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CAHIER CRITIQUE

Dans la peau de Patrick Modiano, de Denis Cosnard

Fayard ed, janvier 2011

 


Les huit secrets de Patrick Modiano

Par Jérôme Dupuis, publié le 05/01/2011 à 07:00 (l’EXPRESS)
Que cache l'auteur de Rue des boutiques obscures ? Des agissements de ses parents sous l'Occupation à ses rencontres avec Françoise Hardy ou Michel Audiard, Denis Cosnard a mené une passionnante enquête. L'Express la révèle en avant-première.

Lorsqu'il se marie, en 1970, les deux prestigieux témoins de Patrick Modiano s'appellent Raymond Queneau et André Malraux. Et l'on notera, avec amusement, que la définition tant rabâchée de l'auteur de La Condition humaine - "Qu'est-ce que l'homme ? Un misérable petit tas de secrets" - semble comme taillée sur mesure pour le jeune marié. Oui, depuis plus de quarante ans, l'auteur de Rue des boutiques obscures n'en finit plus de sonder ses secrets de famille et les ombres de l'Occupation - mais, on le sait, c'est souvent tout un, chez lui... Dans un livre original et passionnant, qui n'est ni une biographie ni une exégèse de l'oeuvre, mais une implacable radiographie en forme d'hommage, Denis Cosnard, journaliste aux Echos et animateur d'un blog consacré à l'écrivain (reseau-modiano.pagesperso-orange.fr), livre les clefs, souvent surprenantes, de l'"immense tas" de secrets que Patrick Modiano était parvenu à noyer sous les célèbres balbutiements de ses apparitions télévisées. Passage en revue.
Secret originel. Au dos de son premier roman, La Place de l'étoile, paru en 1968, on peut lire : "Patrick Modiano est né en 1947 à Paris." Trois "mensonges" en une phrase ! Deux sont bénins : le premier prénom de Modiano est Jean et il a vu le jour à Boulogne-Billancourt. Le troisième, lui, est beaucoup plus lourd de sens. Très longtemps, en effet, le romancier prétendra être né le 30 juillet 1947. Or il est né en 1945. Pour expliquer, très tardivement, ce petit arrangement avec la vérité, le romancier invoquera une raison abracadabrantesque : dans sa jeunesse, il aurait falsifié son passeport pour se vieillir et ainsi pouvoir se promener la nuit dans Paris sans être arrêté par la police. Pour ce faire, il aurait transformé le "1945" de sa naissance en "1943". "Après, je l'ai refalsifié pour rétablir la date, mais il était plus facile de transformer le 3 en 7 qu'en 5", se justifiera-t-il. Donc, 1947...
La vérité est tout autre : Modiano s'est en fait attribué l'année de naissance de son frère Rudy, né en 1947 et mort à l'âge de 10 ans. Mêler leurs deux états civils revenait à prolonger la vie de ce cadet trop tôt disparu. Un cadet si obsédant que le romancier lui dédiera - phénomène sans doute unique dans les annales de la littérature mondiale - non seulement La Place de l'étoile ("Pour Rudy Modiano"), mais aussi ses sept ouvrages suivants. Dont l'un, ironiquement, a pour titre Livret de famille...
Marché noir. Avoir "vu le jour" en 1947 présente un autre avantage : ne pas être un enfant de la guerre, "des monceaux de cadavres, des ruines", et ainsi échapper, un peu, aux fantômes de la collaboration. Et à un "pedigree" un peu lourd. "Je suis né d'un juif et d'une Flamande qui s'étaient connus à Paris sous l'Occupation", écrira sobrement Modiano. Oui, mais d'un juif qui trafiquera avec des officines allemandes et d'une Flamande qui travaille pour la Continental-Films, société créée de toutes pièces par les nazis. Le père, Albert Modiano, issu d'une lignée de juifs italiens installée à Salonique, est une petite fourmi du marché noir, qui fricote avec l'entourage du sinistre patron de la Rue Lauriston, Henri Lafont (que l'on croisera dans les romans de Modiano), mais qui passera entre les mailles du filet à la Libération. La mère, Louisa Colpeyn, séduisante comédienne introduite en France par un officier de la Propaganda-Staffel, écrit les sous-titres néerlandais des films de la Continental. D'ailleurs, à l'âge de 2 ans, le petit Patrick ne comprend que le flamand. Le français n'est donc pas, au sens propre, sa langue maternelle. "La fameuse "petite musique" de Modiano pourrait bien aussi venir de là", suggère Denis Cosnard.
Au 15, quai de Conti. L'idylle du "juif et de la Flamande" se noue en 1942. Patrick est conçu à l'automne 1944. L'Occupation est donc bien cette "nuit originelle" de l'oeuvre de Modiano, comme l'écrit Cosnard. Le couple vit au 15, quai de Conti, à deux pas de l'Académie française, face à la Seine. C'est là, entre deux séjours en pension, où il aura notamment pour condisciples Michel Sardou et le futur peintre Gérard Garouste, que le jeune Patrick passe une partie de son enfance. Dans une chambre. Une chambre sur laquelle plane un bien sulfureux fantôme : Maurice Sachs l'a habitée quelques mois avant la naissance de Patrick et y a même laissé une partie de sa bibliothèque sur une étagère. Maurice Sachs (1906-1945), homosexuel ami de Gide et de Cocteau, figure du "juif collabo" par excellence ! Et c'est entre ces murs très "chargés", où l'auteur du Sabbat recevait gigolos et trafiquants d'or, que Modiano va écrire ses premiers romans. On ne s'étonnera donc pas d'y croiser régulièrement la silhouette de Sachs, dès La Place de l'étoile, où il imagine son cadavre dévoré "par des chiens dans une plaine de Poméranie"...
