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© LittératureS & CompagnieS
1999-2018

 

Anaïs Nin

 

 

Aphrodisiac (1978)

Je ne peux pas glisser doucement d’une relation à une autre. Des morceaux de moi se fragmentent et s’éparpillent, en volant ici et là. J’égare des morceaux essentiels de moi, un morceau s’éloigne de cet endroit de paradis, un morceau suit quelqu’un d’autre qui descend la rue tout seul, ou peut-être pas tout seul : quelqu’un peut prendre ma place à ses côtés pendant que je suis ici, ce sera ma punition, et quelqu’un prendra ma place ici quand je partirai. Je me sens coupable de laisser chacun d’eux seul, je me sens responsable de leur solitude, et je me sens deux fois coupable, à l’égard des deux hommes. Où que je sois, je me sens faite de plusieurs morceaux que je n’ose pas rassembler, pas plus que je n’oserai rassembler les deux hommes. Maintenant, je vais rester là où on ne me blessera pas, pour quelques jours au moins je ne serai pas blessée par un mot ou par un geste, mais je ne suis pas toute entière ici, seule la moitié de moi est à l’abri. Eh bien ! Sabina, en tant qu’actrice, tu as échoué. Tu as rejeté la discipline, la routine, la monotonie, les répétitions, tout effort soutenu, et maintenant, tu as un rôle qui doit se renouveler chaque jour, pour empêcher qu’un être humain ait de la peine. Baigne les yeux et ton visage désarmés, mets les vêtements de la maison, ce sont les siens, baptisés par ses mains, joue le rôle d’une femme entière, au moins tu as toujours souhaité l’être, après tout ce n’est pas un mensonge...


Extrait du Journal

"Artaud. Maigre tendu. Un visage creusé, des yeux de visionnaire. Des manières sardoniques. Tantôt fatigué, tantôt ardent et malicieux."
Le théâtre, pour lui est un endroit où crier la souffrance, la colère, la haine, ou exprimer la violence qui est en nous. La vie la plus violente peut éclater de terreur et de mort.-

Il a parlé des anciens rites du sang. La puissance de la contagion. Comme nous avons perdu cette magie de la contagion. La religion ancienne savait comment organiser des rites qui rendaient contagieuses la foi et l’extase. Le pouvoir des rites a disparu. Il voulait donner cela au théâtre.
Personne aujourd’hui ne pouvait partager une sensation avec quiconque. Et Antonin Artaud voulait crier de sorte que le théâtre accomplisse cela, qu’il soit au centre, qu’il soit un rite qui nous réveille tous. Il voulait que les gens soient de nouveau rendus à la ferveur, à l’extase. Pas de paroles. Pas d’analyse. La contagion par la représentation d’états extatiques. Pas de scène objective, mais un rite nu milieu du public.

- Tandis qu’il parlait je me demandait s’il avait raison de dire que ce sont les rites que nous avons perdus, ou si plutôt les gens n’avaient pas perdu la faculté de ressentir au point qu’aucun rite ne pourrait plus la leur rendre.

Artaud est le surréaliste que les surréalistes ont désavoué, la silhouette maigre et fantomatique qui hante les cafés mais ne va jamais au comptoir, ne s’assied pas ni ne boit ni ne rit avec les autres. C’est un être drogué, contracté, qui marche toujours seul et cherche à monter des pièces qui ressemblent à des scènes de torture.
Il a les yeux bleus de langueur, noirs de souffrance. Il est tout en nerfs. Il était pourtant si beau dans le rôle du moine amoureux de Jeanne d’Arc dans le film de Carl Dreyer. Les yeux enfoncés du mystique, comme s’ils brillaient au fond d’une caverne. Profonds, sombres et mystérieux.
Pour Artaud écrire est douloureux aussi. Cela vient de manière spasmodique et dans un grand effort. Il est pauvre. Il est en conflit avec un monde qu’il imagine menaçant et moqueur. Son intensité est obscure, assez terrifiante."


                                         Les Petits Oiseaux (1980)

Il est intéressant de noter que très peu d’écrivains ont écrit, de leur propre initiative, des contes érotiques ou des confessions.
Même en France où l’on estime pourtant que la sexualité joue un grand rôle dans la vie, les écrivains qui se sont essayés à ce genre de littérature l’ont fait par nécessité — par besoin d’argent.

