Acte I.
(Le Comte Almaviva, Figaro)
LE COMTE
Fort bien. Apprends donc que le hasard m'a fait
rencontrer au Prado, il y a six mois, une jeune personne d'une beauté !...
Tu viens de la voir. Je l'ai fait chercher en vain par tout Madrid. Ce n'est
que depuis peu de jours que j'ai découvert qu'elle s'appelle Rosine, est d'un
sang noble, orpheline et mariée à un vieux médecin de cette ville, nommé Bartholo.
FIGARO
Joli oiseau ma foi ! dificile à dénicher !
Mais qui vous a dit qu'elle était femme du Docteur ?
LE COMTE
Tout le monde.
FIGARO
C'est une histoire qu'il a forgée en arrivant de
Madrid, pour donner le change aux galants et les écarter ; elle n'est encore
que sa pupille, mais bientôt...
LE COMTE, vivement
Jamais. Ah quelle nouvelle ! J'étais résolu
de tout oser pour lui présenter mes regrets, et je la trouve libre ! Il
n'y a pas un moment à perdre ; il faut m'en faire aimer, et l'arracher à l'indigne
engagement qu'on lui destine. Tu connais donc ce tuteur ?
FIGARO
Comme ma mère.
LE COMTE
Quel homme est-ce ?
FIGARO vivement
C'est un beau gros, court, jeune vieillard, gris,
pommelé, rusé, rasé, blasé, qui guette et furète et gronde et geint tout-à-la-fois.
LE COMTE impatienté
Eh ! je l'ai vu. Son caractère ?
FIGARO
Brutal, avare, amoureux et jaloux à l'excès de
sa pupille, qui le hait à la mort.
LE COMTE
Ainsi ses moyens de plaire sont...
FIGARO
Nuls.
LE COMTE
Tant mieux. Sa probité ?
FIGARO
Tout juste autant qu'il en faut pour n'être point
pendu.
LE COMTE
Tant mieux. Punir un fripon en se rendant heureux...
FIGARO
... c'est faire à la fois le bien public et particulier
: chef-d'oeuvre de morale, en vérité, Monseigneur !
LE COMTE
Tu dis que la crainte des galants lui fait fermer
sa porte ?
FIGARO
A tout le monde : s'il pouvait la calfeutrer...
LE COMTE
Ah ! diable, tant pis. Aurais-tu de l'accès chez
lui ?
FIGARO
Si j 'en ai ! Primo, la maison que j'occupe appartient
au docteur qui m'y loge gratis.
LE COMTE
Ah, Ah ?
FIGARO
Oui. Et moi en reconnaissance, je lui promets dix
pistoles d'or par an, gratis aussi.
LE COMTE impatienté
Tu es son locataire ?
FIGARO
De plus, son barbier, son chirurgien, son apothicaire
; il ne se donne pas dans sa maison un coup de rasoir, de lancette ou de piston,
qui ne soit de la main de votre serviteur.
LE COMTE l'embrasse
Ah ! Figaro, mon ami, tu seras mon ange, mon
libérateur, mon dieu tutélaire.
Liens
brisés
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