« L'être nous est donné dans un
dépassement intolérable de l'être, non moins intolérable que
la mort. Et puisque, dans la mort, en même temps qu'il nous est
donné, il nous est retiré, nous devons le chercher dans le sentiment
de la mort, dans ces moments intolérables où il nous semble que
nous mourons, parce que l'être en nous n'est plus là que par
excès, quand la plénitude de l'horreur et celle de la joie coïncident.
Même la pensée (la réflexion) ne s'achève en nous que dans l'excès.
Que signifie la vérité, en dehors de la représentation de l'excès,
si nous ne voyons ce qui excède
la possibilité de voir, ce qu'il est intolérable de voir, comme, dans l'extase,
il est intolérable de jouir ? si nous ne pensons ce qui excède la possibilité de
penser... ? »
(Préface à Madame Edwarda.)
« Il est en nous des moments d'excès
: ces moments mettent en jeu le fondement sur lequel notre vie
repose ; il est inévitable pour nous de parvenir à l'excès dans
lequel nous avons la force de mettre en jeu ce qui nous fonde.
C'est bien au contraire en niant de tels moments que nous méconnaîtrions
ce que nous sommes. » (L'Erotisme.)
« Il y a dans la nature et il subsiste
dans l'homme un mouvement qui toujours excède les limites, et
qui jamais ne peut être réduit que partiellement. De ce mouvement
nous ne pouvons généralement rendre compte. Il est même par définition
ce dont jamais rien ne rendra compte. » (L'Erotisme.)
« Il me semble que l'on peut apercevoir
ce que Nietzsche a exprimé par la formule de la mort de Dieu.
Pour Nietzsche, ce qu'il a appelé la mort de Dieu laissait un
vide terrible, quelque chose de vertigineux, presque, et de difficilement
supportable. Au fond, c'est à peu près ce qui arrive la première
fois qu'on prend conscience de ce que signifie, de ce qu'implique
la mort : tout ce qu'on est se révèle fragile et périssable,
ce sur quoi nous basons tous les calculs de notre existence est
destiné à se dissoudre dans une espèce de brume inconsistante...
Est-ce que ma phrase est finie ?
- Je crois.
- Si elle n'est pas finie, cela
n'exprimerait pas mal ce que j'ai voulu dire... » (Entretien
avec Madeleine Chapsal.)
« Je me représente le ciel lui-même
glissant, tournant et se perdant.
Le soleil, comparable à un alcool, tournant et éclatant à perdre la respiration.
La profondeur du ciel comme une débauche de lumière glacée se perdant.
Tout ce qui existe se détruisant, se consumant et mourant, chaque instant ne
se produisant que dans l'anéantissement de celui qui précède et n'existant
lui-même que blessé à mort.
Moi-même me détruisant et me consumant sans cesse en moi-même dans une grande
fête de sang.
Je me représente l'instant glacé de ma propre mort. »
(La pratique de la joie devant la mort.)
« Ces moments d'intense communication
que nous avons avec ce qui nous entoure - qu'il s'agisse d'une
rangée d'arbres, d'une salle ensoleillée - sont en eux-mêmes
insaisissables. Nous n'en jouissons que dans la mesure où nous
communiquons, où nous sommes perdus, inattentifs. Si nous ces-sons
d'être perdus, si notre attention se concentre, nous cessons
pour autant de communiquer. Nous cherchons à comprendre, à capter
le plaisir : il nous échappe. » (L'Expérience intérieure.)
« Les coups de chance mettent l'être
en jeu, ils se succèdent, ils enrichissent l'être en puissance
d'accord avec la chance, en pouvoir de la révéler, de la créer
(la chance étant l'art d'être ou l'être, l'art d'accueillir la
chance, de l'aimer). » (Le Coupable.)
« La réflexion claire a toujours
le possible pour objet. L'impossible, au contraire, est un désordre,
une aberration. C'est un désordre qu'amènent seuls le désespoir
et la passion... Un désordre excessif auquel seule la folie condamne
! » (L'Impossible, note.)
