I
- L’enquête, manifestation d’une quête
symbolique
L’enquête
se pose dès le début du livre comme la clé de
voûte du récit à venir.La préface établit
directement le rapport entre le père et le narrateur
patr le biais de celle-ci: " Le
narrateur part à la recherche de son père. Cette
quête lui fait remonter le fil des années et revivre
de façon hallucinatoire une époque qui pourrait être
l’Occupation. "
Mais,
alors que se définissent les différents thèmes
abordés, le ton particulier de l’oeuvre à venir
est lui aussi évoqué: l’adjectif " hallucinatoire " cerne
déjà les contours d’une atmosphère particulière à laquelle
l’enquête sera confrontée. Dès le début,
le texte interroge le concept d’enquête. Le dictionnaire
la définit simplement comme " l’étude
d’une action faite en réunissant des témoignages
et des expériences " ( Petit Robert ). Ce faisant,
il se place donc sur le terrain strictement matériel, où l’investigation
porte sur le tangible.
L’emprunt
de méthodes aux romans policiers ou d’espionnage
permet aussi de donner à ce récit le ton, de l’enquête.
L’auteur met à contribution un genre avéré,
reconnu, normé, et s’offre la possibilité d’insérer
dans son récit l’ambiance et les enjeux de ce genre
de romans, et ce, même s’il la fait à des
fins dérournées. Le roman policier a ainsi pour
fonction de planter le décor d’une action qui se
veut investigatrice, sans s’y réduire. Le roman
policier a pour sujet la résolution d’un crime,
le dévoilement d’une méthode assassine par
une méthode explicative. Pour ce faire, il doit mettre
en place des protagonistes qui ont possiblement commis le crime,
les " suspects ", et, d’un autre côté,
une entité ( la police ) ou une individualité (
un détective ) qui pénètre ce milieu et
tente de l’éclairer par le seul outil à sa
disposition: sa raison. Les méthodes sont simples: recouper
les faits et les témoignages dans le but de confondre
le criminel. Ce faisant, il transforme une atmosphère
trouble et obscure, pleine de doutes et de soupçons, en
une atmosphère claire et où finit par régner
la vérité.
Dans
ce texte, la méthode consiste aussi à recouper
les faits et à en tirer des conclusions. Ainsi, c’est
en pénétrant dans le milieu constitué de
Muraille, Marcheret, Maud Gallas, Annie Muraille, Sylviane Quimphe
et Chalva que la narrateur peut définir ces personnages
et leur assigner des rôles, un passé. il le fait
d’ailleurs d’une manière tout à fait
spécifique puisqu’il établit des " fiches " sur
eux, c’est à dire qu’il rassemble tous les
critères objectifs sur leur présent et leur passé ainsi
que sur les différents événements " traumatisants " ou
révélateurs d’une attitude particulière
et possiblement dangereuse dans " la période folle " de
l’Occupation. C’est ainsi qu’il peut finalement
résumer ces protagonistes en une ligne, comme pourrait
le faire un enquêteur désireux d’établir
un profil psychologique pour confondre un suspect. De Muraille,
rédacteur en chef de C’est la vie, il
circonscrit son humiliation, son désir de vengeance et, dans une phrase
synthétique, il livre, comme la conclusion d’un
faisceau de facteurs tant psychologiques que matériels,
son avis sur lui:
" Dans
ce monde qui s’en allait à la dérive, il
se sentait parfaitement à l’aise. " ( p.69
).
C’est donc le profil d’un arriviste " dénué de
scrupules " , " d’une planche pourrie ", qui se dessine
et qui se justifie par son dégoût profond de l’homme. Ou
encore " il eût été alors capable de n’importe
quoi, comme un drogué pour se procurer sa dose. " Cette dernière
phrase a aussi pour fonction d’intimer l’idée de danger,
de mettre l’accent sur le caractère incontrôlable, qui caractérise
tout criminel, de l’individu. De même pour Marcheret, après
avoit établi une fiche biographique sommaire à son sujet, la
narrateur conclut par ceci: " Orphelin, Marcheret l’avait toujours été.
et s’il s’engagea à la Légion, ce fut peut-être
pour retrouver la trace de son père. " En
quelques lignes apparait le portrait à la fois tendre ( presque misérabiliste
) et sévère, d’un écorché vif et d’un " boute
en train " pour qui tout n’a finalement plus d’importance,
et qui porte son passé et son existence comme les comédiens portent
leur costume: " Souvent, par conscience professionnelle, il apparaissait
dans les boîtes de nuit, revêtu de son ancien uniforme. ".
C’est un homme capable de jouer avec les ressorts les plus profonds de
son identité ( sa conscience d’orphelin est présentée
comme la cause de son engagement dans la Légion ) pour plaire et s’amuser,
bref, il semble que ce soit un homme capable de tout. Les autres personnages
sont décrits de la même façon avec toutefois généralement
moins d’information. La méthode de présentation des personnages
est elle aussi révélatrice de l’inscription du roman dans
le genre du roman policier. Les phrases sont nominalisées comme dans
un rapport de police et la vie est résumée à quelques événements
clés. C’est
particulièrement frappant dans le cas de Marcheret: " Renvoi
du lycée Chaptal pour avoir fracturé le crâne de l’un
de ses condisciples. Fréquentation assidue des cafés et des lieux
de plaisir. Parties de billard et de poker qui se prolongeaient jusqu’à l’aube.
Besoins d’argent de plus en plus impérieux. " (
p.70 )
Le
lecteur a ainsi l’étrange impression de se retrouver
face à " l’emploi du temps d’une vie ";
par ce biais, le narrateur synthétise aussi le cercle
vicieux qui a conduit le personnage vers le crime. Les mots qui
ouvrent les phrases font système et tissent un réseau
sémantique précis où " renvoi ", " fréquentation ", " parties " et " besoins " se
répondent et éclairent la violence et la frivolité qui
acculent Marcheret à l’illégalité.
De plus, comme dans un roman policier, le temps du récit
est celui de la recherche. Dans Les Boulevards de Ceinture ,
bien que le temps de l’écriture soit éloigné de
celui de l’enquête, la narrateur crée des
distorsions temporelles qui donnent l’effet de se retrouver
au temps de l’action. Ainsi, le lecteur est pris par le
cours, le déroulement de l’enquête. Il semble
découvrir en même temps que le narrateur les informations
relatives à son père. Malgré les analepses
( le narrateur revient au temps de l’enquête ), certaines
scènes, notamment les dialogues, nous sont présentées
sans médiation. Ce procédé a pour conséquence
de mettre en scène directement l’embarras du narrateur
( p.42, dans la scène de présentation ), de rendre
vivantes des conversations dont plus aucun des intervenants n’est
là pour témoigner. En fait, les scènes de
dialogue tiennent plus de la mise en mention, de la citation
autonymique que du vrai dialogue. De ce fait, leur intérêt
réside dans la volonté de " présentifier " des
personnages disparus. C’est le principe de la confrontation,
mais avec cette particularité que le lecteur, pris à parti,
revêt finalement la fonction de juré. Les romans
policiers ou d’espionnage ne sont pas les seuls à être
utilisés pour leur méthodes d’investigation
et leur ambiance particulière. Modiano met aussi la démarche
proprement juridique à contribution. D’une part,
cette enquête est, ce que l’on appelle dans la terminologie
juridique, une " enquête
directe ", c’est à dire qu’elle a lieu
dans l’intérêt du demandeur. En ce sens, le
narrateur cumule les fonctions: il est le bénéficiaire
des recherches entreprises, l’élément actif
de celle-ci, le témoin, le juré et parfois même
le juge et le bourreau. Ainsi, pendant l’épisode
du mariage, il accompagne Lestandi, personnage antisémite
répugnant, délateur et collaborateur, pendant son " petit
footing " et l’étrangle. Cet acte, tout en
mettant en danger sa condition de détective, élargit
son rôle et fait de lui l’incarnation de toutes les étapes
judiciaires. En effet, il repère le suspect, l’interroge,
et, de son propre arbitre, le condamne à la peine capitale.
Le narrateur balance à ce moment du récit entre
la figure de la justice et l’agent d’une vengeance.
C’est pourquoi il qualifie presque immédiatement
cet acte " d’ idiot " Enfin, le roman noir est
aussi largement utilisé, cette fois non pas pour ses méthodes,
mais pour la description d’une ambiance psychopompe. Les
deux scènes de repas sont exemplaires à cet égard
de la mise en place physique de l’ennui, de la douleur
et de la peur. La première rencontre de Marcheret et de
Muraille est particulièrement marquée par cette
esthétique.
L’impression
de passivité, d’inéluctable, de tragique
même se fait sentir et renvoie le lecteur à l’idée
d’un danger potentiel ( le nom de la villa, " Mektoub ",
qui signifie destin en Arabe, renforce l’idée de
fatalité et de danger à venir ). Les procédés
empruntés au roman noir ont donc pour but de créer
un vertige, de mettre le récit en perspective avec une
tension supérieure, planante et inexorable. Le roman noir
intime le tragique, le dénouement possiblement brutal
et incompréhensible; il fait appel à l’affect
et aux peurs primaires. Par exemple, l’utilisation de termes
comme " cloaque " ou de phrases comme " une odeur
de moisi me prend à la gorge "( p. 136 ) appellent
immédiatement l’idée de degénérescence,
de pourriture, proches du climat déliquescent des romans
noirs américains. De même d’ailleurs que le
surgissement brutal de la violence verbale chez Marcheret: " L ’alcool
aidant, il me traitait de " petit morveux " et de " blanc
bec " (p. 133 ) ou encore de la mise en scène " sulfureuse " de
l’érotisme. Les rapports avec les femmes sont toujours
présentés sous le jour du mauvais goût et
de la violence, comme chez Faulkner par exemple. Elles sont le
vecteur de l’atmosphère d’indifférence
au monde et à l’histoire, de l’érotisme
décadentiste. Il suffit de se rappeler les propos de Sylviane
Quimphe qui ne pense qu’à " jouir " et
partouzer.
En
dernier lieu, c’est dans les thèmes mêmes du
récit que se manifeste le plus clairement l’enquête.
Elle est de deux ordres: le recherche du père comme être
juridique, politique et social et la recherche d’une époque
historique ( inscrite dans le temps de l’histoire générale
et non pas dans celle plus personnelle du narrateur ). Cette dernière
est constamment rappelée pour justifier les actes les plus
sordides commis par les protagonistes: elle est le prétexte
aux partouzes, aux négociations malhonnêtes, à l’abandon,
aux beuveries... Ainsi, comme dans le cadre de la recherche du
père, l’époque est envisagée pour servir
de caution, de justification aux débordements de violence
ou d’illégalité. Le trait le plus saillant
de cette " troupe ", qui offre à chaque repas
une représentation du plus beau marivaudage, est sans doute
son décadentisme :" Marcheret
commande le menu. Les plats qu’il choisit ne me semble guère
approprié à la température ambiante: bisque
de homard, viande en sauce et soufflet. Ne pas le contredire.La
gastronomie est, paraît-il, son domaine réservé.(
...) Depuis deux jours, elle [ Sylviane Quimphe ] me fait des avances
de plus en plus catégriques. Je lui ai tapé dans
l’oeil et je me demande bien pourquoi. Est-ce mon apparance
dejeune homme bien élevé ? Mon teint de tubeerculeux
? Ou bien veut-elle agacer Muraille ? (p.114- 115 )
Un
rituel se met rapidement en place: d’abord, ce sont les
apéritifs qui se succèdent, ensuite les plats puis
les vins et enfin des avances sexuelles. Ce rythme semble se
répéter indéfiniment depuis qu’il
s’est introduit dans ce milieu: la nourriture est toujours
servie en abondance quelle que soit le climat, de même
que les vins sont toujours les plus lourds. Le cadre, quant à lui,
sert infailliblement à mettre en lumière la chaleur,
l’étouffement. Ainsi, cette opulence, bien protégée
du pillage allemand et des restrictions gouvernementales, traduit
une ambiance apocalyptique où chaque repas pris semble être
le dernier, où chacun, les femmes en particulier, " flirte " de
partenaire en partenaire.La " bisque de homard " ainsi
que la légèreté des moeurs relèvent
de l’obscenité dans le climat de désolation
de l’Occupation. La peur d’un monde qui se finit
est donc manifestée par un regain de jouissance, souvent égoïste.