Coupes discrètes. Ce premier roman, paru en 1968, où affleurent déjà son univers et ses obsessions, imposera d'emblée Patrick Modiano. Pourtant, la version aujourd'hui proposée en librairie a été discrètement "rabotée" par son auteur, qui, au fil de rééditions successives, en a fait disparaître des paragraphes entiers. Ainsi cette tirade de l'un des personnages : "Les juifs n'ont pas le monopole du martyre ! On comptait beaucoup d'Auvergnats, de Périgourdins, voire de Bretons, à Auschwitz et à Dachau. Pourquoi nous rebat-il les oreilles avec le malheur juif ? Oublie-t-on le malheur berrichon ? le pathétique poitevin ? le désespoir picard ?" En 1985, ce passage disparaît. Plus tard, ce sont d'autres pages, qui auraient pu être perçues comme homophobes ou antisionistes, qui sauteront. Bien évidemment, cette "autocensure" nous en dit bien plus long sur notre époque que sur Modiano.
Chez les yé-yé. Quoi de commun entre Maurice Sachs et Sheila ? Patrick Modiano. Enfant du baby-boom, le futur Prix Goncourt publie, en 1966, son premier texte dans un numéro "spécial LSD" du Crapouillot, un magazine "anticonformiste" qui penche plutôt à droite. En illustration, une photo de Michel Polnareff... Deux ans plus tard, via un ami aristocrate qui a ses entrées dans le show-biz, le romancier écrit un tube pour Françoise Hardy, Etonnez-moi, Benoît ! Il récidive avec L'Aspire-à-coeur, interprété par Régine, et sera même à deux doigts de placer un titre auprès de Sheila (mais le producteur de cette dernière réclame un happy end à la chanson, et l'improbable attelage Modiano-Sheila ne verra finalement pas le jour...) Pourtant, ce parolier des yé-yé a-t-il jamais été "jeune" ? En 1968, âgé de 22 ans, il couvre les barricades de mai pour... Vogue !
Tonton flingueur. On connaît surtout le Modiano scénariste de cinéma au travers de Lacombe Lucien, réalisé par Louis Malle, qui fit scandale en 1974. Mais on ignore souvent que, quatre ans plus tard, il collabora avec Michel Audiard. L'auteur introverti de Dora Bruder associé au dialoguiste gouailleur des Barbouzes ! A l'origine, c'est une idée - osée... - du producteur Gérard Lebovici, qui, en collaboration avec Jean-Paul Belmondo, veut adapter L'Instinct de mort, de Mesrine. Modiano et Audiard travaillent un mois durant dans la suite de ce dernier, à l'hôtel parisien de La Trémoille. "Il me dictait une dizaine de répliques, les faits et gestes des différents personnages, et je devais mettre tout cela au propre. En quelque sorte, je lui servais de secrétaire", a modestement raconté le romancier. Mais, un beau jour, de sa cellule, Mesrine envoie un mot à Belmondo : "Ne mettez pas le mot "fin", ce n'est pas terminé !" Peu de temps après, il s'évade. Lebovici arrête brutalement le projet. N'en resteront qu'une vingtaine de feuillets et la tendresse qui unira Modiano à Audiard.
Le palimpseste Profumo. Modiano adore glisser des pans entiers d'Histoire en passagers clandestins de ses romans. Quel lecteur serait assez perspicace pour deviner qu'Un cirque passe (1992) et Du plus loin de l'oubli (1996), deux éducations sentimentales dans la France des années 1960, sont en réalité des variations sur le scandale Profumo ? On se souvient que le ministre de la Guerre de Sa Très Gracieuse Majesté dut démissionner, en 1963, pour avoir entretenu une liaison avec la ravissante Christine Keeler, également maîtresse d'un espion soviétique. Modiano intègre dans son roman trois des amants de la call-girl, reprenant jusqu'à leurs identités, leurs voitures (Jaguar), leurs habitudes. Il se sert même, afin de forger le nom d'un personnage féminin, en un clin d'oeil particulièrement sophistiqué, de la marque du fauteuil design danois d'Arne Jacobsen, sur lequel Christine Keeler a posé nue pour une photo qui a fait le tour du monde ! Bref, comme le résume plaisamment Cosnard : "C'est l'affaire Profumo-Keeler mais... sans affaire, ni Profumo." Du pur Modiano !
AUTeuil 15-28. On ne saurait se pencher sur Modiano sans évoquer ces vieux numéros de téléphone très IVe République. Là encore, rien n'est laissé au hasard. Pas moins de cinq personnages, issus de cinq romans, logeant à cinq adresses différentes, ont tous pour numéro AUTeuil 15-28 ! On pourra y voir un jeu de piste pour lecteur fanatique. Ce discret réseau de correspondances - il en va de même avec la topographie parisienne - finit par bâtir une géographie, un univers, une petite musique. Bref une oeuvre.

