Admiration,
s. f. (Morale).
C'est le sentiment qu'excite en
nous la présence d'un objet, quel qu'il soit, intellectuel ou
physique, auquel nous attachons quelque perfection. Si l'objet
est vraiment beau, l'admiration dure; si la beauté n'était
qu'apparente, l'admiration s'évanouit par la réflexion;
si l'objet est tel, que plus nous l'examinons, plus nous y découvrons
de perfection, l'admiration augmente. Nous n'admirons
guère que ce qui est au-dessus de nos forces ou de nos connaissances.
Ainsi l'admiration est fille tantôt de notre ignorance,
tantôt de notre incapacité: ces principes sont si vrais, que
ce qui est admirable pour l'un, n'attire seulement pas l'attention
d'un autre. Il ne faut pas confondre la surprise avec
l'admiration. Une chose laide ou belle, pourvu qu'elle
ne soit pas ordinaire dans son genre, nous cause de la surprise;
mais il n'est donné qu'aux belles de produire en nous la surprise
et l'admiration: ces deux sentiments peuvent aller ensemble
et séparément. Saint-Évremond dit que l'admiration est
la marque d'un petit esprit : cette pensée est fausse; il eût
fallu dire, pour la rendre juste, que l'admiration d'une
chose commune est la marque de peu d'esprit; mais il y a des
occasions où l'étendue de l'admiration est, pour ainsi
dire, la mesure de la beauté de l'âme et de la grandeur de l'esprit.
Plus un être créé et pensant voit loin dans la nature, plus il
a de discernement et plus il admire. Au reste, il faut un peu être
en garde contre ce premier mouvement de notre âme à la présence
des objets, et ne s'y livrer que quand on est rassuré par ses
connaissances, et surtout par des modèles auxquels on puisse
rapporter l'objet qui nous est présent. Il faut que ces modèles
soient d'une beauté universellement convenue. Il y a des esprits
qu'il est extrêmement difficile d'étonner : ce sont ceux que
la métaphysique a élevés au-dessus des choses faites, qui rapportent
tout ce qu'ils voient, entendent, etc., au possible, et qui ont
en eux-mêmes un modèle idéal au-dessous duquel les êtres créés
restent toujours.
Mélancolie
C'est le sentiment habituel de notre imperfection. Elle est opposée à la gaieté qui
naît du contentement de nous-mêmes : elle est le plus souvent l'effet de la
faiblesse de l'âme et des organes : elle l'est aussi des idées d'une certaine
perfection, qu'on ne trouve ni en soi, ni dans les autres, ni dans les objets
de ses plaisirs, ni dans la nature; elle se plaît dans la méditation qui exerce
assez les facultés de l'âme pour lui donner un sentiment doux de son existence,
et qui en même temps la dérobe au trouble des passions, aux sensations vives
qui la plongeraient dans l'épuisement. La mélancolie n'est point l'ennemie
de la volupté, elle se prête aux illusions de l'amour, et laisse savourer les
plaisirs délicats de l'âme et des sens. L'amitié lui est nécessaire, elle s'attache à ce
qu'elle aime, comme le lierre à l'ormeau. Le Féti la représente comme une femme
qui a de la jeunesse et de l'embonpoint sans fraîcheur. Elle est entourée de
livres épars, elle a sur la table des globes renversés et des instruments de
mathématiques jetés confusément : un chien est attaché aux pieds de sa table;
elle médite profondément sur une tête de mort qu'elle tient entre ses mains.
M. Vien l'a représentée sous l'emblème d'une femme très-jeune, mais maigre
et abattue : elle est assise dans un fauteuil, dont le dos est opposé au jour;
on voit quelques livres et des instruments de musique dispersés dans sa chambre,
des parfums brûlent à côté d'elle; elle a sa tête appuyée d'une main, de l'autre
elle tient une fleur, à laquelle elle ne fait pas attention; ses yeux sont
fixés à terre, et son âme toute en elle-même ne reçoit des objets qui l'environnent
aucune impression.
Sur le génie
Il y a dans les hommes
de génie, poètes, philosophes, peintres, orateurs, musiciens,
je ne sais quelle qualité d'âme particulière, secrète, indéfinissable,
sans laquelle on n'exécute rien de très grand et de beau. Est-ce
l'imagination? Non. J'ai vu de belles et fortes imaginations
qui promettaient beaucoup, et qui ne tenaient rien ou peu de
chose. Est-ce le jugement? Non. Rien de plus ordinaire que des
hommes d'un grand jugement dont les productions sont lâches,
molles et froides. Est-ce l'esprit? Non. L'esprit dit de jolies
choses et n'en fait que de petites. Est-ce la chaleur, la vivacité,
la fougue même? Non. Les gens chauds se démènent beaucoup pour
ne rien faire qui vaille. Est-ce la sensibilité? Non. J'en ai
vu dont l'âme s'affectait promptement et profondément, qui ne
pouvaient entendre un récit élevé sans sortir hors d'eux-mêmes,
transportés, enivrés, fous; un trait pathétique, sans verser
des larmes, et qui balbutiaient comme des enfants, soit qu'ils
parlassent, soit qu'ils écrivissent. Est-ce le goût? Non. Le
goût efface les défauts plutôt qu'il ne produit les beautés;
c'est un don qu'on acquiert plus ou moins, ce n'est pas un ressort
de nature. Est-ce une certaine conformation de la tête et des
viscères, une certaine constitution des humeurs? J'y consens,
mais à la condition qu'on avouera que ni moi, ni personne n'en
a de notion précise, et qu'on y joindra l'esprit observateur.