L’exemple du mariage est le plus caractéristique:
la mariée, Annie Muraille, disparait la veille de la célébration
et n’est retrouvée qu’au dernier moment, saoûle,
dans un bar, Le Grand Ermitage moscovite ( p. 157 ). Ce mariage,
arrangé, qui représente donc une alliance d’intérêt,
est mis en danger par la soif de jouissance personnelle de la
mariée, qui est, à ce titre, exemplaire du climat
de l’époque. A un moindre degré, les papillonages
incessants ainsi que les attouchements ont la même valeur.
Ce sont les " pourceaux d’Epicure " qui se permettent,
sous l’approbation à peine voilée de jeunes
femmes, de caresser les seins de Sylviane Quimphe ou de dire
d’Anne Muraille qu’elle a " les fesses les plus
blondes et les plus chaudes de Paris ".De plus, sous l’Occupation,
les trafics les plus divers fleurissaient, les faux papiers,
la fausse monnaie, ainsi que le trafic d’influence. Modiano
constitue un florilège de tous ces marchandages: le Baron
Deyckecaire est d’abord soupçonné avec ironie
de " faire de la fausse monnaie ". Mais, plus que qu’une
accusation réelle, c’est la possibilité de
le faire qui est soulignée et qui rend compte du climat
malhonnête qui règne. La malversation encercle ce
petit groupe, qui semble s’être fait l’incarnation
de tous les vices de l’époque. Prétextant
la folie de l’époque, ils en profitent pour habiter
les maisons abandonnées par des gens menacés (
la villa Mektoub par exemple ), pour s’enrichir en toute
impunité. En effet, il semble surtout que cette époque
soit représentée comme l’âge d’or
des bandits, un laps de temps intermédiaire où il
est possible de recommencer sa vie jusqu’à son éxécution,
menace qui plane au dessus de toutes les têtes, comme l’épée
de Damoclès. Au niveau métaphorique, le nom du
journal de Muraille, C’est la Vie, journal qui contient
ragôts et reportages lestes, est l’indice d’une
banalisation de l’atmosphère à la fois délétère
et lucrative de l’Occupation: le crime est présenté sous
sa forme la plus anodine, et acquiert même un statut privilégié puisqu’il
est institutionnalisé par ce biais. L’antisémitisme
latent de cette période est aussi évoquée,
justement par ce journal. La gravité de ces opinions,
ainsi que le collaborationnisme est alors traitée avec
la légéreté du jeu. Gerbère,par exemple,
normalien, " khâgneux de trente-huit ans ", donne à l’antisémitisme
un cachet intellectuel et montre que toutes les couches de la
population ( et donc pas seulement ceux qui profitent de cette
haine épocale ) sont concernées et légitiment
cette position idéologique. C’est un second acte
de banalisation, puisqu’il fait de l’antisémitisme
un fait de société alors que c’est une attitude
destructrice. Plus loin, le personnage de Lestandi fait de celle-ci
une occupation ludique, un divertissement sans conséquence.
Son article à venir, Voulez-vous jouer au tennis juif
?, est un concentré d’incitation à la haine
raciale ( repérer des juif et les dénoncer ) en
même temps qu’un passe temps de terrasse de café.
C’est précisément cet écart entre
la violence de tels actes et leur présentation naïve
et ludique qui crée un effet d’absurde, d’incompréhension
et d’inconscience. L’expression " c’est
une époque folle " prend alors une autre dimension
sémantique: alors qu’elle semblait décrire
une époque faussement enjouée, enfantine presque
dans ses comportements excessifs, elle ilustre en fait une " crise
idéologique " où bien et mal se confondent,
où l’agressivité et le crime deviennent quotidiens,
où les valeurs s’abolissent au profit de la rentabilité la
plus cynique. Enfin, l’époque est prise en charge
dans le récit par les différentes mentions de la
traque. La présence de la police ou de la justice pèse
en permanence sur ce roman de l’infraction. Tous les intervenants
savent être sous le coup d’une inculpation et d’un
emprisonnement, voire de l’exécution, ce qui indique
que les crimes commis, dont le lecteur n’a pas une idée
précise, sont particulièrement lourds. Muraille
est un " traitre " et un " vendu " ( p. 134
) dont on apprend finalement par Grève, le barman de l’auberge
du Clos-Foucré, qu’il a été fusillé (
p.183 ); Guy de Marcheret, le légionnaire, lui, a dû " retourner
aux colonies " selon le même indicateur. Et le sort
de Chalva, le père du narrateur, est plus flou: il a été embarqué avec
son fils, mais les deux hommes se séparent et ne se reverront
plus. Ces trois destins, hormis celui du narrateur, représentent
en fait le destin des collaborateurs. A la Libération,
tous furent jugés, plus ou moins rapidement, mais toujours
avec la même sévérité. Historiquement,
ce sont les années d’épuration et on peut
présumer que les deux femmes de ce roman ont été tondues.
Certains, capturés par des résistants avant d’être
jugés, furent tués sans procès; d’autres
furent exécutés suite au verdict d’un procès;
enfin, d’autres encore, à l’instar des nobles
pendant la Révolution française ou des " blancs " de
la révolution bolchévique, choisirent de s’exiler.
Mais, toutes ces informations sont mises en sourdine par le narrateur
qui choisit d’évoquer les causes plutôt que
les conséquences des actes des personnes qu’il a
suivies. L’enquête se cantonne la plupart du temps
au niveau individuel et ne s’étend que rarement à une
perspective historique collective. La focalisation nécessairement
externe du narrateur ne peut embrasser tous les tenants d’une
période aussi " tragique ". Et c’est justement
sur ce point que l’investigation historique prend une dimension
nouvelle: en n’étudiant que les comportements individuels,
c’est toute l’irréalité de cette période
qui est mise en avant. Aucun des acteurs ne semble prendre l’exacte
mesure de ses actes et ne parvient pas non plus à s’arracher
de sa conscience individuelle. Ces années, telles qu’elles
sont retranscrites esquissent les mécanismes indicibles
de la loi de la jungle, de l’aveuglement nécessaire,
de l’absence d’information. La perception du monde
est filtrée par le journal C’est la vie, qui est
exemplaire, au même titre que l’absence délibérée
de renseignements sur le cours de la guerre ou de la vie politique,
de l’impossibilité de trouver un sens général
aux événements. Le roman se fait finalement l’écho
d’une période a-historique, sans conscience de son
appartenance à un corps supérieur telle que la
nation. L’autre thème de ce récit est évidemment
la recherche du père. Mais, il faut dans un premier temps,
celui de l’enquête, la considérer comme essentiellement
juridique ou sociale. Avant de s’attacher au sentiment
de filiation, le narrateur tente de circonscrire l’identité civile
de son père. Ce faisant, ce sont évidemment d’abord
les éléments objectifs, visibles qui émaillent
le récit. Les différentes certitudes immédiates
portent sur son aspect physique: on sait en premier qu’il
est " gros ", qu’il a le regard " inquiet " (
p.13 ), ensuite qu’il est le souffre douleur de Muraille
et de Marcheret ( p.19 ), puis les informations s’éparpillent,
se disséminent comme autant d’indices glânés ça
et là. L’enquête se heurte à la distance,
soit réelle ( le narrateur dans la première partie
est " embusqué " près du Clos Foucré et
la qualité de ses renseignements en souffre ) soit symbolique
( le temps passé efface les souvenirs ); dans un second
temps, quand le narrateur parvient à s’introduire
dans le milieu, les renseignements decriptifs se font plus clairs:
son père appartient à la partie privilégiée
de la population qui vit largement, qui prospère de différents
trafics, son milieu, ses fréquentations sont douteuses:
antisémites, journalistes pourris, légionnaire
aigri, femmes aux moeurs douteuses...Les premiers renseignements
de l’enquête dressent un portrait négatif
de Chalva; il est à la fois l’ami de bandits en
même temps que leur inférieur; c’est un homme
seul, " vagabond et fragile " qui appartient à un
groupe social sans vraiment en être. Un élément
du décor. L’enquête s’étoffe à partir
de l’introspection du narrateur qui intervient des pages
62 à 108. Pendant celles-ci, le portrait s’élargit
et la figure du père s’humanise en se détachant
d’une identité strictement sociale; il devient une
personne, sentiments compris. Son " étranglement " devant
le statut de bachelier de son fils est tellement sincère
que Chalva, malgré ses contrefaçons de timbres,
devient une personne sympathique, capable d’émotions.
Néanmoins,
alors que l’enquête conduit le narrateur à la
compréhension partielle de la situation civile de son
père et des autres, il semble que celle-ci ne rende pas
compte en intégralité de l’intérêt
du récit; elle n‘est que le premier pas, l’étape
nécessaire d’ une recherche plus profonde, plus
intime. C’est pourquoi apparaissent de nombreuses limites à l’enquête,
aussi bien quant à sa fonction qu’à son utilisation.
D’abord, plusieurs principes de l’enquête subissent
des entorses et de ce fait, son concept même est invalidé.
L’investigateur est normalement un tiers, un officier assermenté qui
ne doit pas prendre part au déroulement de l’action;
il est le témoin qui recueille et organise les informations
comme le narrateur le fait quand il est en " planque " ou
quand il livre les opinions des villageois; mais il dépasse
son rôle et finit par invalider l ’enquête à partir
du moment où il s’introduit au Clos-Foucré.
La transgression de cette première règle a pour
effet de détruire l’objectivité nécessaire à ce
travail. Il en est de même a fortiori au sujet de sa participation
active au sein de ce microcosme et notamment à son intégration
au journal C’est la vie: " Pornographe, gigolo, confident
d’un alcoolique et d’un maïtre chanteur, jusqu’où m’entraïneriez-vous
? Faudrait-il plonger plus profond pour vous arracher à votre
cloaque? " ( p.136 )
La
descente aux enfers, telle qu’elle est décrite dans
cette phrase, ne fait pas partie de son travail et, plus, le
met en danger; c’est ce dont l’épisode final
de l’arrestation de son père traite justement. Alors
que l’enquêteur doit faire la vérité sur
les faits, le narrateur, lui, se dégage de cette responsabilité et
va même jusqu’à se faire capturer volontairement (
p.181 ). L’enquête semble donc ne pouvoir aboutir
pour des questions de principes. Celle de la temporalité pose
aussi problème: le temps de l’enquête est
nécessairement un temps réel, où les protagonistes
sont présents vivants ainsi que le cadre. Or, dans ce
roman, l’enquête a lieu au " passé antérieur ",
pendant un temps depuis longtemps révolu et alors que
toutes les personnes concernées sont mortes ou introuvables.