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Premières pages
Les premières pages de Dans la peau de Patrick Modiano, de Denis Cosnard
Par LEXPRESS.fr, publié le 05/01/2011 à 07:00

I. "Patrick Modiano est né en 1947 à Paris"
Ça a commencé comment? Par un mensonge. Délibéré. Répété. En mars 1968 paraît dans la prestigieuse collection blanche des éditions Gallimard La Place de l'étoile, le premier ouvrage d'un jeune auteur inconnu. Au dos du livre, sa biographie tient en une ligne et demie: "Patrick Modiano est né en 1947 à Paris. La Place de l'étoile est son premier roman." La seconde phrase est exacte, la première, largement erronée. Il ne s'appelle pas vraiment Patrick, il n'est pas né à Paris, et surtout pas en 1947. Dans les registres d'état-civil qu'il affectionne tant, Patrick n'est que le second prénom de Jean Modiano. Il en subsiste comme un flottement. "Vous vous appelez Patrick Modiano?" , l'interroge un journaliste en 1975. Réponse: "C'est possible, mais je n'en suis pas sûr 1."
Le vrai décalage porte sur sa date et son lieu de naissance. En réalité, l'écrivain est né le 30 juillet 1945, à Boulogne- Billancourt. La date de 1947 n'est pas une erreur de l'éditeur. Pendant près de dix ans, Modiano cite systématiquement cette année comme celle de sa naissance. Elle figure dans ses livres suivants, La Ronde de nuit, Les Boulevards de ceinture et Villa triste. Elle apparaît dans le programme de sa pièce La Polka, en 1974. C'est cette date aussi qu'il fournit lors de ses interviews. "J'ai vingt-cinq ans", affirme-t-il ainsi haut et fort en novembre 1972 dans une émission de radio 2, alors qu'il en a vingt-sept - ce qui ne l'empêche pas, quelques minutes plus tard, d'exprimer tout son mépris de la politique, "royaume du mensonge". Et quand, trois ans plus tard, Dominique Jamet lui fait remarquer qu'il paraît plus que l'âge qu'il avance, il répond, vaguement gêné: "Peut-être 3".
Très vite, Modiano mentionne même un jour précis pour sa naissance: le 30 juillet 1947. Dans la courte biographie autorisée que rédige Jean Chalon pour l'édition de La Ronde de nuit au Cercle du livre, en 1970, le critique littéraire du Figaro reprend la fable: "Paris, c'est la ville - presque - natale de Patrick Modiano: il est né à Pontoise le 30 juillet 1947".
À la même époque, le jeune écrivain pousse la supercherie encore plus loin. Pour dresser son portrait de façon originale, des journalistes de la télévision font établir son analyse astrologique par informatique. Vous croyez à l'astrologie ? "Oui, bien sûr". Et aux ordinateurs ? Également ! Voilà donc la machine disséquant les données de plus en plus détaillées fournies par ce lion ascendant bélier: il est né le 30 juillet 1947, à 22 heures 45. Le plus cocasse, c'est que l'"astroflash" produit à partir de ces indications fallacieuses n'est pas éloigné de la psychologie réelle du personnage. Invité à réagir, celui-ci est le premier à le reconnaître.
45, 47... Boulogne-Billancourt, Paris, Pontoise... Jean, Patrick... Il y a une part de jeu dans tout cela. Modiano fut longtemps un grand plaisantin, capable de monter d'énormes canulars téléphoniques ou d'imiter la signature de Simone de Beauvoir pour dédicacer un livre de celle-ci à Luis Mariano 4! Ici, il semble prendre plaisir à mystifier ses interlocuteurs. Début 1974, dans un texte sur Lacombe Lucien, le film qu'il vient de signer avec Louis Malle, il évoque ainsi les interrogations récurrentes des journalistes sur son étonnante connaissance de l'Occupation: "Comment savez-vous tout cela, vous qui êtes né en 1947 ?" Cette question, on me l'a posée souvent." Il se garde bien d'ajouter que la date qu'il a livrée à la presse est fausse...
Une once de marketing s'y ajoute peut-être. Rajeunir l'auteur permet d'en faire un génie particulièrement précoce, de le présenter comme "un écrivain de vingt ans qui ouvre d'une poussée les lourdes portes de la littérature" , pour reprendre les mots de Jean Cau, dans sa préface à La Place de l'étoile. À la sortie de La Ronde de nuit, deux ans plus tard, le critique Kléber Haedens s'enthousiasme lui aussi pour cet "écrivain adolescent": "Il est né le 30 juillet 1947, ce qui lui donne l'âge mirifique de vingt deux ans."
En 2009, invité à clarifier cette affaire, Patrick Modiano donne une explication factuelle. Avant de publier son premier roman, il avait falsifié son passeport, se vieillissant de deux ans afin qu'en cas de contrôle de police, la nuit dans Paris, il paraisse avoir l'âge de la majorité, alors fixée à vingt-et-un ans. Il avait donc inscrit "1943" au lieu de "1945". "Après, je l'ai refalsifié pour rétablir la date, mais il était plus facile de transformer le 3 en 7 qu'en 5. Je me suis alors trouvé pris à mon propre piège: Gallimard avait photocopié mon passeport car j'étais en lice pour le prix Fénéon, un prix décerné à de jeunes écrivains... il fallait prouver que l'on n'avait pas encore 35 ans. Du coup, cette date de 1947 s'est trouvée officialisée, et cela m'a poursuivi." 5
