Les Mémoires du criminel nazi Adolf Eichmann rendus publics
par Israël décrivent la machine
administrative mise en place par le IIIe Reich afin de déporter
les juifs. Dans cet extrait, qui traite principalement de la France,
Eichmann se présente comme un simple exécutant, une
thèse infirmée par les historiens
<<
C 'EST dans l'historique wagon-restaurant de la Compagnie des
wagons-lits, à Compiègne,
que fut signé, le
21 [sic] juin 1940, l'armistice entre l'Allemagne et la France.
Le 3 août 1940, le ministre des affaires étrangères
de l'époque, Joachim von Ribbentrop, fait savoir au chef
du commandement suprême de la Wehrmacht à Berlin que,
conformément à sa proposition, Hitler a nommé Abetz,
jusque-là ministre plénipotentiaire, ambassadeur,
et l'a chargé des missions suivantes en France : 1) Conseil
des autorités militaires pour les questions politiques.
2) Contact permanent avec le gouvernement de Vichy et ses chargés
de mission en territoire occupé. 3) Conseil de la Geheize
Feldpolizei et de la Gestapo pour la confiscation de documents
ayant une importance politique. 4) Mise à l'abri et saisie
du patrimoine artistique public ainsi que de tous les biens privés
juifs à caractère artistique sur la base de directives
particulières promulguées à cet effet.
En
outre, Hitler avait expressément stipulé que
l'ambassadeur Abetz était seul responsable de tout ce qui
relevait des questions politiques dans la France occupée
et non occupée. Ribbentrop ajoute que ce n'est que de lui
que l'ambassadeur reçoit les directives relatives à l'exécution
de ses missions et qu'il n'en est responsable que devant lui.
C'était une fonction avec des pouvoirs exorbitants : il
ne faut donc pas s'étonner si Abetz, dès le 17 août
1940, au cours d'une discussion, demande que l'administration militaire
en France prenne des mesures, avec effet immédiat, pour
que plus aucun juif ne pénètre dans la France occupée.
Il exigeait en outre que l'on commence à évacuer
tous les juifs de la zone occupée et, pour finir, que l'on
examine si les possessions juives en zone occupée pouvaient
faire l'objet d'expropriations.
Il
revenait au chef de l'administration militaire dans la France
occupée de traiter ces affaires d'un strict
point de vue administratif et bureaucratique.
A
la même époque, le ministère des affaires étrangères à Berlin
a [mot manquant : demandé] à l'état-major
personnel du Reichsführer SS de prendre position sur la demande
de l'ambassadeur Abetz concernant les mesures antisémites
qui pourraient ultérieurement servir de base pour évacuer
aussi les juifs de la France non occupée.
Et
le 20 septembre 1940, Heydrich se dépêche de répondre à celui
qui lui en fait la demande, le Standartenführer SA Luther,
dans une lettre portant l'en-tête Reichsführer SS et
chef de la police allemande au ministère de l'intérieur
du Reich, qu'il n'a rien à objecter à l'application
des mesures prévues par Abetz, et qu'il est également
d'accord pour que leur exécution soit effectuée par
les autorités françaises.
Mais
Abetz allait déjà un peu plus loin que ce que
nous avons vu jusqu'à présent, puisqu'il exigeait
l'obligation de déclaration de résidence pour les
juifs résidant en zone occupée, l'enregistrement
des commerces juifs et la désignation d'administrateurs
fiduciaires pour traiter les biens juifs dont les propriétaires étaient
en fuite. Heydrich recommandait de mobiliser les forces de la sûreté allemande
stationnées en France. Et le 1er octobre 1940, une nouvelle
proposition d'Abetz faite en dix-neuf exemplaires parvient aux
différentes autorités centrales ; il exige que soit
mis en place à l'avenir, pour le territoire français
mentionné, un processus collectif de déchéance
de nationalité pour les groupes de personnes juives expressément
identifiées. Il conclut en disant que cette mesure n'est
qu'un premier pas vers la solution du problème global. Entre-temps,
le gouvernement français de Vichy avait nommé un « commissaire
aux questions juives » en la personne de Xavier Vallat. Ce
dernier se présenta le 3 avril 1941 à l'ambassade
d'Allemagne à Paris. Abetz fit ensuite le rapport suivant
au ministère des affaires étrangères : « Afin
que "les juifs implantés depuis longtemps" puissent
aussi être soumis ultérieurement aux mêmes mesures
que les juifs étrangers et nouvellement naturalisés,
il est nécessaire de disposer dès à présent
d'une loi donnant au commissaire français chargé des
questions juives la possibilité de déclarer comme "étrangers" les "juifs
implantés depuis longtemps" et qui ont porté atteinte
aux intérêts spécifiques et nationaux de la
nation française... » Il dit avoir conseillé à Xavier
Vallat de proposer une telle loi à son gouvernement à Vichy.