C’est une chose que de mêler un peu d’érotisme à un roman ou à une histoire, mais c’en est une autre que de faire de l’érotisme le seul sujet d’un livre. Dans le premier cas, c’est l’expression de la vie elle-même. C’est quelque chose de naturel, de sincère que l’on retrouve, par exemple, dans certaines pages de Zola ou de Lawrence. Mais ne s’intéresser qu’à la vie sexuelle n’est pas naturel —un peu comme la vie d’une prostituée, qu’une activité sexuelle anormale finit par éloigner de la vraie sensualité. Il se peut que les écrivains en soient conscients. C’est pourquoi ils ont tout au plus écrit une confession ou quelques histoires sur ce sujet, en marge de leur œuvre, pour satisfaire leur besoin d’honnêteté, comme l’a fait Mark Twain.

Mais quel est le sort d’un groupe d’écrivains dont le besoin d’argent est tel qu’ils soient obligés de se consacrer entièrement à cette littérature ? En quoi cela peut-il affecter leur vie, leur attitude à l’égard du monde, leur œuvre ? Et quelle influence cela a-t-il sur leur vie sexuelle ?

Laissez-moi vous dire que je fus un temps la mère spirituelle d’un tel groupe. A New York la vie devenait toujours plus difficile, plus cruelle. Je devais m’occuper de beaucoup de gens, résoudre toutes sortes de problèmes, et, comme mon caractère ressemblait un peu à celui de George Sand, qui écrivait la nuit pour pouvoir s’occuper de ses enfants, de ses amants, de ses amis, il fallait absolument que je trouve du travail.

Et je suis devenue ce que j’appellerais la "madame" d’une maison très particulière de prostitution littéraire. C’était une maison très artistique, je dois l’avouer: un simple studio éclairé par des vitraux, que j’avais peints pour donner à la pièce un air de cathédrale païenne.

Avant de m’engager dans cette nouvelle profession, j’étais connue comme poète, comme une femme indépendante qui n’écrivait que pour son propre plaisir. De nombreux jeunes poètes et écrivains venaient à moi. Nous aimions travailler ensemble, discuter et faire partager notre progression dans le travail. Malgré leurs différences de caractères, de goûts, d’habitudes et de vices, tous ces écrivains avaient une chose en commun: ils étaient pauvres. Désespérément pauvres. Très souvent, ma maison se transformait en cafétéria où ils arrivaient affamés, incapables de parler; nous mangions des flocons d’avoine parce que c’était bon marché et redonnait des forces.

Presque toute notre littérature érotique sort d’estomacs vides. Il est vrai que la faim est un bon stimulant pour l’imagination; elle ne stimule pas la puissance sexuelle, et la puissance sexuelle n’est jamais à l’origine d’aventures extraordinaires. Plus la faim est grande, plus grands sont les désirs, comme ceux des prisonn½ers — ses désirs sauvages et obsédants. Aussi réunissions-nous les conditions idéales pour la culture de l’érotisme.

Naturellement, si la faim est trop tenace, trop permanente, VOUS finissez par devenir un raté, un clochard.
Ces hommes qui dorment le long de l’East River sous les porches des maisons, dans le quartier de Bowery, n’ont plus aucune vie sexuelle, dit-on. Mes écrivains — et certains habitaient le Bowery n’avaient pas encore atteint ce stade.

Quant à moi, j’oubliais mon œuvre véritable quand je devais écrire des histoires érotiques. Elles sont mes aventures dans ce monde du sexe. J’eus du mal, au début, à les exposer au grand jour. La vie sexuelle, pour nous tous— poètes, écrivains, artistes — se cache souvent, masquée sous plusieurs épaisseurs. Elle apparaît comme une femme voilée, à demi rêvée.


Lettre à Léo Lerman, Jal , 1944- 1947, Déc. 1946

"Comme Oscar Wilde, je mets mon talent dans mon œuvre et mon génie dans ma vie (...)
Je crée un mythe et une légende, un mensonge, un conte de fées, un monde enchanté (. . .)
J’écris comme je respire (...)
Devenir une œuvre d’art m’intéresse plus que d’en créer une (...)
Je suis coupable d’avoir fabriquée un univers où je puisse vivre.

 

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