Mais ce mensonge originel a des racines plus profondes. "Ce chiffre 1947 m'a travaillé", reconnaît l'intéressé dans le même entretien. Quand il monte sur la scène littéraire, en 1968, Patrick Modiano est en pleine quête d'identité. Il se débat avec l'ombre de son père, celle de son frère, avec ce qu'il appelle sa "juiverie". Il cherche sa place. C'est tout le sujet de son livre. Sa difficulté à s'exprimer en public en constitue un autre symptôme. Il dit un mot. S'interrompt. Fait un grand geste du bras. Cherche une expression qui conviendrait mieux. Se lance dans une tirade qu'il abandonne en plein milieu. Pousse un soupir un peu las. Tente de nouveau sa chance... Bernard Pivot, premier journaliste à le rencontrer à la sortie de La Place de l'étoile, tient le chronomètre en main: la première phrase a nécessité plus de dix minutes! Il s'agissait, justement, de parler d'un élément clé de son identité: son nom.
1. France-Soir, 12 septembre 1975.
2. Radioscopie, France Inter, 17 novembre 1972.
3. Lire, n°1, octobre 1975.
4. L'Express, 4 mars 2010.
5. Le Magazine littéraire, octobre 2009.
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"Dans la peau de Patrick Modiano" : radiographie d'une oeuvre et d'une vie
De Myriam CHAPLAIN-RIOU (AFP) – Il y a 1 jour
PARIS — Pour se glisser "Dans la peau de Patrick Modiano" (Fayard), le journaliste Denis Cosnard a mené une enquête minutieuse afin de démêler réalité et fiction entre les lignes d'un auteur complexe qui s'est construit une famille de papier, nourrie de ses obsessions.
L'image de Modiano relève du mythe : un grand écrivain, incapable d'aligner trois mots en public, aspiré par les années noires de l'Occupation et qui écrirait toujours le même livre.
"C'est faux", rétorque Denis Cosnard. "L'Occupation, et le rôle équivoque de son père pendant cette période l'ont obsédé, mais il y a une évolution constante dans son oeuvre. Il a changé de regard et son style est devenu plus épuré, minimaliste", souligne l'auteur de 45 ans, journaliste aux Echos.
Son père était la cible de ses premiers livres. Avec le temps, il a compris qu'il n'était pas forcément un salaud et que ce père absent avait droit à de la compassion et de l'amour. Et dans son dernier roman "L'Horizon", il règle ses comptes avec la figure de sa mère, qui l'a délaissé.
Tout commence en 1968... par un mensonge. Délibéré.
Paraît alors chez Gallimard "La Place de l'étoile", premier roman d'un jeune inconnu "né en 1947". En réalité, l'écrivain est né le 30 juillet 1945.
Pourquoi cette supercherie ? Pour prendre ses distances avec la guerre ? En hommage à son frère Rudy, né en 1947, et mort en 1957...
Il ne s'explique pas mais lève le voile en 2005, dans son roman autobiographique "Un pedigree" : "Je suis né en 1945 d'un juif et d'une Flamande qui s'étaient connus sous l'Occupation".
Voilà son creuset familial : un père juif séfarade, Albert Modiano, qui vit du marché noir pendant la guerre, est arrêté et relâché, peut-être grâce à un ami haut placé de la Gestapo française... Une mère, Louisa Colpijn, ou Luisa Colpeyn, starlette flamande arrivée à Paris en juin 1942.
"Ce qui est passionnant, c'est comment il vaporise tous les éléments de sa vie dans son oeuvre", poursuit le journaliste, passionné depuis l'adolescence par cet auteur d'une trentaine de romans dont "Rue des boutiques obscures", Goncourt 1978.
"Ce qui frappe le plus chez Modiano, c'est sa connaissance absolue de tout ce qui se passait rue Lauriston (siège de la Gestapo française). C'est le point névralgique de son oeuvre, il en parle même dans les livres qui n'ont rien à voir avec l'Occupation", relève Denis Cosnard.
"Comme lui, j'ai écumé bibliothèques et archives. Dans celles de la préfecture de police, j'ai ainsi trouvé des informations sur Eddy Pagnon, exécuté le 27 décembre 1944", explique l'auteur. On retrouve ce personnage dans "Remise de peine", "Fleurs de ruine" et "De si braves garçons".
En revanche, rien sur son père, qui a vite quitté sa famille pour vivre en Suisse et est mort dans des circonstances troubles.
Comme le Petit Poucet, Modiano a laissé beaucoup de petits cailloux blancs dans son oeuvre avec des noms, adresses et numéros de téléphone réels.
Ainsi, quand il publie en 2001 "La Petite Bijou", sur une enfance ravagée, une femme s'exclame en voyant le roman en vitrine : "mais c'est le surnom de ma mère !". C'est aussi sa vie. Le romancier rencontre Bijou et lors de la 2e édition, adresses et noms sont modifiés.
Pourquoi ne pas avoir contacté Modiano pour ce livre ? "Je l'avais envisagé mais son éditeur m'en a dissuadé. A posteriori, c'est mieux. Il ne se serait jamais autant livré".
Patrick Modiano a aussi écrit des scénarios, dont celui de Lacombe Lucien, et des chansons.
Quand il était jeune, c'était aussi un grand farceur qui faisait des canulars téléphoniques. Difficile à imaginer...
("Dans la peau de Patrick Modiano" - Denis Cosnard - Fayard - 280 p. - 19 euros)
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AFP - Il y a 1 jour
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04/01/11 - 04h13 -
CULTURE - RADIOGRAPHIE D’UNE VIE - « Dans la peau de Patrick Modiano », de Denis Cosnard – Fayard – 280 p.
« Dans la peau de Patrick Modiano »
L’image de Modiano relève du mythe : un grand écrivain incapable d’aligner trois mots.
Pour se glisser « Dans la peau de Patrick Modiano » (Fayard), le journaliste Denis Cosnard a mené une enquête minutieuse afin de démêler réalité et fiction entre les lignes d’un auteur complexe qui s’est construit une famille de papier, nourrie de ses obsessions.