Dès [les 3 et] 4 octobre 1940, le gouvernement français
de Vichy avait édicté un statut spécifique
des juifs dans lequel était prévu, entre autres,
l'internement d'étrangers juifs dans des camps de concentration
spéciaux ; et l'ordonnance du 30 octobre 1940 du Reichsführer
SS, chef de la sûreté et du SD (service de renseignement
de la sécurité), prévoyait la mise en place
de camps de concentration spécifiques pour les juifs de
nationalité allemande, autrichienne, tchécoslovaque
et polonaise.
Sur
la base de ces documents, j'ai montré un bref aperçu
de la base législative mise en place pour traiter la question
juive en France. Jusqu'ici, ni moi ni mon service n'apparaissons.
(...) Suivant une ordonnance de Göring, il convenait d'intensifier
autant que possible l'émigration des juifs de l'espace du
Grand Reich, même durant la période de guerre. (...)
Pour
finir, on évoque la solution finale de la question
juive qui ne fait plus aucun doute. La chose a été communiquée
le 20 mai 1941 à toutes les polices, aux autorités
françaises, aux services du SD ainsi qu'au ministère
des affaires étrangères à Berlin. C'est un
spécialiste de mon service qui avait rédigé ce
courrier, conformément à une disposition de mon supérieur
hiérarchique au service central de la sécurité du
Reich ; j'avais dicté à ce spécialiste les
principales directives de mon chef. (...)
Je
viens de mentionner l'expression « solution finale de
la question juive ». A cette époque, si je me souviens
bien, cette expression renvoyait encore au plan Madagascar [Hitler
avait envisagé la déportation des juifs à Madagascar,
NDLR] élaboré déjà avec ma participation,
qui portait cette « référence » de façon
plus exhaustive à un autre endroit. Les lignes qui suivent
vont montrer comment ce plan a été torpillé,
indépendamment de la situation militaire et politique ultérieure
qui l'a pris de vitesse.
Un
certain Dr Zeitschel, conseiller de légation à Paris,
avait été engagé pour s'occuper des diplomates
en poste dans la capitale. C'est ce qu'Abetz avait fait savoir
au commandant militaire à Paris. Le 22 août 1941,
ce Dr Zeitschel fit un rapport à l'ambassadeur Abetz. Dans
ce rapport, on pouvait lire que la conquête et l'occupation
progressive des lointains territoires de l'Est allaient pouvoir
apporter sous peu une solution définitive et satisfaisante
au problème juif dans toute l'Europe. Il s'agissait de délimiter
là-bas un territoire pour les juifs. Il suffisait d'en donner
l'ordre aux militaires, et les juifs des territoires occupés
comme la Hollande, la Belgique, le Luxembourg, la Norvège,
la Yougoslavie ou la Grèce pourraient être transportés
par convois entiers dans ce nouveau territoire, ce qui inciterait
les autres Etats à suivre cet exemple.
En
soi, le plan Madagascar n'était pas mauvais, mais il
achoppait sur des problèmes de transport insurmontables,
car les transports par mer étaient utilisés à des
fins plus importantes que celle de faire faire une promenade sur
les mers du globe à toute une kyrielle de juifs. (...)
En
ce qui concernait la France, Abetz avait reçu de Himmler,
lors de son passage au quartier général, l'autorisation
de déporter vers l'Est tous les juifs se trouvant dans les
camps de concentration en France, dès que les possibilités
de transport le permettraient. Le 8 octobre 1941, le Dr Zeitschel
fait part de ce résultat au chargé de mission du
chef de la sûreté et du SD pour la Belgique et la
France, par l'entremise de Dannecker.
Ayant
donc eu l'accord de principe de Himmler, il demande de battre
le fer quand il est chaud et d'envoyer toutes
les deux ou trois
semaines un rapport à Berlin pour qu'on fasse partir le
plus tôt possible les juifs de la France occupée.
C'est ainsi qu'avait été obtenu l'ordre de déportation
des juifs de France. La police reçut les directives correspondantes
et il lui fallait obéir. (...)