Les témoins, eux aussi, sont rares et partiels. Le village
qui a servi de cadre à cette recherche, " l’un
des plus jolis village de Seine et Marne " est aujourd’hui
visité par les touristes, aucune trace de l’époque
de l’enquête n’y a survécue, si ce n’est
Grève, personnage symbolique des effets du temps sur la
mémoire: " Oui,
il a connu tous ces gens dont je lui cite les noms. (...) Il
en a vu des dizaines, comme ça, qui se sont accoudés
au bar, rêveurs, et ont ensuite disparu. Impossible de
se rappeler tous les visages. " ( p. 183-184 )
Enfin,
les obstacles matériels ( mort et disparition des personnages
et d’une époque ) empêchent toute démarche épistémologique
de la part du détective, ce qui est pourtant sa principale
tâche : le dialogue qui doit faire accoucher la vérité,
qui doit confondre ou disculper est de ce fait impossible. Toute
heuristie est invalidée dès le commencement de
l’enquête. De ce fait, on peut s’interroger
sur la fonction de l’enquête dans l’économie
du roman. Etait-elle possible et pouvait-elle aboutir à une
conclusion ? Servait-elle d’autres fins
? Toujours est-il que celle-ci ne débouche sur aucune
sorte de conclusion: les questions restent aussi nombreuses,
la vérité aussi obscure et surtout, alors que le
narrateur pouvait profiter des fruits de celle ci ( annoncer à son
père qu’il est son fils ), il préfère
ne pas le faire. Dès lors il est permis de penser que
l’enquête n’est qu’un prétexte:
ses méthodes sont utilisées pour parvenir à des
fins qui la dépassent. Cette utilisation libre a son pendant
dans l’économie générale du roman
et du point de vue de l’écriture: l’enquête
n’est qu’une petite partie des Boulevards de Ceinture
puisqu’elle s’arrête finalement au moment où le
narrateur rencontre son père pour la première fois,
c’est à dire dans la troisième partie (
p. 38 ).Ses méthodes d’investigation vont être
par la suite encore utilisées ( pour démêler
l’enquête dans l’enquête ), mais les
entorses au ton conventionnel de ce genre de récit vont
se multiplier. Il y a celui de la déclaration d’amour
qui stigmatise l’intimité que le narrateur fantasme
avec son père, et qui présente sous les auspices
des retrouvailles amoureuses: l’apogée de cette
atmosphère a lieu à la fin du roman:
" Bei
mir bist du schön...
Et
vous vous étiez endormi.
Cela
signifie...
La
tête penchée, la bouche ouverte.
Vous êtes
pour moi...
Entre
vos doigts, un cigare éteint.
Toute
la vie.
Je
vous ai tapoté doucement l’épaule.
-
Si nous partions ? " ( p.176-177 )
Cette
scène est l’illustration de la relation amoureuse
qui se noue au fil du récit et qui se matérialise
dans la chanson d’amour, seule déclaration possible à ce
moment là. Le détective change alors de statut
et se fait réellement dans le récit celui qui chante
l’amour de son père. Cette scène est d’autant
plus intéressane qu’elle mélange les deux
aspects de cette relation: il y a à la fois les détails
réalistes, qui ont une valeur informative ( le cigare
et la bouche ouverte témoignent de la richesse du personnage
en même temps que de son attachement à l’enfance
) et l’inscription du fantasme d’une relation passionnelle
entre un père et un fils. Ce sont les deux aspects de
la perception du narrateur qui se confondent dans un même
récit, comme si son identité se faisait double.
Pareillement, le narrateur se présente parfois non plus
comme un simple détective, mais comme un romancier. L’identité qu’il
décline à Muraille en est l’inscription symbolique
dans le récit, mais elle a pour but d’illustrer
le chantier mis en oeuvre par le narrateur au moment du ressouvenir
des faits. Plusieurs fois, il met en garde contre l’imagination
ou le roman, d’une manière d’ailleurs étrange: " Muraille,
Marcheret, Maud Galas, Sylviane Quimphe...Ce n’est pas
de gaieté de coeur que je donne leur pédigree.
Ni par souci du romanesque, n’ayant aucune imagination.
Je me penche sur ces déclassés, ces marginaux,
pour retrouver, à travers eux, l’image fuyante de
mon père. Je ne sais presque rien de lui, mais j’inventerai. " (
p. 77 )
L’imagination
semble refusée au profit du réel, dans l’intérêt
de la vérité, mais, en même temps, le narrateur
confesse ne savoir " presque rien " de son père,
et, de ce fait, devoir faire appel à " l’invention ".
Y-a-t-il une distinction à faire entre invention et imagination
? Entre celle qui concerne son père et les autres protagonistes
? Toujours est-il que le recours à la fiction est envisagé et
que celle-ci brise le contrat tacite qui liait le narateur à son
travail de recherche. C’est d’ailleurs à ce
moment là que le récit sombre dans l’introspection
et le passé lointain d’une époque floue et
mouvante. L’enquête se fige donc à ce moment
précis où les souvenirs deviennent injoignables,
bloqués dans une mémoire rétive. Le ton
change en fait à mesure que les intentions du narrateur évoluent.
En premier lieu simplement désireux de retrouver son géniteur,
de voir par lui même ce qu’il était devenu,
il finit, influencé par le tendresse naissante qu’il
ressent à son égard, à vouloir le sauver, à entreprendre
une démarche rédemptrice: " Aurais-je la force
de tenir jusqu’au bout mon rôle d’ange gardien
? " ( p. 111 ) ou encore: " Que
seriez-vous sans moi ? Sans ma fidélité, ma vigilance
de saint-bernard ? Si je lâchais prise, vous ne feriez
pas de bruit en tombant. " ( p.120 ).
Ainsi,
l’enquête laisse place à la mission; comme
le narrateur le souligne à plusieurs reprises, il lui échoue
de sortir de l‘anonymat un monde sombre, et plus particulièrement
un homme qui n’aurait sinon pas plus de consistance qu’une
ombre. Le narrateur est investi d’une mission salvatrice,
il se doit d’agir pour son bien et celui de son père
; il doit rendre âme et personnalité à ce
qui est condamné à la disparition. Cette nouvelle
dimension inscrit l’enquêteur dans le champ de l’histoire
individuelle, dans la temporalité de sa propre généalogie.
Il ne s’agit dès lors plus tant de chercher les
causes objectives de faits oubliés et de les restituer
les plus explicités possibles, mais plutôt de partir à la
quête d’une origine. L’enquête est donc
dépassée et laisse une dimension métaphysique émerger
: les questions sur l’identité, le destin et le
temps vont se multiplier et tisser un réseau d’interrogations
qui sont les véritables enjeux de ce récit. L’enquête
qui a donc échoué, à cause de la confusion
des rôles ( enquêteur, fils, sauveur ) et des tons
( objectivité et neutralité du procès verbal,
déclaration d’amour, réflexion sur une " époque
troublée " ). Mais, on peut aussi supposer qu’elle
n’ était qu’un prétexte au surgissement
d’une quête, dont l’enjeu principal est la
reconnaissance de l’identité père-fils.
La
quête s’étend sur différents plans.
D’abord, elle porte sur le plan identitaire. Le narrateur
s’interroge simultanément sur sa conscience d’être
au monde, sur la relation à son père comme géniteur
et, enfin, sur le temps, personnage actif de ce roman, qui rend
problématique toute anamnèse et toute recherche
de constantes, traits déterminants de toute identité.
En effet, l’atmosphère décadente s’oppose à sa
recherche de l’origine : c’est dans un monde évanescent
et irréel que le narrateur part aux sources de son identité et
de sa vie. Son être au monde est donc confronté à une
série d’obstacles insurmontables qui le conduisent à s’interroger
sur la motivation de sa quête et son possible aboutissement.
Mais, toujours est-il que sa propre conscience est déterminée
par cette quête au point qu’il finit par ne plus être
qu’un être d’interrogation, de doutes et de
soupçon. Son mode d’apparition au monde est tout
entier tourné vers l’expectative, la recherche de
stabilité et l’interrogation d’un monde qui
lui échappe. Cette dernière interrogation le conduit
finalement, par ricochets, à s’interroger sur lui
même : " Me
reconnaissez –vous ? On ne peut jamais rien savoir avec
vous. A quoi bon vous secouer par les épaules, vous poser
des questions ? Je me demande parfois si vous méritez
l’intérêt que je vous porte. " ( p.108
)
Ces
questions qui portent initialement sur la motivation de l’enquête,
divergent et conduisent directement à " l’intérêt ", ‘est à dire à l’enjeu
personnel et irréductible que constitue cette recherche.
Il ne s’agit plus alors de l’autre, mais de soi,
du sens de sa propre vie. " Prisonnier de ses souvenirs ",
le narrateur se demande si le sens de sa vie peut reposer dans
le silence absolu d’un être qui, même s’il
est son père, n’en est pas moins devenu un étranger,
un être pour lequel il ressent à la fois de la tendresse
et de la pitié. Suis-je assuré qu’au terme
de cette quête, mon être se résoudra ?, telle
est la question posé par le narrateur et par le récit.
Est-ce que mon identité peut se réduire à la
compréhesion de mon origine. L’incipit de Rimbaud
: " Ah ! Si j’avais des antécédents à un
point quelconque de l’histoire de France ! Mais non, rien. " est
exemplaire de la problématique de ce roman. L’identité se
pense sur le mode pascalien ( la confusion entre identité et " tas
de pardessus ":, ou silhouette s’inscrit dans la même
démarche ): elle postule l’existence de " points
fixes " ; or, pour toute stabilité, le narrateur
ne peut se tourner que vers les " carrefours " : " Au
milieu de tant d’incertitudes, mes seuls points de repère,
le seul terrain qui ne se dérobait pas, c’était
les carrefours et les trottoirs de cette ville, où je
finirais sans doute par me retrouver seul. " ( p. 98 )
Le
repère est donc inscrit dans la géographie physique
de la France, plutôt que, comme le suggère Rimbaud,
dans l’esprit et le temps de la France. Et encore cette
stabilité n’est-elle que métaphorique puisqu’elle
se situe au croisement de routes, au point de départ et
d’arrivée des rues et des mouvements. Le carrefour
devient le symbole de la possibilité d’être
tout et rien ; d’être totalement au monde, comme
Dieu sur les destinées, à la fois autre et moi,
et, d’être absent du monde, ne se situer que sur
un point de passage qui n’a d’autre consistance que
dans la direction que l’on prend à partir de lui
mais qui ne vaut rien en dehors de cela. L’être au
monde du narrateur ne semble donc pas avoir réussi à s’orienter
et se maintient dans le champ de la possibilité, du virtuel.
La conclusion du récit, typique chez Modiano, renforce
cette impression en ouvrant le temps de l’action, de l’orientation
: " Mais je suis jeune, dit-il, et je ferais mieux de penser à l’avenir. " (p.
182 ). Cette phrase, au discours direct libre, permet d’intégrer
la parole de Grève à la pensée du narrateur
et de sortir finalement le récit de l’impasse dans
laquelle il se trouvait. De ce point de vue, le récit
se clôt donc sur une note optimiste qui augure une nouvelle étape
dans la vie du narrateur face au monde. Dans ses relations avec
son père, c’est à dire cette fois dans le
cadre des relations père-fils, la réflexion identitaire
est plus problématique. Elle s’ouvre par l’enquête
sur la description d’un homme gros, sur la nuque duquel
plane à tout moment un " couperet invisible ".
Les renseignements se font petit à petit plus personnels
et dévoilent une relation réelle où intimité,
tendresse et complicité s’amorcent. Le récit
rétrospectif de leur vie commune établit clairement
la motivation de l’enquête en spécifiant les
enjeux de la recherche : le narrateur a développé une
part importante de sa vie à partir des expériences
vécues près de son père : c’est lui
qui l’initie à la contrefaçon, qui développe
chez lui le goût dangereux pour les trafics de livre et
qui, de ce fait, inscrit déjà son fils, qui se
présentera à lui sous l’identité d’un
romancier, sous les auspices de la littérature. Bref,
son père est une part organique de sa propre personne,
au delà bien évidemment de la paternité civile.
Il est celui auprès duquel son identité se constitue,
comme une cire molle ; la question est alors de se retrouver
dans la figure du père. Celle-ci se fait progressivement
au gré des rencontres, des différentes facettes
de sa personnalité qui apparaissent au jour le jour ;
l’intérêt à ce moment là n’est
plus tant de trouver chez son père un être aimable
et digne d’admiration, mais plutôt de voir en lui
ce qu’il a toujours été. La connaissance
réelle du père est écartée au profit
de la reconnaissance, aussi sordide soit-elle. L’aveu final
de filiation est la marque de la réussite de cette quête. " C’est
mon père ! ". Cette parole anodine est un cri qui
consacre une identité, qui abolit la rupture, " l’épisode
douloureux du métro Georges V ", et qui fait régner
l’amour au delà des divergences politiques ou morales.