L’image de Modiano relève du mythe : un grand écrivain, incapable d’aligner trois mots en public, aspiré par les années noires de l’Occupation et qui écrirait toujours le même livre.
« C’est faux », rétorque Denis Cosnard. « L’Occupation, et le rôle équivoque de son père pendant cette période l’ont obsédé, mais il y a une évolution constante dans son œuvre. Il a changé de regard et son style est devenu plus épuré, minimaliste », souligne l’auteur de 45 ans, journaliste aux Echos.
Son père était la cible de ses premiers livres. Avec le temps, il a compris qu’il n’était pas forcément un salaud et que ce père absent avait droit à de la compassion et de l’amour. Et dans son dernier roman « L’Horizon », il règle ses comptes avec la figure de sa mère, qui l’a délaissé.
Tout commence en 1968... par un mensonge. Délibéré.
Supercherie ?
Paraît alors chez Gallimard « La Place de l’étoile », premier roman d’un jeune inconnu « né en 1947 ». En réalité, l’écrivain est né le 30 juillet 1945.
Pourquoi cette supercherie ? Pour prendre ses distances avec la guerre ? En hommage à son frère Rudy, né en 1947, et mort en 1957...
Il ne s’explique pas mais lève le voile en 2005, dans son roman autobiographique « Un pedigree » : « Je suis né en 1945 d’un juif et d’une Flamande qui s’étaient connus sous l’Occupation ». Voilà son creuset familial : un père juif séfarade, Albert Modiano, qui vit du marché noir pendant la guerre, est arrêté et relâché, peut-être grâce à un ami haut placé de la Gestapo française... Une mère, Louisa Colpijn, ou Luisa Colpeyn, starlette flamande arrivée à Paris en juin 1942.
« Ce qui est passionnant, c’est comment il vaporise tous les éléments de sa vie dans son oeuvre », poursuit le journaliste, passionné depuis l’adolescence par cet auteur d’une trentaine de romans dont « Rue des boutiques obscures », Goncourt 1978.
« Ce qui frappe le plus chez Modiano, c’est sa connaissance absolue de tout ce qui se passait rue Lauriston (siège de la Gestapo française). C’est le point névralgique de son œuvre, il en parle même dans les livres qui n’ont rien à voir avec l’Occupation », relève Denis Cosnard.
« Comme lui, j’ai écumé bibliothèques et archives. Dans celles de la préfecture de police, j’ai ainsi trouvé des informations sur Eddy Pagnon, exécuté le 27 décembre 1944 », explique l’auteur. On retrouve ce personnage dans « Remise de peine », « Fleurs de ruine » et « De si braves garçons ».
En revanche, rien sur son père, qui a vite quitté sa famille pour vivre en Suisse et est mort dans des circonstances troubles.
Comme le Petit Poucet, Modiano a laissé beaucoup de petits cailloux blancs dans son oeuvre avec des noms, adresses et numéros de téléphone réels.
Ainsi, quand il publie en 2001 « La Petite Bijou », sur une enfance ravagée, une femme s’exclame en voyant le roman en vitrine : « mais c’est le surnom de ma mère ! ». C’est aussi sa vie. Le romancier rencontre Bijou et lors de la 2e édition, adresses et noms sont modifiés.
Pourquoi ne pas avoir contacté Modiano pour ce livre ? « Je l’avais envisagé mais son éditeur m’en a dissuadé. A posteriori, c’est mieux. Il ne se serait jamais autant livré ».
Patrick Modiano a aussi écrit des scénarios, dont celui de Lacombe Lucien, et des chansons.
Quand il était jeune, c’était aussi un grand farceur qui faisait des canulars téléphoniques. Difficile à imaginer...
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Dans la peau de Patrick Modiano de Denis Cosnard
De bien étranges coïncidences
Fayard, 283 pages, 19 euros.
Ecrit par

François BOURBOULON

Cela aurait pu commencer ainsi : « J'ai souvent croisé ces années-là un certain Denis C. Son bureau était dans le centre de Paris et je me rappelle son numéro de téléphone, Opéra 15.28 (ou bien était-ce 45.47 ? Les souvenirs sont parfois flous). Il organisait, dirigeait et relisait, dans des effluves de macchiato... » La réalité est plus prosaïque : Denis Cosnard est le chef du service industrie aux « Echos ». Un voisin de plateau, donc...