A
Paris, le commandant militaire poussait à la roue ; l'ambassadeur
poussait à la roue ; et c'est le chargé de mission
du chef de la sûreté et du SD qui devait faire face.
Car Himmler avait donné son accord. Dès que les moyens
de transport le permettraient.
Quand
? Paris faisait le forcing sur le service central de la sécurité du Reich. Mon chef, le directeur du service
IV, donna l'ordre d'engager des négociations avec le service
compétent au ministère des transports du Reich. C'est
le Reichsführer SS, Himmler, et le chef de la sûreté et
du SD, Heydrich, qui décidèrent des personnes, des
exceptions, de l'objectif final à l'Est, du poids des bagages à ne
pas dépasser ; tout cela en accord avec le ministère
des affaires étrangères et les autres instances politiques
centrales, en se référant aux premières vagues
de déportation des juifs, à l'automne 1941, hors
des territoires anciens du Reich : l'Autriche et les protectorats
de Bohême et Moravie. Aucun fonctionnaire au ministère
des transports n'aurait pu dire : nous n'avons pas de trains, la
situation des transports ne le permet pas. Il y avait là tout
un engrenage bureaucratique où une roue entraînait
l'autre.
Pour
la France, les différents rouages qui ont déclenché les
vagues principales ont pour nom : Zeitschel, Abetz et Ribbentrop
; ainsi que Himmler et Heydrich.
En
France, ce fut le début des déportations. Le
23 octobre 1941, Himmler, en sa qualité de Reichsführer
SS et de chef de la police allemande, ordonna qu'on arrête,
ou plutôt qu'on empêche l'exode des juifs, avec effet
immédiat. Les actions d'évacuation ne devaient pas
en être affectées. A la charnière entre 1941
et 1942, la déportation fut une fois de plus repoussée à cause
de l'importance du trafic pour les vacances de Noël. Tel est
le rapport que fit le chef de la section IV du service central
de sécurité du Reich, le SS Gruppenführer et
Generalleutnant de police, Müller, le soir du réveillon
1941, vers 23 heures, au chargé de mission du CS (chef de
la sûreté) pour la France et la Belgique. (...)
Le
28 février 1942, je reçus l'ordre de faire savoir
au service à Paris, en réponse à sa demande
du 27 février 1942, que mille juifs pouvaient être
déportés immédiatement après la fin
des discussions en cours sur la régulation du trafic. Mais
il y avait manifestement encore des difficultés, car, dans
tous les pays, les bureaucraties travaillent à un rythme
bureaucratique. Conformément aux ordres, je devais avoir
une discussion avec les rapporteurs des questions juives, le 4.3.42 à Berlin.
Le rapporteur du chargé de mission du chef de la sûreté et
du SD à Paris avait une nouvelle fois attiré l'attention
sur l'urgence d'une déportation immédiate. Conformément à ma
mission, je devais autoriser un départ pour le mois de mars
1942 et je lui avais fait savoir que, sous réserve de la
décision finale de Heydrich, on pouvait déjà entamer
les discussions avec le gouvernement français sur le déplacement
de cinq mille juifs vers l'Est.
Conformément aux directives, il devait s'agir d'abord de
juifs de sexe masculin, aptes au travail et n'ayant pas plus de
cinquante-cinq ans. Il fallait en outre veiller à ce que
les juifs de nationalité française perdent, avant
leur départ ou au plus tard le jour de leur déportation,
leur nationalité ; et il fallait aussi régler de
la même façon les problèmes de patrimoine et
de fortune. En se calant sur les plans horaires donnés par
le ministère des transports du Reich, c'est la date du 23
mars 1942 qui avait été prévue pour commencer
les déportations. Une fois obtenue de Hitler, sur l'initiative
du secrétaire d'Etat pour la sécurité en Bohême
et en Moravie, Ritt Frank, et du ministre de l'information et de
la propagande, le Dr Goebbels, l'obligation pour les juifs des
territoires du « Grand Reich, y compris la Bohême et
la Moravie » de porter un signe de reconnaissance, les services
des zones occupées commencèrent aussi à obliger
les juifs de ces zones à porter un signe de reconnaissance.
(...)
Il
existe un télégramme daté du 20.3.1942 émanant
du chef de la sûreté allemande pour la France, le
Dr Knochen, et adressé à mon service ; ce télégramme
est très instructif ; il dit que l'attaché militaire
a communiqué de façon définitive que, pour
sa part, il ne peut mettre à disposition aucune force de
surveillance pour la déportation des premiers mille juifs
de Compiègne et Drancy. (...)