C’est la prise en charge finale de la paternité,
un épilogue irréductible à toutes les déceptions
passées. Malgré tout et en dernier lieu, la dimension
temporelle vient mettre en danger les différentes tentatives
de réconciliation. En effet, il est largement considéré comme
une évanescence, et, plus simplement, comme un obstacle à la
résurgence du souvenir, c’est à dire à la
possibilité de faire communion avec son passé et
son père. Les modalités du souvenir empêchent
la construction consciente d’une identité, qui se
présente sous la forme d’une volonté : " Pourquoi
avais-je voulu, si tôt, être votre fils ? " (
p. 131 ). Au delà de l’amertume et de la douleur
de cette paternité se profile en effet l’idée
d’une décision. Néanmoins, celle-ci est obturée
par le temps qui fuit. Les marques de son évanescence
sont nombreuses et finissent par structurer le récit ;
elle est proportionnelle au degré d’intimité qu’il
entretient à son père au fil du récit. Et,
plus que le rareté des témoignages ou de leur subjectivité,
c’est elle qui porte atteinte le plus gravement au bon
déroulement de la quête de sens entreprise par le
narrateur. Elle interroge la réalité de l’existence
du tangible et vient même mettre en doute toute la réalité de
la quête :" De
loin, sa silhouette [de son père ] me semblait informe.
Appartenait-elle à un homme ou à l’une de
ces créatures monstrueuses qui surgissent, les nuits de
fièvre ? " ( p. 65 ).
Le
passé est assimilé au délire de la maladie,
c’est à dire à un temps de la souffrance,
un temps qui ne se distingue qu’aussi longtemps que dure
la douleur, et qui est mis en parallèle avec la distance.
Le passé est présenté comme un temps hors
temps, u-chronique, d’où rien ne peut émerger
que le fantasme et des visions. Le deuxième niveau de
la quête est métaphysique et porte essentiellement
sur le sens de la vie et la quête de l’origine, deux
thèmes qui évidemment se recoupent dans la compréhension
du passé et la certitude qu’il détermine
le cours de la vie à venir. De plus, la quête de
l’origine témoigne du besoin de retrouver le sens
de son existence et s’inscrit dans le récit grâce à la
remontée progressive dans le temps. Du temps de l’écriture, à celui
de souvenir jusqu’à celui de l’adolescence,
le récit s’enfonce, s’engouffre dans les profondeurs
des souvenirs les plus éloignés. Le narrateur déclare
d’ailleurs à plusieurs reprises ne plus avoir un
accès clair à ceux ci, ce qui témoigne,
paradoxalement, d’une anamnèse profonde en même
temps que de l’imperfection de la mémoire. Le temps
est l’ennemi de cette quête : " Qui
se souviendrait encore de vous dans vingt ans ?(…) Oui,
toutes ces choses imprécises appartenaient au passé.
J’avais remonté le cours du temps pour remonter
et suivre vos traces. En quelle année étions nous
? A quelle époque ? En quelle vie ? Par quel prodige vous
avais-je connu quand vous n’étiez pas encore mon
père ? " (
p. 131 )
Le
temps est conçu comme un fleuve à remonter, à l’image
des saumons qui cherchent leur lieu d’origine, ou comme " une
pente escarpée ". Il est ce qui demande de la peine,
des souffrances, des sacrifices ; le temps est l’autorité à laquelle
on se soumet et que l’on cherche à dépasser.
Tel est le but de cette reconstruction littéraire. L’autre
indice de cette quête est donc la recherche des origines.
Le narrateur est souvent pris par le vertige métaphysique
qui l’exhorte à se demander, dans des monologues
intérieur, d’où vient ce père, ce
qu’il fait et qui il est. Cette question ne peut manquer
de rappeler les trois interrogations premières de toute
métaphysique, ce qui témoigne non plus tant d’une
recherche personnelle et égoïste, mais d’un
mode d’être interrogatif, inquiet au monde qui demande à l’univers
de répondre aux mystères de la destinée
humaine. Quel est le sens de la vie ? Cette question résonne
d’autant plus intensément qu’elle est double
: elle interpelle la signification de l’existence en même
temps qu’elle s’intéresse à son mouvement,
sa direction : doit-elle n’être qu’une réflexion
sur le sens des événements passés, ou plus
loin, sur ses " antécédents dans l’histoire
de France " ou doit-elle n’être qu’une
tension vers " l‘avenir ", comme le suggère
la fin du roman ? En tout cas, toutes ces interrogations mettent
en perspective ce récit avec des inquiétudes généralisées,
partagées et se détachent du fond strictement transindividuel
tissé par des personnages égoïstes. " on
est toujours curieux de connaître ses origines. " déclare
le narrateur un tant soit peu amer ; il s’agit, semble-t-il
dire, devant l’objet de sa désillusion, qu’il
ne faut pas qu’elles nous obsèdent. Enfin, le dernier
niveau de cette quête est philosophique et plus particulièrement épistémologique.
Comment connaître l’identité de quelqu’un
ou plus précisément comment reconnaître quelqu’un
que l’on a déjà connu ? Cette question appelle
comme unique réponse de découvrir des constantes,
des " repères " dirait le narrateur. Le tangible
est le seul objet des retrouvailles et c’est pourquoi le
fils s’acharne à les mentionner et parfois même à les
fantasmer : leur première trace est dans les rapports
de protection que le fils entretient à l’égard
du père. Alors qu’il est entendu que ce devrait être
l’inverse, le fils a toujours été " l’ange
gardien " de son père. Quand ils se sont retrouvés
chez M. Pessac, c’est lui qui dit : " Ca suffit comme ça
(…). Partons. " ( p.81 ) mettant ainsi en avant le
pouvoir de décision et la détermination du narrateur.
De même, page 111 :" Je
regrette que nos rapports à vous et à moi ne dépassent
pas le terrain de la stricte courtoisie, car je vous mettrais
en garde contre ce type [ Marcheret]. Et contre Muraille. Vous
avez tort, " papa ", de fréquenter des individus
de cette espèce. Ils finiront par vous jouer de mauvais
tours. Aurai-je la force de tenir jusqu’au bout mon rôle
d’ange gardien ? "
Des
années plus tard, sa fonction est la même : il cherche à le
préserver de la honte, du ridicule et aussi de la mort.
Mais leur caractère aussi se ressemble : le narrateur,
pendant le mariage et les conversation les plus antisémites,
se contient et reste inactif ce qui lui fait dire qu’il
n’est qu’un lâche. C’est un trait qu’il
a en commun avec son père ( nous verrons finalement qu’au
delà de cette ressemblance s’affirme en fait la
volonté de se distinguer et d’échapper à cette
fatalité ), qui essuie toutes les injures et les réflexions
sans " sourciller ". De même, alors qu’il
présente son père comme quelqu’un de " fragile
et de vagabond " , il avoue avoir été tenté d’intégrer
la police, ce corps " solde et imposant " , pour lutter
contre ce qu’il est. Ces constantes le conduisent naturellement à considérer
avec délices ou bien leur ressemblance ou bien la continuité,
qui s’oppose à l’évanescence. " Vous
n’avez pas tellement changé " (p.107 ) ou " Au
fond rien n’a changé " (p.143 ), autant d’indices
qui soulignent le plaisir de la reconnaissance, de l’apaisement
, alors que tout ce monde semble en perpétuelle tension,
en perpétuelle recherche d’identité.
II
- Un récit qui se distille dans une atmosphère
fantômatique, irréelle et fictive
Alors
que l ‘enquête semble avoir échoué et
que la quête, au contraire, s’est accomplie avec succès
( le père est reconnu ), il est intéressant de noter
que ce récit a lieu non pas tant avec des personnages que
dans une ambiance. En effet, le concept d’action, de drama
est puissamment remis en question puisque le seul mouvement réel
du texte est celui de la mémoire et que les différents
protagonistes s’éloignent radicalement de la définition
traditionnelle du personnage. Modiano met en scène un décor
de spectres, de fantômes dont la présence s’assimile
plus volontiers au maraudage, à l’inconsistance ;
de même le décor lui-même est un vague tissu
mité d’absences et d’approximation. En fait,
celui-ci au même titre que le temps, dont il est la manifestation
sur les choses, est considéré sinon comme un acteur,
du moins comme un facteur essentiel du déroulement du récit:" Je distingue mal les détails à cause des
verres poussièreux. J’attends et ce décor fané me
rappelle le salon d’un dentiste de la rue de Penthièvre
où j’avais trouvé refuge pour échapper à un
contrôle d’identité.Les meubles étaient
recouverts de housses, comme ceux-ci. " (p.142-143)
Les " verres poussiéreux " ainsi que les housses
sont les marques visibles de l’absence. Paradoxalement, c’est
ou cet excès de matière ou ces couvertures qui indiquent
la disparition, l’efrittement et l’érosion des
objets. Ce faisant, le narrateur crée une double déréalisation:
les meubles ne sont plus littéralement que les fantômes
d’eux-mêmes et la distance temporelle, qui sépare
le moment de cette action de celle de son écriture, met
le narateur à distance de cet événement. La
conscience et la prégnance de l’écoulement
du temps est donc ce qui détermine la description des objets,
mais aussi des personnages. Ce sont en premier lieu, ces derniers
qui sont revisités pour donner l’exacte mesure de
la quête, de la tentative de résurrection du passé.
Ils sont à l’image de Les Boulevards de Ceinture :
ils apportent plus de questions et d’incertitudes que de
réponses. Tous répondent à trois traitements
qui ont pour effet de les faire s’évanouir, de donner
tout le poids de leur inconsistance : la fragmentation, la déréalisation
et la fictionnalisation. La fragmentation des personnages est un
des éléments clés de leur construction: ces
derniers ne sont presque jamais perçus directement, ce qui
est naturellement la conséquence stylistique de l’enquête,
mais au contraire par conversations interposées. Cette méthode
a pour effet de conserver une aura de mystère autour des
personnages. Le " baron " Deyckecaire est, en tant qu’objet
principal de l’enquête, particulièrement concerné par
ce mode de présentation parcellaire. Les premièred
informations à son sujet sont sa corpulence, sa cigarette
et ses attitudes : " affaissement ", " préciosité lasse " ;
autant de renseignemens glanés presque volés. Il
en va de même pour les autres personnages qui ne sont décrits
qu’au fur et à mesure que les rencontres le permettent
: chaque description correspond à un momet précis
de l’enquête. Les détails sur les attitudes,
le physique et quelques dialogues émanent de la première
partie du récit ; la deuxième partie, qui organise
les rumeurs du village, rend compte de leurs occupations, de leur
emploi du temps et de leurs habitudes en ce lieu fermé (
de ce fait il n’y a aucune information qui concerne leur
vie à Paris pendant la semaine ) ; chaque chapitre apporte
son lot d’informations jusqu’au moment où c’est
l’identité de ces personnages qui se dévoilent,
comme les masques tombent au théâtre. Ces révélations
marquent le point d’arrêt de la représentation,
au, comme on le dit familièrement, de la " comédie ", terme employé par la narrateur.
Cette présentation résulte de la structure même
de l’enquête qui suppose nécessairement une
focalisation externe et rejette l’omniscience du narrateur.D’autre
part, cette fragmentation est la conséquence directe du
temps de l’enquête : c’est celui du déroulement,
de l’action en cours et, de ce fait, les renseignements arrivent
progressivement à la conscience du narrateur qui ne peut
les intégrer que un à un :" Muraille prit un ton aigu de conversation mondaine : " excusez-le
[ Marcheret], chère amie [ Maud Gallas] , il se croit toujours à la
Légion. ( Cette remarque éclaire d’un jour
nouveau la personnalité de Marcheret ). " ( p. 16 )
Cet
exemple traduit l’identité entre le temps de
l’écriture et celui de l’enquête, ce qui
induit l’impression pour le lecteur de se trouver face à un
récit qui se déroule et se construit sous ses yeux.