Une fois établi ce préambule, on peut le suivre dans son exploration de l'oeuvre de Patrick Modiano, le plus grand écrivain français contemporain (avis très personnel, bien évidemment), dont Denis Cosnard est justement un passionné parmi les passionnés. Avant ce livre, il avait déjà créé un site Internet, le réseau Modiano, « Un site pour lire entre les lignes de Patrick Modiano », qu'il fait vivre au quotidien.

Lire entre les lignes est une ambition que ce livre entend prolonger et formaliser. Résultat : l'enquête dont a rêvé tout lecteur assidu de Modiano, celui qui a plongé une première fois, pour ne plus jamais s'en extraire, dans l'univers si personnel que l'écrivain a construit au fil de romans, de nouvelles, d'essais et d'articles, mais aussi de scénarios (en premier lieu le « Lacombe Lucien » de Louis Malle). L'obsession de Patrick Modiano, a-t-il reconnu un jour, est de « sauver de l'oubli des êtres disparus ». La réussite de Denis Cosnard est de faire comprendre, au-delà du style si marqué de Patrick M., toute la cohérence de cette toile que tissent tant de noms, d'hommes et de femmes, de lieux, de parcours... De toutes ces « pentes douces », toujours descendantes évidemment (à l'exception peut-être de la dernière en date, celle de « L'Horizon », « roman proustien », dixit Cosnard, où, « pour la première fois ou presque, le bonheur semble à portée de main »).

Zones d'ombre éclairées
De ce « mille-feuille intertextuel » émergent ces personnages dont Cosnard retrace le parcours, réel ou inventé - mais chez Modiano, écrivain-enquêteur, écrivain-collectionneur, écrivain-archiviste, les deux se mélangent indéfiniment -, d'Eddy Pagnon et de tous les autres. « Dans la peau de Modiano » met enfin noir sur blanc le clair-obscur de l'écrivain, qui va bien au-delà de cette petite musique qu'on lui concède trop souvent. Modiano sait si bien « vaporiser » qu'il faut l'érudit regard de Denis Cosnard pour retrouver son chemin dans un ensemble où l'autobiographique et le romanesque se superposent sans cesse, où littérature et réalité ne font qu'un.

Chez Modiano, tout ou presque revient toujours, même si, tel le « voyageur du temps », héros du très modianesque « Quartier lointain » du Japonais Jirô Taniguchi, il tente de fixer les choses. A sa manière : « J'ai toujours le sentiment quand j'écris que, pour soutenir la tension, il faut qu'il y ait comme des zones de vide, de manque, comme des choses qui restent floues, comme des zones d'ombre. » En 1978, l'année où Modiano obtint le Goncourt pour « Rue des boutiques obscures », il se vit également décerner le prix de la Société française des détectives... Il fallait le travail du détective Cosnard pour se repérer dans ces zones d'ombre. Et comprendre un peu mieux un écrivain décidément hors du commun.

FRANÇOIS BOURBOULON, Les Echos


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LA CROIX

Le mentir-vrai de Patrick Modiano
Le journaliste Denis Cosnard dessine un portrait subtil de Patrick Modiano, entre la vie et l’œuvre de ce grand romancier indifférent aux modes


En 1968, la fiction demeurait soumise au «soupçon» défini par Nathalie Sarraute et, sans doute par besoin d’oublier le tragique de la décennie de guerre, le nouveau roman triomphant condamnait à mort la narration, le personnage, l’auteur, et aussi l’Histoire, celle d’un pays ou d’un individu. C’est alors que, faisant fi de ces impératifs imposés par l’air ambiant, un jeune écrivain, Patrick Modiano, tournait le dos à son époque et publiait des romans de la mémoire, faisant revenir un passé encore proche, celui de l’Occupation : La Place de l’Étoile (1968), La Ronde de nuit (1969), Les Boulevards de ceinture (1972).

Dans cette trilogie formant un «roman familial», le héros part à la recherche d’un père disparu, silhouette traquée et inquiétante parmi d’autres au fond de ces années noires, occultées en ce temps-là. De très nombreux ouvrages ont suivi, dotés de ce qui était déjà perceptible dès les premiers textes : une voix, un ton personnels qui en font un des plus grands de son temps. La vague formaliste a reflué, provoquant un retour à la présence de l’auteur, au biographique, avec les multiples libertés de l’autofiction. Tout en écrivant une autobiographie avouée, Un pedigree (2005), avant de revenir au roman avec Dans le café de la jeunesse perdue (2007), Patrick Modiano, indifférent par ailleurs aux tendances et aux modes, a continué l’exploration de son cadastre personnel, l’espace de ses fictions, où reviennent les mêmes obsessions, les mêmes silhouettes, floues, indécises, les mêmes lieux et une lancinante interrogation sur l’identité.