Le
26 janvier 1942, Himmler fait savoir à l'inspecteur
chargé des camps de concentration, le Generalmajor de la
Waffen SS, Glücks, qu'il doit se préparer à accueillir
100 000 juifs de sexe masculin et 50 000 de sexe féminin
dans les camps de concentration. Il était nécessaire
de prendre très vite des mesures d'ordre économique.
Son supérieur, le général de la Waffen SS,
Pohl, lui donnerait plus de détails. Et le 1er février
1942, Himmler créa à l'intérieur de la direction
des camps de concentration une organisation plus rigoureuse. Il
nomma Pohl chef du service économique et administratif,
sous les ordres de qui était placé Glücks, nommé chef
de l'inspection.
Conformément aux ordres, je dus organiser, pour le 11.6.1942,
une nouvelle consultation à Berlin à laquelle je
devais convier, par voie administrative, les responsables des questions
juives de Paris, Bruxelles et La Haye. Entre-temps, Glücks
avait pris des mesures d'accueil à Auschwitz, et Himmler
ordonna la déportation de 100 000 juifs de France, 15 000
de Hollande et 10 000 de Belgique.
Conformément aux directives de Himmler, la première
condition était que les juifs aient entre seize et quarante
ans, avec une tolérance de 10 % de juifs inaptes au travail.
Ces transports devaient démarrer le 13.7.1942, à raison
de trois par semaine.
Quand
Himmler donna cet ordre à son chef de la sûreté et
du SD, ce dernier était encore en vie. Mais le 29 mai 1942,
il fut blessé [lors d'un attentat commis par des résistants
tchèques] par une bombe. Sept jours plus tard, il succombait à ses
blessures. Heydrich était mort. C'est Himmler lui-même
qui prit la direction de son service chargé de la sécurité du
Reich et il la conserva jusqu'au début du mois de janvier
1943. (...) La mort de Heydrich déclencha partout des actions
plus rigoureuses contre les juifs. Se démarquant de l'ordre
qu'il avait lui-même C 'EST dans l'historique wagon-restaurant
de la Compagnie des wagons-lits, à Compiègne, que
fut signé, le 21 [sic] juin 1940, l'armistice entre l'Allemagne
et la France. Le 3 août 1940, le ministre des affaires étrangères
de l'époque, Joachim von Ribbentrop, fait savoir au chef
du commandement suprême de la Wehrmacht à Berlin que,
conformément à sa proposition, Hitler a nommé Abetz,
jusque-là ministre plénipotentiaire, ambassadeur,
et l'a chargé des missions suivantes en France : 1) Conseil
des autorités militaires pour les questions politiques.
2) Contact permanent avec le gouvernement de Vichy et ses chargés
de mission en territoire occupé. 3) Conseil de la Geheize
Feldpolizei et de la Gestapo pour la confiscation de documents
ayant une importance politique. 4) Mise à l'abri et saisie
du patrimoine artistique public ainsi que de tous les biens privés
juifs à caractère artistique sur la base de directives
particulières promulguées à cet effet.
En
outre, Hitler avait expressément stipulé que
l'ambassadeur Abetz était seul responsable de tout ce qui
relevait des questions politiques dans la France occupée
et non occupée. Ribbentrop ajoute que ce n'est que de lui
que l'ambassadeur reçoit les directives relatives à l'exécution
de ses missions et qu'il n'en est responsable que devant lui.
C'était une fonction avec des pouvoirs exorbitants : il
ne faut donc pas s'étonner si Abetz, dès le 17 août
1940, au cours d'une discussion, demande que l'administration militaire
en France prenne des mesures, avec effet immédiat, pour
que plus aucun juif ne pénètre dans la France occupée.
Il exigeait en outre que l'on commence à évacuer
tous les juifs de la zone occupée et, pour finir, que l'on
examine si les possessions juives en zone occupée pouvaient
faire l'objet d'expropriations.
Il
revenait au chef de l'administration militaire dans la France
occupée de traiter ces affaires d'un strict
point de vue administratif et bureaucratique.
A
la même époque, le ministère des affaires étrangères à Berlin
a [mot manquant : demandé] à l'état-major
personnel du Reichsführer SS de prendre position sur la demande
de l'ambassadeur Abetz concernant les mesures antisémites
qui pourraient ultérieurement servir de base pour évacuer
aussi les juifs de la France non occupée.
