dernier funiculaire, assis
sur le banc de fer du chalet. La salle n’était éclairée
que par une veilleuse et je me laisse glisser, avec un sentiment
de totale confiance, dans cette pénombre violacée.
Que pouvais-je craindre ? Le bruit des guerres, le fracas du monde
pour parvenir jusqu’à cette oasis de vacances devraient
traverser un mur d’ouate. Et qui aurait l’idée
de venir me chercher parmi les estivants distingués ? >>
Villa triste, p.26.
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