Ces dernières années, il s’est à plusieurs reprises expliqué sur son rapport au romanesque, suggérant ce que l’on pourrait trouver, si l’on tentait de faire une radiographie de son œuvre entière : des comptes rendus de faits divers, des rapports de police. C’est cette radiographie qu’a entreprise Denis Cosnard à partir de cette affirmation.

Construisant un passionnant jeu de piste, des premiers textes jusqu’aux pages les plus récentes, avec des allées et venues des livres à la vie du romancier, il est devenu un détective attaché aux pas de l’écrivain, amateur lui aussi de filatures et d’enquêtes. Il s’est lancé d’abord sur les traces de ce père disparu qui hante les narrations de Modiano et qui s’appelle Schlemilovitch dans La Place de l’Étoile, Chalva Deyckecaire dans Les Boulevards de ceinture, silhouettes pitoyables portant des vêtements voyants, impliqués dans des affaires louches. Le vrai père, Albert Modiano, juif d’origine étrangère, ne voulait pas porter l’étoile jaune et vivait caché dangereusement, mais se livrait aux trafics du marché noir. Sur le point d’être arrêté, il avait à coup sûr été sauvé des griffes des nazis par un vrai collaborateur, gestapiste, Eddy Pagnon, qui allait être fusillé à la Libération. Ce spectre ne va cesser de hanter les romans de Modiano, avec ces questions : Comment peut-on être à la fois juif et collabo ? Pourquoi Albert Modiano avait-il échappé à la Gestapo ? Une autre séquence vécue dans son adolescence revient avec insistance dans ses narrations, celle qui montre le père appelant la police pour faire arrêter le jeune Patrick qui s’était opposé à lui et dut partir dans un «panier à salade».

Et puis Denis Cosnard parle à juste titre de la «crypte» de la mémoire dans laquelle demeure enfermée la figure du frère, Rudy, son cadet de deux ans, mort en 1957, et auquel beaucoup de ses romans sont dédiés. «Le choc de sa mort a été déterminant, devait avouer Modiano bien des années plus tard. Ma recherche perpétuelle de quelque chose de perdu, la quête d’un passé brouillé qu’on ne peut élucider, l’enfance brusquement cassée, tout cela participe d’une même névrose qui est devenue mon état d’esprit.» Cette fusion du romancier avec un visage disparu explique que, dans la notice biographique accompagnant ses premiers ouvrages, il ait déclaré être né en 1947 comme Rudy.

Denis Cosnard signale et dénonce ce qui pour lui est un mensonge, le premier à l’orée d’une œuvre dans laquelle il ne cesse de traquer les distances prises avec la réalité. Mais là se situent sans doute les limites de cet ouvrage. Sa recherche biographique, remarquable, fait revivre un homme provocateur dans sa jeunesse, écrivant des scénarios et des chansons, connaissant la peur en Mai-68 dans un «Paris policier» qui lui fit craindre des rafles comme celle de 1942 et n’ayant jamais recherché les honneurs.

Il oublie pourtant, dans sa tentative d’essayiste, que pour un romancier tout se passe ailleurs, dans le travail de l’écriture. Il l’accuse d’avoir brouillé les pistes menant à sa vie réelle. Modiano a cependant plusieurs fois rappelé qu’il n’avait jamais voulu reconstituer les années de l’Occupation «à la façon d’un Cecil B. DeMille», mais évoquer un trouble, un malaise, tout comme, dans d’autres textes tels que Villa triste, la menace qui flottait dans l’air à la fin de la guerre d’Algérie et qu’il avait, dit-il, sentie dans son adolescence.

Le mensonge est à l’origine de ses fictions, mais c’est ce qu’Aragon appelait «le mentir-vrai», indispensable mélange de souvenirs et d’invention. Le roman ne doit pas faire revivre le vécu, souvent insignifiant, et les obsessions revenant avec insistance – les fantômes du passé, l’interrogation sur l’identité, sur la filiation – possèdent profondeur et rayonnement grâce à la phrase de Modiano, cette écriture brisée, où les liens logiques sont souvent supprimés, amenant à l’existence un monde de la fêlure et de la perte. On peut y repérer des appartements vides, de vieux programmes de théâtre, des numéros de téléphone tombés en désuétude, des villas mystérieuses et mélancoliques, des silhouettes fuyantes, des clandestins pourchassés, des starlettes oubliées, qui jouent le rôle d’objets transitionnels, dessinant un espace-temps souvent imité mais qui n’appartient qu’à l’écrivain. Comment y est-il parvenu ? Là se trouve sans doute la vraie question, et le mystère reste entier.


Les ouvrages de Patrick Modiano sont pour la plupart publiés aux Éditions Gallimard.