Et
le 20 septembre 1940, Heydrich se dépêche de répondre à celui
qui lui en fait la demande, le Standartenführer SA Luther,
dans une lettre portant l'en-tête Reichsführer SS et
chef de la police allemande au ministère de l'intérieur
du Reich, qu'il n'a rien à objecter à l'application
des mesures prévues par Abetz, et qu'il est également
d'accord pour que leur exécution soit effectuée par
les autorités françaises.
Mais
Abetz allait déjà un peu plus loin que ce que
nous avons vu jusqu'à présent, puisqu'il exigeait
l'obligation de déclaration de résidence pour les
juifs résidant en zone occupée, l'enregistrement
des commerces juifs et la désignation d'administrateurs
fiduciaires pour traiter les biens juifs dont les propriétaires étaient
en fuite. Heydrich recommandait de mobiliser les forces de la sûreté allemande
stationnées en France. Et le 1er octobre 1940, une nouvelle
proposition d'Abetz faite en dix-neuf exemplaires parvient aux
différentes autorités centrales ; il exige que soit
mis en place à l'avenir, pour le territoire français
mentionné, un processus collectif de déchéance
de nationalité pour les groupes de personnes juives expressément
identifiées. Il conclut en disant que cette mesure n'est
qu'un premier pas vers la solution du problème global. Entre-temps,
le gouvernement français de Vichy avait nommé un « commissaire
aux questions juives » en la personne de Xavier Vallat. Ce
dernier se présenta le 3 avril 1941 à l'ambassade
d'Allemagne à Paris. Abetz fit ensuite le rapport suivant
au ministère des affaires étrangères : « Afin
que "les juifs implantés depuis longtemps" puissent
aussi être soumis ultérieurement aux mêmes mesures
que les juifs étrangers et nouvellement naturalisés,
il est nécessaire de disposer dès à présent
d'une loi donnant au commissaire français chargé des
questions juives la possibilité de déclarer comme "étrangers" les "juifs
implantés depuis longtemps" et qui ont porté atteinte
aux intérêts spécifiques et nationaux de la
nation française... » Il dit avoir conseillé à Xavier
Vallat de proposer une telle loi à son gouvernement à Vichy.
Dès [les 3 et] 4 octobre 1940, le gouvernement français
de Vichy avait édicté un statut spécifique
des juifs dans lequel était prévu, entre autres,
l'internement d'étrangers juifs dans des camps de concentration
spéciaux ; et l'ordonnance du 30 octobre 1940 du Reichsführer
SS, chef de la sûreté et du SD (service de renseignement
de la sécurité), prévoyait la mise en place
de camps de concentration spécifiques pour les juifs de
nationalité allemande, autrichienne, tchécoslovaque
et polonaise.
Sur
la base de ces documents, j'ai montré un bref aperçu
de la base législative mise en place pour traiter la question
juive en France. Jusqu'ici, ni moi ni mon service n'apparaissons.
(...) Suivant une ordonnance de Göring, il convenait d'intensifier
autant que possible l'émigration des juifs de l'espace du
Grand Reich, même durant la période de guerre. (...)
Pour
finir, on évoque la solution finale de la question
juive qui ne fait plus aucun doute. La chose a été communiquée
le 20 mai 1941 à toutes les polices, aux autorités
françaises, aux services du SD ainsi qu'au ministère
des affaires étrangères à Berlin. C'est un
spécialiste de mon service qui avait rédigé ce
courrier, conformément à une disposition de mon supérieur
hiérarchique au service central de la sécurité du
Reich ; j'avais dicté à ce spécialiste les
principales directives de mon chef. (...)
Je
viens de mentionner l'expression « solution finale de
la question juive ». A cette époque, si je me souviens
bien, cette expression renvoyait encore au plan Madagascar [Hitler
avait envisagé la déportation des juifs à Madagascar,
NDLR] élaboré déjà avec ma participation,
qui portait cette « référence » de façon
plus exhaustive à un autre endroit. Les lignes qui suivent
vont montrer comment ce plan a été torpillé,
indépendamment de la situation militaire et politique ultérieure
qui l'a pris de vitesse.