« A cette époque [1927] , je n'hésitais
pas à penser sérieusement à la possibilité que cet œil extraordinaire
finisse par se faire jour réellement à travers la paroi osseuse
de la tête, parce que je croyais nécessaire qu'après une longue
période de servilité les êtres humains aient un œil exprès pour
le soleil (alors que les deux yeux qui sont dans les orbites
s'en détournent avec une sorte d'obstination stupide). Je n'étais
pas dément mais je faisais sans aucun doute une part excessive à la
nécessité de sortir d'une façon ou de l'autre des limites de
notre expérience humaine et je m'arrangeais d'une façon assez
trouble pour que la chose du monde la plus improbable (la plus
bouleversante aussi, quelque chose comme l'écume aux lèvres)
m'apparaisse en même temps comme nécessaire. » (L'Œil pinéal.)
« Lorsqu'on dit que l'hétérologie
envisage scientifiquement les questions de l'hétérogénéité, on
ne veut pas dire par là que l'hétérologie est, dans le sens habituel
d'une telle formule, la science de l'hétérogène. L'hétérogène
est même résolument placé hors de la portée de la connaissance
scientifique qui par définition n'est applicable qu'aux éléments
homogènes. Avant tout, l'hétérologie s'oppose à n'importe quelle
représentation homogène du monde, c'est-à-dire à n'importe quel
système philosophique. » (La valeur d'usage de D.A.F. de Sade.)
« Il est dans l'entendement une
tache aveugle : qui rappelle la structure de l'œil. Dans l'entendement
comme dans l'oeil on ne peut que difficilement la déceler. Mais
alors que la tache aveugle de l'œil est sans conséquence, la
nature de l'entendement veut que la tache aveugle ait en lui
plus de sens que l'entendement même. Dans la mesure où l'entendement
est auxiliaire de l'action, la tache y est aussi négligeable
qu'elle est dans l'œil. Mais dans la mesure où l'on envisage
dans l'entendement l'homme lui-même, je veux dire une exploration
du possible de l'être, la tache absorbe l'attention : ce n'est
plus la tache qui se perd dans la connaissance, mais la connaissance
en elle. L'existence de cette façon ferme le cercle, mais elle
ne l'a pu sans y inclure la nuit d'où elle ne sort que pour y
rentrer. Comme elle allait de l'inconnu au connu, il lui faut
s'inverser au sommet et revenir à l'inconnu. » (L'Expérience
intérieure.)
« Gilles de Rais doit sa gloire
durable à ses crimes. Mais fut-il, comme on l'affirma, le plus
abject des criminels de tous les temps ? En principe, cette affirmation
hasardée est peu soutenable. Le crime est le fait de l'espèce
humaine, il est même le fait de cette seule espèce, mais il en
est surtout l'aspect secret, l'aspect impénétrable et dérobé [...]
Cela dit, nous ne pouvons aborder l'histoire de Gilles de Rais
sans lui donner une valeur privilégiée [...] Devant les crimes
de Gilles de Rais, nous avons le sentiment, fût-il trompeur,
d'un sommet. » (Le procès de Gilles de Rais.)
« (...) On n'atteint le point qu'en
dramatisant. Dramatiser est ce que font les personnes dévotes
qui suivent les Exercices de saint Ignace (mais non celles-là seules).
Qu'on se figure le lieu, les personnages du drame et le drame
lui-même : le supplice auquel le Christ est conduit. Le disciple
de saint Ignace se donne à lui-même une représentation de théâtre.
Il est dans une chambre paisible : on lui demande d'avoir les
sentiments qu'il aurait au Calvaire. »
(L'Expérience intérieure.)
Le récit qui révèle les possibilités
de la vie [...] appelle un moment de rage, sans lequel son auteur
serait aveugle à ces possibilités excessives. Je le crois : seule
l'épreuve suffocante, impossible, donne à l'auteur le moyen d'atteindre
la vision lointaine attendue par un lecteur las des proches limites
imposées par les conventions. Comment nous attarder à des livres
auxquels, sensiblement, l'auteur n'a pas été contraint ? » (Le
Bleu du ciel, avant-propos.)
« Me servant de fictions, je dramatise
l'être : j'en déchire la solitude et dans le déchirement je communique. »
(Sur Nietzsche.)
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brisés
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