FRANCINE DE MARTINOIR

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Un journaliste infiltré "dans la peau de Modiano"
Par Anne BRIGAUDEAU

Patrick Modiano en 2003 dans l'émission "Vol de nuit"
AFP/MARTIN BUREAU
Incroyable travail que celui accompli par Denis Cosnard, qui vient de publier "Dans la peau de Patrick Modiano"
Ce journaliste aux Echos a tiré tous les fils, analysé tous les noms et scruté de près l'histoire et la géographie des livres de Modiano, écrivain brouillant les repères entre fiction et réalité, dans son oeuvre comme dans sa vie.
Denis Cosnard en a tiré un livre passionnant, élucidant des mystères littéraires et parfois biographiques. Qui sait, par exemple, que l'auteur de "La place de l'étoile" a longtemps menti sur sa date de naissance, prétendant être né en 1947 plutôt qu'en 1945 ? 1947, la date de naissance de son frère Rudy, disparu à neuf ans, et dont la mort, dira-t-il à Pierre Assouline, fut "un choc déterminant".

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Entretien
Le Paris louche de l'Occupation, omniprésent
D'où vient la densité de l'oeuvre modianesque ? D'une richesse référentielle et de significations multiples dont un titre comme "La place de l'étoile" offre un exemple évident (désignation d'un lieu parisien, mais aussi de la place de l'étoile - jaune- sur le vêtement et sur le corps).

Aussi Denis Cosnard s'est-il attaché, dans son essai, à explorer ce réseau de correspondances , s'intéressant -entre autres- à la galaxie des personnages modianesques qui évoluent dans le Paris louche de l'Occupation.

Des personnages souvent réels comme Eddy Pagnon, chauffeur acoquiné avec la "bande de la rue Lauriston", siège de la Gestapo, ou comme Joseph Joanovici, juif né en Bessarabie, ferrailleur commerçant avec les Allemands qui donna occasionnellement un coup de main à la Résistance. Parmi d'autres, deux des silhouettes qui hantent les romans de Modiano.

Pourquoi ces personnages douteux fascinent-ils à ce point l'auteur d'"Un pedigree", sinon parce qu'ils évoquent, jusqu'à l'obsession, le milieu que fréquentait son père pendant la Seconde guerre mondiale? Comment, pourquoi et grâce à qui ce père, juif, donc cible désignée, survécut-il? Ces questions ont engendré une oeuvre ouvrant plus de pistes qu'elle n'en referme. Le grand mérite de Denis Cosnard, enquêteur tenace, est de les avoir suivies pour explorer la profondeur d'une oeuvre palimpseste.
Denis Cosnard : "Modiano m'a touché d'emblée, adolescent"
Mais pourquoi le journaliste Denis Cosnard, 45 ans, chef de service industrie aux Echos, s'est-il lancé dans ce travail de bénédictin qui a nécessité trois ans de travail? Nous lui avons posé la question.

Pourquoi vous êtes-vous lancé sur les traces de Modiano ?
Je me suis intéressé à Modiano parce qu’il y a trente ans, il m’a touché d’emblée, adolescent, avec "Livret de famille". J’avais le sentiment qu’il y avait des choses à trouver qui n’avaient pas été dites.

Vous n'avez pas de formation littéraire ?
Non, j’ai fait du droit et Sciences-po. Mais j’ai aussi suivi tous les séminaires et colloques autour de Georges Perec, dont la lecture a été décisive pour moi.

Dans les mêmes années, j’ai découvert Georges Perec et Patrick Modiano, et j'ai été plus touché encore par le premier que par le second. Ce sont des auteurs qui ont beaucoup en commun. On peut les lire et les relire, ça n’enlève rien au plaisir du texte : la première lecture n’en épuise pas la richesse. Mais sur Georges Perec, l’essentiel a été écrit et très bien.

A Patrick Modiano, j'ai appliqué les méthodes de décryptage issues des grilles de lecture de Perec : s’attacher au détail du texte, voir comment ça fonctionne, quel matériau est utilisé, quels faits réels sont évoqués. Il faut éplucher le texte, enlever une à une les couches successives.

Avez-vous rencontré Patrick Modiano ?
J’ai rencontré des témoins, mais pas Modiano lui-même parce que son éditeur (Gallimard) ne le souhaitait pas. Je me suis d'abord dit qu'écrire un livre sans rencontrer Modiano était une contrainte forte , puis j'ai pensé que c’était une contrainte fructueuse. Il m’en aurait dit moins que ce que j’ai découvert en suivant les fils et en tirant dessus.

Quel travail sur les noms ?
Patrick Modiano a fait un travail très important sur le nom de ses personnages, qui sont souvent ceux de personnages réels, modifiés. Même quand il choisit des noms réels, cela relève en partie d’un jeu de cache-cache.

Quand on étudie de près ces noms, on retrouve des personnages réels liés à la vie des parents de Modiano, soit avec des racines flamandes comme sa mère (ainsi décrite dans le livre : "une starlette flamande cornaquée par un officier allemand et travaillant pour l'occupant"), soit venant du Paris de l’Occupation qu’a bien connu son père.

Et maintenant, à quoi ou à qui allez-vous vous attaquer ?
J’hésite entre plusieurs projets. Une vraie biographie de quelqu’un que je n’ai pas encore trouvé, écrivain, homme d’affaires ou autre, parce que j’ai eu beaucoup de plaisir à me mettre dans la peau de quelqu’un. Ou un livre sur Paris.

-> "Dans la peau de Patrick Modiano" Denis Cosnard (Fayard, 19 euros)
-> Denis Cosnard a aussi créé le site Internet "Le réseau Modiano"

 

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