Un
certain Dr Zeitschel, conseiller de légation à Paris,
avait été engagé pour s'occuper des diplomates
en poste dans la capitale. C'est ce qu'Abetz avait fait savoir
au commandant militaire à Paris. Le 22 août 1941,
ce Dr Zeitschel fit un rapport à l'ambassadeur Abetz. Dans
ce rapport, on pouvait lire que la conquête et l'occupation
progressive des lointains territoires de l'Est allaient pouvoir
apporter sous peu une solution définitive et satisfaisante
au problème juif dans toute l'Europe. Il s'agissait de délimiter
là-bas un territoire pour les juifs. Il suffisait d'en donner
l'ordre aux militaires, et les juifs des territoires occupés
comme la Hollande, la Belgique, le Luxembourg, la Norvège,
la Yougoslavie ou la Grèce pourraient être transportés
par convois entiers dans ce nouveau territoire, ce qui inciterait
les autres Etats à suivre cet exemple.
En
soi, le plan Madagascar n'était pas mauvais, mais il
achoppait sur des problèmes de transport insurmontables,
car les transports par mer étaient utilisés à des
fins plus importantes que celle de faire faire une promenade sur
les mers du globe à toute une kyrielle de juifs. (...)
En
ce qui concernait la France, Abetz avait reçu de Himmler,
lors de son passage au quartier général, l'autorisation
de déporter vers l'Est tous les juifs se trouvant dans les
camps de concentration en France, dès que les possibilités
de transport le permettraient. Le 8 octobre 1941, le Dr Zeitschel
fait part de ce résultat au chargé de mission du
chef de la sûreté et du SD pour la Belgique et la
France, par l'entremise de Dannecker.
Ayant
donc eu l'accord de principe de Himmler, il demande de battre
le fer quand il est chaud et d'envoyer toutes
les deux ou trois
semaines un rapport à Berlin pour qu'on fasse partir le
plus tôt possible les juifs de la France occupée.
C'est ainsi qu'avait été obtenu l'ordre de déportation
des juifs de France. La police reçut les directives correspondantes
et il lui fallait obéir. (...)
A
Paris, le commandant militaire poussait à la roue ; l'ambassadeur
poussait à la roue ; et c'est le chargé de mission
du chef de la sûreté et du SD qui devait faire face.
Car Himmler avait donné son accord. Dès que les moyens
de transport le permettraient.
Quand
? Paris faisait le forcing sur le service central de la sécurité du Reich. Mon chef, le directeur du service
IV, donna l'ordre d'engager des négociations avec le service
compétent au ministère des transports du Reich. C'est
le Reichsführer SS, Himmler, et le chef de la sûreté et
du SD, Heydrich, qui décidèrent des personnes, des
exceptions, de l'objectif final à l'Est, du poids des bagages à ne
pas dépasser ; tout cela en accord avec le ministère
des affaires étrangères et les autres instances politiques
centrales, en se référant aux premières vagues
de déportation des juifs, à l'automne 1941, hors
des territoires anciens du Reich : l'Autriche et les protectorats
de Bohême et Moravie. Aucun fonctionnaire au ministère
des transports n'aurait pu dire : nous n'avons pas de trains, la
situation des transports ne le permet pas. Il y avait là tout
un engrenage bureaucratique où une roue entraînait
l'autre.
Pour
la France, les différents rouages qui ont déclenché les
vagues principales ont pour nom : Zeitschel, Abetz et Ribbentrop
; ainsi que Himmler et Heydrich.
En
France, ce fut le début des déportations. Le
23 octobre 1941, Himmler, en sa qualité de Reichsführer
SS et de chef de la police allemande, ordonna qu'on arrête,
ou plutôt qu'on empêche l'exode des juifs, avec effet
immédiat. Les actions d'évacuation ne devaient pas
en être affectées. A la charnière entre 1941
et 1942, la déportation fut une fois de plus repoussée à cause
de l'importance du trafic pour les vacances de Noël. Tel est
le rapport que fit le chef de la section IV du service central
de sécurité du Reich, le SS Gruppenführer et
Generalleutnant de police, Müller, le soir du réveillon
1941, vers 23 heures, au chargé de mission du CS (chef de
la sûreté) pour la France et la Belgique. (...)
Le
28 février 1942, je reçus l'ordre de faire savoir
au service à Paris, en réponse à sa demande
du 27 février 1942, que mille juifs pouvaient être
déportés immédiatement après la fin
des discussions en cours sur la régulation du trafic. Mais
il y avait manifestement encore des difficultés, car, dans
tous les pays, les bureaucraties travaillent à un rythme
bureaucratique. Conformément aux ordres, je devais avoir
une discussion avec les rapporteurs des questions juives, le 4.3.42 à Berlin.