La focalisation externe a aussi pour effet de multiplier les indices
du doute ou du moins de la subjectivité : c’est ainsi
qu’au début du récit fleurissent les modalisateurs. " A
noter ", " paraît ", " n’oublions
pas ", " certainement ", " distingue ", " environ ", " n’en
doutons pas ", " d’habitude " ( p.13-16 ).
Ils informent un mode de perception particulier qui met les personnages
sous l’éclairage d’une connaissance parcellaire.
C’est le cas de Maud Gallas par exemple :" C’est une femme d’environ quarante ans, blonde
et lourde, la voix grave. L’éclat de ses yeux- sont-ils
bleu de nuit ou mauve ?- surprend. Quelle activité exerçait
Maud Gallas avant de prendre la direction de cette auberge ? La
même probablement, mais à Paris. (…) Entraineuse
? Ancienne artiste de variété ? Marcheret, n’en
doutons pas, la connaît depuis longtemps. " ( p. 15
)
La
description est d’abord physique et se porte sur les
certitudes : son âge, sa voix et sa démarche. Ensuite
viennent les incertitudes, qui sont, comme il se doit, bien plus
nombreuses que les premières et qui consolident la vision
d’une image qui palit, d’une photo qui jaunit au point
de ne plus être " lisible ". Ces dernières
portent sur son " activité ", et, en fait, sur
tout ce que le narrateur–témoin ne peut prendre en
charge par son seul regard. Chaque description aura pour fonction
d’éclairer ces identités variables d’informations
diverses et complémentaires. Néanmoins, leur identité ne
sera totalement dévoilée que dans le cadre du dialogue,
quand il est possible. A ce moment, il ne s’agit plus d’une
connaissance technique ou théorique, mais directement de
l’identité des autres. Marcheret entreprend le narrateur
sur son arbre généalogique et donc ce qui constitue
sa spécificité et sa noblesse vis à vis de
ses amis, et, à force de s’embrouiller, il finit par
s’emporter, être paradoxalement à la fois hors
de lui et proche de lui : c’est le surgissement de sa pensée
qui l’entraine à dénoncer tous ses amis ( p.
131 ). L’incapacité dans laquelle il est de restituer
les fondements de son identité familiale le conduit bizarrement à révéler
la sienne, propre et individuelle. Il semble que ce soit dans le
cadre de son indentité " collective " que l’homme
arrive à assumer sa personnalité : Muraille, quant à lui,
loin de revendiquer une noblesse imaginaire, devient philosophique
et se livre même à des leçons de morale alors
qu’il dialogue, avec le narrateur, de son journal ( p. 132
). Dans les pages qui suivent Sylviane Quimphe est identifée
grâce au " manège ", alors que, fait intéressant,
le narrateur est considéré alors qu’il est
en train de rédiger ses feuilletons " pas pornographiques…mais
cochon ". Son identité profonde s’établit
donc dans la littérature comme d’autres s’établissent
dans la noblesse ou dans une corporation ( le journal en l’occurrence
). On peut conclure q’une identité fragmentée
correspond au premier mode de connaissance des personnes en présence,
mais que, rapidement lui succède une identité plus
complète au fur et à mesure que le narrateur s’introduit
dans le monde qu’il cherche à dévoiler. Ce
faisant, l’auteur imprime au texte une focalisation floue,
accentuée par le décor fantômatique, qui finit
par s’épaissir et se clarifier quand l’enquête
aboutit. Il est tout de même à noter que la figure
du père est la seule à ne pas être éclaircie
:" Qui êtes-vous ? J’ai beau vous avoir suivi
pendant des jours et des jours, je ne sais rien de vous. Une silhouette
devinée sous la veilleuse. ( p. 182 )
C’est le point d’orgue de toute sa recherche du père,
et cette remarque trahit son échec, justement parce qu’elle
fait perdurer la focalisation externe, l’absence d’identité. " La
silhouette sous la veilleuse ", qui pourrait être le
titre d’un tableau de Rembrandt, même si elle est poétique,
n’en est pas moins la preuve de l’impossible identification
du père. Il est la seule personne irréductible à l’observation
et, de ce fait, il ne peut rester de lui qu’un visage en
clair-obscur. Le deuxième mode de présentation des
personnages est la " déréalisation ", c’est à dire
un ensemble de facteurs qui visent à faire de ceux-ci des êtres
plats, sans possibilité d’évolution, et qui
finalement, à force de fragmentations disparaissent derrière
les objets qu’ils mettent en avant. La plupart des protagonistes
ont une identité cachée, un pseudonyme, pour se mettre
soit à l’abri de la police, soit d’autres dangers
plus personnels ; le narrateur se présente " sous l’identité " ,
comme l’on pourrait être sous un déguisement,
de " Serge Alexandre ", nom construit à partir
de deux prénoms, et qui, par sa répétition
réduit la portée historique, linéalogique
du nom.De même pour le " baron " Deyckecaire, dont
l’anoblissement n’a pour seule valeur que de le donner
donner un rang de vassal par rapport au Comte d’Eu. L’identité des
personnages est un élément de déréalisation
qui répond à des impératifs esthétiques
dont le but est de faire d’eux des entités dont le
souvenir ne peut être que nécessairement faussé ;
rien ne permet au narrateur de se souvenir d’eux autrement
que par ces faux noms et c’est ce qui le conduit à ne
plus voir, des années après, que des spectres là où il
y avait autant d’êtres humains. Ce traitement s’applique
d’autant plus exactement au père qu’il est l’objet
de la quête ; dans les premières scènes, il
semble ne plus être qu’un écho, un concept vide
qui n’a d’autre moyen d’expression que la répétition
: " - Fameux ! s’exclama Marcheret, et il fit n claquement
de la langue que mon père répéta en écho.
(…)
" - Vous écrivez
des romans ? [ Muraille]
" - Vous écrivez des romans ? répéta
mon père ?
(…)
" Ca s’appelle " Le Prieuré ".
" -Oui… " Le Prieuré ", dit mon père. " (
p. 49-50 )
Chalva
se transforme donc en perroquet et perd toute consistance, toute
la propriété humaine du dialogue ; il se déréalise
parce qu’il ne prend pas en charge son droit à l’expression,
au mécontentement. C’est un être de l’acquiescement,
de la résignation, qui se réduit à ce rôle
en essuyant tous les affronts. Le père est donc une ombre
d’être humain, " un spectre ", un " fantôme ".
Par exemple, lorsqu’il vient le chercher chez les Pessac,
il est d’abord cet " inconnu à la peau basanée,
au costume de flanelle sombre " ; par la suite, alors qu’il
devrait s’expliquer devant ces mêmes Pessac sur les
raisons qui l’amènent chez eux, il ne dit rien et
ressemble " à un gros papillon pris au piège. " Il
est donc considéré comme un animal mort ou en danger,
un être humain réduit, amputé, " un homme
de paille " ( p. 131 ). Enfin, le dernier processus est celui
de la fictionnalisation. Les personnages semblent issus du théâtre.
A aucun moment Modiano ne cherche à faire d’eux des
reproductions littéraires à l’image de personnes
réelles : ils s’inscrivent dans le champ littéraire
dès qu’ils apparaissent : Serge Alexandre et Alexandre
Dumas et " Muraille-Marcheret-Deyckecaire ! Les trois Mousquetaires
! ". La fiche sur Annie Muraille oscille par exemple entre
le misérabilisme ( bas quartier, prostitution ) et le conte
de fées, Tintoret à l’appui. Puis, le noble
atteint de paludisme, comme d’une malédiction, le
rédacteur en chef d’un journal, sans remords, sans
principes…Une galerie de portraits qui ressemblent à des
caricatures. Annie Muraille n’est que le nom qui porte " les
fesses les plus blondes et les plus chaudes de Paris. " et
Sylviane Quimphe que la femme au manteau de fourrure, pantalon
de cheval, et au décoleté affriolant. Comme au théâtre,
les personnages sont simplifiés, réduits à quelques
traits saillants de leur personnalité. L’archétype
de cette démarche est le journaliste " Le Houleux ",
dont le pseudonyme ( nom de scène ? ) fait sens et le définit
comme un dessinateur " humoristique ( les guillements indiquent
la citation ainsi que le caractère douteux de son humour
) à l’encre sinistre ". Son identité se
réduit simplement à son nom, comme le faisait la
comédie grecque populaire, qui en mettant en scène
un vieillard se contentait juste de le nommer senex. Gerbère,
quant à lui, semble subir un léger camouflage pseudonymique,
mais son nom et sa fonction ne peuvent manquer d’évoquer
le chien gardien des Enfers : il est le garant de la menace de
chantage qui pèse sur tous les juifs. Ainsi, tant dans les
noms que dans les attitudes ou les vêtements, des procédés
de fictionnalisation se mettent en place pour assurer l’atmosphère
irréelle du récit et de cette époque. Dédé Wildmer,
l’ancien jockey, est pour sa part présenté comme
un être de fiction: " -Vous verrez, c’est un personnage
! " déclare Muraille aussitôt repris par Chalva,
ce qui martèle l’idée. Le monde mis en place
ne cherche donc pas tant à assurer l’image d’un
monde réel mais plutôt à l’ancrer dans
la fiction, ou plus exactement encore, à rendre le réel
tel qu’il apparait à la conscience du narrateur, c’est à dire
fictif. Ce serait un monde où fiction et réalité se
mêleraient inextricablement. De même, certaines indications
sur le ton ou le contenu des conversations sont tellement réduites,
qu’elles font penser à l’art minimal des dydascalies: " Conversations
stupides. Propos vains. Personnages morts. " (p.49), " Rires
brefs " ( p.39), " Me prenant à témoin " (p.
44 ) En fait, l’intégralité de ce récit
place l’enquête dans l’ombre du jeu, de la comédie.
Le point d’orgue de cette construction est de l’aveu
même du narrateur, conscient de l’absurdité de
son entreprise et de l’inconscience des témoins qu’il
interroge:" J’avais l’habitude de ces sortes de tâtonnements,
ces parties harassantes de colin- maillard,où vous avez
beau tendre les bras, vous ne rencontrez que du vie. " (p.130)
Le
jeu, c’est de cette façon que les différents
protagonistes envisagent leur relation au monde. A partir de là,
l’enquête ne peut devenir qu’une image de la
partie de " colin-maillard ": aucune méthode ne
peut être mise en oeuvre, la chance est le seul mode de connaissance,
les indices peuvent accidentellement se trouver dans les divagations
des témoins,... La comédie et le jeu symbolisent
l’échec nécessaire de l’enquête
en lui imprimant une profonde irréalité. La référence
finale à Marivaux et aux " comédiens [ qui]
saluaient sous une lumière bleue. " ( p. 179 ) est
l’ultime pirouette d’un narrateur désabusé devant
un monde entièrement artificiel et conscient de n’être
qu’un " clown " ( p. 182 ) dans cette vaste mascarade.
Cette
atmosphère est consolidée par les nombreux écrans
que l’auteur met en place et qui obstruent voire invalident
l’émergence de la réalité de cette époque.
Tout d’abord, puisque ce récit est largement construit
autour du thème de l’enquête, il est important
de souligner le rôle de l’interrogation ; les questions
sont tellement nombreuses que le récit en devient vertigineux.