Quand je parle de l'esprit observateur, je n'entends pas ce petit
espionnage journalier des mots, des actions et des mimes, ce
tact si familier aux femmes, qui le possèdent dans un degré supérieur
aux plus fortes têtes, aux plus grandes âmes, aux génies les
plus vigoureux. Cette subtilité, que je comparerais volontiers à l'art
de faire passer des grains de millet par le trou d'une aiguille,
c'est une misérable petite étude
journalière dont toute l'utilité est domestique et minutieuse, à l'aide de laquelle
un valet trompe son maître, et son maître trompe ceux dont il est le valet, en
leur échappant. L'esprit observateur dont je parle s'exerce sans effort, sans
contention; il ne regarde point, il voit; il s'instruit, il s'étend sans étudier;
il n'a aucun phénomène présent, mais ils l'ont tous affecté, et ce qui lui en
reste c'est une espèce de sens que les autres n'ont pas; c'est une machine rare
qui dit : cela réussira… et cela réussit; cela ne réussira pas… et cela ne réussit
pas; cela est vrai ou cela est faux… et cela se trouve comme il l'a dit. Il se
remarque et dans les grandes choses et dans les petites. Cette sorte d'esprit
prophétique n'est pas le même dans toutes les conditions de la vie; chaque état
a le sien. Il ne garantit pas toujours des chutes, mais la chute qu'il occasionne
n'entraîne jamais le mépris, et elle est toujours
précédée d'une incertitude. L'homme de génie sait qu'il met au hasard, et il
le sait sans avoir calculé les chances pour ou contre; ce calcul est tout fait
dans sa tête.
Bête, animal,
brute (Grammaire).
Bête se prend souvent par
opposition à homme; ainsi on dit : l'homme à une âme,
mais quelques philosophes n'en accordent point aux bêtes. Brute est
un terme de mépris qu'on n'applique aux bêtes et à l'homme
qu'en mauvaise part. Il s'abandonne à toute la fureur de son
penchant comme la brute. Animal est un terme générique
qui convient à tous les êtres organisés vivants : l'animal
vit, agit, se meut de lui-même, etc. Si on considère l'animal comme
pensant, voulant, agissant, réfléchissant, etc., on restreint
sa signification à l'espèce humaine; si on le considère comme
borné dans toutes les fonctions qui marquent de l'intelligence
et de la volonté, et qui semblent lui être communes avec l'espèce
humaine, on le restreint à la bête : si l'on considère
la bête dans son dernier degré de stupidité, et comme
affranchie des lois de la raison et de l'honnêteté selon lesquelles
nous devons régler notre conduite, nous l'appelons brute.
On ne sait si les bêtes sont gouvernées par les lois générales du mouvement,
ou par une motion particulière : l'un et l'autre sentiment a ses difficultés.
Si elles agissent par une motion particulière, si elles pensent, si elles ont
une âme, etc., qu'est-ce que cette âme? On ne peut la supposer matérielle :
la supposera-t-on spirituelle? Assurer qu'elles n'ont point d'âme, et qu'elles
ne pensent point, c'est les réduire à la qualité de machines; à quoi l'on ne
semble guère plus autorisé qu'à prétendre qu'un homme dont on n'entend pas
la langue est un automate. L'argument qu'on tire de la perfection qu'elles
mettent dans leurs ouvrages est fort; car il semblerait, à juger de leurs premiers
pas, qu'elles devraient aller fort loin; cependant toutes s'arrêtent au même
point, ce qui est presque le caractère machinal. Mais celui qu'on tire de l'uniformité de
leurs productions ne me paraît pas tout à fait aussi bien fondé. Les nids des
hirondelles et les habitations des castors ne se ressemblent pas plus que les
maisons des hommes. Si une hirondelle place son nid dans un angle, il n'aura
de circonférence que l'arc compris entre les côtés de l'angle; si elle l'applique
au contraire contre un mur, il aura pour mesure la demi-circonférence. Si vous
délogez les castors de l'endroit où ils sont, et qu'ils aillent s'établir ailleurs,
comme il n'est pas possible qu'ils rencontrent le même terrain, il y aura nécessairement
variété dans les moyens dont ils useront, et variété dans les habitations qu'ils
se construiront.
Quoi qu'il en soit, on ne peut penser que les bêtes aient avec Dieu
un rapport plus intime que les autres parties du monde matériel; sans quoi,
qui de nous oserait sans scrupule mettre la main sur elles, et répandre leur
sang? Qui pourrait tuer un agneau en sûreté de conscience? Le sentiment qu'elles
ont, de quelque nature qu'il soit, ne leur sert que dans le rapport qu'elles
ont entre elles, ou avec d'autres êtres particuliers, ou avec elles-mêmes.
Par l'attrait du plaisir elles conservent leur être particulier; et par le
même attrait elles conservent leur espèce. J'ai dit attrait du plaisir,
au défaut d'une autre expression plus exacte; car si les bêtes étaient
capables de cette même sensation que nous nommons plaisir, il y aurait
une cruauté inouïe à leur faire du mal; elles ont des lois naturelles, parce
qu'elles sont unies par des besoins, des intérêts, etc.; mais elles n'en ont
point de positives, parce qu'elles ne sont point unies par la connaissance.
Elles ne semblent pas cependant suivre invariablement leurs lois naturelles;
et les plantes, en qui nous n'admettons ni connaissance ni sentiment, y sont
plus soumises.
Les bêtes n'ont point les suprêmes avantages que nous avons; elles en
ont que nous n'avons pas : elles n'ont pas nos espérances, mais elles n'ont
pas nos craintes; elles subissent comme nous la mort, mais c'est sans la connaître;
la plupart même se conservent mieux que nous, et ne font pas un aussi mauvais
usage de leurs passions.
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