Le rapporteur du chargé de mission du chef de la sûreté et
du SD à Paris avait une nouvelle fois attiré l'attention
sur l'urgence d'une déportation immédiate. Conformément à ma
mission, je devais autoriser un départ pour le mois de mars
1942 et je lui avais fait savoir que, sous réserve de la
décision finale de Heydrich, on pouvait déjà entamer
les discussions avec le gouvernement français sur le déplacement
de cinq mille juifs vers l'Est.
Conformément aux directives, il devait s'agir d'abord de
juifs de sexe masculin, aptes au travail et n'ayant pas plus de
cinquante-cinq ans. Il fallait en outre veiller à ce que
les juifs de nationalité française perdent, avant
leur départ ou au plus tard le jour de leur déportation,
leur nationalité ; et il fallait aussi régler de
la même façon les problèmes de patrimoine et
de fortune. En se calant sur les plans horaires donnés par
le ministère des transports du Reich, c'est la date du 23
mars 1942 qui avait été prévue pour commencer
les déportations. Une fois obtenue de Hitler, sur l'initiative
du secrétaire d'Etat pour la sécurité en Bohême
et en Moravie, Ritt Frank, et du ministre de l'information et de
la propagande, le Dr Goebbels, l'obligation pour les juifs des
territoires du « Grand Reich, y compris la Bohême et
la Moravie » de porter un signe de reconnaissance, les services
des zones occupées commencèrent aussi à obliger
les juifs de ces zones à porter un signe de reconnaissance.
(...)
Il
existe un télégramme daté du 20.3.1942 émanant
du chef de la sûreté allemande pour la France, le
Dr Knochen, et adressé à mon service ; ce télégramme
est très instructif ; il dit que l'attaché militaire
a communiqué de façon définitive que, pour
sa part, il ne peut mettre à disposition aucune force de
surveillance pour la déportation des premiers mille juifs
de Compiègne et Drancy. (...)
Le
26 janvier 1942, Himmler fait savoir à l'inspecteur
chargé des camps de concentration, le Generalmajor de la
Waffen SS, Glücks, qu'il doit se préparer à accueillir
100 000 juifs de sexe masculin et 50 000 de sexe féminin
dans les camps de concentration. Il était nécessaire
de prendre très vite des mesures d'ordre économique.
Son supérieur, le général de la Waffen SS,
Pohl, lui donnerait plus de détails. Et le 1er février
1942, Himmler créa à l'intérieur de la direction
des camps de concentration une organisation plus rigoureuse. Il
nomma Pohl chef du service économique et administratif,
sous les ordres de qui était placé Glücks, nommé chef
de l'inspection.
Conformément aux ordres, je dus organiser, pour le 11.6.1942,
une nouvelle consultation à Berlin à laquelle je
devais convier, par voie administrative, les responsables des questions
juives de Paris, Bruxelles et La Haye. Entre-temps, Glücks
avait pris des mesures d'accueil à Auschwitz, et Himmler
ordonna la déportation de 100 000 juifs de France, 15 000
de Hollande et 10 000 de Belgique.
Conformément aux directives de Himmler, la première
condition était que les juifs aient entre seize et quarante
ans, avec une tolérance de 10 % de juifs inaptes au travail.
Ces transports devaient démarrer le 13.7.1942, à raison
de trois par semaine.
Quand
Himmler donna cet ordre à son chef de la sûreté et
du SD, ce dernier était encore en vie. Mais le 29 mai 1942,
il fut blessé [lors d'un attentat commis par des résistants
tchèques] par une bombe. Sept jours plus tard, il succombait à ses
blessures. Heydrich était mort. C'est Himmler lui-même
qui prit la direction de son service chargé de la sécurité du
Reich et il la conserva jusqu'au début du mois de janvier
1943. (...) La mort de Heydrich déclencha partout des actions
plus rigoureuses contre les juifs. Se démarquant de l'ordre
qu'il avait lui-même donné au début, Himmler
ordonna la déportation de tous les juifs, sans considération
d'âge ni de sexe. Et cela, dès que possible ; autant
dans la zone occupée que dans la zone non occupée
de France. Je fus envoyé à Paris sur ordre de mon
supérieur Müller pour transmettre cet ordre de Himmler.