Toutefois, cette impression n’est vivante qu’à partir
du moment où celles-ci ne trouvent pas de réponse,
où leur somme est largement inférieure à leur
addition. En effet, beaucoup d’entre elles restent sans réponse
et laissent le lecteur dans l‘attente d’une hypothétique
réponse. Cette dernière n’apparaît pourtant
jamais si ce n’est sous une forme métaphysique : tous
les protagonistes se résolvent dans la mort. L’échec
du dévoilement de la vérité dans le dialogue
est manifesté par le récurrent monologue intérieur,
qui se substitue à lui tout en reconnaissant ses manques
: " Et maintenant que nous sommes assis l’un en face
de l’autre comme deux chiens de faïence et que je peux à loisir
vous considérer, J’AI PEUR. Que faites-vous dans ce
village de Seine et Marne avec ces gens ? Et d’abord, comment
les avez-vous connus ? " ( p. 110 )
Ou
alors parfois sous la forme de faux dialogues, tel celui entrepris
avec Sylviane Quimphe ( à chaque question de celle-ci, le
narrateur répond par une pensée vers son père;
et quand un vrai dialogue s’installe, c’est encore
avec son père qu’il cherche à communiquer,
p. 57 ). Ainsi, alors que la fin de l’enquête approche,
les doutes sur son identité, les causes de sa proximité avec
ce mileu restent obscures. Les questions, qui ne se posent qu’au
narrateur, traduisent l’ambivalence de l’écran
: il est à la fois la marque de l’impossible dialogue,
mais en même temps il ne suffit que de parler à voix
haute pour le briser ; il est à la fois indestructible et
fragile. Les questions ne se résolvent finalement que dans
la certitude qu’elles sont au moins des réponses pour
le narrateur. En effet, les formuler est déjà un
acte de connaissance. Ce premier écran ressemble plutôt
paradoxalement à un acte de dévoilement et de transparence.
Le second écran est tout entier dans les multifrmes modalités
du souvenir : il semble qu’il soit sans contrôle, qu’il
ne réponde pas à une volonté et de ce fait
la conscience du narrateur s’obscurcit aussi facilement qu’elle
s’éclaire :" De nouveau cette impression de regarder une vieille photographie,
jusqu’au moment où Marcheret se lève, mais
de façon si brutale qu’il bute parfois contre la table.
Alors, tout recommence. Le lustre et les appliques retrouvent leur éclat.
Plus une ombre. Plus de flou. Le moindre objet se découpe
avec une précision presque insoutenable. Les gestes qui
s’alanguissaient deviennent secs et impérieux. " (p.20
)
Le
mot " alors " a la valeur d’un " soudain " et
traduit donc la rupture ; néanmoins, celle ci n’apparaît
nul part dans l’action. Est-ce parce que Marcheret se lève
que le souvenir peut se déployer et se clarifier ? Pourquoi
? Il semble plutôt que le souvenir n’apparaisse pour
aucune raison objective, mais qu’il obéisse à la
loi de l’aléatoire: " ...les souvenirs jaillissent
en gerbes d’étincelles. " (p.92 ) ou encore: " d’autres
lieux me reviennent encore, par vagues, à la mémoire. " (p.93).
Le ressouvenir apparait donc comme accidentel, hors de la volonté,
ce qui justifie les petites " fiches " du narrateur,
qui, comme il l’indique, ne correspondent pas à un
plaisir, mais répondent seulement à l’injonction
de sa conscience d’écrivain: étant donné la
nature de la mémoire, pour ne rien perdre, il faut tout
noter. Cette difficulté à maintenir le souvenir à la
surface, à l’arracher au néant de l’oubli,
témoigne d’une conception particulière de la
mémoire. Loin d’être la garante fidèle
de l’identité ( je suis ce que je suis parce que je
me souviens d’avoir été ce que je suis ), elle
est un élément perturbateur, perfide. En dernier
lieu, la présence de la photograhie est particulièrement
significatif. C’est un écran artificiel et fictif
qu met en abîme l’enquête: le souvenir n’est
plus directement accessible, il est déjà flitré,
médiatisé par un objet qui fige nécessairment
le mouvement, qui ne peut rendre compte de la totalité.
La photographie, que l’on retrouve plus tard dans le récit
( p. 160 ) est à la fois un point de départ pour
la reconstrction du passé en même temps qu’un
obstacle, puisqu’elle est partielle et décontextualisée.
C’est un élément de " voile " comme
le suggère le narrateur, une métaphore inquiète
et déçue de la mémoire. C’est l’écriture
de la question qui construit enfin le dernier écran. Alors
que tous les protagonistes sont morts ou disparus, le seul mode
de compréhension de ce monde est l’interrogation.
Elle répond à la volonté de témoigner,
mais celle-ci ne peut, de fait, n’être qu’un
facteur de confusion. La figure étrange de la tête
de chevreuil est à ce titre symbolique:" Au-dessus de la silhouete rigide de Grève, une tête
de chevreuil se détache du mur comme une figure de proue
et l’animal considère Marcheret, Muraille et mon père
avc toute l’indifférence de ses yeux de verre. " (
p. 10 )
Elle
apparait au début du récit et semble de ce
fait devoir prendre un rôle particulier, celui de la conscience
du narrateur au début de l’ enquête; elle incarne
l’état de celle-ci au moment où il commence à s’approcher
de ce milieu et donc de la connaissance de son père. Ses " yeux
de verre " sont à l’image de ceux du narrateur,
tendus vers l’observation d’un monde opaque, d’où pourtant,
son salut, son identité doivent sortir. A l’instar
de cette " figure de proue " ( du décor et du
récit ), il cherche à retrouver son corps dont il
a été séparé quand il a été séparé de
son père, c’est à dire de son lien organique
au monde. Ce dernier écran, qui amène toute la démarche
interrogative à venir, est rétrospectivement un facteur
d’échec: en effet, il a encore été séparé de
son père, symbole de son corps, de sa présence matérielle
au monde, par la police et la figure de Grève qui ouvre
ce récit et aussi celle qui le clôt. Malgré ses
efforts et son enquête, l’histoire n’a fait que
tourner en rond, dans un cercle d’interrogations aporétiques.
Si
l’enquête est le niveau symbolique de la quête,
l’écriture, n’en doutons pas, est le niveau
symbolique de cette dernière. En effet, devant un temps
qui fuit, le récit pose l’intérêt en
même temps que le problème de l’écriture.
Par quel autre moyen est-il possible de consigner ce qui, par nature,
a vocation à disparaître ? Le narrateur peut dire
avec Gide qu’ écrire,c’est mettre quelque chose à l’abri
de la mort; de plus, les références aux personnages,
au récit, à l’impératif d’écrire
rendent compte, grâce à de nombreuses mises en abîme,
d’une véritable interrogation sur la littérature.
Alors que la narration procède par questions, c’est
l’acte d’écrire qui est en question. D’abord,
le narrateur insiste à plusieurs reprises sur ses intentions
et la nature de ce qu’il écrit. Il se borne à vouloir
dresser le procès verbal d’une époque, sans
artifice. Au début du livre, les quatre personnages en présence
ne sont habillés que de traits distinctifs, tout juste susceptibles
de permettre une reconnassance et de donner l’impression
qu’ils ne sont, chacun, que le point de départ d’une
action à venir. Aucune considération psychologique
n’est évoquée; il y a juste des indications
sur leurs vêtements ou leurs attitudes, c’est à dire
que leur identité est négligée au profit de
leur reconnaissance. Cette démarche est similaire à celle
des policiers lors de la constitution d’un dossier ou d’un
portrait robot. De plus, le déroulement de la recherche
est respectée et donne le sentiment de suivre une enquête
en cours. Par exemple, dans la troisième partie, lorsque
le narrateur s’introduit dans la rédaction du journal
C’est la vie, alors que l’on sait qu’il recherche
Muraille, son rédacteur en chef, il n’est proposé au
lecteur que la structure de celui-ci et l’objet de sa recherche
n’apparait qu’au dernier moment. Il feuillette d’abord
intégralement le journal, l’auteur insistant sur la
durée de cette lecture. Alors qu’une ellipse aurait
pu confronter Muraille et le narrateur directement, il semble que
l’identité du temps de la lecture et du temps de l’écriture
témoigne de la volonté d’inscrire le récit
dans son déroulement, dans sa linéarité, tout
comme celui de l’enquête. Enfin, le refus du romanesque
est la marque la plus authentique d’une démarche " policière ":" Ce n’est pas de gaieté de coeur que je donne
leur pedigree. Ni par souci du romanesque, n’ayant aucune
imagination. Je me penche sur ces déclassés, ces
marginaux, pour retrouver,à travers eux, l’image fuyante
de mon père. Je ne sais presque rien de lui. Mais j’inventerai. " (
p.77 )
Le
narrateur se désengage donc ici de toute prétention
littéraire en refusant le romanesque et l’imagination,
deux principes constitutifs de la littérature. Néanmoins,
il pose le principe de l’invention. Au delà de toute
considération théorique, qui ne ferait que jouer
sur les mots et supposer une distinction artificielle entre invention
et imagination, le plus évident est de remarquer qu’entre
ces deux déclarations, qui sont presque des professions
de foi, la figure du père apparait. Il devient ainsi l’instance
qui autorise l’infraction, la fin qui justifie les moyens.
De ce fait, l’invention n’est pas tant une démarche
volontaire qui définirait un mode auxiliaire de l’enquête,
mais plutôt un palliatif, un outil qui l’étayerait.
Toutefois, cette remarque, parce qu’on ne peut s’empêcher
de l’attribuer à un clin d’oeil en mise en abîme
de l’auteur, se trouve sursignifiée: il tient à nous
prévenir que ce n‘est pas à un roman que nous
avons à faire. Qu’est-ce alors ?Ou, plus intéressant,
quelle fonction a cette assertion ? A première vue, comme
les autres facteurs d’écran et de flou, elle cherche à destabiliser, à remettre
en cause les codes de la littérature romanesque. Elle peut
aussi servir à poser la relation intime qui lie le narrateur
et l’auteur et signifier que leurs hisoires se ressemblent,
que c’est un récit en partie autobiographique, ce
que la biographie de Modiano nous confirme d’ailleurs. Ces
remarques, pour justes ou probables qu’elles puissent être,
soulignent surtout l’appartenance de ce récit à ce
que Jean Bersani appelle le " contreroman ". L’intention
n’est pas tant de dérouter le lecteur que de lui faire
comprendre que c’est la réalité que l’auteur
poursuit. Effectivement, eu égard au style et au contenu
de l’enquête ( une recheche impossible sur des choses
mortes ou disparues ), il semble que la réalité soit
l’écran, soit nécessairement l’échec
et le trouble. L’irréalité n’est pas
une marque esthétique mais le cachet de l’authenticité,
la marque de l’adéquation entre l’objet de la
quête et sa transcription. Tous ces procédès,
ajoute le critique, cherchent à nous posséder
( à nous rendre esclaves de cette myopie ) " pour
nous renvoyer plus cruellement, plus crûment, à ce
dont [ ses] romans ne sont ni le refus, ni lereflet, mais le signe:
le réel. " . De même, si le récit s’effiloche
en " borborygmes " ( p.19) ou en " propos d’ivrognes ",
c’est encore la trace de l’identité entre l’écriture
et son sujet. Ainsi, c’est la sincérité de
la relation entre l’objet et le sujet qui est mise en valeur.
L’auteur s’approche du réel en proclamant, à l’instar
de Flaubert, qu’il n’y a de " vrais que les rapports. " L’objet
de l ’écriture est alors de mettre en valeur avec
le plus d’exactitude possible la véracité d’une
expérience:" J’ai l’impression d’écrire un
mauvais " roman d’aventures ", mais je n’invente
rien. Non,ça n’est pas cela inventer. Il existe certainement
des preuves, une personne qui vous a connu, jadis, et qui pourrait
témoigner de toutes ces choses. Peu importe. " ( p.148
)
Le
narrateur avoue ici donner l’impression de situer son
récit aux marges du roman ( il prévient par prétérition
les remarques d’un éventuel lecteur ) et du procès
verbal ( l’absence de preuves pourrait l’invalider
). Ce faisant, il fait appel à la " clémence " du
lecteur ou à sa capacité à discerner le genre
réel auquel appartient ce récit. A cause de l’absence
de témoin, il s’en remet au jugement des lecteurs,
ou d’un jury fantasmé tant sa démarche est
imprégnée de justifications et ressemble à une
déposition. Justement parce que les preuves sont rares,
le récit s’effiloche, rebondit de questions en questions,
d’amorces en amorces. A chaque certitude correspond un doute
plus profond, un niveau plus personnel d’inquiétude.
Quand il a finalement " à force de patience " réussi à établir
des " fiches " sur les " marginaux " qui composent
le cercle de relations auquel appartient son père, il plonge
plus profond dans son passé à la recherche d’une
vérité plus intime ( en l’occurence, pourquoi
il l’a poussé sur les rails ) qui en appelle une autre
encore plus personnelle: " Pourquoi avais-je voulu, si tôt, être votre
fils ? ". Ces interrogations en écho mettent en perspective
la quête de sa propre identité et développe
une " esthétique du cercle ", du cycle qui se
reproduit à l’identique. La vie du narrateur, est-ce
un processus de fictionnalisation, est frappée par la fatalité:
il revit perpétuellement les mêmes scènes sans
arriver à en extraire le sens. Le premier cycle rapproche
le période qu’il a vécu en commun avec son
père pendant son adolescence et celle qu’il a vécu
au Clos-Foucré. Les étapes sont identiques: d’abord
une rencontre dans un monde " étranger " ( le
monde des Pessac et celui de Muraille), ensuite l’entrée
dans ses activités ( le trafic des timbres et le fuite vers
Paris ) un crime ou un sacrifice ( " l’épisode
douloureux du métro Georges V " et l’assassinat
de Lestandi ainsi que son auto dénonciation ) et enfin,une
séparation brutale, après un verre d’adieu
( son père " s’engouffre dans la bouche du métro " et
il disparait du récit alors qu’ils étaitent
réunis dans le " panier à salade " ). Cette
structure similaire a comme particularité de ne jamais aboutir.
Le but étant pour le narrateur de se déclarer à son
père et de vivre avec lui, de le comprendre, la disparition
de ce dernier a pour effet de mettre sa recherche en échec
et d’imprimer au récit, dans sa structure même,
la circularité de la répétition sans fin.
Le but n’étant jamais atteint, le récit laisse
supposer que cette dernière continuera indéfiniment,
et ce, malgré la note optimiste de la fin du livre. Le deuxième
cycle est celui de l’enquête; les mises en abîme
de celles-ci émaillent le texte à tel point qu’elles
ne sont plus seulement des thèmes récurrents, mais
plutôt des manifestations d’un mode d’être
du narrateur et de ce fait, du récit. La premier niveau
de l’ enquête est celui qui a pour but la recherche du
père et des différentes activités auxquelles
il a pu participer. Le deuxième niveau est l’enquête
menée par la police après l’épisode
douloureux du " métro Georges V ". C’est
l’enquête dans l’enquête. Ces deux dernières
ont comme point commun de chercher à définir les
enjeux d’un crime, d’une faute. Mais, aussi bien l’une
que l’autre échoue et laisse encore au récit
un effet d’inachèvement, d’amorce sans suite. " eh
bien, messieurs, vous pouvez disposer... " (
p.105 ) conclut le commissaire de police en laissant sa phrase
en attente par des points de suspension; de même, l’enquête
du narrateur sur les activités de son père n’aboutit
pas. Le troisième niveau de l’enquête, qui est
un sous ensemble de ce dernier, est " l’interrogatoire " de
Sylviane Quimphe.Il fait la connaissance de cette étrangère,
crée une intimité, se sacrifit ( passe la nuit avec
elle ) et n’aboutit à aucune conclusion satisfaisante: " Oui,
vous étiez bien le " confident " de Muraille.
Vous lui serviez de prête-nom et de factotum pour traiter
certaines affaires suspectes. Marché noir ? Démarchage
? ", ( p. 130 )
Encore
une fois, l’interrogatoire amène plus de questions
que de réponses. La disparition, en épilogue, intervient
aussi d’ailleurs dans cette conversation: " D’ailleurs,
Jean va se débarrasser de lui le plus vite possible. " affirme
Sylviane Quimphe ou encore: " Votre disparition ne ferait
pas plus de bruit que celle d’une mouche. Qui se souviendrait
de vous dans vingt ans ? (p.131 ). Ce cycle a donc pur but de souligner
le tragique, la fatalité qui frappe le sort du père:
tout conduit à faire de lui un homme déjà mort,
aussi bien physiquement ( il va être abattu ) que symboliquement
( aucune mémoire ne gardera son souvenir, ce que, bizarrement
confirme et dément la fin du livre ). Le cycle devient ainsi
la manifestation stylistique de la lutte contre la fatalité,
l’inexorable; il est l’image qui rappelle le mythe
de Prométhée ou de Sysiphe, sans lutte sans fin pour
une vérité qui ne sourdra jamais, pour une souffrance
qui se répètera à l’infini. Le dernier
cycle met en abîme la relation de paternité fantasmée
par le narrateur ; les deux premiers traitaient de la recherche
d’un individu civil ou juridique, celui crée dans
une certaine mesure " un roman familial ". Le récit
met d’abord en scène un narrateur obsédé par
son père et un père que l’on doit retrouver
pour le protéger, de lui même et des autres. Cette
structure se retrouve dans un " micro-récit " qui
illustre les relations particulières qui lient l’inspecteur
Sieffer au narrateur. On peut créer un parallèle
entre ces relations et celles qu’il entretient avec son père:
PERE NARRATEUR SIEFFER
proie
protecteur/ proie potentielle protecteur bandit mondain policier/bandit
inspecteur de la mondaine
réel réalité/imagination symbolique"
papillon " " êtres insignifants "/ " moi
que je traquais sans relâche. "
Ce tableau illustre les différentes fonctions des personnages
ainsi que leur recherche. La première ligne rapproche le
rôle que Sieffer a eu envers le narrateur, et celui que le
narrateur a eu envers son père. Ils sont similaires. Le
père est une victime en sursis qu’il faut protéger;
et, comme le dit l’inspecteur Sieffer, à propos du
narrateur, dans un élan d’ironie tragique: " Tôt
ou tard, malheureusement, on se retrouve tous au dépôt... " .
Le narrateur sert donc d’interface avec ce double rôle
de protecteur et de proie possible. De même dans la deuxième
ligne: Sieffer est inspecteur de la mondaine qui, par définition,
part à la recherche de " bandits mondains " et
c’est précisément ce rôle que le narrateur
va tenir au Clos-Foucré. Mais, en même temps, le narrateur
est aussi un de ces bandits puisqu’il collabore au journal
et qu’il tue Lestandi. Ainsi, il endosse à la fois
le rôle de Sieffer et celui de son père. Dans la troisième
ligne, on peut constater que l’inspecteur devient pour la
narrateur un père symbolique ( " J’avais une
vraie affection pour cet homme et je me sentais en confiance avec
lui. Lorsque je lui exposais mes états d’âme,
il m’enveloppait d’un regard triste et chaleureux. ",
p. 153 ); et que le père réel a besoin du recours à " l’invention " pour
devenir une vraie figure de père, pour avoir le sentiment
d’appartenir à la même famille: " Nous
nous introduirions dans l’intimité des propriétaires
et, peu à peu, nous aurions le sentiment d’appartenir à la
famille. " (p.156 ) ou encore: " Nous nous ressemblons, papa. Deux paysans, deux mauvaises
têtes de Bretons, comme vous dites. Les rideaux sont tirés,
le feu crépite doucement. Bavardons en vieux complices. " ( p.146 )
C’est dans le monologue intérieur, dans le délire
verbal qu’une vraie relation peut se nouer entre les deux
hommes, contrairement à ce qui se passe avec l’inspecteur.
Dès qu’il s’arrête, la distance réapparait
et à la complicité succède la distance, la " déférence " Enfin,
la dernière ligne illustre les rapports ou réflexions
que le narrateur a pu avoir avec ou sur les personnes qu’il " filait " et
ceux avec son père. Ils sont pratiquemment identiques:" J’ai vu des êtres insignifiants se transformer
d’un instant à l’autre en créatures de
cauchemar ou héros de tragédie. Les derniers temps
j’ai cru devenir fou. " ( p.153 )
C’est ce qu’il déclare à l’issue
de sa courte expérience de policier. Cette affirmation ne
peut manquer de rappeler la démarche qu’il entreprend
auprès de son père. Il appartient à la même
catégorie de personnes " insignifiantes ", tout
ce qui se rapporte à lui traduisant l’inconsistance:
seulement capable de répétitions, ombre de lui-même,
passif...Toutes ces qualités font de lui un objet susceptible
de se révéler, de recéler d’une puissance
cachée, d’une double personnalité. Ce cycle
semble donc justifier l’entreprise étrange qui consiste à sauver
de l’oubli jusqu’au bout un être fantômatique,
inexistant, dans l’espoir qu’il finira par se révéler,
se dévoiler ou se transformer en " héros ".
Pour conclure, on peut dire que ces cycles cherchent tous à éclairer
un trait de la personnalité du père ou du narrateur,
mais qu’en même temps, par leur nature qui induit répétition
et inachèvement, ils sont la marque la plus probante de
l’échec, de l’amorce impossible à concrétiser.
D’un point de vue narratologique, le cycle est l’instance
qui rend le récit vertigineux, qui lui fait prendre de la
perspective et qui inscrit la circularité dans sa structure.
Tout semble ainsi converger vers un point d’où rien
ne part, vers un point encore plus éloigné du but
recherché. Telle est, semble-t-il l’explication du
titre et de la présence des " carrefours ". Les
boulevards de ceinture sont la périphérie, l’éloignement
en même temps que la possiblité toujours ouverte de
pénétrer le centre de la ville, son coeur.
L’écriture, parce qu’elle pose dans son organisation
même les problèmes de l’investigation, est considérée
comme un acte. C’est aussi valable dans l’écriture
de la question; ce ne sont plus des interrogations " thématiques " qui
nous sont proposées, mais des interrogations qui sont des
actes d’écriture, des principes de l’écriture:
c’est un récit de l’interrogation et pas seulement
sur l’interrogation. De même que ce n’est pas
un récit qui écrit le souvenir, mais plutôt,
comme dans La Vie de Henry Brulard, un récit qui crée,
appelle le souvenir. En ce sens l’ériture est ici
un processus de réflexion et pas une finalisation de celle-ci
sur le papier ; l’écriture est un acte d’organisation
du temps, de l’identité et de la vie. Ce n’est
pas le moyen par lequel le narrateur a choisi de s’exprimer,
mais c’est le moyen et la fin de cette enquête. Les
nombreuses références au théâtre, au
roman semblent en témoigner d’ailleurs. Le narrateur
s’inscrit dans le champ de l’écriture, non pas " de
gaieté de coeur ", mais parce qu’il ne peut faire
autrement. Pourquoi ? Quel est son avantage sur la formulation
orale par exemple ? On a pu le constater durant le récit,
le dialogue est aporétique, rien de tangible ne peut en
sortir, il est par essence brouillon, imparfait, volatile, " à la
limite de l’audible " ( p.64) ; l’écriture
a ce premier avantage sur lui qu’elle fige la parole, la
consigne ( c’est un des versants essentiels de la procédure
policière que de conserver les propos des protagonistes
pour les mettre en défaut si leurs déclarations divergent
) pour l’éternité; le second, plus essentiel,
est qu’il permet de ne pas être un intervenant: le
dialogue suppose la présence, l’implication, alors
que l’écriture se dégage à la fois du
devoir de présence ( et donc de sacrifrice ou de déshonneur,
comme nous avons pu le voir ) et de la nécessaire partialité qu’il
implique. L’écriture, aussi fragmentée soit-elle,
est toujours un facteur de libération; elle offre nécessairement
une position de surplomb, que d’aucuns considèrent
comme divine, propice au détachement et à la compréhension
globale. Néanmoins, si l’acte d’écriture
est par nature clarificateur, il n’en reste pas moins que
c’est un récit du de l’irréalité,
du soupçon et de l’ombre. Aucune conclusion tangible
n’est apportée à des questions qui se multiplient
, le concept de vérité est mis en doute, les personnages
sont si fins qu’ils ne ressemblent qu’à des
marionnettes, bref, autant de causes, qui font de cette oeuvre,
une oeuvre ouverte libre à diverses interprétations.