Cela
faisait déjà un certain temps que le Dr Knochen
avait été promu SS-Standartenführer et colonel
de police, et ses fonctions étaient celles d'un chef de
la sûreté et du SD en France. Une fois que Himmler
eut donné l'ordre de déporter tous les juifs de France,
des contacts furent pris avec les autorités françaises à Paris,
en particulier avec le chef de la police française [René Bousquet
et son adjoint Jean Leguay], Darquier de Pellepoix [commissaire
général aux questions juives depuis le 6 mai 1942],
avec le chef du fichier juif à la préfecture de Paris,
le directeur [sous-directeur du service des étrangers et
des affaires juives] Tulard ; avec également le représentant
de la préfecture de la Seine, le [sous-]directeur [au ravitaillement]
Garnier ; le directeur de la police antijuive Schweblin, etc. Ce
qui ne pouvait manquer de se produire après un ordre aussi énergique
venu d'en haut se produisit.
Les
déportations en masse commencèrent.
Le
10.7.1942, Paris fit savoir à mon service que 4 000
enfants juifs feraient partie de la vague d'arrestation et il demandait
d'urgence une décision par téléscripteur pour
savoir si les enfants des juifs apatrides, qui devaient être
déplacés, pouvaient être aussi évacués à partir
du dixième transport. Onze jours plus tard, je reçus
l'ordre de mon supérieur de communiquer à Paris que,
dès que les transports seraient à nouveau possibles,
il faudrait aussi déporter les enfants. A cette époque,
j'avais moi-même trois enfants. Je ne souhaite pas en dire
davantage à cet endroit.
Et,
une fois de plus, je dus convoquer les chargés des
affaires juives à l'étranger pour une séance
de travail, le 28.8.1942. Himmler nous ordonnait d'achever le transport
des juifs apatrides d'ici la fin de l'année 1942 ; il avait également
ordonné que la déportation de tous les autres juifs
soit terminée en juin 1943. (...)
En
décembre 1942, Himmler écrivit à mon supérieur
Müller : « J'ordonne que, sur les juifs qui sont encore
présents en France - idem pour les juifs hongrois et roumains
-, tous ceux qui ont des parents influents en Amérique soient
regroupés dans un camp spécial. Ils devront certes
y travailler mais dans des conditions telles qu'ils restent en
bonne santé et en vie. Les juifs de cette espèce
sont pour nous des otages précieux. J'imagine qu'il devrait
y en avoir environ 10 000. »
Or,
en France, les choses se déroulaient de la façon
suivante. Chacun poussait à la roue, et tous ceux qui avaient
une position plus ou moins importante dans les différentes
instances centrales voulaient prouver leur « intégrité en
tant que fonctionnaire national-socialiste » par une surenchère
de propositions en regard de la « solution de la question
juive ».
La
police devait contenir la pression qui venait d'en haut. Elle était
submergée. Tout le monde trouvait que ça allait trop
lentement ; tout le monde trouvait que la bureaucratie policière
lambinait, cette police qui devait exécuter toute cette
saloperie concoctée par les instances centrales. (...) Encore
une chose : si, au lieu de recevoir des ordres, c'est moi qui en
avais donné ; si, au lieu d'être Adolf Eichmann, j'avais été,
par exemple, simplement le Dr Zeitschel, je ne serais pas en mesure
d'écrire une seule ligne sur les atrocités qui ont été perpétrées
; car à chaque mot, j'entendrais une voix accusatrice qui
me dirait : « C'est toi le coupable. » Et la plume
se crisperait dans ma main. (...)
Il
nous est resté un rapport rédigé par des
fonctionnaires du service du chef de la sûreté et
du SD à Paris en date du 9.9.1942. On peut y lire : « D'après
le plan que le Reichsführer SS a eu la confiance de nous communiquer,
les territoires occupés par l'Allemagne doivent être
débarrassés des juifs d'ici le milieu de l'année
1943. » (...)
Je
fus moi-même envoyé à Paris par mon chef,
Heinrich Müller, pour transmettre à Knochen, chef de
la sûreté, les directives visant à mettre en
oeuvre la déportation de tous les juifs de nationalité française,
quelles que soient les difficultés rencontrées. Je
les transmis, conformément aux ordres de mon supérieur
hiérarchique. Rien ne révèle mieux mon rôle
de messager que la lettre du Dr Knochen adressée le 12 février
1943 à Müller, à peine ma mission remplie. Il
prend bonne note de ma communication, prend en outre bonne note
des différents rapports sur cette affaire, passe aussitôt
aux possibles complications et fait savoir, au cas où la
déportation devrait étre ordonnée, qu'il faut
s'attendre que le chef de l'Etat, Pétain, s'y oppose et
l'interdise. (...)
Adolf EICHMANN
Liens
brisés
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