L’enquête a-t-elle abouti ? Non, peut-on répondre
en considérant que le narrateur n’a pas réussi à sauver
son père du bras armé de la justice. Oui, peut-on
aussi répondre: le père a été retrouvé,
sauvé de la mort que lui préparait ses " relations ".
D’autres questions restent sans réponse définitive:
la quête a-t-elle réussi ? Le narrateur se libérera-t-il
de son passé ? Pourquoi le père du narrateur l’a-t-il
poussé sur les rails ? Mais si ces questions assaillent
le lecteur à la fin de sa lecture c‘est parce que
les personnages et le narrateur en particulier sont dans l’expectative,
qu’aucun d’entre eux n’arrivent à se détacher
de ses obsessions ( la condamnation à mort, l’impératif
de jouissance,...) et surtout parce que le propos du narrateur
n’est pas dans la résolution de ces problèmes.
Il est dans leur mise en scène, il est dans la possibilité de
leur écriture. Toutes les questions ne sont que les conséquences
d’une seule: " Pourquoi ai-je voulu, si tôt, être
votre fils ? ", et toute son entreprise d’élucidation
d’une époque, d’un père, n’a pour
fonction que de le renvoyer à lui même et à ses
doutes sur sa propre identité; de ce fait, l’écritute
ne peut plus s’affirmer, se développer, mais au contraire
se brouiller au fur et à mesure qu’elle se distille.
L’ atmosphère d’irréalité n’est
plus alors un obstacle à l’identification, mais une
conséquence logique, structurelle et inévitable.
S’identifier par le souvenir suppose une démarche
interrogative vicieuse, qui s’approfondit de mises en abîme
en mises en abîme. La dernière injonction du texte
prend justement le contrepied de celle ci en exhortant le narrateur à la
vie, à " l’avenir ", c’est à dire à la
construction personnelle et irréductible de son identité d’homme
( par opposition à fils ).L’écriture enfin, comme nous venons de le voir, est
une nécessité épistémologique, un système
cognitif; mais, c’est aussi une nécessité personnelle,
un " besoin ". Ce mot souligne l’enjeu vital de
l’écriture et la situe comme un " impératif
catégorique "." Je sais bien que le curricumul vitae de ces ombres ne présente
pas aujourd’hui un grand intérêt, mais si je
ne le dressais pas aujourd’hui, personne d’autre ne
s’y employerait. C’est mon devoir, à moi qui
les ai connus, de les sortir - ne fût-ce qu’un instant-
de la nuit. C’est mon devoir et c’est aussi, pour moi,
un véritable besoin. " (p.66)
Dans
cet extrait se mélangent les idées d’intérêt,
de devoir et de besoin, chacun s’opposant à l’autre,
ou plutôt, chacun menant vers ce dernier, qui l’expression
finalisée de ce que ressent le narrateur. Le besoin ne répond
pas à un profit personnel ni à une exigence supérieure
et autre. Il est l’émanation d’une obligation
morale, gratuite pour les autres mais qui engage l’identité du
narrateur: éclairer ces personnages, c’est aussi faire
la lumière sur lui, tenter de se considérer dans
sa totalité, dans sa dimension historique et " familiale ".
En tout cas, l’accent est porté sur la nécessité de
se confronter, d’affronter ces " ombres ", de leur
rendre vie, quelles qu’en soient les conséquences.
Le rôle cette assertion est aussi de rendre obligatoire le
contact, de créer là où il n’y a que
du vide un espace de communication:" Une semaine plus tard, je vous voyais entrer dans un restaurant
de l’avenue Kléber. Vous excuserez ma curiosité,
mais jeme suis assis à la table voisine de la vôtre.
J’étais ému de vous retrouver et je projetai
de taper sur l ’épaule, mais j’y renonçai
en observant vos amis. " (p. 109)
Le
monologue intérieur intervient au moment où le
contact n’est pas posible et , en l’occurence, il double
cette signification, en montrant pourquoi le dialogue n’a
pas pu avoir lieu plus tôt. Il sert ainsi de substitut au
dialogue passé et présent, et permet de créer
une intimité large, " transhistorique ". L’écriture
de celui-ci semble rattraper le temps, l’abolir finalement
en le mettant sous son joug. C’est ce que stigmatise cette
phrase énigmatique: " Je suis avec vous et je le resterai
jusqu’à la fin du livre. " (p. 148 ) Cette phrase,
en fait, ne décrit pas tant une exigence, qui pourrait se
penser comme prospective, mais comme la forme atténuée
d’un regret, d’une douleur à l’idée
que dès que ce livre sera fini, la relation avec son père
prendra aussi fin. Le devoir de témoignage résulte
alors de la conscience chez le narrateur de vivre la dernière étape
d’une vie, d’être en métamorphose et de
devoir abandonner son père en même temps que sa chrysalide.
Si l’écriture est aussi impérative, c’est
parce qu’elle apporte le salut, l’absolution:" Aujourd’hui ces gens ont disparu ou on les a fusillés.
Je suppose qu’ils n’intéressent plus personne.
Est-ce ma faute si je reste prisonnier de mes souvenirs ? " (
p.166 )
Cette
question pose le problème de la faute et de la responsabilité du
narrateur: en tant que témoin a-t-il été un
complice ? En tant que narrateur, surtout ? Des questions qui désignent
sa mauvaise conscience . Le récit prend alors une oralité qui
rappelle celle du plaidoyer: cette phrase démontre rétrospectivement
la visée rédemptrice, salvatrice et libératrice
du récit. De même que toutes les autres qui cherchent à comprendre
le comportement de son père: le récit semble le prendre
en charge et tenter , de manière posthume, de le disculper
aux yeux de l’histoire. Cette intention a pour pendant celle
qui cherche à sortir cet homme " anonyme " de
l’oubli. C’est alors que le récit, malgré ses
prétentions " réalistes ", prend alors
un autre tour. La fiction apparait et tente de faire de cet homme
un personnage énigmatique, plein de secret, un mythe même
parfois: " Il portait bien le même nom que moi. Et deux prénoms:
Chalva, Henri. Il était né à Alexandrie, du
temps- j’imagine - où cette ville brillait encore
d’un éclat singulier. " ( p.81 )
C’est son " orientalité " qui est mise
en avant pour faire de lui un être " extra-ordinaire ",
un descendant direct de l’Egypte ancienne, de ses pharaons,
de sa culture... C’est donc en lui attribuant une origine
glorieuse qu’il le met en valeur dans un premier temps. Plus
tard, quand ils arrivent à Paris, l’attente du narrateur
est symptomatique:" Pour l’heure, c’était: square Villaret-de-Joyeuse.
J’imaginai un jardin où le chant des oiseaux se mêlait
au bruissement des fontains. Non. Une impasse, bordée d’immeubles
cossus. " ( p. 82 )
L’imagination est le vecteur du fantasme. Alors que le narrateur
la refuse dans l’écriture du récit, il l’admet
dans sa première approche du père. C’est apparemment
par réaction, par peur de la déception qu’il
s’abstient donc d’y faire appel. Néanmoins, à cause
de ces premières attentes et surtout de leur écriture,
le père acquiert une dimension nouvelle, il devient virtuellement
un père tant la tendrese du fils l’entoure. Enfin,
la dernière explication à cet impératif d’écrire
est lié au premier : écrire, c’est organiser,
mettre à plat et surtout faire acte de distanciation. Au
delà de tout l’amour qu’il porte à son
père, c’est d’abord lui le " bourreau de
son âme ", et il doit s’en affranchir ; il est
la " créature monstrueuse " qui surgit pendant
ses " nuits de fièvre " ( p. 65 ). C’est
pourquoi c’est un impératif de survie que de rendre
intelligible ces délires, seul moyen d’atteindre la
sérénité. Ensuite, le sentiment de ressemblance
profond et la peur de finir par confondre son sort à celui
de son père le motive. Tous deux, comme nous l’avons
vu précédemment, sont marqués du même
sceau, de la même fatalité qui les pousse inévitablement
vers les " boulevards de ceinture " et les commissariats:
la menace plane sur eux, comme le crime dans les tragédies
antiques. C’est contre ce destin néfaste que le narrateur
lutte par l’écriture; elle met à distance la
fatalité en l’ inscrivant hors de soi. " Impossible
décidément de changer le cours des choses. " déplore
le narrateur alors qu’il se rend avec son père dans
le hall de l’hôtel Wagram, où il doit rencontrer
Titiko, personnage au nom aussi vide que son rôle. L’écriture
sert ici à mettre à plat les événements
et de comprendre ce qui s’est passé (
l’arrestation) par ce qui devait se passer. La distance
temporelle de l’acte d’écrire ( qui n’intervient
que longtemps après que tous ces événements
aient eu lieu ) autorise l’agencement des événements
et déjouent leur fatalité. Parce qu’il y a
désormais des causes, le destin se brise, une nouvelle vie
peut commencer. L’écriture a un pouvoir cathartique
qui sauve finalement le narrateur.
Les
livres de Modiano mêlent tous étrangement une
extrême lisibilité et une construction complexe, faite
de mises en abîmes, de mélange des genres et des instances
d’énonciation. La proximité entre l’ auteur
et le narrateur y contribue grandement. Celui-ci, en particulier,
fait s’entrecroiser, s’enchevêtrer différentes
temporalités ( le temps de l’écriture, du Clos-Foucré,
de l’adolescence ) à tel point que le récit
s’en " abîme ": il s ’effiloche, se
désagrège en d’interminables suites de questions
en même temps qu’il plonge dans les tréfonds
de l’intimité; mais pas seulement dans celles des
protagonistes, qui ne sont que son reflet, souvent volontairement
pâle et inachevé, mais surtout dans celle de tout
individu, de toute conscience inquiète de son identité.
C’est pour cela que l’enquête et la quête
sont à l’image de toute construction identitaire.
Ce double mouvement ancre le récit dans un labyrinthe d’interrogations
personnelles et, paradoxalement, l’élève à des
considérations parfois métaphysiques. Ces différents
croisements, " carrefours " dirait l’auteur ou
confusions ont pour effet de jeter le trouble sur tout ce qui constitue
le récit: personnages, décors, objets, dialogues.
L’évidence et l’affirmation s’abolissent
et laissent la place au doute systématique. Il est à l’image
d’une perception particulière du monde, faite d’écrans,
de souvenirs fuyants, de mémoire infidèle, d’évanescence.
Le monde de Modiano est un monde en désagrégation
et son héros a pour tâche de rassembler les débris,
de leur donner sens, de les intégrer dans un ensemble supérieur:
l’écriture. Celle-ci est présentée comme
le seul outil efficace contre la faux de la camarde qu’est
le Temps. De ce fait, elle n’est plus seulement un simple
mode d’expression, un moyen de résistance, mais elle
devient un mode d’être au monde. " Ne croyez pas
que je l’écris par plaisir,mais je n’avais pas
d’autre possibilité. ", affirme sentencieusement
le narrateur. L’écriture est le versant positif de
la mort et elle n’intervient que comme nécessité vitale,
que comme dernier recours. Si Modiano est un écrivain minimaliste,
c’est parce que le mot lui pèse, qu’il doit
le disputer à la mort au prix de gigantesques efforts. L’enquête
et la quête sont les manifestations de la démarche
qui arrache à l’oubli, au temps et à la mort
la recherche perpétuelle, prométhéenne de
soi.
Liens
brisés
© Mathias
Azan
|